Archive pour le 9 septembre, 2011
SYNODE MONTRÉAL & OTTAWA CONFERENCE
9 septembre, 2011cette lecture est très intéressante, lorsque je mets une étude pas toujours me sens de le pouvoir juger, certainement le retiens intéressant et utile pour une majeure capacité de comprendre, du site:
http://www.montrealandottawaconference.ca/site/
SYNODE MONTRÉAL & OTTAWA CONFERENCE
Présentation par Louis Vaillancourt
On raconte qu’Ulysse, au retour de son long périple, fit exécuter une douzaine d’esclaves pour mauvaise conduite. En effet, dans l’Antiquité, un maître pouvait, sans aucun problème de conscience, faire mettre à mort ses esclaves. Cela ne posait pas de obstacle moral puisque ceux-ci n’avaient aucun droit. Aujourd’hui, nous serions complètement scandalisés devant une telle chose. Pourquoi ? Parce que notre compréhension moderne de la justice exige que tout être humain soit respecté dans son intégrité.
Mais qu’est-ce que la justice ? Le dictionnaire Larousse nous dira que c’est «la vertu par laquelle on rend à chacun ce qui lui est dû », ou « un principe moral qui exige le respect du droit et de l’équité ». Pendant longtemps (c’est à dire depuis que les sociétés civilisées existent), la question de la justice s’est strictement limitée aux rapports entre les humains, que ce soit aux plans personnel ou collectif. (Et encore, les êtres humains n’ont pas toujours eu les mêmes droits… Pensons au traitement des esclaves, des femmes, des enfants.) Les institutions juridiques civiles trouvent leur raison d’être dans l’application concrète de ce principe de justice. Du côté religieux, la tradition judéo-chrétienne a fait de la bienveillance envers le prochain la pierre angulaire de sa doctrine et de sa règle éthique. « Une éthique, écrit Aldo Leopold en 1947, est une limite imposée à la liberté d’agir dans la lutte pour l’existence » (p.256). Or nous découvrons, depuis quelques décennies, la nécessité d’une « extension éthique » qui élargisse son rayon d’action au-delà du cercle humain. En effet, nous commençons à penser que la terre, la nature, avec tout ce qu’elle subit d’exploitation, devrait elle aussi être incluse dans l’exercice de la justice qui interpelle à « rendre à chacun ce qui lui est dû ».
On peut alors se poser la question : Qu’est-ce qui est dû à la nature ? Deux choses fondamentales. D’abord, son simple droit d’exister. La nature est là, elle nous a précédés dans l’être. Nous ne sommes pas les seuls existants. La seconde chose qui lui est due, c’est la possibilité d’une existence conforme à son être, c’est-à-dire qu’elle puisse jouir de conditions propices à son développement et à son épanouissement. Concrètement, comment va se manifester cette justice ? Quels repères avons-nous ? À la base d’une relation juste avec la terre, il y a deux principes fondamentaux : il s’agit des notions de limite et d’interrelation. Nous allons les regarder une après l’autre, et cela en deux temps : d’abord en tant qu’observation des sciences écologiques, puis nous verrons quelle attitude, en lien avec la tradition chrétienne, ils devraient insispirer.
1. Reconnaître les limites de la Terre
1.1 La nature a des limites
La crise écologique a quelque chose de profondément révélateur : elle met en évidence la nécessité de reconnaitre la limite des choses. Les peuples autochtones ont reconnu cela depuis très longtemps. Et pourtant, depuis l’avènement de l’ère industrielle et de la société de consommation, nous vivons comme si elle était illimitée. Malgré son apparente immensité, la terre, est une bien petite planète. Depuis les photos de la terre prises de l’espace, nous commençons à prendre conscience que nous vivons sur un minuscule globe protégé par une fine couche de gaz, l’atmosphère. C’est un système fermé où « rien de se perd, rien ne se créé ». La crise écologique nous enseigne la «limite» en montrant que notre écosystème terrestre n’est pas pourvu de ressources illimitées ni d’une capacité infinie d’adaptation aux changements internes. Elle est donc l’occasion par excellence pour toucher la finitude de notre monde, et aussi la nôtre. Selon G. Siegwalt, «cette expérience de la limite est une expérience religieuse: l’homme fait l’expérience de sa finitude et de la finitude de la terre, et au contact de cette limite l’homme fait, d’une manière nouvelle, l’expérience de la transcendance».
