Sur les traces des mages d’Orient
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Sur les traces des mages d’Orient
Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à son lever et nous sommes venus lui rendre hommage. » (Mt. 2. 1-2)
Des voyageurs que l’évangile appelle des mages se seraient déplacés depuis leur pays situé à l’est de la Palestine pour s’incliner devant un enfant de Bethléem. D’où venaient-ils ? Quel était leur statut ? Quel astre auraient-ils vu ? Aujourd’hui, leur identité et leur histoire se révèlent peu à peu.
L’évangile de Matthieu n’est pas le seul document de l’époque à relater la visite de ces mages en Judée. Un témoignage moins connu nous vient de l’historien Flavius Josèphe (Ier siècle), qui rapporte dans son ouvrage « La guerre des Juifs » un récit très proche du texte de Matthieu. Cette version en langue slavonne fut trouvée il y a cent ans et diffère du texte classique [1] :
« Des sages venus de Perse visitent Hérode. « Nous venons de Perse, nos ancêtres ont recueilli des Chaldéens l’astronomie qui est notre science et notre art… » L’étoile leur est apparue et signifie la naissance d’un roi qui dominera sur l’Univers. L’étoile les conduit à Jérusalem mais disparaît. Hérode leur recommande de lui indiquer qui est la personne désignée par l’étoile, mais les Perses ne reviennent pas et Hérode fait massacrer 63 000 enfants de moins de trois ans. »
Josèphe confirmerait ainsi la réalité du massacre des enfants, avançant même un nombre de victimes. Il précise également que le pays d’origine des mages était la Perse.
Il est important de remarquer que la Perse était le berceau d’une autre religion monothéiste : le zoroastrisme. Cette croyance qui fut prêchée cinq cents ans avant notre ère par son fondateur Zarathoustra, fut la religion officielle de la Perse jusqu’à l’arrivée de l’islam au VIIème siècle. Elle partageait quelques points communs avec le christianisme. Son dieu appelé Ahura Mazda aurait créé l’Univers, et adopté le feu comme symbole. Le zoroastrisme était fondé sur un combat entre le bien et le mal, et annonçait la venue prochaine d’une sorte de messie, le « Saoshyant », qui devait naître d’une vierge et rétablir la justice en régénérant le monde. La démarche des mages de la crèche s’inscrit de manière cohérente dans la pensée zoroastrienne.
D’autres sources documentaires d’origine orientale se font l’écho de la mémoire de ces personnages. Au Moyen-âge, le marchand vénitien Marco Polo (1254-1323) se rendit en Chine par la route de la soie. En chemin il s’arrêta dans une ville de Perse appelée Saba (ou Saveh), où étaient vénérées les tombes traditionnelles des trois mages.
Le carnet de voyages de Marco Polo, connu sous le titre de « Livre des merveilles du monde », précise que l’un des trois mages aurait été roi de Saveh, le second de Diaveh et le troisième de Chiz. Saveh aurait été leur point de départ pour la Terre sainte, mais aussi leur lieu de leur sépulture. Marco Polo affirme y avoir visité leurs tombeaux en explorant le pays :
« En Perse est la ville de Saba (Saveh), de laquelle les trois rois mages sont partis [...] et dans cette ville ils sont enterrés, dans trois grands et beaux monuments. Et parmi ceux-là existe un bâtiment carré, magnifiquement conservé. Les corps sont toujours entiers, avec leurs cheveux et leurs barbes » [2].
Saveh est aujourd’hui une ville moderne, implantée à 130 km au sud-ouest de Téhéran. L’antique cité fut un centre urbain important à partir de l’empire mède (env. VIIIème siècle av. J.-C.). Les fouilles les plus récentes de ses ruines ont été effectuées en 2009 à l’initiative d’une équipe du centre iranien de recherches archéologiques dirigé par Pouriya Khadish. Entre autres vestiges, on dégagea les ruines de longs aqueducs et de plusieurs forteresses et relais caravaniers datant des dynasties parthe et sassanide (IIIe siècle av. J.-C. – VIIIe s. ap. J.-C.). Saveh posséda en outre l’une des plus importantes bibliothèques de Perse, qui fut détruite par les Mongols au XIIIème siècle. A ce jour, personne n’a retrouvé la trace des sépultures décrites par Marco Polo. Mais nous savons par l’étude du terrain que la cité était prospère au tournant de l’ère chrétienne.
