Homélie du 1er janvier – Sainte Marie, Mère de Dieu
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Homélie du 1er janvier – Journée de la Paix
Sainte Marie, Mère de Dieu
Nb 6, 22-27 ; Ga 4, 4-7 ; Lc 2, 15-21
Thème : Bilan d’espérance
Un mercredi d’octobre, le jour même, où sur le plateau de France 2 était présenté le livre de Jean-Paul II : « Entrez dans l’espérance », on avait enregistré trois assassinats de plus en Algérie, discouru sur le procès des affaires, évoqué un horrible attentat à Tel Aviv, illustré par des images sanglantes nées de l’impuissance des uns et de la haine des autres (1). Plus proche encore, la récente prise d’otages et ses deux premières victimes, abattues la veille de Noël, fête de l’espérance. Puis, l’assassinat des quatre Pères Blancs, la veille du jour où l’Eglise fait mémoire du massacre des saints innocents. « Il y a du désespoir dans l’air », titrait un éditorialiste.
Faut-il nous rappeler que notre monde n’est pas un paradis terrestre ? Mais c’est dans ce monde que le Christ est venu nous rejoindre et non pas pour se replier « dans une grotte en attendant que passe l’orage ». D’ailleurs, la liturgie de ce jour ne jette pas un voile pudique sur les horreurs de ce monde. Elle n’entonne pas une litanie de gémissements sur nos faiblesses, nos échecs et autres épreuves humaines. Elle nous offre au contraire une pleine brassée d’espérance à semer dans nos cœurs. Car c’est là qu’elle doit prendre racine.
Espérance, car la paix est possible. Elle nous est promise. Elle nous est donnée. Mais c’est la paix de Dieu. Celle du Christ, Prince de la Paix, qui naît comme la semence de l’évangile dans « la profondeur des êtres » (Marcel Légaut). C’est d’ailleurs la paix qui engendre les fils et les filles de Dieu, disait saint Léon-le-Grand. C’est elle « qui favorise l’amour, qui enfante l’unité ». Mais il ne suffit pas d’accueillir le don de la paix, ni de le conserver dans un coffre ou un frigidaire. La paix est un défi, un champ à cultiver, une œuvre à bâtir, un trésor à partager. Inlassablement. Dieu construit son royaume dans le monde tel qu’il est, avec la faiblesse de l’homme. Un homme que Dieu appelle sans cesse à collaborer avec lui. C’est ainsi que l’on devient des hommes et des femmes d’espérance. Ou plus exactement, des témoins rayonnants et contagieux d’une espérance vécue, car « l’espérance n’est pas une élaboration intellectuelle ni une effusion sentimentale ». Elle est le fruit savoureux d’une rencontre intérieure avec Dieu, d’une expérience de son amour.
Dans nos journaux, sur les ondes ou sur nos petits écrans, il n’y a pas que des catastrophes, des échecs, des tueries et autres mauvaises nouvelles. Mais chacun de nous est appelé à convertir constamment son regard, à déboucher ses oreilles, à écarquiller les yeux. Pourquoi ? Afin de percevoir, même dans la boue, la souffrance et le sang, les petites pousses tendres et fragiles de l’espérance. Tout l’évangile est une invitation à discerner l’invisible et à écouter « les mots de l’âme ».
Même avec l’actualité, on peut dresser le bilan d’espérance d’une année écoulée, qui offre des raisons d’espérer pour l’année en devenir.
Si le monde continue à tourner malgré ses horreurs, écrit Paul Valadier, c’est que quelques « justes » y travaillent en silence. Attention dès lors de ne pas détourner nos yeux « de ce qui permet au monde d’avoir un cœur ».
Aujourd’hui, nous célébrons la Paix, évoquons donc quelques victoires de la paix. Avez-vous médité l’extraordinaire bonne nouvelle des accords de paix entre Israël et l’OLP. Leurs leaders étaient séparés par des montagnes de morts et des fleuves de sang. Donc, irréconciliables. Les voici Nobel de la Paix. Ce qui témoigne d’une immense capacité de réconciliation, une patience à toute épreuve, une persévérance souvent héroïque. Ce n’est certes qu’un début, car la paix des hommes est toujours fragile. Elle doit être soutenue et nourrie, protégée et encouragée à tous les niveaux, autrement que par des discours et des incantations.
Savez-vous que c’est une simple communauté de jeunes chrétiens qui a pris la folle initiative de réunir à Rome des représentants de toutes les sensibilités algériennes pour tenter de les sortir du cycle infernal de la violence? Initiative un peu folle peut-être, mais qui est bonne nouvelle.
En parcourant les informations quotidiennes, on découvre souvent des efforts admirables pour la paix. Avec les armes pacifiques de l’art, par exemple. Ainsi, des photographes israéliens et palestiniens, qui avaient crié en noir et blanc ou en couleurs les plaies et les douleurs de leurs peuples, ont voulu contribuer à les cicatriser. En réalisant une exposition commune. Pas loin de chez nous, « Roméo et Juliette » de Shakespeare, a été interprétée en hébreu et en arabe par une troupe d’acteurs où se mêlaient israéliens et palestiniens. En créant ensemble, ils se sont révélés des pionniers de la paix et ses meilleurs garants. C’est merveilleux.
