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HOMÉLIE DE BENOÎT XVI POUR L’EPIPHANIE, 6 JANVIER 2012
7 janvier, 2012 http://www.zenit.org/article-29826?l=french
HOMÉLIE DE BENOÎT XVI POUR L’EPIPHANIE, 6 JANVIER 2012
« La véritable Super nova qui nous guide, c’est le Christ »
ROME, vendredi 6 janvier 2012 (ZENIT.org) – « La grande étoile, la véritable Super nova qui nous guide, c’est le Christ lui-même », déclare Benoît XVI.
Le pape a en effet présidé la messe de l’Epiphanie – la « Révélation » – de l’Enfant Jésus aux Mages venus d’Orient, ce vendredi 6 janvier, en la basilique Saint-Pierre, puisqu’au Vatican et en Italie, la fête est maintenue à cette date traditionnelle du 6, tandis que pour des raisons pastorales, dans de nombreux pays, la fête est renvoyée à dimanche prochain.
Au cours de cette messe, le pape a ordonné évêques deux prêtres des diocèses de New York et de Varsovie: Mgr Charles John Brown, nommé nonce apostolique en Irlande, et Mgr Marek Solczynski, nommé nonce apostolique en Géorgie et en Arménie.
Voici l’homélie de Benoît XVI, dans la traduction officielle de l’italien publiée par la salle de presse du Saint-Siège :
Chers Frères et Sœurs !
L’Épiphanie est une fête de la lumière. « Debout ! [Jérusalem] Rayonne ! Car voici ta lumière et sur toi se lève la gloire du Seigneur » (Is 60,1). Avec ces paroles du prophète Isaïe, l’Église décrit le contenu de la fête. Oui, Il est venu dans le monde Celui qui est la vraie Lumière, Celui qui rend les hommes lumière. Il leur donne le pouvoir de devenir enfants de Dieu (cf. Jn 1,9.12). Le voyage des Mages d’Orient est pour la liturgie le début seulement d’une grande procession qui continue tout au long de l’histoire. Avec ces hommes commence le pèlerinage de l’humanité vers Jésus-Christ – vers ce Dieu qui est né dans une étable ; qui est mort sur la croix et qui depuis sa résurrection demeure avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde (cf. Mt 28,20). L’Église lit le récit de l’Évangile de Matthieu avec celui de la vision du prophète Isaïe, que nous avons écouté dans la première lecture : le voyage de ces hommes est seulement un commencement. D’abord étaient venus les bergers – des âmes simples qui demeuraient au plus près du Dieu fait petit enfant et qui pouvaient aller vers Lui plus facilement (cf. Lc 2,15) et Le reconnaître comme Seigneur. Mais maintenant, viennent aussi les sages de ce monde. Viennent les grands et les petits, les rois et les serviteurs, les hommes de toutes les cultures et de tous les peuples. Les hommes d’Orient sont les premiers, suivis par tant d’autres, tout au long des siècles. Après la grande vision d’Isaïe, la lecture tirée de la lettre aux Éphésiens exprime la même réalité d’une façon très sobre et simple : les païens partagent le même héritage (cf. Ep 3,6). Le Psaume 2 l’avait exprimé ainsi : « Je te donne les nations pour héritage et pour domaine les extrémités de la terre » (Ps 2,8).
Les Mages d’Orient précèdent. Ils inaugurent la marche des peuples vers le Christ. Durant cette Messe je conférerai l’Ordination épiscopale à deux prêtres, je les consacrerai Pasteurs du peuple de Dieu. Selon les paroles de Jésus, précéder le troupeau fait partie de la charge du Pasteur (Jn 10,4). Donc, dans ces personnages qui comme les premiers païens trouvèrent le chemin vers le Christ, nous pouvons peut-être chercher – malgré toutes les différences de vocations ou de fonctions – des indications regardant la charge des Évêques. Quel genre d’hommes étaient-ils ? Les experts nous disent qu’ils appartenaient à la grande tradition de l’astronomie qui à travers les siècles s’était développée en Mésopotamie et y fleurissait encore. Cependant cette information seule ne suffit pas. Il y avait peut-être de nombreux astronomes dans la Babylone antique, mais seul ce petit nombre s’est mis en route et a suivi l’étoile en laquelle il avait reconnu l’étoile de la promesse, celle qui indique la route vers le vrai Roi et Sauveur. Ils étaient, pourrions-nous dire, des hommes de science, mais non seulement dans le sens où ils voulaient connaître beaucoup de choses : ils voulaient davantage. Ils voulaient comprendre ce qui compte dans l’être humain.