Le voyageur vénitien recueillit sur place une curieuse légende, qui circulait dans le pays et qui évoque inévitablement l’évangile de la Nativité. Trois rois partirent un jour de Saveh pour voir un prophète nouveau-né en Palestine, à qui ils offrirent des présents. Celui-ci leur donna en échange une boîte à ne pas ouvrir. Sur le chemin du retour cependant, les mages ouvrirent le coffre malgré l’interdiction, et trouvèrent à l’intérieur une simple pierre. Déçus, ils la jetèrent dans un puits, mais voilà qu’il en surgit miraculeusement une grande flamme. Ils en prélevèrent une partie et la rapportèrent à Saveh pour la placer dans un sanctuaire appelé le « château des adorateurs du feu ». Dès lors les habitants de Saba vénérèrent ce feu qui ne devait jamais s’éteindre [3].
Ce conte fabuleux qui existe en plusieurs variantes, semble étrangement illustrer certaines données de terrain. A 400 km au nord-ouest de Téhéran, un site étonnant pourrait correspondre à la forteresse que Marco Polo appelle le « château des adorateurs du feu » : le Takht e Suleiman. Au milieu d’une grande plaine fertile, une colline de faible hauteur est entourée par une enceinte fortifiée ayant un vaste lac en son centre. Ce lieu particulier et riche en vestiges fut fouillé dans les années 1970 par Rudolf Naumann et Dietrich Huff, de l’Institut allemand d’archéologie. Les chercheurs dégagèrent un vaste complexe architectural, comprenant plusieurs temples antiques, dont l’un était visiblement dédié à l’eau et l’autre au feu. Une « salle du feu » bâtie en forme de croix présente en son centre un foyer de forme carrée. Tout autour se trouvent d’autres constructions, dont une salle carrée avec un dôme et des salles à colonnes.
Takht e Suleiman fut l’un des lieux les plus sacrés de l’ancienne Perse, car il passe pour avoir été le lieu de naissance de Zarathoustra. Il fut occupé dès le Ier millénaire av. J.-C., et jusqu’à sa destruction en 624 par l’empereur byzantin Héraclius. Des documents arabes ont permis d’établir que ce site n’était autre que l’ancienne ville de Chiz à laquelle Marco Polo fait référence. Par la suite son histoire s’est enrichie de diverses légendes, mettant en scène des personnages fameux comme Crésus et Salomon, avec des histoires de monstres lacustres et de trésors engloutis.
Si l’on se dirige davantage vers le nord-ouest de l’Iran, on atteint le lac d’Urmia près duquel est implanté un autre lieu associé aux rois mages. Au sein de la ville d’Urmia, l’église byzantine Sainte Marie (Mart Maryam) est réputée très ancienne, et sensée être bâtie sur la tombe de l’un d’eux. Elle date du IVème siècle et serait la seconde plus ancienne église du monde après celle de Bethléem. Certaines sources disent même qu’elle fut érigée « juste après l’Ascension du Christ ». Ce petit bâtiment carré fait de pierres et de briques, détruit et reconstruit plusieurs fois de suite, abrite plusieurs galeries et tombes souterraines. La possibilité qu’elle cache celle de l’un des mages de la crêche n’est pas inconcevable, à moins qu’elle ne commémore plus vraisemblablement qu’une étape de leur voyage.
En 1987, le jeune historien britannique William Dalrymple fit un voyage en Asie sur les traces de Marco Polo, suivi d’une recherche documentaire sur le pays des mages. Dans son livre intitulé In Xanadu, il relève quelques traits caractéristiques que l’on retrouve de manière frappante dans l’évangile de la Nativité. Ainsi, les mages constituaient une classe de prêtres zoroastriens pratiquant l’astronomie et l’interprétation des rêves. Le terme de mage (magos) est d’origine perse, et il apparaît non traduit dans l’évangile en grec de Matthieu. De plus, les trois présents offerts à l’enfant Jésus (or, myrrhe, encens) étaient des offrandes fréquemment associées dans les rites perses. Quant au site de Saveh, il fut l’un des plus importants observatoires astronomiques d’Asie.
Les éléments précédents nous éclairent de manière significative sur la civilisation persane d’où les rois mages seraient issus. Cependant, le mystère de l’absence de leur sépulture dans leur pays d’origine peut partiellement s’expliquer par l’existence d’une autre piste, digne du plus grand intérêt.
La filière en question nous ramène en Occident, au cœur de la vieille Europe. Il s’agit rien moins que des reliques supposées des rois mages, trois squelettes quasiment complets qui auraient été retrouvés à l’époque byzantine et rapportés en Europe. Dans son « Histoire des rois mages », le religieux Jean de Hildesheim (env. 1315-1375) écrit en effet que les trois corps auraient été exhumés en Orient vers l’an 330 par sainte Hélène, mère de l’empereur Constantin.
