Le dynamisme de l’espérance chez saint Paul – pour la fête de la Conversion de saint Paul Apôtre
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Édouard Cothenet
Le dynamisme de l’espérance chez saint Paul
Le mythe du progrès indéfini a fait son temps. Il suffit d’interroger les gens autour de soi, de regarder la télévision pour constater que les motifs d’inquiétude s’accroissent de jour en jour : réchauffement climatique, hausse des matières premières et surtout du pétrole, spectre de la famine dans de nombreux pays, sans parler de la violence qui gangrène nos sociétés. Programmé avant le cyclone de Birmanie et les tremblements de terre de Chine, le numéro de mars-avril 2008 de la revue Esprit s’intitule « Le temps des catastrophes ». Inutile de poursuivre… Dans cette situation, beaucoup ont tendance à se replier sur eux-mêmes, cherchant à se préserver un petit coin de bonheur tant que ce sera possible, sans trop s’occuper des autres.
Un tel constat donne à l’encyclique de Benoît XVI, Sauvés en espérance, toute son actualité. Qu’est-ce que la foi chrétienne peut nous apporter pour émerger du brouillard ambiant ? Peut-elle nous motiver pour apporter notre contribution à la lutte contre tous les facteurs de misère et pour un rapprochement entre les hommes ? L’en-tête du texte pontifical est tiré du chapitre 8 de l’épître aux Romains, le grand chapitre de Paul sur l’espérance, suscitée en nous par l’Esprit Saint. Au seuil de l’Année saint Paul, ne vaut-il pas la peine d’élargir le sujet en montrant non pas seulement comment Paul a parlé de l’espérance, mais plus encore comment il l’a vécue au cours d’une vie traversée de multiples épreuves ? [1]
L’espérance de Saul de Tarse, disciple de Gamaliel
Pour comprendre l’itinéraire spirituel de Paul il est très important de prendre en compte ses années de formation à Tarse, sa ville natale, et à Jérusalem où il s’adonna à l’étude de la Torah. Dans sa lettre aux Philippiens, l’apôtre nous donnera lui-même sa carte d’identité religieuse : « Circoncis le huitième jour, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu, fils d’Hébreux… » (Ph 3, 5.)
Dans une déclaration faite lors de son arrestation, Paul se présente comme citoyen romain, un titre fort envié à l’époque, et cela par naissance (Ac 22, 25-29), ce qui atteste que la famille de Paul occupait une place enviée dans la grande ville commerciale de Tarse, célèbre aussi par ses philosophes stoïciens.
La situation aisée de la famille de Saul n’enlevait rien à sa ferveur religieuse, puisque Paul se déclare fils d’Hébreux ; comprenons que l’hébreu ou l’araméen était la langue parlée à la maison, tandis que, dans les rapports sociaux ordinaires, le grec s’imposait comme la langue véhiculaire. Comme dans toutes les familles juives, la pratique du sabbat et des fêtes scandait le déroulement de l’année, tandis que l’observance stricte des lois alimentaires fixait la séparation d’avec les familles païennes (les goyîm). Converti, Paul se considérera toujours comme membre du peuple d’Israël. À ses détracteurs, il pourra répondre avec fierté : « Ils sont Hébreux ? Moi aussi ! Israélites ? Moi aussi ! De la descendance d’Abraham ? Moi aussi ! » (2 Co 11, 22.) On sait aussi quelle souffrance lui causera l’incrédulité de la majorité de ses compatriotes (Rm 9, 1 s.).
Vivant en diaspora, la famille du jeune Saul n’en devait pas moins être tendue vers la grande intervention de Dieu qui mettrait fin à une trop longue période d’humiliation. Donnons en exemple les Psaumes de Salomon, écrits au lendemain de la prise de Jérusalem par Pompée (63 av. J.-C.) par un Juif de la mouvance pharisienne. Ils expriment l’attente très vive d’un fils de David qui rétablira le royaume d’Israël.
Vois, Seigneur, et suscite pour eux leur roi fils de David, au temps que tu connais, ô Dieu,
pour qu’il règne sur Israël, ton serviteur.
Et ceins-le de force pour briser les chefs injustes.
Purifie Jérusalem des nations qui la foulent en les faisant périr ;
Qu’avec sagesse et justice il chasse les pécheurs de l’héritage,
Brise l’orgueil des pécheurs comme des vases de potier,
Fracasse avec un sceptre de fer toute leur suffisance,
Détruise les nations impies par une parole de sa bouche.
Qu’à sa menace les nations fuient devant sa face et qu’il réprimande les pécheurs
Par la parole de leur cœur ! (Psaume de Salomon 17.) [2]
Même s’il exprime d’ordinaire sa foi au Christ en d’autres termes, Paul n’oubliera pas le titre de « fils de David » qu’il reprend au début de sa lettre aux Romains : l’Évangile, que Dieu avait promis par ses prophètes dans les Écritures Saintes, concerne son Fils « issu selon la chair de la lignée de David… » (Rm 1, 2.)
Après ses années de formation scolaire à Tarse où il apprendra les règles fondamentales de la rhétorique si prisée en ce temps, Paul se rend à Jérusalem pour se mettre à l’école d’un maître pharisien très renommé, Gamaliel. Écoutons le récit que Paul lui-même a fait devant le Sanhédrin : « C’est dans cette ville que j’ai été élevé et que j’ai reçu aux pieds de Gamaliel une formation stricte à la Loi de nos pères. J’étais un partisan farouche de Dieu comme vous l’êtes tous aujourd’hui… » (Ac 22, 3.)
On ne peut dire si le jeune Saul a rencontré Jésus de Nazareth. Par contre il s’est élevé avec force contre la première communauté de Jérusalem, ainsi qu’il l’avoue lui-même : « Vous avez entendu parler de mon comportement naguère dans le judaïsme ; avec quelle frénésie je persécutais l’Église de Dieu et je cherchais à la détruire ; je faisais des progrès dans le judaïsme, surpassant la plupart de ceux de mon âge et de ma race par mon zèle débordant pour les traditions de mes pères. » (Ga 1, 13 s.)
Pour quelle raison le zèle de Paul s’est-il ainsi déployé contre les premiers chrétiens ? Ce ne pouvait être l’enseignement de Jésus, surprenant sans doute, mais explicable pour une part selon la tradition rabbinique, comme nous le rappelle Jacob Neusner [3]. Par contre semblait intolérable l’autorité souveraine que Jésus réclamait : « Moi, je vous dis… » Surtout la condamnation à la croix, l’abandon dans lequel le condamné avait été laissé par Dieu ne pouvait que signifier le rejet par Dieu du prétendu prophète de Galilée. Un texte du Deutéronome semble avoir joué un grand rôle dans la polémique antichrétienne. Paul y fait allusion dans son épître aux Galates : « Maudit quiconque pend au bois. » (Dt 21, 23 cité en Ga 3, 13.)
Le zèle de Paul s’inscrit dans la tradition juive, illustrée par Élie, le prophète de feu (1 R 19, 10). À l’époque de la persécution d’Antiochus Épiphane, Mattathias « fut embrasé de zèle pour la Loi » (1 M 2, 26) et déclencha la résistance armée contre les persécuteurs. Tel est le climat spirituel qui explique le zèle de Paul, un zèle sincère, mais mal éclairé. Sa propre expérience permettra à l’apôtre d’excuser le refus de ses frères de race : « J’en suis témoin, ils ont du zèle pour Dieu, mais c’est un zèle que n’éclaire pas la connaissance. » (Rm 10, 2.)
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