Dans la Bible, le « fou », autrement dit celui qui ne connait pas la sagesse, est celui qui refuse la limite, tout comme l’humanité actuelle. En effet, notre système économique est construit sur la négation des limites inhérentes à la terre. L’économie moderne est précisément orientée pour mettre nos capacités technologiques toujours grandissantes au service de la croissance illimitée et du désir infini d’exploitation. Cela est injuste par rapport à la terre qui ne peut subvenir à une telle demande, mais aussi par rapport aux autres humains qui ne peuvent pas profiter de ces richesses.
Il est clair que notre civilisation ne connaît pas la mesure, puisque le nœud même de la crise écologique c’est la «démesure de l’homme par rapport à la réalité (limitée) de la terre». Dans ce contexte, nous sommes invités à apprendre le sens de la mesure, c’est-à-dire à mesurer, à évaluer l’impact de nos action sur l’ensemble de la planète. En effet, bien que la science permette de découvrir des lois qui rendent possible une certaine maîtrise de la nature, cette maîtrise n’est que partielle. L’humain n’a pas la connaissance totale ou globale de la réalité. De sorte que certaines lois sont ignorées et violées, d’où les graves désordres que l’on connait. Car l’humain ne peut intervenir sur la nature qu’en respectant ses lois. C’est précisément ce qui transparaît dans la problématique écologique: le non respect de certaines lois fondamentales de la nature. En fin de compte, c’est la nature qui est le «maître à penser» de l’humain, et qui seule peut lui dicter la juste mesure des choses dans sa relation avec elle. Les conditions de la vie sur terre ne sont pas déterminées par l’humain, mais par la vie elle-même. L’éthique, qu’on pourrait aussi appeler la «sagesse», permet de ramener «les immenses possibilités, entrevues par la science et réalisées par la technique, à l’homme (Adam) et à la terre (adama), en posant la question» suivante: Qu’est-ce qui est bon pour l’humain et pour la terre et qu’est-ce qui ne l’est pas? Chose certaine, l’humain ne peut pas tout se permettre.
1.2 L’humain n’est pas la mesure de toute chose
Du côté de la tradition chrétienne, la notion de limite a des racines très profondes, en particulier en lien avec la théologie de la création et de l’incarnation. Essayons d’imaginer le premier moment de l’acte créateur de Dieu. À l’origine, Dieu, en dehors de qui absolument rien n’existe, a du «se retirer», s’auto-limiter, pour créer quelque chose qui ne soit pas lui. En Dieu, le premier mode d’être est de renoncer à être tout. Le mouvement créateur de Dieu se fonde sur une modération de lui-même. « Pour créer le ciel et la terre, écrit Moltmann, Dieu s’est aliéné déjà de sa toute-puissance qui remplit tout et a pris, en tant que créateur, figure d’esclave. [...] Dieu ne crée pas seulement en appelant quelque chose à l’existence ou en le mettant en œuvre. En un sens plus profond, il «crée» en laissant être, en se retirant »2. Cet abaissement, qu’on appelle en langage théologique la « kénose » de Dieu s’est continuée dans l’histoire du salut à travers l’incarnation du Christ. On peut lire en Ph 2,6-7 : «Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant la condition d’esclave et devenant semblable aux hommes». Puisque l’auto-limitation de Dieu est à l’origine de l’acte créateur et de l’incarnation, l’être humain, créé à l’image de Dieu et co-créateur, est lui aussi appelé à l’auto-limitation: comme Dieu, à se retirer pour laisser être ce qui est autre que lui.
À l’image du Dieu créateur qui s’auto-limite pour faire exister des créatures autres que lui, l’humanité est appelée à diminuer son emprise sur la création, à renoncer à un contrôle total des processus de la vie, à se restreindre dans son désir de puissance, pour que la terre puisse vivre. Si, en Jésus Christ, le Dieu auquel nous croyons, est le Dieu de la kénose, de l’abaissement, de la retenue, alors son image en l’homme ne peut qu’être trahie lorsque celui-ci se prétend le «maître de la nature». La kénose du Christ, son abaissement à se faire créature, interpelle l’homo sapiens à «se faire petit», à «faire de l’espace», à «laisser être» d’autres que lui.
