Le film préféré du pape: « Mission » (par Sandro Magister)
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Le film préféré du pape: « Mission »
Au cours du XIXe siècle, l’Église catholique a réagi à l’offensive laïciste qui se développait en Europe par une spectaculaire expansion missionnaire dans les autres continents. Benoît XVI veut que le miracle se renouvelle aujourd’hui. Son prochain voyage: en Afrique
par Sandro Magister
ROME, le 10 octobre 2011 – Dans quarante jours, Benoît XVI se rendra en Afrique, au Bénin.
L’Afrique subsaharienne est le continent qui, au cours du siècle dernier, a enregistré la plus impressionnante augmentation du nombre de chrétiens. Ils étaient 7 millions en 1900, ils sont 470 millions aujourd’hui, dont plus de 170 millions qui appartiennent à l’Église catholique.
Le 20 novembre, à Cotonou, le pape Joseph Ratzinger signera l’exhortation apostolique qui est le fruit du synode spécial de 2009 consacré expressément à l’Afrique et il la remettra aux représentants des évêques de ce continent.
En effet ce pontificat, qui veut lancer une « nouvelle évangélisation » principalement dans les régions d’ancienne implantation de l’Église qui sont aujourd’hui déchristianisées, garde toujours une vive volonté d’annoncer la foi chrétienne là où celle-ci n’est encore jamais arrivée.
Ce n’est pas la première fois que l’Église catholique répond ainsi – par un nouvel élan missionnaire « jusqu’aux extrémités de la terre » – à l’offensive d’une culture qui érode la foi dans les pays d’ancienne chrétienté.
Dans le texte que l’on pourra lire ci-dessous, l’historien Gianpaolo Romanato montre que la dernière grande expansion missionnaire de l’Église catholique en Afrique, en Asie et en Océanie, a eu lieu précisément après la Révolution française et en réaction à la progression, en Europe, d’une culture et de puissances hostiles au christianisme.
Cependant il y a aujourd’hui, au sein même de l’Église, des gens qui formulent des objections contre la relance des missions « selon le vieux style ». Benoît XVI, dans le discours par lequel il avait présenté ses vœux à la curie romaine le 21 décembre 2007, avait résumé ces objections de la manière suivante :
« Aujourd’hui, a-t-on encore le droit d’’évangeliser’ ? Les différentes religions et conceptions du monde ne devraient-elles pas plutôt cohabiter pacifiquement et chercher à faire ensemble – chacune à sa manière – ce qui est le mieux pour l’humanité ? ».
Oui, a répondu Benoît XVI, c’est une bonne chose qu’une action commune des différentes religions « pour la défense du respect effectif de la dignité de chaque être humain afin de construire une société plus juste et solidaire ». Et c’est à cela qu’il consacrera la rencontre de prière qui aura lieu à Assise le 27 octobre prochain.
Mais cela n’interdit pas, bien au contraire, d’annoncer Jésus à tous les peuples :
« Celui qui a découvert une grande vérité, trouvé une grande joie, doit la transmettre, il ne peut absolument pas la garder pour lui. […] En Jésus-Christ une grande lumière – ‘la’ grande Lumière – a surgi pour nous : nous ne pouvons pas la mettre sous le boisseau, mais nous devons l’élever sur son support, afin qu’elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison ».
Mais revenons à l’épopée missionnaire du XIXe siècle. La description qu’en donne Romanato pourrait aussi être un enseignement pour les catholiques d’aujourd’hui. D’un événement – l’offensive laïciste – qui était considéré comme catastrophique par l’Église de l’époque est née une expansion extraordinaire de la foi chrétienne dans le monde.
Romanato est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Padoue et il se définit comme « un universitaire laïc qui est habitué à raisonner de manière laïque ».
Il a donné lecture de ce texte lors d’un colloque qui s’est tenu à Subiaco, le 6 octobre 2011. « L’Osservatore Romano » l’a publié le même jour.
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PRINTEMPS MISSIONNAIRE
par Gianpaolo Romanato
Les missions ont été la grande découverte et la grande espérance de l’Église au XIXe siècle.
