Un astre à l’orient, lecture de Mt 2 (Bible-Service site)
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Un astre à l’orient, lecture de Mt 2
La visite des mages fait partie de ces épisodes évangéliques sur lesquels l’imaginaire chrétien s’est enflammé. Il est vrai que le récit de Matthieu s’y prête : des mages orientaux guidés par un astre mystérieux, un roi cruel face à un enfant sans défense… Le récit a des allures de conte. Mais il vaut moins par les rêves qu’il alimente que par la foi qu’il renouvelle. Lecture.
L’histoire qui nous occupe commence avec l’arrivée des mages et se conclut par leur retour. On sait qu’elle a une suite dramatique, le « massacre des innocents », mais il est impossible de l’étudier ici.
Une enquête
Ce qui forme l’unité des v. 1 à 12, c’est d’abord le voyage des mages. Un voyage en forme d’enquête qui passe par Jérusalem (v.1-8) pour aboutir à une maison de Bethléem (v.9-12). Deux endroits reliés par la même intrigue. A Jérusalem, les mages cherchent le « roi des Juifs qui vient de naître » ; ils rencontrent bien un roi, mais ce n’est pas le bon puisqu’il s’agit d’Hérode ! A Bethléem, orientés conjointement par les Écritures et par l’astre, ils s’inclinent enfin devant « l’enfant avec Marie sa mère ». La question posée à Jérusalem trouve sa réponse à Bethléem.
Entre temps, Matthieu a joué d’une sorte de suspense. Le lecteur sait où est né Jésus. Il sait aussi – grâce au chapitre 1 – qu’il est de la lignée royale de David. L’intérêt de la lecture est alors d’observer comment les mages, qui ignorent tout cela et qui semblent s’égarer près du but, vont trouver le vrai roi. Or, en chemin, ils vont être aidés par Hérode (eh oui !), les Écritures… et l’astre.
L’ange du Seigneur
Hérode
Curieux personnage ! Son titre royal est affirmé aux v. 2 et 3. D’où le trouble qui s’empare de lui et de la ville entière devant la question : « Où est le roi des Juifs ? » Il ne met en doute ni la demande des mages ni l’existence de l’astre apparu dans le ciel. Au contraire, il engage immédiatement une recherche ; en traduisant « roi des juifs » par « Messie », il montre d’ailleurs qu’il a compris, mieux que les mages, de qui il s’agissait. Ses consignes finales installent cependant comme un malaise : celui qui règne à Jérusalem irait s’incliner devant le Messie de Bethléem ? Alors pourquoi une entrevue secrète ? Certes Hérode se conduit en maître : il s’agite, commande, trame on ne sait quoi. Mais ce pouvoir paraît au fond bien fragile. Sa royauté, il ne la tient ni des Écritures, ni des astres. Suprême ironie : c’est grâce à lui que les mages vont connaître les Écritures et reprendre la route.
Les Écritures
Les grands-prêtres et les scribes y trouvent un passage prophétique. Hérode ne discute pas. Pour lui, comme pour les anciens rois d’Israël, ce que dit un prophète est Parole de Dieu. Il donne donc l’information aux mages et ceux-ci repartent dans la bonne direction. Retenons bien ceci : sans les Écritures, les mages ne pouvaient repartir. Au sens fort, elles donnent à leur chemin une orientation décisive. Confirmée par l’astre.
L’astre
Si les Écritures suffisaient, Hérode n’aurait pas eu besoin des mages comme éclaireurs. L’astre est nécessaire. Mais curieusement il n’est utile que pour ceux qui ont déjà su le voir et en apprécier la valeur (cf. v. 2 et 9). Quand Hérode interroge à son sujet, nous en déduisons que lui-même ne l’a pas vu. Mener les voyageurs à l’enfant de Bethléem est une action conjointe et des Écritures et du signe céleste.
Au terme de l’enquête, le signe céleste laisse place à « l’enfant avec Marie sa mère ». Ceux-ci remplissent tout le regard des mages qui peuvent alors se prosterner et offrir ce qu’ils ont de plus beau.
Au terme de l’enquête, des païens, partis sur un signe ambigu, ont su trouver Dieu, au contraire des héritiers de l’histoire de l’Alliance, rois, prêtres et scribes d’Israël – qui avaient pourtant tous les éléments en main.