À cause d’une mauvaise représentation de Dieu, nous sommes sans cesse devant cette difficulté de «concevoir que Dieu soit sans qu’il occupe toute la place»6. Or ce n’est pas le cas. Dieu n’est pas tout. Ne pourrait-on pas alors imaginer que l’humain existe sans qu’il prenne toute la place? Nous sommes appelés, à la suite du Christ qui habite en nous par son Esprit, à entrer dans ce mouvement de libération qui redonne aux créatures l’espace dont elles ont besoin pour vivre. Il s’agit de la reconnaissance d’un droit7 fondamental à l’existence découlant du fait même de la création et qui exige qu’on accorde aux créatures la même dignité que celle qui est juridiquement affirmée pour l’humain. Les «droits de la terre» ne sont pas moins importants que les «droits de l’homme» puisque l’humain, en tant que créature physique, a absolument besoin de la terre pour vivre. L’humain n’a pas le droit de disposer de la terre d’une manière abusive et insoutenable. Seul le respect peut garantir la fécondité de la terre à long terme. Pensons ici au Jubilé de la tradition juive où la terre est laissée en repos une année afin de se régénérer. Sans ce respect des limites, aucune vie n’est possible.
L’intuition fondamentale du christianisme est que l’être de Dieu se dévoile en se diminuant, en renonçant à sa toute-puissance. Et pourtant, toute l’histoire du rapport homme/nature va dans le sens inverse: l’humain croit se réaliser et réaliser l’image de Dieu en lui en s’élevant, en cherchant à acquérir la toute-puissance sur le monde. La crise écologique apparaît comme le refus de la part de l’humain de «se faire petit», ou, inversement, la recherche assoiffée d’une grandeur «divine» qui devient pécheresse. Elle manifeste le désir de s’accaparer l’être pour soi et la résistance innée de l’être humain à vouloir «que l’autre soit».
Au fond, nous sommes devant le test ultime de l’exercice de notre pouvoir: sommes-nous assez «puissants», spirituellement, pour contrôler l’usage de notre puissance technologique? Sommes-nous capables de mettre notre puissance au service de l’autre, de la nature, au service de la vie, dans ce qu’elle a de plus fragile, de plus faible. Jésus ne nous a montré que cela: un Dieu dont la puissance amoureuse veut la vie de toutes les créatures (surtout les plus démunies), au point de devenir lui-même une créature impuissante. En fait, l’expression suprême de la «puissance» d’un être ne serait-elle pas de pouvoir se rendre capable d’impuissance, de se décentrer de soi, se déposséder de soi afin que l’autre grandisse et atteigne la pleine mesure de ce qu’il est?
Il est clair que du côté de Dieu, la puissance et le pouvoir, exercés dans l’amour, n’entraînent pas l’anéantissement des autres créatures. Au contraire, les capacités de conservation, de respect, de tendresse, sont proportionnelles à la faiblesse de l’autre: «Tu as pitié de tous, parce que tu peux tout», écrit l’auteur de la Sagesse (11,23). La toute-puissance divine, généralement conçue comme une omnipotence arbitraire, trouve en Jésus sa vraie mesure: faire vivre, traiter avec ménagement ce qui est petit et fragile. Le péché réside précisément dans l’usage du pouvoir sur la création en vue d’un agrandissement personnel. Dieu, le «maître» absolu de l’univers, celui dont le pouvoir sur les autres créatures nous dépasse totalement, a choisi de se comporter en «ami» avec la création (Sg 11,26). À l’image de Dieu, l’être humain est le seul être créé à pouvoir s’auto-limiter, s’abaisser, prendre moins de place, pour laisser vivre d’autres que lui.
