Archive pour le 3 septembre, 2011

Saint Paul preaching

3 septembre, 2011

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Saint Paul preaching – Like Jesus and James, Paul identifies the love of neighbor as the perfect summation of God’s commandments, because ‘love does no harm to the neighbor.’ (Rom. 13:8-10).

http://frted.wordpress.com/2010/07/18/the-church-as-gods-community/

P Cantalamessa: Que votre charite soit sans feinte

3 septembre, 2011

du site:

http://www.cantalamessa.org/fr/predicheView.php?id=412

P. CANTALAMESSA

Que votre charite soit sans feinte

2011-04-08- Troisième prédication de Carême

1. Tu aimeras ton prochain comme toi-même

Un phénomène a été observé. Le Jourdain, en suivant son cours, forme deux petites mers: la mer de Galilée et la mer Morte. Mais tandis que la mer de Galilée est une mer grouillante de vie, parmi les eaux les plus poissonneuses de la terre, la mer Morte, comme son nom l’indique, est une mer « morte » : il n’y a aucune trace de vie, ni en elle ni aux alentours, seulement du sel. Il s’agit pourtant de la même eau du Jourdain. L’explication, du moins partielle, est celle-ci: la mer de Galilée reçoit les eaux du Jourdain, mais ne les retient pas pour elle, les laisse s’écouler pour permettre d’irriguer toute la vallée du Jourdain. La mer Morte reçoit les eaux et les retient pour elle, elle n’a pas d’émissaires, il n’en sort pas une goutte d’eau. C’est un symbole. Pour recevoir l’amour de Dieu, nous devons en donner à nos frères, et plus nous en donnons, plus nous en recevons. C’est sur quoi nous voulons réfléchir dans cette méditation.
Après avoir réfléchi dans les premières méditations sur l’amour de Dieu comme don, le moment est venu de méditer sur le devoir d’aimer, et en particulier sur le devoir d’aimer son prochain. Le lien entre les deux amours est exprimé de manière programmatique par la parole de Dieu: « Si Dieu nous a ainsi aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres » (1 Jn 4, 11).
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même » était un commandement ancien, écrit dans la loi de Moïse (Lv 19, 18) et Jésus le cite comme tel (Lc 10, 27). Comment se fait-il donc que Jésus l’appelle « son » commandement et le commandement « nouveau » ? La réponse est qu’avec lui ont changé l’objet, le sujet et le motif de l’amour du prochain.
Tout d’abord, l’objet a changé, c’est-à-dire celui qui est le prochain à aimer. Celui-ci n’est plus le compatriote ou, tout au plus, l’hôte qui habite avec le peuple, mais tout homme, même l’étranger (le Samaritain !), même l’ennemi. Il est vrai que la seconde partie de la phrase « Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi » ne se trouve pas littéralement dans l’Ancien Testament, mais elle en résume l’orientation générale, exprimée dans la loi du talion « oeil pour œil, dent pour dent » (Lv 24, 20), surtout si on la met en parallèle avec ce que Jésus exige des siens: « Eh bien ! moi je vous dis: aimez vos ennemis et priez pour vos persécuteurs, afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les. Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?  Et si vous réservez vos saluts à vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? » (Mt 5, 44-47).
A changé aussi le sujet de l’amour du prochain, autrement dit la signification du mot prochain. Celui-ci n’est pas l’autre ; c’est moi ; ce n’est pas celui qui est proche, mais celui qui se fait proche. Avec la parabole du bon Samaritain, Jésus montre qu’il ne faut pas attendre passivement que le prochain surgisse sur ma route, précédé d’une multitude de signaux lumineux, toutes sirènes déployées. Le prochain, c’est toi, c’est-à-dire celui que tu peux devenir. Le prochain n’existe pas au départ, il n’y aura un prochain que s’il devient prochain de quelqu’un.