Probablement avaient-ils entendu parler de la prophétie du prophète païen Balaam : « Un astre issu de Jacob devient chef et un sceptre se lève, issu d’Israël » (Nb 24,17). Ceux-ci approfondirent cette promesse. C’étaient des personnes au cœur inquiet, qui ne se contentaient pas de ce qui paraît et est habituel. C’étaient des hommes à la recherche de la promesse, à la recherche de Dieu. Et c’étaient des hommes attentifs, capables de percevoir les signes de Dieu, son langage discret et insistant. Mais c’étaient encore des hommes à la fois courageux et humbles : nous pouvons imaginer qu’ils durent supporter quelques moqueries parce qu’ils s’étaient mis en route vers le Roi des Juifs, affrontant pour cela beaucoup de fatigue. Pour eux, ce que pensait d’eux celui-ci ou celui-là ou encore les personnes influentes ou intelligentes, n’était pas déterminant. Pour eux, ce qui comptait était la vérité elle-même, et non l’opinion des hommes. Pour cela ils affrontèrent les renoncements et les fatigues d’un voyage long et incertain. Ce fut leur courage humble qui leur permit de pouvoir s’incliner devant le petit enfant de gens pauvres et de reconnaître en Lui le Roi promis dont la recherche et la reconnaissance avait été le but de leur cheminement extérieur et intérieur.
Chers amis, comment ne pas voir en tout cela quelques-uns des traits essentiels du ministère épiscopal ? L’Évêque lui aussi doit être un homme au cœur inquiet qui ne se contente pas des choses habituelles de ce monde, mais suit l’inquiétude de son cœur qui le pousse à s’approcher intérieurement toujours plus de Dieu, à chercher son Visage, à Le connaître toujours mieux, pour pouvoir l’aimer toujours plus. L’Évêque doit être lui aussi un homme au cœur vigilant qui perçoit le langage discret de Dieu et sait discerner le vrai de l’apparent. L’Évêque encore doit être rempli du courage de l’humilité, qui ne s’interroge pas sur ce que peut dire de lui l’opinion dominante, mais tire son critère de mesure de la vérité de Dieu, et pour elle s’engage « opportune – importune » à temps et à contre-temps. Il doit être capable d’ouvrir et d’indiquer la route. Il doit marcher en avant, suivant Celui qui nous a tous précédés, parce qu’il est le vrai Pasteur, l’étoile véritable de la promesse : Jésus-Christ. Et il doit avoir l’humilité de s’incliner devant ce Dieu qui s’est rendu si concret et si simple qu’il contredit notre stupide orgueil, qui ne veut pas voir Dieu aussi proche et aussi petit. Il doit vivre l’adoration du Fils de Dieu fait homme, adoration qui lui indique toujours à nouveau la route.