Une découverte parce que, au cours de la période postrévolutionnaire, la mission, qui s’adressait à de nouvelles populations d’Afrique, d’Océanie, d’Asie et des deux Amériques et qui n’était pas garantie par les structures de patronage étatique en vigueur sous l’Ancien Régime, fut substantiellement différente de celle de la période prérévolutionnaire.
Une espérance parce que, face aux nouveaux ennemis que constituaient la modernité et l’organisation de l’État libéral, la conquête de populations inconnues et n’ayant encore jamais été atteintes par le christianisme est apparue comme une nouvelle frontière, une possibilité imprévue de refondation du message chrétien, une revanche après les nombreuses défaites subies en Europe.
Cette projection missionnaire s’est faite sous l’égide de la culture contre-révolutionnaire la plus rigide, à partir du pape qui, le premier, s’en est fait l’interprète et le propagateur, Grégoire XVI, à l’état-civil Bartolomeo Cappellari, moine camaldule originaire de Belluno, qui avait été pendant cinq ans préfet de la congrégation de la Propagation de la Foi avant d’être élu pape.
Tout en fixant, dans les encycliques « Mirari vos » (1832) et « Singulari nos » (1834), les lignes directrices de ce qui allait être pendant cinquante ans l’intransigeance catholique antimoderne, il lança également la renaissance des missions par une série d’initiatives, allant de la fondation de quarante-quatre vicariats apostoliques dans les nouvelles terres à la promulgation de l’encyclique « Probe nostis » (1840), qui constitue le programme de la nouvelle activité missionnaire.
Ce que l’on appelle le « printemps missionnaire » du XIXe siècle naît donc de bases culturelles opposées à celles de la modernité.
Les mots mêmes qu’employait le pape Grégoire XVI montrent que l’élan de l’Église vers de nouvelles populations résultait d’un désir de revanche par rapport à la vague de laïcisation libérale qui s’était répandue en Europe. L’encyclique commençait, en effet, par un rappel des « maux » qui accablaient l’Église « de toutes parts », les « erreurs » qui en menaçaient la survie. Mais, « alors que d’un côté nous devons pleurer – écrivait le pape – de l’autre nous devons nous réjouir des fréquents triomphes des missions apostoliques », triomphes qui devraient susciter « une plus grande honte » chez « ceux qui persécutent l’Église ». Cette opposition deviendra l’un des fils conducteurs de l’histoire missionnaire, inscrite dès le début dans le courant d’intransigeance contre-révolutionnaire le plus net.
Non seulement la culture missionnaire mais également le personnel qui était chargé de la mettre en pratique étaient issus d’une culture fondamentalement intransigeante, de combat, étrangère au mythe de la nation au XIXe siècle alors que celui-ci a été l’un des grands axes de développement de la révolution de la modernité, révolution dont le colonialisme du XIXe siècle a été l’une des expressions.
Il est important de garder présent à l’esprit cet arrière-plan intellectuel et théologique, qui confirme, si nécessaire, la complexité et le caractère imprévisible de l’histoire. Dans le cas dont nous nous occupons ici, la nouveauté est fille non pas de la révolution mais de la réaction, c’est-à-dire d’une culture qui, en principe, n’oriente pas vers l’avenir mais incite à chercher refuge dans le passé. En effet l’élément gagnant de la culture missionnaire a précisément été qu’elle était étrangère au mythe de la nation.
UNIVERSALISME CHRÉTIEN
Les missionnaires qui essaimèrent dans le monde entier avaient beaucoup plus le sens de l’Église que celui de la patrie. Ils se sentaient les fils et les défenseurs d’une Église qui était persécutée et contrainte à la défensive par le libéralisme et par les révolutions nationales. Cela a accentué leur éloignement par rapport aux idées politiques du XIXe siècle et renforcé leur identification à l’universalisme chrétien. Les missions ne naissent pas italiennes, françaises ou allemandes : elles naissent catholiques, filles d’une Église resserrée autour de Rome et désormais détachée des vieilles Églises nationales prérévolutionnaires, qui va bientôt se heurter à ces idéaux de grandeur et de puissance qui ont incité les puissances européennes à conquérir et à annexer les nouveaux continents.