A changé surtout le modèle ou la mesure de l’amour du prochain. Jusqu’à Jésus, le modèle était l’amour de soi: « comme toi-même ». Dieu, a-t-on dit, ne pouvait fixer l’amour du prochain à un « pieu » plus solide que celui-ci ; il n’aurait pas atteint non plus le même objectif s’il avait dit: « Tu aimeras ton prochain comme ton Dieu ! », parce que sur l’amour de Dieu – c’est-à-dire sur ce que signifie aimer Dieu – l’homme peut encore tricher, mais sur l’amour de soi, non. L’homme sait très bien ce que signifie, en toute circonstance, s’aimer soi-même ; c’est un miroir qu’il a toujours devant soi, qui ne laisse pas d’échappatoire[1].
En revanche, Dieu laisse une échappatoire, et c’est pourquoi il remplace ce modèle par un autre modèle et une autre mesure: « Voici quel est mon commandement: vous aimer les uns les autres, comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12). L’homme peut mal s’aimer, autrement dit désirer le mal, non le bien, aimer le vice, non la vertu. Si pareil homme aime les autres comme lui-même et veut pour les autres les choses qu’il veut pour lui-même, elle est bien à plaindre la personne qui est aimée de la sorte ! Nous savons, en revanche, où nous conduit l’amour de Jésus: à la vérité, au bien, au Père. Celui qui le suit, lui, « ne marche pas dans les ténèbres ». Il nous a aimés en mourant pour nous, alors que nous étions encore pécheurs, c’est-à-dire ennemis (Rm 5, 6 ss).
On comprend alors ce que veut dire l’évangéliste Jean avec son affirmation apparemment contradictoire: « Bien-aimés, ce n’est pas un commandement nouveau que je vous écris, c’est un commandement ancien, que vous avez reçu dès le début. Ce commandement ancien est la parole que vous avez entendue. Et néanmoins, encore une fois, c’est un commandement nouveau que je vous écris » (1 Jn 2, 7-8). Le commandement de l’amour du prochain est « ancien » littéralement, mais « nouveau » de la nouveauté même de l’évangile. Nouveau – explique le pape dans un chapitre de son nouveau livre sur Jésus – car il n’est plus seulement « loi », mais aussi, et avant tout, « grâce », s’il se fonde sur la communion avec le Christ, rendue possible par le don de l’Esprit.[2]
Avec Jésus on passe de la loi du talion, ou entre deux acteurs – « Ce que l’autre t’a fait, fais-le à lui » – à la loi de la transition, ou avec trois acteurs: « Ce que Dieu t’a fait, toi fais-le à l’autre », ou, en partant de la direction opposée: « Ce que tu auras fait avec l’autre, c’est ce que Dieu fera avec toi ». On ne compte plus les paroles de Jésus et des apôtres qui répètent ce concept: « Comme Dieu vous a pardonné, pardonnez-vous aussi les uns les autres »: « Si vous ne pardonnez pas de tout cœur à vos ennemis, votre Père qui est aux cieux Père ne vous pardonnera pas non plus ». Se trouve ainsi coupée à la racine l’excuse: « Mais lui ne m’aime pas, il m’offense… ». Ceci le regarde, lui, pas toi. Toi, seulement doit te concerner ce que tu fais à l’autre et comment tu te comportes face à ce que l’autre te fait.
La question principale reste en suspens: pourquoi ce curieux détournement, de l’amour de Dieu à l’amour du prochain ? Ne devrait-on pas s’attendre logiquement à: « Comme je vous ai aimés, aimez-moi »?, au lieu de: « Comme je vous ai aimés vous, aimez-vous les uns les autres »? Ici réside la différence entre l’amour purement eros et l’amour eros et agapè ensemble. L’amour purement érotique est en circuit fermé: « Aime-moi, Alfredo, aime-moi autant que moi je t’aime « , chante Violetta dans la Traviata de Verdi: je t’aime, tu m’aimes. L’amour agapè est à circuit ouvert: il vient de Dieu et retourne à lui, mais en passant par le prochain. Jésus a inauguré lui-même ce nouveau genre d’amour: « Comme Le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés » (Jn 15, 9).
Sainte Catherine de Sienne nous en a donné l’explication la plus simple et convaincante. Elle fait dire à Dieu: « Je vous demande de m’aimer du même amour que je vous aime. Vous ne pouvez le faire complètement, puisque je vous ai aimés sans être aimé. Dès lors l’amour que vous avez pour moi est une dette que vous acquittez, non une grâce que vous me faites, tandis que l’amour que j’ai pour vous au contraire est une grâce que je vous accorde, et non une dette. Vous ne pouvez donc me rendre l’amour que je réclame, et cependant je vous en offre le moyen dans votre prochain : faites pour lui ce que vous ne pouvez faire pour moi. Mais je vous ai placés à côté de votre prochain, pour vous permettre de faire pour lui ce que vous ne pouvez faire pour moi: l’aimer par grâce, et avec désintéressement, sans en attendre aucun avantage. Je considère alors comme fait à moi ce que vous faites au prochain »[3].