Nous passons alors du registre de la rentabilité à celui de la gratuité. L’autre (la terre, la nature) ne trouve pas sa raison d’être première dans la valeur économique qu’elle a pour moi, mais dans son existence en soi. La valeur en soi de l’autre est inscrite dans le fait même de sa création où tous les êtres sont égaux; elle ne demande qu’à être reconnue et respectée. Le respect de l’autre prendra nécessairement la forme de la justice, puisqu’il s’agit de traiter l’autre comme un égal, d’une manière d’être équitable, d’établir un juste rapport aux choses. De la même manière que Dieu pose la création dans un acte de gratuité et que Jésus la sauve par le don gratuit de sa vie, de même le rôle de l’humain à l’image de Dieu est d’incarner cette gratuité. La gratuité est cette dynamique profonde de décentration de soi qui recherche le bien de l’autre.
Plutôt que de se poser en «seigneur» sur le monde, comme celui qui a un droit de vie et de mort, Dieu invite l’humain à entrer dans le stewardship de la vie. Dieu appelle l’humain à assumer la responsabilité qui lui est confiée de «cultiver et de garder le jardin» (Gn 2,15) de la terre, et cela jusqu’au sacrifice de sa vie. Il n’est pas question bien sûr de «sacrifier sa vie» au sens propre –comme le proposent certains groupes écologistes radicaux. Pour parler plus concrètement, il s’agit du sacrifice d’une «image de l’humain» qui a tout pouvoir sur la terre. Il s’agit du sacrifice d’un «style de vie» basé sur la consommation et la satisfaction de tous les désirs. Il s’agit du sacrifice d’un mode de vie fondé sur l’accroissement de l’avoir qui engendre fatalement l’exploitation de la nature. Il serait peut-être bon de se rappeler ici que la tradition judéo-chrétienne décrit justement la première faute de l’humanité comme une incapacité à se voir interdire (poser une limite) un arbre du jardin, alors que tous les autres lui étaient accessibles (voir Genèse 1-5). En fin de compte, la pratique écologique, dans ce qu’elle exige d’auto-limitation, n’est qu’une nouvelle forme de l’ascèse chrétienne qui est destinée à non à faire souffrir mais à faire vivre.
Examinons maintenant le second principe que tout est interrelation.
2. Tout est interrelié dans une totalité
2.1 L’humain et la nature forment une grande communauté
La seconde chose que nous révèle la crise écologique, qui semble aussi une évidence : tout ce qui est est en relation. Tout ce qui existe co-existe ; rien ce qui est n’est isolé. L’être humain n’existe pas en dehors de son inscription dans la nature. On ne peut parler adéquatement de la nature et de l’humain que sur l’horizon de la totalité du monde. Dans la crise globale que nous traversons, nous sommes en train de faire l’expérience de l’interdépendance de chaque partie entre elles, et de toutes les parties avec le tout. Or notre approche de la réalité est caractérisée par une division fondamentale entre l’humain et la nature. Cette division, qu’on appelle le «dualisme», est précisément la non reconnaissance de cette interdépendance. Par conséquent, la crise exige une conception plus globale qui perçoit les choses dans leur interrelationnalité et leur unité. Une juste relation avec la nature doit dépasser le dualisme et nous conduire vers une conception où la nature est perçue comme totalité. Tout appartient à un cycle et y a son importance. La globalisation de notre monde n’est que l’occasion concrète de comprendre ce principe fondamental de la vie. Nous vivons tous sur la même et petite planète.
Qu’on le veuille ou non, l’univers est « tissé d’une seule pièce ». Il n’y a pas de ligne de séparation entre le vivant et le non vivant, de discontinuité entre l’humain et le non humain, de frontière entre la nature et la culture. Les sciences récentes, contrairement à l’approche cartésienne et mécaniste qui a précédé, nous font de plus en plus découvrir une réalité essentiellement relationnelle : une chaîne d’êtres diversifiés, mais tous étroitement reliés les uns aux autres. La nature ne connaît rien d’autre que l’interdépendance sous différentes formes. L’interrelation de tout ce qui est nous oblige à traiter les autres créatures comme faisant partie de la grande communauté de la vie.
