Archive pour le 21 décembre, 2011
« Noël change l’identité de Dieu »
21 décembre, 2011http://www.croire.com/article/index.jsp?docId=21234&rubId=214
« Noël change l’identité de Dieu »
Pour réveiller le sens de Noël, nous sommes allés à la rencontre du Père Joseph Moingt, théologien reconnu. Une interview stimulante…
Les chrétiens fêtent bientôt la naissance du Christ. Comment comprendre que deux évangélistes, Marc et Jean, ne racontent pas cette naissance ?
Joseph Moingt :
C’est vrai, il n’y a pas de récit de la nativité dans deux évangiles sur quatre. Et à une exception près, les lettres des apôtres ne font pas mention de la nativité.
Ce silence est étonnant si on pense à l’importance que va prendre très vite et très tôt le dogme de l’Incarnation.
Que penser de ce contraste ?
J. M. :
Il est le signe que la première prédication chrétienne n’a pas tourné autour de Noël mais autour de Pâques.
Ce qui est au centre, c’est le Christ mort et ressuscité. Ce n’est qu’ensuite que les évangélistes vont se demander : « Ce Jésus, d’où vient-il ? »
Même s’ils sont placés au début des Evangiles, les récits de la nativité ne sont donc pas un début, ils viennent après une réflexion sur la résurrection et l’ascension de Jésus. C’est la fin de l’histoire de Jésus qui pose la question de son commencement.
Dans ces récits, on voit un ciel qui s’ouvre, des anges qui parlent aux bergers, une étoile qui guide des mages…
Pourquoi ce recours au merveilleux ?
J. M. :
D’abord, il faut affirmer que le christianisme ne naît pas dans le merveilleux, comme on aurait tendance à le dire.
On ne vient pas à la foi par le merveilleux. La foi chrétienne naît au pied de la croix, c’est ce que Paul ne cesse de répéter. Il faut lire les Evangiles de la nativité comme des récits symboliques.
Le merveilleux est le signe d’une méditation sur les Ecritures.
Tout le merveilleux vient dire : « Voilà l’accomplissement des prophéties, voilà ce qu’on attendait ». Il est le symbole d’une recherche d’intelligence de la foi.
Le merveilleux ne diminue pas l’importance de ces récits. Si nous sommes capables de le déchiffrer, il dit que cet enfant ne vient pas des hommes, mais de Dieu.
Que faire d’un merveilleux qui ne fait plus toujours sens aujourd’hui ?
J. M. :
Aujourd’hui, le merveilleux est soupçonné. Mais ces récits merveilleux ressemblent à d’autres écrits du temps de Jésus, juifs ou païens, qui racontent la naissance d’un personnage important.
Il faut rappeler que l’Eglise a le plus possible retranché le merveilleux. Les évangiles apocryphes qui contiennent énormément de merveilleux n’ont pas été acceptés parmi les Ecritures saintes. Le sens de Noël n’est pas dans le merveilleux.
Si on avait été présent à la naissance de Jésus, on aurait vu une naissance comme les autres. On ne se serait même pas posé la question du père qui était à côté !
Pour comprendre la nativité, il faut voir l’enfant dans la crèche et entendre les paroles de Paul : « Lui qui est de condition divine n’a pas revendiqué son droit d’être traité à l’égal de Dieu » ( Lettre aux Philippiens 2, 6). Ainsi la crèche, c’est l’image même de la croix qui montre l’abaissement de Dieu.
Ce n’est pas toujours facile à faire entendre un soir de Noël ! Qu’est-ce que Noël change ?
J. M. :
À Noël, le Christ est annoncé comme l’Emmanuel, « Dieu-avec-nous ». C’est une expression ancienne qui vient de l’Ancien Testament. Déjà les juifs disaient : « Notre Dieu est un Dieu qui s’approche ». Mais une question demeurait, « Jusqu’où s’approche-t-il ? ».
Déjà, de tout temps, Dieu habite l’histoire des hommes, il est dans la création. Mais avec Jésus, Dieu se lie à l’histoire des hommes, il accepte de subir l’histoire et de ne pas la dominer d’en haut.
Il n’est pas le Dieu du ciel, infiniment éloigné de nous.
Dieu est « pour-nous ». Noël change l’identité de Dieu. Dieu se montre capable de se faire homme et même de se laisser faire par l’homme, de souffrir de l’homme. La grandeur de Dieu n’est pas en dehors de nos limites, elle est de se poser dans nos limites et de les faire éclater. Noël montre combien nous comptons pour Dieu.
Dieu est-il préoccupé de l’homme ?
J. M. :
Oui, depuis la fondation du monde, il est préoccupé de venir à l’homme pour le libérer de la mort. La nouveauté de Noël, c’est que Dieu, en nous donnant ce fils, nous permet de devenir ses enfants, c’est-à-dire de participer à sa vie éternelle. Voilà ce que révèle l’image du ciel ouvert dans les récits de la nativité. Dieu traverse le voile qui nous séparait de lui.
Est-ce que cela change tout ?