2. Aimez-vous de tout votre cœur
Après ces réflexions d’ordre général sur le commandement de l’amour du prochain, nous aborderons maintenant les qualités que doit revêtir cet amour. Elles sont fondamentalement au nombre de deux: il doit être un amour sincère et un amour actif, un amour du cœur et un amour en quelque sorte « des mains », d’action. Nous nous arrêterons ici sur la première qualité, en nous laissant guider par Paul, le grand chantre de l’amour.
La seconde partie de l’Epître aux Romains se présente comme une succession de recommandations sur l’amour mutuel au sein de la communauté chrétienne: « Que votre charité soit sans feinte [...] ; que l’amour fraternel vous lie d’affection entre vous, chacun regardant les autres comme plus méritants… » (Rm 12, 9 ss). « N’ayez de dettes envers personne, sinon celle de l’amour mutuel. Car celui qui aime autrui a de ce fait accompli la loi » (Rm 13, 8).
Pour saisir l’âme qui unifie toutes ces recommandations, l’idée fondamentale, ou mieux, le « sentiment » que Paul a de la charité, il faut partir de cette parole initiale: « Que votre charité soit sans feinte ! » Il ne s’agit pas d’une parmi les nombreuses exhortations, mais de la matrice d’où découlent toutes les autres. Elle renferme le secret de la charité. Nous essaierons, avec l’aide de l’Esprit, de percer ce secret.
Le terme original utilisé par saint Paul et qui est traduit par « sans feinte « , est anhypòkritos, c’est-à-dire sans hypocrisie. Ce vocable est une sorte de voyant ; c’est, en effet, un terme rare utilisé dans le Nouveau Testament, presque exclusivement pour définir l’amour chrétien. On retrouve encore l’expression « charité sans feinte » (anhypòkritos) dans 2 Corinthiens 6, 6 et dans 1 Pierre 1, 22. Ce dernier texte permet de saisir, en toute certitude, le sens du terme en question, car il l’explique par une périphrase ; l’amour sincère – dit-il – consiste à s’aimer sans défaillance « d’un cœur pur ».
Donc, Saint Paul, par cette simple affirmation: « que votre charité soit sans feinte ! », porte le propos à la racine même de la charité, qui est le cœur. Ce qui est requis de l’amour, c’est qu’il soit sincère, authentique, non feint. Comme le vin, pour être « pur », doit être pressé à partir du raisin, il en est de même pour l’amour qui vient du cœur. En cela aussi, l’Apôtre se fait l’écho fidèle de la pensée de Jésus ; en effet, à plusieurs reprises et avec force, il avait indiqué le cœur comme le « lieu » où se décide la valeur de ce qui fait l’homme, ce qui est pur, ou impur, dans la vie d’une personne (Mt 15, 19).
On peut parler d’une intuition paulienne, à propos de la charité ; celle-ci consiste à révéler, derrière l’univers visible et extérieur de la charité, fait d’œuvres et de paroles, un autre univers tout intérieur, qui est par rapport au premier ce que l’âme est pour le corps. On retrouve cette intuition dans l’autre grand texte sur la charité, qui est 1 Corinthiens 13. Au fond, ce que dit saint Paul se réfère entièrement à cette charité intérieure, aux dispositions et aux sentiments de la charité: la charité est patiente ; la charité est bienveillante ; elle n’est pas envieuse, ne s’irrite pas ; elle excuse tout, croit tout, espère tout… Rien à voir, directement, avec faire du bien, ou avec les œuvres de charité ; mais tout se ramène à la racine du vouloir du bien. La bienveillance vient avant la bienfaisance.