L’humanité moderne s’est imaginée comme une espèce à part, autonome, rationnelle, puissante, mais en fin de compte « dénaturée », coupée de sa matrice vitale. Les sciences écologiques, en nous rappelant constamment notre enracinement cosmique, contribuent au développement de cette conscience spirituelle de l’unité du monde. La société et la nature ne peuvent plus être pensées comme deux entités séparées, l’humain réduisant la terre à une fonction purement instrumentale. Au fond, il s’agit de comprendre que la Terre, la nature (qui inclut aussi l’humanité), est essentiellement une communauté, c’est-à-dire une unité vivante fondée sur la multiplicité. La diversité ne peut être abolie sans conséquences mortelles. Avec l’ensemble des vivants, auxquels nous sommes inextricablement liés, nous partageons non seulement une communauté d’origine, mais aussi une communauté de destin.
Notre communauté primordiale est la communauté bio-physique de notre petite planète, la « Terre-Patrie » (E. Morin), dont nous ne pouvons d’aucune manière nous extraire. Il nous faut faire l’expérience de cette relation, de cette participation, de cette co-appartenance, de cette communion avec la nature; prendre conscience que nous sommes «re-liés» à la nature au plus profond de notre être. Cet élargissement de la notion de communauté va dans le même sens que l’abolition du ségrégationnisme qui à la base du racisme et du sexisme. Il s’agit maintenant d’enrayer toute forme d’exclusion, d’apartheid, (ce que certains environnementalistes appellent le « spécisme »), en intégrant dans la communauté toute la diversité biologique. Émerge une nouvelle compréhension de la justice, plus inclusive, plus étendue, qui s’applique à toute la communauté terrestre.
1.2 La terre est aussi mon prochain
Les notions de droit et de justice sont nécessaires au respect de la terre. Mais la tradition chrétienne est porteuse d’un appel encore plus radical, celui de l’amour du prochain. La encore, l’histoire nous a montré que le « prochain » (à part quelques rares exceptions, comme par exemple François d’Assise) s’est limité à nos vis-à-vis humains. Or la «nature», c’est à dire l’ensemble des créatures non humaines, ne devrait pas être exclue du grand commandement de l’amour. Au contraire, le «ministère écologique» du chrétien fait partie intégrante du ministère chrétien fondamental qui consiste essentiellement à manifester l’amour de Dieu en aimant l’autre. Toute forme d’instrumentalisation ou d’objectivation de la nature, qui lui enlève sa dignité de créature, est contraire à l’amour qui reconnaît dans l’autre un partenaire de vie. La solidarité et la compassion avec la terre, tout comme avec nos frères et sœurs humains, devraient guider nos actions.
Mais comment pouvons-nous être touchés par la souffrance de la terre si nous ne sommes pas capables de la voir comme quelque chose de sacré ? Je pense qu’aucune mesure concrète ne sera efficace si elle n’est pas enracinée dans un sens du sacré, une conscience que la nature est une manifestation de Dieu. En langage chrétien, nous pourrions dire une « conscience sacramentelle » de la nature. Si la nature ne nous touche pas, si elle ne nous émeut pas, comment nous engager dans des actions pour la protéger ? Il nous faut passer du «regard arrogant » au « regard amoureux» (S. McFague) et percevoir la terre comme un « Je » et non comme un objet. Une sorte d’«éveil» est nécessaire pour parvenir à cette conversion du regard qui pose les yeux autrement sur le monde que comme un objet à saisir, un matériau à transformer, une ressource à exploiter, mais plutôt comme une unité à contempler et à respecter dans une relation de réciprocité et de solidarité. C’est à cette condition que nous pourrons nous sentir reliés et responsable du bien-être de la communauté terrestre.
Mais nous pouvons aller plus loin en affirmant que dans le contexte actuel d’une planète soumise au pillage, la seule manière véritable d’être juste envers notre prochain, c’est d’être juste envers la terre. La justice sociale est indissociable de la justice écologique. Pas de paix entre les humains sans la paix avec la terre. Le bonheur humain est indissociable de la santé de la terre. Nous sommes totalement dependant de la terre qui nous fait vivre. Nous n’avons d’autre choix que de la faire fructifier de manière responsable si nous voulons qu’elle continue de subvenir à nos besoins. Etre juste envers la terre, c’est à dire la traiter avec dignité et ménagement, c’est manifester de l’amour envers notre prochain en lui permettant aussi de vivre dans la dignité.