La liturgie de l’Ordination épiscopale interprète l’essentiel de ce ministère en huit questions posées aux candidats à l’ordination, qui commencent toujours par la parole : « Vultis ? – Voulez-vous ? ». Les questions orientent la volonté et lui indiquent la route à prendre. Je voudrais ici mentionner brièvement quelques unes des paroles-clés d’une telle orientation, dans lesquelles se concrétise ce sur quoi nous avons réfléchi peu auparavant à partir des Mages de la fête d’aujourd’hui. La charge des Évêques est de « predicare Evangelium Christi », « custodire » et « dirigere », « pauperibus se misericordes praebere », « indesinenter orare ». Annoncer l’Évangile de Jésus-Christ, précéder et conduire, garder le patrimoine sacré de notre foi, la miséricorde et la charité envers les plus nécessiteux et les pauvres en qui se reflète l’amour miséricordieux de Dieu pour nous et, pour finir, la prière continue sont des caractéristiques fondamentales du ministère épiscopal. La prière continue qui signifie ne jamais perdre contact avec Dieu, se laisser toujours toucher par Lui dans l’intime de notre cœur et être ainsi envahis par sa lumière. Seul celui qui connaît Dieu personnellement peut guider les autres vers Dieu. Seul celui qui guide les hommes vers Dieu, les guide sur le chemin de la vie.
Le cœur inquiet, dont nous avons parlé en nous reportant à saint Augustin, est le cœur qui, en fin de compte, ne se contente de rien de moins que de Dieu et, précisément ainsi, devient un cœur qui aime. Notre cœur est inquiet par rapport à Dieu et il le reste, même si aujourd’hui on s’efforce, avec des « narcotiques » très efficaces, de libérer l’homme de cette inquiétude. Toutefois, ce n’est pas seulement nous, les êtres humains, qui sommes inquiets par rapport à Dieu. Le cœur de Dieu est inquiet pour l’homme. Dieu nous attend. Il nous cherche. Il n’est pas tranquille lui non plus tant qu’il ne nous a pas trouvés. Le cœur de Dieu est inquiet, et c’est pour cela qu’il s’est mis en chemin vers nous – vers Bethléem, vers le Calvaire, de Jérusalem à la Galilée et jusqu’aux confins du monde. Dieu est inquiet à notre égard, il est à la recherche de personnes qui se laissent gagner par son inquiétude, par sa passion pour nous. De personnes qui portent en elles la recherche qui est dans leur cœur et, en même temps, qui se laissent toucher dans leur cœur par la recherche de Dieu à notre égard. Chers amis, c’est la tâche des Apôtres d’accueillir l’inquiétude de Dieu à l’égard de l’homme et de porter Dieu lui-même aux hommes. Et c’est votre tâche sur les pas des Apôtres de vous laisser toucher par l’inquiétude de Dieu afin que le désir de Dieu à l’égard de l’homme puisse être satisfait.
Les Mages ont suivi l’étoile. À travers le langage de la création, ils ont trouvé le Dieu de l’histoire. Certes, le langage de la création à lui seul ne suffit pas. Seule la Parole de Dieu, que nous rencontrons dans la Sainte Écriture, pouvait leur indiquer de façon définitive la route. Création et Écriture, raison et foi doivent coexister pour nous conduire au Dieu vivant. On a beaucoup discuté sur le genre d’étoile qu’était celle qui avait guidé les Mages. On pense à une conjonction de planètes, à une Super nova, c’est-à-dire à une de ces étoiles au départ très faible en qui une explosion interne libère pendant un certain temps une immense splendeur, à une comète, etc. Que les savants continuent de discuter !
La grande étoile, la véritable Super nova qui nous guide, c’est le Christ lui-même. Il est, pour ainsi dire, l’explosion de l’amour de Dieu, qui fait resplendir sur le monde le grand éclat de son cœur. Et nous pouvons ajouter : les Mages d’Orient dont parle l’Évangile d’aujourd’hui, de même que les saints en général, sont devenus eux-mêmes petit à petit des constellations de Dieu, qui nous indiquent la route. En toutes ces personnes, le contact avec la Parole de Dieu a, pour ainsi dire, provoqué une explosion de lumière, à travers laquelle la splendeur de Dieu illumine notre monde et nous indique la route. Les saints sont des étoiles de Dieu, par lesquelles nous nous laissons guider vers Celui auquel notre cœur aspire. Chers amis, vous avez suivi l’étoile Jésus Christ, quand vous avez dit votre « oui » au sacerdoce et au ministère épiscopal. Et des étoiles mineures ont certainement brillé aussi pour vous, vous aidant à ne pas perdre la route. Dans les litanies des Saints, nous invoquons toutes ces étoiles de Dieu, afin qu’elles brillent toujours à nouveau pour vous et vous indiquent la route. En étant ordonnés Évêques, vous êtes appelés à être vous aussi étoiles de Dieu pour les hommes, à les guider sur la route vers la véritable lumière, vers le Christ. Prions donc à présent tous les Saints afin que vous puissiez toujours accomplir votre tâche et montrer aux hommes la lumière de Dieu. Amen.
