Commentaire de Gn 18
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Commentaire de Gn 18
Les Églises d’Orient ont donné à Gn 18 le titre de »Philoxénie d’Abraham », autrement dit l’amour de l’étranger. C’est bien d’amour qu’il s’agit lorsqu’Abraham prend soin du corps de ses hôtes – Dieu sans qu’il le sache – et lorsque, presque au même moment, dans le corps de Sara s’annonce l’enfant inespéré…
Le récit de Gn 18, 1-15, disent les historiens, fut composé en plusieurs étapes. Dans une version ancienne, l’intrigue a du porter sur l’hospitalité du patriarche. Mais le texte actuel, mis en forme au 6e ou 5e av. J.-C., pendant ou après l’exil, est devenue une scène d’Annonciation.
Quand Dieu prend corps
» Je vais faire de toi une grande nation » (Gn 12, 2), la promesse du Seigneur à Abram devait se jouer d’un obstacle, une douleur : la stérilité de Saraï. Longuement, le récit a exploré diverses pistes : l’héritier sera-t-il Lot, Ismaël ou le fidèle intendant ? Il a navigué au milieu des dangers : Saraï chez Pharaon, Lot préférant la richesse de Sodome, Agar servante-maîtresse… Puis le Seigneur a scellé son alliance avec Abram : nouveaux noms (Abraham, Sara), nouveau rite (la circoncision). Alors seulement, quand ne reste plus que la longue attente, Dieu prend corps et apparaît.
Le corps donné à Dieu par les peintres d’icônes est celui… des anges ! Andreï Roublev, au début du 15e siècle, en a figuré trois, aux couleurs transparentes, évocation douce et lumineuse de la Trinité. Cette splendeur ne doit pas masquer la lettre du récit biblique où c’est incognito, comme de simples »hommes », que se présente le Seigneur. Seul le lecteur, dès le début, est informé de leur identité. L’un des ressorts de l’intrigue est donc la question : Abraham va-t-il reconnaître ses visiteurs et comment ? Or Dieu se contente d’acquiescer au vieillard qui se démène (d’après Gn 17, 24, il a 99 ans !). Il le laisse préparer un repas et – cas unique dans la Bible – il mange ce qui lui est offert avec tant d’humanité.
Le jour et la nuit
Lorsqu’enfin le Seigneur parle, c’est pour s’inquiéter de Sara. À moins que la question soit de pure forme, le lecteur s’étonne, habitué à considérer Dieu comme omniscient : d’ailleurs celui-ci n’ignore pas le nom et la stérilité de Sara ! Le ressort de l’intrigue se déplace : Abraham n’a pas reconnu Dieu, mais Sara, comment va-t-elle réagir devant ces gens qui la connaissent si bien et qui promettent l’inouï ? Peu à peu, un dialogue s’instaure, aux modalités complexes : rire intérieur de la femme, mais perçu à l’extérieur (!), question par Abraham interposé ( »Pourquoi ce rire de Sara ?… »), promesse réaffirmée, dialogue resserré du Seigneur et de Sara qui émerge enfin, tremblante, au statut de partenaire, dans une relation »je-tu » : »Si, tu as ri ». Elle est dans la tente, mais c’est comme si Dieu la tirait hors de l’ombre de son mari, en plein soleil. Elle existe. Elle va donner le jour.
Sans se faire reconnaître, le Seigneur a permis à Abraham de montrer beaucoup d’amour et Sara, qui se dit »usée », est rendue capable d’en déployer davantage. Le corps d’Isaac s’annonce, fruit de la promesse divine, fruit aussi d’un amour humain au-delà de l’acte d’amour.
L’histoire est belle. Trop ? Elle se détache sur fond d’effondrements : »un hurlement est monté de Sodome et de Gomorrhe » (Gn 18, 20) La »philoxénie » d’Abraham contre la »xénophobie » des villes où Lot a choisi de prospérer. Ici, sous l’arbre, en plein jour, on lave les pieds des voyageurs et on leur prépare un repas (18, 1-8). Là, dans la ville, la nuit, on cherche à les violer en fracassant les portes (19, 1-10) : la violence se retourne alors sur les violents, »pluie de soufre et de feu » et disparition de tout »jusqu’à la flore » ( 19, 24-25).
Salve d’avenir
Dans la Bible, récits de vocation et récits d’annonciation sont des formes littéraires apparentées : dans une situation grave, le Seigneur – ou son messager – apparaît à son élu(e) et l’interpelle : celui-ci (celle-ci) prend peur ou résiste, puis, devant l’insistance divine, accepte la mission. La »vocation » d’Abram, en Gn 12, 1-5, ne correspond qu’imparfaitement à ce schéma tant est concise la narration. Avec l’accueil, par Abraham, de l’autre-étranger et, par Sara, de l’autre-enfant (dépositaire de la mission de bénédiction universelle), elle se déploie. Et Isaïe, pendant l’exil, va souligner que c’est bien d’un homme et d’une femme, ensemble, que le peuple de Dieu est issu : »regardez le rocher où je vous ai sculptés et le creux dans le puits dont je vous ai extraits, regardez Abraham votre père, Sara qui accoucha de vous… » (Is 51, 1-2). »Devant l’effondrement des preuves, le poète répond par une salve d’avenir » disait René Char. L’histoire d’Abraham et de Sara est une salve d’avenir.
Gérard BILLON. Article paru dans Le Monde la Bible n° 140 »Abraham, patriarche de trois religions » (Bayard-Presse, janv.-fév. 2002), p. 72
N.B. : sur ce récit célèbre, on méditera l’icône de Roublev. On relira aussi les 3 pages que Paul Beauchamp a consacrées à “ Abraham : la vie, la mort ” dans son ouvrage Cinquante Portraits Bibliques, Le Seuil 2000, p. 25-27
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