Ces considérations s’appliquent en particulier aux missionnaires italiens, qui étaient les plus proches, y compris géographiquement, de Rome et du nouvel esprit de la catholicité.
Ces missionnaires italiens se percevaient essentiellement comme des hommes d’Église, porteurs d’un projet d’évangélisation, comme nous dirions aujourd’hui, potentiellement universel et non conditionné par des intérêts politiques ou nationaux. Dans les institutions italiennes créées au XIXe siècle et consacrées exclusivement à l’activité missionnaire – qu’il s’agisse des missions africaines de Vérone fondées par Daniele Comboni ou de l’Institut Pontifical pour les Missions Étrangères (PIME), des xavériens ou des missionnaires de la Consolata – l’idéologie nationale, ou nationaliste, est presque inexistante. Ce qui est prédominant, au contraire, c’est le souci apostolique, qui devient d’autant plus fort et impérieux que les évolutions politiques italiennes paraissent réserver un avenir incertain et difficile à l’Église en Italie.
Ce sont précisément ces difficultés qui renforcent leur sentiment d’appartenance à l’Église, au-dessus du sentiment patriotique, le désir de lui ouvrir des routes nouvelles jusqu’à des peuples lointains et non encore touchés par le christianisme, le souci de trouver une « terre de mission vierge » où l’Évangile ne serait pas encore arrivé et où il serait possible de le prêcher sans le polluer par des arrière-pensées politiques, idéologiques.
Dans les « Règles » de l’Institut Pontifical pour les Missions Étrangères il est dit que « dès l’origine l’Institut a cherché à avoir ses missions auprès des populations les plus abandonnées et les plus barbares ». L’espoir, l’idéal, de ces institutions est de refonder le christianisme le plus loin possible de la vieille Europe, de ses divisions et de ses intérêts.
On retrouve une intention analogue chez Comboni, qui considérait l’Afrique comme la « partie du monde la plus malheureuse et certainement la plus abandonnée ». Il eut toujours une conscience très claire du fait que l’œuvre missionnaire serait d’autant plus efficace qu’elle serait plus dégagée des facteurs politiques. La mission « doit être catholique et non pas espagnole, ou française, ou allemande, ou italienne », répétait-il inlassablement. Il connaissait parfaitement les associations et les institutions missionnaires européennes, pour les avoir visitées et fréquentées, et il déplorait qu’en France « l’esprit de Dieu » soit encore trop conditionné par « l’esprit de nation ».
Mais même en France le conditionnement que constituait la nationalité n’a pas empêché de voir clairement que les missions devaient se tenir à distance de la politique des États auxquels appartenaient les missionnaires. C’est ce qu’écrivait avec une grande lucidité le supérieur français de la mission en Érythrée : « Pour nous, il n’y a qu’une seule expression : la Mission Catholique, que les membres qui la composent soient français, italiens, allemands ou anglais ».
ENTRE MISSION ET COLONISATION
Le lien entre mission et colonialisme est complexe. Les deux phénomènes sont parallèles, contemporains et interdépendants, aussi bien à la période moderne qu’à la période contemporaine.
À la période moderne, les missionnaires parvenaient aux Amériques et en Asie dans les bateaux des colonisateurs ; ils étaient protégés par les mêmes lois et bridés par les contraintes que créait le patronage de l’État. Et la situation n’était pas différente dans les régions du globe qui étaient alors sous le contrôle de la France, en particulier l’Amérique du Nord aujourd’hui canadienne. Mais le Saint-Siège aussi bien que les ordres religieux qui étaient engagés dans l’activité missionnaire ne tardèrent pas à entrer en conflit avec le pouvoir politique et à chercher des espaces d’autonomie.
Rome va fonder la puissante congrégation de la Propagation de la Foi, en 1622, précisément dans le but de remettre, partout où ce sera possible, les missions sous le contrôle ecclésiastique, y compris au moyen d’habiles expédients canoniques comme l’institution des vicaires apostoliques, ces évêques qui dépendaient directement de Rome, c’est-à-dire qu’ils répondaient de leur action au siège apostolique et non pas à l’autorité politique.
