Jésus selon St Jean

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Jésus selon St Jean

On ne rentre pas toujours facilement dans l’Evangile de Jean. Il y a un ton, un vocabulaire, une lente et insensible progression de la pensée, certains élans philosophiques qui déroutent plus d’un lecteur. Mais personne n’en sort comme il y est entré, car il aura découvert Celui qui est venu du Père, celui qui est le Verbe qui s’est fait chair.
C’est un petit exercice plein de saveur que de rassembler en deux ou trois traits ce qui fait l’originalité d’un évangéliste parlant de Jésus. Appliqué à Jean, il donne des résultats éclairants, car il démontre l’exceptionnelle richesse du Jésus que Jean annonce.
Le mot d’exceptionnel est ambigu et demande à être expliqué : n’allons pas croire qu’il y a davantage d’informations, de références scripturaires, d’apports théologiques chez Jean. Non, la richesse n’est pas là, même si elle est peut-être aussi là.
Si cette richesse est exceptionnelle, c’est parce qu’elle pousse à une contemplation silencieuse. Tant les chemins qu’elle ouvre sont larges, profonds, inépuisables. Tant elle comble l’attente de Dieu qui réside en chacun. Tant elle suscite la foi du lecteur.
 »Il a habité parmi les hommes »
Un mot, un seul, permet de qualifier cet évangile. C’est un mot difficile ; il appartient plus au vocabulaire théologique qu’à celui de la Bible ; mais il est trop éclairant pour que l’on s’en prive : l’Incarnation. Tout l’évangile de Jean ne fait que développer et mettre en œuvre l’affirmation du prologue :
 »Et le Verbe s’est fait chair
et il a habité parmi nous,
et nous avons contemplé sa gloire. » 1,14
Page après page, Jean montre comment le Fils de Dieu a  »habité parmi les hommes » : aucun autre évangile n’est aussi précis en faits historiques, circonstances relatées avec précision, détails concrets (la piscine des cinq portiques, les doigts dans les plaies des mains et du côté, certains noms tel que Malchus, le serviteur du grand-prêtre), autant de façons de montrer que l’Incarnation s’est vraiment faite, et comment elle s’est faite.
Le Christ de majesté
Jean appelle Jésus le  »Verbe », en grec le  »logos », c’est à dire la Parole de Dieu. L’Ancien Testament utilise souvent ce mot pour dire l’activité créatrice de Dieu. Ce titre permet à l’évangéliste de montrer que Jésus existait en Dieu avant le commencement du monde, qu’il est Dieu lui-même.
Jean se sert du mot dans une double intention. D’une part il veut montrer que la venue du Verbe est un événement aussi important que la création du monde. D’autre part, il invite à voir que Jésus recrée le monde. C’est lui le Dieu créateur, celui qui fait toutes choses nouvelles. Jean appuie sa démonstration en étalant le début du ministère de Jésus sur une  »semaine inaugurale » (1,19 – 2,12). C’est une évocation du récit de la création du monde, en sept jours.
Il souligne la solennité de la venue de Jésus par l’image du ciel ouvert, chère à l’Ancien Testament.  »En vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au dessus du Fils de l’homme. » (1, 51) L’échelle de Jacob est dressée. Le lecteur est invité à en gravir les échelons, à se rapprocher de Dieu par une vie spirituelle digne de l’événement.
Il faut reconnaître que la solennité johannique rend parfois le Christ impressionnant, presque distant, aux paroles radicales et toujours exigeantes. Par contre, quand il ajoute ses propres commentaires, Jean souligne davantage la proximité de Jésus.
Le maître du désir
 »Que cherchez-vous ? » : dans l’évangile de Jean, Jésus entre en scène en questionnant. Ses premières paroles sont incisives. Elles s’adressent aux deux disciples qui sont au bord du fleuve, en compagnie de Jean le Baptiste. La même question reviendra plusieurs fois dans l’évangile.
Au moment de son arrestation, à deux reprises, Jésus pose la question :  »Qui cherchez-vous ? » (18,4 ; 7). Il en fait de même pour Marie de Magdala (20, 15). Mais le  »que ? » est devenu  »qui ? ». La réponse est  »Jésus ». Jean nous présente Jésus comme celui qui sait débusquer le désir de ceux qu’il rencontre, mais aussi comme l’aboutissement du désir. C’est lui l’objet du désir des personnages de l’évangile.
De toutes façons, le Jésus de Jean est quelqu’un qui questionne souvent :  »Que me veux-tu, femme ? » (2, 4). Ou bien  »Tu es Maître en Israël, et ces choses-là, tu ne les saisis pas ? » (3, 9). Et aussi :  »Qu’est-ce que la vérité ? » (18, 38)
Si Jésus questionne ainsi, c’est que le champ du questionnement, selon lui, est vaste. Il répond volontiers aux grandes questions de l’homme. Par exemple :  »Je suis le chemin, la vérité, et la vie” “Qui vient à moi n’aura plus jamais soif ».  »Je suis la résurrection et la vie. »
Pas de Jésus sans le Père
Plus que le Jésus des autres évangélistes, celui de Jean est envoyé par le Père et il vit du lien qu’il entretient avec lui. “Je vis par le Père » (6, 57) Il ne fait rien que ce que dit le Père, et  »Celui qui l’a vu a vu le Père ». Le Père est si présent dans cet évangile que Jean ose identifier le Dieu d’Israël avec Jésus :  »Avant qu’Abraham fut, Je suis. » (8, 58).
Enfin, l’évangile se conclut par l’affirmation la plus forte de tous les évangiles de la divinité de Jésus :  »Mon Seigneur et mon Dieu » (20, 28), dit par Thomas, celui qui a mis ses doigts dans les plaies, qui a donc vérifié la réalité de l’Incarnation, de la Passion, de la Résurrection. La proposition du Prologue sur la divinité de Jésus est confirmée par Thomas, figure du témoin.
Pas de Jésus sans un témoin
Pour l’auteur du 4ème évangile, Jésus est le compagnon de toute sa vie. En effet, celui que nous appelons Jean a écrit plus tard que les trois autres évangélistes, à l’extrême fin du 1er siècle. Il a longuement médité les gestes et les paroles de Jésus. Il ne met jamais en scène Jésus seul, mais avec le témoin,  »qui a vu et qui a cru ». Il faut bien comprendre le sens d’une telle association. Jean ne veut pas décrire une amitié exceptionnelle, il n’a pas de complaisance particulière pour lui-même. Mais il sait que Jésus a suscité le témoignage de ceux qui l’ont côtoyé et qui ont cru en lui. Jésus ressuscité continue à susciter le témoignage des croyants. Il est présent à travers ses témoins. L’évangéliste montre que, sans témoins, Jésus est impuissant. Il dessine donc une place fondamentale au témoin. Le lecteur de Jean est actif ou il n’est pas.
Celui qui donne l’Esprit à notre esprit
Jean est attentif à mettre en valeur le don de l’Esprit fait pas Jésus. On retrouve là une application précise de son projet : raconter l’Incarnation du Verbe de Dieu, en tous ses points d’impact. En nous quittant, Jésus donne l’Esprit, qui parle à notre esprit. Jésus est vraiment incarné, puisqu’il reste présent par l’Esprit. L’Esprit est un paraclet, c’est à dire un défenseur. L’Incarnation de Jésus est donc le moyen du salut. Ainsi la boucle est bouclée. Jean a dit tout ce qu’il voulait dire sur Jésus.

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