PAROLES DE BENOÎT XVI À L’ANGÉLUS DU 6 JANVIER 2012
7 janvier, 2012http://www.zenit.org/article-29835?l=french
PAROLES DE BENOÎT XVI À L’ANGÉLUS DU 6 JANVIER 2012
« Jésus est le soleil apparu à l’horizon de l’humanité »
ROME, vendredi 6 janvier 2012 (ZENIT.org) – « Jésus est le soleil apparu à l’horizon de l’humanité pour éclairer l’existence personnelle de chacun de nous, et pour nous conduire tous ensemble vers le but de notre pèlerinage, vers la terre de la liberté et de la paix où nous vivrons pour toujours en pleine communion avec Dieu et entre nous », a expliqué Benoît XVI avant l’angélus de ce dimanche, place Saint-Pierre.
Paroles de Benoît XVI, en italien avant l’angélus :
Chers frères et sœurs,
Aujourd’hui, en la solennité de l’Epiphanie du Seigneur, j’ai ordonné, en la basilique Saint-Pierre, deux nouveaux évêques et ainsi pardonnez ce retard.
Cette fête de l’Epiphanie est une fête très ancienne, qui a ses origines dans l’Orient chrétien et met en relief le mystère de la manifestation de Jésus Christ à tous les peuples, représentés par les Mages qui sont venus adorer le Roi des Juifs, tout juste né à Bethléem, comme le raconte l’évangile de Matthieu (cf. 2,1-12). Cette « lumière nouvelle » qui s’est allumée la nuit de Noël (cf. Préface I de Noël), commence aujourd’hui à resplendir sur le monde, comme le suggère l’image de l’étoile, signe céleste qui a attiré l’attention des Mages et les a guidés dans leur voyage vers la Judée.
Toute la période de Noël et de l’Epiphanie est caractérisée par le thème de la lumière, lié aussi au fait que, dans l’hémisphère Nord, après le solstice d’hiver, le jour recommence à s’allonger par rapport à la nuit. Mais, au-delà de leur position géographique, la parole du Christ vaut pour tous les peuples : « Je suis la Lumière du monde ; qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie » (Jn 8,12). Jésus est le soleil apparu à l’horizon de l’humanité pour éclairer l’existence personnelle de chacun de nous, et pour nous conduire tous ensemble vers le but de notre pèlerinage, vers la terre de la liberté et de la paix où nous vivrons pour toujours en pleine communion avec Dieu et entre nous.
L’annonce de ce mystère de salut a été confié par le Christ à son Eglise. « Il a été révélé par l’Esprit Saint à ses saints apôtres et prophètes, écrit saint Paul : les païens sont appelés, dans le Christ Jésus, à partager le même héritage, à former le même Corps, à être les bénéficiaires de la même Promesse, par le moyen de l’Évangile (Ep 3,5-6). L’invitation que le prophète Isaïe adressait à la sainte cité de Jérusalem peut être appliquée à l’Eglise : « Lève-toi, revêts-toi de lumière parce que ta lumière vient, que la gloire du Seigneur brille sur toi. Parce que voici que les ténèbres recouvrent la terre, un brouillard épais enveloppe les peuples. Mais sur toi resplendit le Seigneur et sa gloire apparaît sur toi » (Is 60,1-2). Et ainsi, le monde et toutes ses ressources, n’est pas en mesure de donner à l’humanité la lumière qui oriente son cheminement. Nous le constatons aussi de nos jours : la civilisation occidentale semble avoir perdu l’orientation, elle navigue à vue. Mais l’Eglise, grâce à la Parole de Dieu, voit à travers ces brouillards. Elle ne possède pas de solutions techniques, mais elle garde le regard tourné vers le but, et elle offre la lumière de l’Evangile à tous les hommes de bonne volonté, quelle que soit leur nation ou culture.