Les vicaires apostoliques furent utilisés en particulier pour tenter de contourner le patronage portugais. Dans le cas du patronage espagnol, le moyen d’échapper au lien avec l’État a consisté à tenter des expériences d’évangélisation sans lien avec la juridiction de la couronne de Madrid, sur des territoires qui se trouvaient en dehors ou aux marges de sa juridiction.
En ce qui concerne ce second cas, on peut rappeler l’expérience des Réductions chez les Guaranis du Paraguay (mais, en réalité, elle fut étendue à d’autres régions et à d’autres populations d’Amérique du Sud). Ces Réductions étaient des missions placées entièrement sous le contrôle de la Compagnie de Jésus et sur lesquelles la couronne d’Espagne n’avait presque aucun pouvoir. Mais on sait qu’elles disparurent lorsque l’Espagne et le Portugal redéfinirent les frontières et privèrent les missions des espaces d’autonomie dont elles avaient bénéficié pendant un siècle et demi. La Propagation de la Foi n’a pas toujours réussi à atteindre les objectifs pour lesquels elle avait été créée, même en recourant à l’expédient des vicaires apostoliques.
Pendant toute la période moderne, en somme, la mission et la colonisation ont vécu une cohabitation difficile, souvent conflictuelle.
À la période contemporaine, on note des caractéristiques analogues. Les missions et les colonies progressent ensemble, même si c’est avec des décalages qui ne sont pas sans importance. En général la mission précède la colonie et bien souvent elle se dirige vers des territoires étrangers ou aux marges de la colonisation : l’Océanie où opéra l’Institut Pontifical pour les Missions Étrangères, la Patagonie où s’implantèrent les salésiens.
Mais les ressemblances, en dépit de ces décalages, ne doivent pas nous empêcher de remarquer les différences.
Aux XIXe et XXe siècles, les missionnaires apprennent les langues locales, ils agissent non pas en se superposant aux cultures autochtones mais en les pénétrant et ils favorisent la création d’un clergé et d’une hiérarchie locaux. Ils se conforment en cela aux directives publiées par Rome depuis la célèbre instruction aux vicaires apostoliques du Tonkin remontant à la lointaine année 1659 – un document pontifical qui voyait loin et que l’on cite plus qu’on ne le connaît – répétées dans toutes les directives pontificales suivantes et reprises dans l’encyclique « Maximum illud » que Benoît XV publia en 1919. Alors que la colonie est une conquête de territoires, d’espaces et de ressources, une opération de pouvoir, la mission est une tentative de greffe du christianisme sans altération des cultures locales.
L’opération n’a pas toujours été réalisée avec toute la clarté nécessaire, mais l’intention était bien celle-là. Comboni disait que la présence missionnaire en « Nigritie » – comme on appelait alors l’Afrique – devait durer jusqu’au moment où il y aurait une population catholique locale et qu’alors il faudrait y mettre fin. C’est exactement ce qui s’est passé au Soudan, le territoire où se trouvait sa mission et où il existe aujourd’hui une hiérarchie soudanaise, sous la direction de laquelle agissent les missionnaires comboniens. « Sauver l’Afrique par l’Afrique » était sa devise, qui exprime justement cette intention. Arriver, christianiser, créer une Église locale et puis s’en aller.
Si nous examinons a posteriori l’histoire du colonialisme européen, nous percevons plus clairement la différence entre le colonialisme et la mission. Le colonialisme a explosé, en laissant derrière lui des séquelles qui ont dévasté et qui continuent à dévaster les continents extra-européens. La mission n’a pas explosé, elle a survécu à l’époque coloniale, elle s’est transformée et elle a donné naissance à ce que l’on appelle les jeunes Églises, qui sont pourvues d’un clergé et d’une hiérarchie indigènes.
Aujourd’hui il y a au Sacré Collège des dizaines de cardinaux provenant de pays africains ou asiatiques qui ont été des colonies jusqu’au second après-guerre. Les missions ont servi à développer le catholicisme à l’échelle planétaire et à l’inculturer dans les nouvelles populations.
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