J. M. :
Oui et non. Noël ne change rien au cours des événements. Mais, en même temps, le sens de l’histoire est retournée. Avant, la vie qui venait de Dieu s’écoulait dans la mort. Désormais cette vie s’écoule en Dieu. Mais Noël ne change pas tout, comme par magie.
Parfois on met tellement l’accent sur l’incarnation qu’il semble qu’il suffirait que Jésus naisse pour que toute l’humanité change ! Cela ne respecte pas le jeu de la liberté dans la foi. Personne ne reçoit purement et simplement son identité d’un autre. Même Jésus. Il reçoit du Père son identité de Fils de Dieu, mais il ne la reçoit qu’en la vivant. Il naît fils de Dieu, il est le « Verbe fait chair », mais il devient fils de Dieu en ratifiant l’élection reçue de son père, en vivant sa vie filiale à fond.
Il faut tenir les deux, sinon on supprime la liberté et le devenir. Pour nous, c’est pareil. Comme le dit Jean, nous avons reçu de « pouvoir devenir fils de Dieu ».
Le mystère de Noël nous rappelle que nous ne devenons fils de Dieu que parce que nous le recevons dans une naissance.
En un sens, en recevant cette possibilité, nous avons tout reçu. Car nous ne pouvons pas nous donner de devenir fils de Dieu. Mais cela ne supprime ni liberté, ni notre responsabilité.
LE NOËL D’UN « IGNORANT SAUVAGE » EN RELIGION
21 décembre, 2011http://www.zenit.org/article-29778?l=french
LE NOËL D’UN « IGNORANT SAUVAGE » EN RELIGION
Une « visitation » pendant le chant du Magnificat
ROME, mercredi 21 décembre 2011 (ZENIT.org) – L’écrivain et diplomate français Paul Claudel a été comme consolé – on le sait souvent, sans avoir pourtant eu accès à son récit – par la lumière de Noël à Notre-Dame de Paris en 1886. Il a ensuite raconté lui-même cet événement intérieur, avouant qu’il était alors « d’une ignorance sauvage » pour ce qui est de la religion. C’est, écrit-il, Rimbaud qui a ouvert le premier une « fissure » dans son « bagne matérialiste ». Puis, l’Enfant de la crèche l’a visité dans son « état habituel d’asphyxie et de désespoir », pendant le chant du Magnificat.
Voici le récit (éditions Gallimard) que l’on peut trouver sur le site de la Société Paul Claudel :
« Ma conversion », par Paul Claudel
(…) J’avais complètement oublié la religion et j’étais à son égard d’une ignorance de sauvage. La première lueur de vérité me fut donnée par la rencontre des livres d’un grand poète, à qui je dois une éternelle reconnaissance, et qui a eu dans la formation de ma pensée une part prépondérante, Arthur Rimbaud. La lecture des Illuminations, puis, quelques mois après, d’ Une saison en enfer , fut pour moi un événement capital. Pour la première fois, ces livres ouvraient une fissure dans mon bagne matérialiste et me donnaient l’impression vivante et presque physique du surnaturel. Mais mon état habituel d’asphyxie et de désespoir restait le même.
J’avais complètement oublié la religion et j’étais à son égard d’une ignorance de sauvage. La première lueur de vérité me fut donnée par la rencontre des livres d’un grand poète, à qui je dois une éternelle reconnaissance, et qui a eu dans la formation de ma pensée une part prépondérante, Arthur Rimbaud. La lecture des Illuminations, puis, quelques mois après, d’ Une saison en enfer , fut pour moi un événement capital. Pour la première fois, ces livres ouvraient une fissure dans mon bagne matérialiste et me donnaient l’impression vivante et presque physique du surnaturel. Mais mon état habituel d’asphyxie et de désespoir restait le même.
Tel était le malheureux enfant qui, le 25 décembre 1886, se rendit à Notre-Dame de Paris pour y suivre les offices de Noël. Je commençais alors à écrire et il me semblait que dans les cérémonies catholiques, considérées avec un dilettantisme supérieur, je trouverais un excitant approprié et la matière de quelques exercices décadents. C’est dans ces dispositions que, coudoyé et bousculé par la foule, j’assistai, avec un plaisir médiocre, à la grand’messe. Puis, n’ayant rien de mieux à faire, je revins aux vêpres.
Les enfants de la maîtrise en robes blanches et les élèves du petit séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet qui les assistaient, étaient en train de chanter ce que je sus plus tard être le Magnificat. J’étais moi-même debout dans la foule, près du second pilier à l’entrée du chœur à droite du côté de la sacristie.
Et c’est alors que se produisit l’événement qui domine toute ma vie. En un instant mon cœur fut touché et je crus. Je crus, d’une telle force d’adhésion, d’un tel soulèvement de tout mon être, d’une conviction si puissante, d’une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute, que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d’une vie agitée, n’ont pu ébranler ma foi, ni, à vrai dire, la toucher. J’avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l’innocence, l’éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable. (…)
(1913)
Paul Claudel, Contacts et circonstances, Œuvres en Prose
Gallimard, La Pléiade, pp.1009-1010.