C’est aussi la mission des représentants pontificaux auprès des Etats et des organisations internationales. Et justement ce matin – comme je l’ai déjà dit – j’ai eu la joie de conférer l’ordination épiscopale à deux nouveaux nonces apostoliques. Confions à la Vierge Marie leur service et l’œuvre d’évangélisation de toute l’Eglise.
En français, Benoît XVI a ajouté, après l’angélus :
Je suis heureux de vous saluer, chers frères et sœurs francophones présents pour la prière de l’Angélus. En ce jour de l’Épiphanie, avec les Mages, nous sommes tous invités à marcher pleins de confiance vers le Christ, Lumière des nations. Comme eux laissons-nous guider par l’étoile lumineuse de la Parole qui sauve. En adorant le Seigneur n’ayons pas peur de lui offrir cette nouvelle année, afin qu’elle soit remplie de Foi, d’Espérance et de Charité. En ce jour, j’adresse aussi mes vœux cordiaux à nos frères et à nos sœurs des Églises d’Orient qui célèbrent le Saint Noël ! Avec ma Bénédiction Apostolique !
Traduction française de Zenit (Anita Bourdin)
RÉCIT DE PAUL CLAUDEL: CONVERTI PENDANT LE CHANT DU MAGNIFICAT
7 janvier, 2012http://maranatha.mmic.net/Conversion.html
RÉCIT DE PAUL CLAUDEL
CONVERTI PENDANT LE CHANT DU MAGNIFICAT
« Je suis né le 6 août 1868. Ma conversion s’est produite le 25 décembre 1886. J’avais donc dix-huit ans. Mais le développement de mon caractère était déjà, à ce moment, très avancé. Bien que rattachée des deux côtés à des lignées de croyants qui ont donné plusieurs prêtres à l’Église, ma famille était indifférente et, après notre arrivée à Paris, devint nettement étrangère aux choses de la Foi.
Auparavant, j’avais fait une bonne première communion qui, comme pour la plupart des jeunes garçons, fut à la fois le couronnement et le terme de mes pratiques religieuses. J’ai été élevé, ou plutôt instruit, d’abord par un professeur libre, dans des collèges (laïcs) de province, puis enfin au lycée Louis-le-Grand. Dès mon entrée dans cet établissement, j’avais perdu la foi, qui me semblait inconciliable avec la pluralité des mondes. La lecture de la Vie de Jésus de Renan fournit de nouveaux prétextes à ce changement de convictions que tout, d’ailleurs, autour de moi, facilitait ou encourageait.
Que l’on se rappelle ces tristes années quatre-vingts, l’époque du plein épanouissement de la littérature naturaliste. Jamais le joug de la matière ne parut mieux affermi. Tout ce qui avait un nom dans l’art, dans la science et dans la littérature, était irréligieux. Tous les soi-disant grands hommes de ce siècle finissant s’étaient distingués par leur hostilité à l’Église. Renan régnait. Il présidait la dernière distribution de prix du lycée Louis-le-Grand à laquelle j’assistai et il me semble que je fus couronné de ses mains. Victor Hugo venait de disparaître dans une apothéose.
À dix-huit ans, je croyais donc ce que croyaient la plupart des gens dits cultivés de ce temps. La forte idée de l’individuel et du concret était obscurcie en moi. J’acceptais l’hypothèse moniste et mécaniste dans toute sa rigueur; je croyais que tout était soumis aux « lois », et que ce monde était un enchaînement dur d’effets et de causes que la science allait arriver après-demain à débrouiller parfaitement. Tout cela me semblait d’ailleurs fort triste et fort ennuyeux. Quant à l’idée du devoir kantien que nous présentait mon professeur de philosophie, M. Burdeau, jamais il ne me fut possible de la digérer.