Conclusion
La crise écologique nous introduit dans une nouvelle compréhension de notre rapport avec la terre qui est traversé par deux mouvements concomitants :
1) une désabsolutisation de l’humain : il n’est pas le centre du monde ni la mesure de toute chose. Il est un membre, unique bien sûr, de la communauté créationnelle dont il est solidaire.
2) une spiritualisation (sacralisation) de la nature : la terre n’est pas un objet, mais un sujet qui mérite le respect.
Ce repositionnement de l’humain comme appartenant à un tout est une véritable conversion, tant au plan intellectuel que spirituel. Cela devrait inspirer une sagesse nouvelle qui consiste à s’intégrer harmonieusement à un tout, dépassant les dualismes destructeurs qui sont justement à la racine de la crise. La plénitude de notre existence, spirituelle et physique, personnelle et collective, n’est accessible qu’à travers un décentrement de soi, une ouverture radicale à l’autre; l’autre humain, mais aussi l’autre non humain. L’autre, les autres, humains et non-humains, sont une condition incontournable à la réalisation d’un bonheur durable. Nous sommes mis au défi d’implanter une nouvelle manière de vivre, comme individu et comme société, qui repose sur une manière plus juste d’entrer en relation avec la nature, et par conséquent avec les autres. Le bonheur humain, aujourd’hui plus que jamais, dépend de notre capacité à vivre des relations justes avec la terre. L’humanité vivra heureuse, ensemble, sur une terre cultivée avec respect et dans une communauté de partage, ou elle ne vivra pas.
Louis Vaillancourt
27 mai 2011
Questions :
1) Est-ce qu’il m’arrive d’avoir conscience que je dépasse les limites et quelles limites est-ce que je pourrais m’imposer?
2) Comment est-que qu’on peut inclure davantage la terre, les autres créatures, dans notre communauté ?
‹ Presentation by Fr. Rex RB Reyes
Le psaume 126. Merveilles de Dieu et joie des courageux
9 septembre, 2011du site:
http://www.spiritualite2000.com/page-1502.php
LE PSALMISTE
Décembre 2006
Le psaume 126. Merveilles de Dieu et joie des courageux
Christian Eeckhout
Voici un psaume mixte où la libération de l’homme est chantée à la fois comme une action de grâce et une prière de supplication. Pour que Dieu mène à bonne fin l’œuvre qu’Il a commencée. Dans la création, dans l’Exode et le retour d’exil, comme dans la résurrection.
1 Cantique des montées.
Quand le Seigneur ramena les captifs de Sion
nous étions comme en rêve ;
2 alors notre bouche s’emplit de rire
et nos lèvres de chansons.
Alors on disait chez les païens : Merveilles
que fit pour eux le Seigneur !
3 Merveilles que fit pour nous le Seigneur,
nous étions dans la joie.
4 Ramène, Seigneur, nos captifs
comme torrents au Négeb !
5 Ceux qui sèment dans les larmes
moissonnent en chantant.
6 On s’en va, on s’en va en pleurant,
on porte la semence ;
on s’en vient, on s’en vient en chantant,
on rapporte ses gerbes.
(D’après la traduction de la Bible de Jérusalem ©)
Pour bien situer le contexte, commençons par décoder trois termes particuliers. Tout d’abord le titre « Cantique des montées ». Il introduit le 7e des quinze chants (Ps 120-134) qui accompagnent les pèlerins montant vers Jérusalem. Il a une destination processionnelle : c’est un chant qui soutient la marche et la démarche des pèlerins, leur sentiment de joie et de libération de tout ce qu’ils ont quitté lorsqu’ils parviennent au terme du chemin. Il s’agit de montées, au sens topographique, car en venant de Jéricho à l’est, du Négeb au sud, ou de Jaffa à l’ouest, l’accès à la ville sainte se faisait en montant jusqu’à une altitude d’au moins 700 m. Mais il s’agit bien plus de montées spirituelles dans le désir de revenir à Jérusalem, dans le sens de retrouver Dieu. Les cantique des montées sont caractérisées par un rythme graduel : les mêmes mots ou expressions sont repris en écho d’un vers à l’autre. Comme ici aux versets 2 et 3 : « Merveilles que fit le Seigneur » ou 5 et 6 : « en chantant ».