Souvenez-vous de la signature des accords entre le Vatican et l’Etat d’Israël. Avons-nous sauté de joie et chanté le Magnificat pour saluer cette bonne nouvelle. C’est le fruit mûr d’une graine semée à Vatican II, puis cultivée durant une trentaine d’années par de patients dialogues et l’éclosion d’amitiés respectueuses et cordiales.
Des lueurs d’espérance ont même brillé dans l’épouvante rwandaise ou l’obscénité absolue en Bosnie, grâce à l’œuvre des commandos pacifiques de l’espoir que sont médecins, infirmiers et infirmières et bien d’autres… Autant de « justes » qui se sont dévoués à l’extrême au risque de leur vie. On ne peut donc pas « désespérer des forces secrètes qui poussent aussi notre humanité au bien ».
Le Rwanda, dit-on, était un vrai paradis. Les enfants y sont baptisés « Espérance », « Patience » ou « Pacifique ». L’Eden a été transformé en enfer. Mais on y a vu aussi des hommes et des femmes embrasser les assassins de leurs conjoints et de leurs enfants en signe de pardon. Ces témoins d’une foi héroïque nous apprennent que c’est au cœur même du mal qu’il faut parfois écrire son avenir. C’est d’ailleurs au cœur de l’impitoyable enfer de la croix qu’est née la plus grande espérance. A savoir que Dieu nous aime et que la vie est plus forte que la mort.
Bien des hommes et des femmes de foi ont choisi de rester dans des pays en proie à la terreur généralisée, pour rester fidèle au peuple dans lequel ils voulaient incarner l’Evangile « sans autre équipement qu’un amour désarmé » et toujours prêt à mourir en pardonnant. Un amour désarmant. (F. Mounier). Comme celui du Christ.
Abordons le front du sida. Il n’y a pas que la souffrance et la mort. Les médias nous ont livré des témoignages de jeunes, de parents, de médecins, d’imams ou de prêtres. Ils nous ont dit ce que des sidéens leur ont apporté : des leçons de courage, des leçons de vie et de générosité, de foi et de prière, de conversion et d’évangile. La terrible épreuve du sida, disait l’un d’eux, « fait partie de la lumière que Dieu m’a envoyée ». Il est vrai, comme l’a écrit Claudel, que « Dieu écrit droit avec des lignes courbes ».
« J’ai trouvé une lumière dans toutes les religions, même dans l’animisme », expliquait récemment Sœur Emmanuelle. Il y a aussi beaucoup de ténèbres. On continue à tuer au nom de Dieu. Mais, cette année, tous les dialogues interreligieux ont affirmé avec force qu’une religion authentique est toujours universelle et tolérante. Aucune d’entre elles en se référant à ses textes fondateurs ne peut justifier une « guerre sainte ». C’est une raison d’espérer.
L’année écoulée peut apparaître comme celle de toutes les corruptions, spectaculaires ou discrètement quotidiennes, elle fut aussi l’année d’un combat pour la justice, avec les armes de l’esprit. Je songe à Maria Nowak, entrée en résistance contre le défaitisme social et devenue la « banquière de l’espoir » pour les exclus du crédit. Elle ne prête qu’aux pauvres.
Partout, l’évangile est annoncé et se vit au cœur des drames et des conflits de ce monde. Et ils sont nombreux ceux et celles qui trouvent la force de prier au cœur même de la violence. Sans cesser d’espérer. Demain est celui de tous les possibles, tant qu’il y a des justes pour relever la tête et bâtir un royaume de justice et de paix.
Les signes d’espérance surgissent même là où l’on ne croit trouver que misère et désespoir. La veille de Noël, à l’heure où les familles se recomposent pour le repas, j’ai rencontré Marie, incognito, emmitouflée de couvertures, assise à même le sol dans un couloir glacé de la Gare Centrale. Je lui ai tendu un petit billet monnayable, à l’effigie de Hendrik Beyaert. Elle m’a offert en retour un cadre minuscule en forme de cœur sur fond d’un trèfle à quatre feuilles. A cet instant, je crois qu’une étoile s’est allumée dans le ciel. Et dans la crèche de l’église toute proche, l’enfant-Dieu a souri. C’était la première homélie de Noël, avec la petite voix et les pauvres images de ceux et celles qui n’ont plus de voix et qui sont cependant capables de « donner un cœur au monde ».
Ce bouquet de « signes », glanés comme des fleurs sur le champ de l’histoire, permettez-moi de vous l’offrir. Non comme une récompense, mais comme un tremplin pour que nous puissions entrer dans l’espérance.
P.Fabien Deleclos, franciscain (T)1925 – 2008
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