Je vivais d’ailleurs dans l’immoralité et, peu à peu, je tombai dans un état de désespoir. La mort de mon grand-père, que j’avais vu de longs mois rongé par un cancer à l’estomac, m’avait inspiré une profonde terreur et la pensée de la mort ne me quittait pas. J’avais complètement oublié la religion et j’étais à son égard d’une ignorance sauvage. La première lueur de vérité me fut donnée par la rencontre des livres d’un grand poète, à qui je dois une éternelle reconnaissance, et qui a eu dans la formation de ma pensée une part prépondérante : Arthur Rimbaud. La lecture des Illuminations, puis, quelques mois après, d’Une Saison en Enfer, fut pour moi un événement capital. Pour la première fois, ces livres ouvraient une fissure dans mon bagne matérialiste et me donnait l’impression vivante et presque physique du surnaturel. Mais mon état habituel d’asphyxie et de désespoir restait le même.
Tel était le malheureux enfant qui, le 25 décembre 1886, se rendit à Notre-Dame de Paris pour y suivre les offices de Noël. Je commençais alors à écrire et il me semblait que, dans les cérémonies catholiques, considérées avec un dilettantisme supérieur, je trouverais un excitant approprié et la matière de quelques exercices décadents. C’est dans ces dispositions que, coudoyé et bousculé par la foule, j’assistai, avec un plaisir médiocre, à la grand-messe. Puis, n’ayant rien de mieux à faire, je revins aux vêpres. Les enfants de la maîtrise en robes blanches et les élèves du petit séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet qui les assistaient, étaient en train de chanter ce que je sus plus tard être le Magnificat. J’étais moi-même debout dans la foule, près du second pilier à l’entrée du chœur, à droite du côté de la sacristie. Et c’est alors que se produisit l’événement qui domine toute ma vie.
En un instant, mon cœur fut touché et je crus. Je crus, d’une telle force d’adhésion, d’un tel soulèvement de tout mon être, d’une conviction si puissante, d’une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d’une vie agitée, n’ont pu ébranler ma foi, ni, à vrai dire, la toucher. J’avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l’innocence, de l’éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable.
En essayant, comme je l’ai fait souvent, de reconstituer les minutes qui suivirent cet instant extraordinaire, je retrouve les éléments suivants qui, cependant, ne formaient qu’un seul éclair, une seule arme, dont la Providence divine se servait pour atteindre et s’ouvrir enfin le cœur d’un pauvre enfant désespéré : « Que les gens qui croient sont heureux ! Si c’était vrai, pourtant ? C’est vrai ! Dieu existe, Il est là. C’est quelqu’un, c’est un être aussi personnel que moi ! Il m’aime, Il m’appelle. » Les larmes et les sanglots étaient venus et le chant si tendre de l’Adeste ajoutait encore à mon émotion.
Émotion bien douce où se mêlait cependant un sentiment d’épouvante et presque d’horreur ! Car mes convictions philosophiques étaient entières. Dieu les avait laissées dédaigneusement où elles étaient, je ne voyais rien à y changer, la religion catholique me semblait toujours le même trésor d’anecdotes absurdes, ses prêtres et les fidèles m’inspiraient la même aversion qui allait jusqu’à la haine et jusqu’au dégoût. L’édifice de mes opinions et de mes connaissances restait debout et je n’y voyais aucun défaut. Il était seulement arrivé que j’en étais sorti.