L’appellation « Sion » a d’abord désigné la forteresse cananéenne prise par David. Ensuite ce fut le nom de sa cité, puis le nom pour désigner le mont du Temple de Jérusalem.
Le « Négeb », c’est le nom hébreu du territoire situé au sud de la Judée. Il signifie le sol sec, la zone aride qui ne connaît que quelques cm de précipitations par an. Mais lorsqu’il pleut, alors oui, l’eau coule à flots des parties élevées du terrain vers les vallées. Chacun des oueds collecte les eaux de ruissellement et cela forme des rivières temporaires, qui peuvent grossir en réels torrents en un rien de temps.
Alors qu’en été, ces des lits de rivières ne reçoivent d’eau qu’une très légère rosée matinale.
Pour qui lit ce psaume pour la première fois, le constat après lecture est celui d’un sentiment de réconfort et d’une thématique d’allégresse pour une action qui s’est accomplie ou qui va l’être. Le temps est fortement pris en compte : celui du retour, du rire, des chants de joie, des actions de Dieu et de la vie agricole. La plupart des verbes sont au yiqtôl, qui exprime l’action durative. Le psaume a d’ailleurs été choisi comme une prière pour la venue des temps messianiques.
L’accent principal est placé sur le rappel d’un retour d’exil de la population de Jérusalem. Exil qui a eu lieu à Babylone entre 586 et 538 avant Jésus-Christ. C’est une merveille, au même titre que la création, l’exode d’Egypte ou le don de la Loi. Ces « merveilles » sont les œuvres que seul Dieu peut accomplir. Elles manifestent la présence réelle de Dieu au milieu de son peuple. « Ces œuvres sont pour Israël chargées de sens, tandis que pour d’autres, ces mêmes œuvres n’ont aucune signification¹ ». L’usage du pluriel (« nous ») montre qu’il s’agit d’une prière collective.
Un Psaume en deux parties
La thématique d’allégresse donne la cohérence à ce psaume. Il est structuré en deux parties : soit on considère la construction en diptyque avec deux strophes successives (les versets 1-3 et 4-6). La première, avec ses formes verbales au passé, dit le souvenir de la libération des captifs ; la seconde fait la supplication de salut à venir.
Soit on prend un diptyque en chiasme (versets 1-2 et 4-3) auquel on adjoint un diptyque ordinaire (versets 5 et 6) qui met en parallèle les semences et les larmes (5a, 6ab) et puis la récolte avec les chants (5b, 6cd). Mais rien n’oblige à préférer une de ces deux structures lorsqu’il y a le rythme graduel qui rattache les versets les uns aux autres par des mots crochets, dans une progression logique.
Le v. 1 En effet le psalmiste se réfère d’abord au passé qui lui est donné comme un rêve, comme s’il était en extase. La joie fut d’autant plus grande qu’il était imprévu. Par trois fois le psalmiste redira ce chant ou cri joyeux (« rinnâ » aux vv. 2b, 5b et 6c).
Le v. 2 Le rire apparaît en conséquence de l’action surprenante de Dieu. Le récit du dialogue entre Bildad et Job place cette même expression comme une promesse de bonheur (Jb 8,21).
Les païens (de Babylone) s’exclament à propos de l’action de Dieu : ces grandes choses qu’Il a faites pour les croyants de l’Israël ancien.
Le v. 3 Et ceux-ci acclament Dieu tout autant, la joie, les réjouissances en plus. On peut deviner une alternance de deux chœurs qui chantent la délivrance au terme du long exil.
Le v. 4 est une prière de demande, suppliant Dieu que le retour des captifs se fasse par l’action divine « comme torrents au Négeb » c’est-à-dire rapidement, globalement, avec une puissance qui dépasse l’homme. Rien ne pourrait arrêter l’eau qui déferle sur le sol sec et aride.