« La reine Hélène (…) commença à penser aux corps de ces trois rois. Elle s’équipa elle-même et, accompagnée de quelques gardes, partit pour le pays d’Ind(…). Après avoir trouvé les corps de Melchior, Balthasar et Gaspar, la reine Hélène les plaça dans un coffre, qu’elle décora richement et qu’elle transporta à Constantinople (…), où elle le déposa dans une église appelée Sainte Sophie ».
Les archives historiques permettent de suivre à la trace depuis le IVème siècle le parcours de ces reliques. Au XIIème siècle, les précieux ossements furent déplacés de Constantinople à Milan, offerts à la ville par le souverain byzantin Manuel Ier Comnène. Et lorsqu’en 1162 l’empereur germanique Frédéric Barberousse assiégea et prit Milan, il y trouva les reliques des rois mages et les offrit à la ville de Cologne. Dans cette ville d’Allemagne fut alors construite une somptueuse cathédrale gothique, où elles se trouvent encore aujourd’hui.
Une châsse d’or exposée dans le choeur de la cathédrale contient les ossements de trois hommes, enveloppés dans une pièce de tissu. Le reliquaire fut ouvert une première fois en 1863 et révéla un ensemble d’ossements mélangés, qui permirent de reconstituer trois squelettes masculins. L’observation des sutures osseuses de leurs crânes trahissaient trois âges différents, conformément aux représentations traditionnelles des mages.
Des examens plus approfondis furent menés au siècle suivant. En 1981, l’évéché de Cologne s’adressa à un spécialiste des tissus antiques, le professeur Daniel de Jonghe, du musée royal d’art et d’histoire de Bruxelles. On lui confia l’examen détaillé de la toile qui entourait les reliques. Cette analyse s’avéra fort instructive.
L’étoffe est composée de fils de soie de Chine croisés avec des fils d’or. Elle est teinte avec de la pourpre, un colorant hautement précieux extrait de coquillages, et en l’occurence cette pourpre provient de la région de Tyr. Par analogie avec un autre tissu rigoureusement identique trouvé à Palmyre dans un édifice occupé entre 103 et 272, on a pu conclure qu’elle fut confectionnée entre le Ier et le IIIème siècles de notre ère.
Des lambeaux de vêtements trouvés sur les ossements furent également analysés. Ce sont des étoffes précieuses qui relèvent de trois fabrications différentes : deux sont en tissu damassé et un en taffetas. Toutes viennent du Proche-Orient et datent aussi de l’Antiquité tardive. Ces résultats sont cohérents avec ce que l’on sait de l’histoire de ces objets, s’il est exact qu’ils remontent à l’époque romaine.
L’histoire des rois mages occupe une grande place dans la tradition chrétienne occidentale. Dans les premiers siècles de notre ère, la piété et la spiritualité occidentales n’ont pas attendu les analyses scientifiques pour compléter le thème des mages. L’écrivain Tertullien (160-225) leur a donné pour la première fois le titre de rois. Le théologien Origène (185-252) estima leur nombre à trois, pour qu’il corresponde aux trois présents offerts à l’Enfant-Jésus (Mt. 2, 11). Plus tard, à partir du VIème siècle, apparaissent les noms propres qui leur furent attribués : Gaspar, Balthazar, Melchior.
La manière dont les premiers chrétiens se représentaient physiquement les rois mages se traduit dans l’iconographie. L’une des plus anciennes représentations des rois mages est la célèbre mosaïque de l’église Saint-Apollinaire de Ravenne (VIème siècle). On peut y voir les trois hommes avançant à grands pas pour apporter des plats à la Vierge et à l’Enfant. Le détail le plus révélateur est le vêtement qu’ils portent, typique des habits perses de l’époque antique : pantalon, tunique courte avec ceinture, et bonnet phrygien caractéristique des prêtres du dieu Mithra.
D’autres images de ce type sont même encore antérieures à la mosaïque de Ravenne et lui ressemblent beaucoup. La plus ancienne, préservée depuis le IIIème siècle dans la catacombe Sainte Priscille de Rome, est une peinture murale ébauchée en hauteur sur l’arcade d’une voûte. Elle figure trois silhouettes humaines, toujours dans la même position et dans des tons différents. Ces images émouvantes, oeuvres sans doute clandestines réalisées au temps des persécutions contre les chrétiens, nous montrent comment la mémoire des rois mages se transmettait deux cents ans seulement après leur venue à Bethléem.
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