Un Être nouveau et formidable, avec de terribles exigences pour le jeune homme et l’artiste que j’étais, s’était révélé que je ne savais concilier avec rien de ce qui m’entourait. L’état d’un homme qu’on arracherait d’un seul coup de sa peau pour le planter dans un corps étranger au milieu d’un monde inconnu est la seule comparaison que je puisse trouver pour exprimer cet état de désarroi complet. Ce qui était le plus répugnant, à mes opinions et à mes goûts, c’est cela pourtant qui était vrai, c’est cela dont il fallait bon gré, mal gré, que je m’accommodasse. Ah ! Ce ne serait pas, du moins, sans avoir essayé tout ce qu’il m’était possible pour résister.
Cette résistance a duré quatre ans. J’ose dire que je fis une belle défense et que la lutte fut loyale et complète. Rien ne fut omis. J’usai de tous les moyens de résistance et je dus abandonner l’une après l’autre des armes qui ne me servaient à rien. Ce fut la grande crise de mon existence, cette agonie de la pensée dont Arthur Rimbaud a écrit : « Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes. Dure nuit ! le sang séché fume sur ma face ! » Les jeunes gens qui abandonnent si facilement la foi ne savent pas ce qu’il en coûte pour la recouvrer et de quelles tortures elle devient le prix. La pensée de l’enfer, la pensée aussi de toutes les beautés et de toutes les joies, dont, à ce qu’il me paraissait, mon retour à la vérité, devait m’imposer le sacrifice, étaient surtout ce qui me retirait en arrière.
Mais enfin, dès le soir même de ce mémorable jour à Notre-Dame, après que je fus rentré chez moi par les rues pluvieuses qui me semblaient maintenant si étranges, j’avais pris une bible protestante qu’une amie allemande avait donnée autrefois à ma sœur Camille et, pour la première fois, j’avais entendu l’accent de cette voix si douce et si inflexible qui n’a cessé de retentir dans mon cœur.
Je ne connaissais que par Renan l’histoire de Jésus et, sur la foi de cet imposteur, j’ignorais même qu’Il se fût jamais dit le Fils de Dieu. Chaque mot, chaque ligne démentait, avec une simplicité majestueuse, les impudentes affirmations de l’apostat et me dessillait les yeux. C’est vrai, je l’avouais avec le centurion, oui, Jésus était le Fils de Dieu. C’est à moi, Paul, entre tous, qu’Il s’adressait et Il me promettait Son amour. Mais, en même temps, si je ne Le suivais, Il ne me laissait d’autre alternative que la damnation. Ah ! de n’avais pas besoin qu’on m’expliquât ce qu’était l’enfer et j’y avais fait ma « Saison ». Ces quelques heures m’avaient suffi pour me montrer que l’enfer est partout où n’est pas Jésus-Christ. Et que m’importait le reste du monde auprès de cet Être nouveau et prodigieux qui venait de m’être révélé ?
C’était l’homme nouveau en moi qui parlait ainsi, mais l’ancien résistait de toutes ses forces et ne voulait rien abandonner de cette vie qui s’ouvrait à lui. L’avouerai-je ? Au fond, le sentiment le plus fort qui m’empêchait de déclarer mes convictions était le respect humain. La pensée d’annoncer à tous ma conversion, de dire à mes parents que je voulais faire maigre le vendredi, de me proclamer moi-même un de ces catholiques tant raillés, me donnait des sueurs froides et, par moments, la violence qui m’était faite me causait une véritable indignation. Mais je sentais sur moi une main ferme. Je ne connaissais pas un prêtre. Je n’avais pas un ami catholique.
L’étude de la religion était devenue mon intérêt dominant. Chose curieuse ! l’éveil de l’âme et celui des facultés poétiques se faisait chez moi en même temps, démentant mes préjugés et mes terreurs enfantines. C’est à ce moment que j’écrivis les premières versions de mes drames : Tête d’Or et La Ville. Quoique étranger encore aux sacrements, déjà je participais à la vie de l’Église, je respirais enfin et la vie pénétrait en moi par tous les pores. Les livres qui m’ont le plus aidé à cette époque sont d’abord les Pensées de Pascal, ouvrage inestimable pour ceux qui cherchent la foi, bien que son influence ait souvent été funeste; les Élévations sur les Mystères et les Méditations sur les Évangiles de Bossuet, et ses autres traités philosophiques; le Poème de Dante, et les admirables récits de la Sœur Emmerich. La Métaphysique d’Aristote m’avait nettoyé l’esprit et m’introduisait dans les domaines de la véritable raison. L’Imitation appartenait à une sphère trop élevée pour moi et ses deux premiers livres m’avaient paru d’une dureté terrible.