Le v. 5 exprime l’ensemble du travail de l’homme et de la terre : semer et moissonner, mais aussi ses états profonds : larmes de tristesse et cris ou chants de joie. Ce sont là des termes concrets pour signifier l’expérience humaine et divine : l’épreuve et la libération.
Le v. 6 reprend graduellement les mêmes images associant pleurs et portement de semence suivies du chant de joie et portement des gerbes. Mais il agit comme une reprise du thème de base en évoquant par deux fois le départ : « on s’en va », puis par deux fois également le retour « on s’en vient ». L’abondance des gerbes en finale du psaume montre la performance accomplie par rapport aux petites semences du début, reflétant l’expérience de l’exil et du retour, ce qui préfigura pour les rapatriés de Babylone, l’avènement de l’ère messianique.
Dans ce psaume de libération, la finale marque très concrètement la confiance en la production du fruit de la nature ensemencée. Ce qui peut correspondre à un oracle qui annonce l’intervention divine de salut pour l’humanité captive.
Prier le psaume 126
Le psalmiste est témoin que Dieu intervient. Il proclame son admiration. Il veut que son acclamation soit partagée au plus grand nombre et en tout temps. « C’est pourquoi la louange est profondément communautaire et missionnaire². »
Le priant d’aujourd’hui peut doublement s’approprier le psaume 126. Qu’il soit devant une nouvelle situation de détresse ou d’épreuve, le Ps 126 est un stimulant et une belle espérance.
Qu’il soit arrivé au bout de sa période d’effort ou de témoignage, le Ps 126 offre une expression de louange et d’action de grâce. Tout comme Bildad de Shuah l’exprime pour Job : « Ta condition ancienne te paraîtra comme rien, si grand sera ton avenir » (Jb 8,7). La finale du récit décrit de fait combien Dieu restaura Job dans ses biens (cf. Jb 42,10.12).
La fragilité de la condition humaine est mise ici en rapport avec la puissance de Dieu. La semence de la foi et l’eau des larmes se dirigent vers un fruit de grâce et un état de joie.
Une application chrétienne
A l’approche de Noël, nous pourrions prier ce psaume dans un sentiment d’attente patiente, sinon fébrile, d’une nouvelle action de Dieu, d’autant que la liturgie de la Parole le propose pour le 2e Dimanche de l’Avent de cette année (C). Tous, nous avons besoin d’être libérés, rapatriés ou sauvés.
Puisque Jésus-Christ a changé notre sort, rétablissant notre destinée pour la Vie divine, ne doutons pas que la semence de charité, de sainteté, vécue parfois dans les larmes sur la terre, sera moissonnée, avec le Christ, dans la joie du Ciel. Rappelons-nous l’exhortation de Jésus à ses disciples : « Vous pleurerez …et le monde se réjouira, …mais votre tristesse se changera en joie » (Jn 16,20). Pour lui aussi la passion a précédé la résurrection !
Saint Paul ira dans le même sens que le psalmiste : « Ce que l’on sème, on le récolte … Ne nous lassons pas de faire le bien ; si nous ne perdons pas courage, nous moissonnerons en temps voulu » (Ga 6, 7b.9).
Avec la Vierge Marie, finalement, nous pouvons reprendre le cantique du « Magnificat » où elle dit : « …le Tout-Puissant a fait pour moi des merveilles. Saint est son nom ; et sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent » (Lc 1,49-50). Gardons alors l’élan enthousiaste du psalmiste, car à Noël comme à Pâques, Dieu ne cesse de se surpasser pour nous libérer, pour que notre joie soit complète (cf. Jn 15,11; 17,13).
Seigneur, tu as fait merveille pour ton Christ quand tu l’as ramené de la mort à la Vie.
Renouvelle cette merveille pour ton Eglise, en lui permettant de témoigner de ta présence.
Qu’après avoir été à labour avec Jésus, elle connaisse avec lui la joie de la moisson.
fr. Christian Eeckhout, o.p.
Notes :
¹ Gilles-Dominique Mailhiot, Les Psaumes. Prier Dieu avec les paroles de Dieu, Médiaspaul, Montréal 2003, p. 92
² Idem, p. 95