Et l’intérêt du récit rebondit. Il ne s’agit pas seulement d’une merveilleuse histoire à suspense. Il s’agit d’un interrogation : nous, lecteurs chrétiens, qui sommes à la croisée du monde païen et de l’héritage juif, sommes-nous capables de suivre les mages sur les chemins de la foi ?
Un astre à son lever
Partons du contraste entre ce qui se passe à Jérusalem dans la première partie du récit (v. 1-8) et ce qui se passe à Bethléem dans la deuxième partie (v.9-12).
À Jérusalem, Hérode et toute la ville étaient « troublés » par la demande des mages ; à Bethléem, ceux-ci éprouvent « une très grande joie » devant l’astre qui les guide. A Jérusalem, le roi Hérode ne cessait de s’agiter et de parler ; à Bethléem, l’enfant ne fait rien d’autre que recevoir l’hommage des païens. D’un côté le tumulte et l’inquiétude, de l’autre la joie et le silence.
Dès que l’astre s’arrête, le temps est comme suspendu. Qu’est-ce que Matthieu décrit ? La vue de l’astre qui comble de joie, puis la vue de l’enfant et de sa mère qui appelle un hommage.
Et si Matthieu proposait un itinéraire à son lecteur ? Prendre la route avec les mages, quitter le tumulte de Jérusalem pour la joie de Bethléem. Quitter Hérode pour le Messie. Et s’arrêter le temps qu’il faudra.
Être croyant, ce n’est pas seulement savoir des choses sur Dieu. Les scribes et les grands prêtres savaient ce qu’il en était des rapports entre le Messie et Bethléem. Ils n’ont pas reconnu Jésus pour autant. Ils le rejetteront et le crucifieront. Dès le début de l’Évangile, le lecteur, lui, sait qui est Jésus, sa double origine, à la fois divine et royale. Il connaît le lieu de sa naissance. Mais que faire de ce savoir ? L’histoire des mages devient alors exemplaire.
À la fin de la rencontre avec Hérode, les mages en savent autant que le lecteur. Redisons-le : pour la foi, la connaissance des Écritures est une réalité incontournable. Le détour par Jérusalem était nécessaire pour que les mages païens entendent les mots du Livre de l’Alliance, même prononcés par des scribes insensibles, même murmurés par un Hérode hypocrite. Qu’ils n’aient pas tout compris importe moins que l’orientation donnée alors à leur itinéraire.
Néanmoins, les Écritures seules ne suffisent pas. Il leur fallait retrouver ce qui les avait mis en route, « l’astre vu à l’Orient » – ou bien, selon une autre traduction possible, « l’astre à son lever ». Or en lui-même un astre est ambigu. Que ne fait-on pas dire au soleil, à la lune et aux étoiles ! Matthieu est clair : dès qu’il a montré l’enfant, le signe céleste devient inutile et il n’en parle plus. Le seul astre qui reste, celui qui guide, qui précède et réjouit les hommes, c’est désormais l’enfant de Bethléem, « Emmanuel », Dieu-avec-nous.
Par un chemin où ne manquent ni les ambiguïtés, ni les errements, ni l’ignorance, les mages nous conduisent vers le seul vrai roi de l’univers.
Par un chemin où se vérifie la qualité de notre foi, Matthieu nous conduit vers celui qui a promis qu’il serait toujours avec nous (Mt 28,20) et qui, au coeur du quotidien, s’identifie avec les plus démunis (Mt 25,31s).
La violence toujours menace, celle des puissants, celle des savants. Mais, astre des astres, c’est lui Jésus qui désormais nous guide et nous réconforte. Il nous ouvre les Écritures et nous fait entendre la voix du Dieu de l’Alliance. Par lui, les Écritures nous procurent de la joie. C’est lui que nous retrouvons dans le visage de tout homme pauvre, étranger, nu, malade ou prisonnier… Qu’avons-nous à lui offrir ?
Jusqu’à la fin du monde, il est l’astre né à l’Orient.
Gérard BILLON
Article paru dans Les Dossiers de la Bible n° 75 (novembre 1998) p. 5-7
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