Mais le grand livre qui m’était ouvert et où je fis mes classes, c’était l’Église. Louée soit à jamais cette grande mère majestueuse aux genoux de qui j’ai tout appris ! Je passais tous mes dimanches à Notre-Dame et j’y allais le plus souvent possible en semaine. J’étais alors aussi ignorant de ma religion qu’on peut l’être du bouddhisme, et voilà que le drame sacré se déployait devant moi avec une magnificence qui surpassait toutes mes imaginations. Ah ! ce n’était plus le pauvre langage des livres de dévotion ! C’était la plus profonde et la plus grandiose poésie, les gestes les plus augustes qui aient jamais été confiés à des êtres humains.
Je ne pouvais me rassasier du spectacle de la messe et chaque mouvement du prêtre s’inscrivait profondément dans mon esprit et dans mon cœur. La lecture de l’office des Morts, de celui de Noël, le spectacle des jours de la Semaine Sainte, le sublime chant de l’Exultat auprès duquel les accents les plus enivrés de Sophocle et de Pindare me paraissaient fades, tout cela m’écrasait de respect et de joie, de reconnaissance, de repentir et d’adoration ! Peu à peu, lentement et péniblement, se faisait jour dans mon cœur cette idée que l’art et la poésie aussi sont des choses divines, et que les plaisirs de la chair, loin de leur être indispensables, leur sont au contraires un détriment. Combien j’enviais les heureux chrétiens que je voyais communier ! Quant à moi, j’osais à peine me glisser parmi ceux qui, à chaque vendredi de Carême, venaient baiser la couronne d’épines.
Cependant les années passaient et ma situation devenait intolérable. Je priais Dieu avec larmes en secret et cependant je n’osais ouvrir la bouche. Pourtant, chaque jour, mes objections devenaient plus faibles et l’exigence de Dieu plus dure. Ah ! que je Le connaissais bien à ce moment, et que Ses touches sur mon âme étaient fortes ! Comment ai-je trouvé le courage d’y résister ?
La troisième année, je lus les Écritures posthumes de Baudelaire, et je vis qu’un poète que je préférais à tous les Français avait trouvé la foi dans les dernières années de sa vie et s’était débattu dans les mêmes angoisses et dans les mêmes remords que moi. Je réunis mon courage et j’entrai un après-midi dans un confessionnal de Saint-Médard, ma paroisse. Les minutes où j’attendis le prêtre sont les plus amères de ma vie. Je trouvai un vieil homme qui me parut fort peu ému d’une histoire qui, à moi, semblait si intéressante ; il me parla des « souvenirs de ma première communion » (à ma profonde vexation) et m’ordonna avant toute absolution de déclarer ma conversion à ma famille : en quoi aujourd’hui je ne puis lui donner tort. Je sortis de la boîte humilié et courroucé, et n’y revins que l’année suivante, lorsque je fus décidément forcé, réduit et poussé à bout. Là dans cette même église Saint-Médard, je trouvai un jeune prêtre miséricordieux et fraternel, M. l’abbé Ménard, qui me réconcilia, et plus tard, le saint et vénérable ecclésiastique, l’abbé Villaume, qui fut mon directeur et mon père bien-aimé, et dont, du ciel où il est maintenant, je ne cesse de sentir sur moi la protection. Je fis ma seconde communion en ce même jour de Noël, le 25 décembre 1890, à Notre-Dame. »
Ecclesia, Lectures chrétiennes, Paris, No 1, avril 1949, p. 53-58,