L’apôtre lui-même explicite la différence entre les deux sphères de la charité, en affirmant que le plus grand acte de charité extérieure – distribuer ses biens aux pauvres – ne sert de rien, sans la charité intérieure (cf. 1 Co 13, 3). Ce serait l’opposé de la charité « sincère ». La charité hypocrite, en effet, est précisément celle qui fait du bien, sans vouloir le bien, qui montre à l’extérieur quelque chose qui n’a pas son correspondant dans le cœur. Dans ce cas, on a une apparence de charité, qui peut, à la limite, dissimuler égoïsme, recherche de soi, instrumentalisation de son frère, ou même un simple remords de conscience.
Ce serait une erreur fatale d’opposer la charité du cœur et la charité des actes, ou de se réfugier dans la charité intérieure, pour y trouver une sorte d’alibi au manque de charité active. D’ailleurs, dire que sans la charité, « il ne sert de rien » même de tout donner aux pauvres, ne signifie pas dire que cela ne sert à personne et que c’est inutile ; mais cela signifie plutôt que ça ne me sert pas « à moi », alors que cela peut servir au pauvre qui la reçoit. Donc, il ne s’agit pas tant de minimiser l’importance des œuvres de charité (nous le verrons la prochaine fois), que d’assurer à celles-ci une base sûre contre l’égoïsme et ses ruses infinies. Saint Paul veut que les chrétiens soient « enracinés, fondés dans l’amour » (Ep 3, 17), autrement dit, que l’amour soit la racine et le fondement de tout.
Aimer sincèrement signifie aimer à cette profondeur, là où tu ne peux pas mentir, car tu es seul face à toi-même, seul devant le miroir de ta conscience, sous le regard de Dieu. « Aime son frère – écrit saint Augustin – celui qui, devant Dieu, là où lui seul voit, tranquillise son cœur et se demande en son for intérieur si vraiment il agit ainsi par amour de son frère ; et cet œil qui pénètre dans son cœur, là où l’homme ne peut atteindre, lui rend témoignage »[4]. C’était donc un amour sincère, celui de Paul pour les Hébreux s’il pouvait dire: « Je dis la vérité dans le Christ, je ne mens point ; ma conscience m’en rend témoignage dans l’Esprit Saint – j’éprouve une grande tristesse et une douleur incessante en mon cœur. Car je souhaiterais d’être moi-même anathème, séparé du Christ, pour mes frères, ceux de ma race selon la chair » (Rm 9, 1-3).
Pour être authentique, la charité chrétienne doit donc partir de l’intérieur, du cœur ; les œuvres de miséricorde, des « entrailles de la miséricorde  » (Col 3, 12). Cependant, il nous faut tout de suite préciser qu’il s’agit de quelque chose de beaucoup plus radical que la simple « intériorisation », c’est-à-dire de mettre l’accent non plus sur la pratique extérieure de la charité, mais sur la pratique intérieure. Ce n’est que le premier pas. L’intériorisation aboutit à la divinisation ! Le chrétien – disait saint Pierre – est celui qui aime « d’un cœur pur »: mais avec quel cœur ? Avec « le cœur nouveau et l’Esprit nouveau » reçus dans le baptême !
Quand un chrétien aime ainsi, c’est Dieu qui aime à travers lui ; il devient un canal de l’amour de Dieu. Comme pour la consolation qui n’est rien d’autre qu’une modalité de l’amour: « Dieu nous console dans toute notre tribulation, afin que, par la consolation que nous-mêmes recevons de Dieu, nous puissions consoler les autres en quelque tribulation que ce soit  » (2 Co 1, 4). Nous consolons avec la consolation même que nous recevons de Dieu, nous aimons avec l’amour que nous recevons de Dieu. Non avec un autre. Ce qui explique le retentissement, en apparence disproportionné, que peut parfois avoir un simple acte d’amour, souvent même caché, l’espérance et la lumière qu’elle créée tout autour.
3. La charité édifie
Quand on parle de la charité dans les écrits apostoliques, on n’en parle jamais de façon abstraite, de manière générale. Il y a toujours à la base l’édification de la communauté chrétienne. En d’autres termes, le premier domaine dans lequel doit s’exercer la charité est l’Eglise et plus concrètement encore, la communauté dans laquelle on vit, les personnes avec lesquelles on est en relation dans la vie quotidienne. C’est aussi ce qui doit se passer aujourd’hui, en particulier au coeur de l’Eglise, entre ceux qui travaillent en étroite relation avec le Souverain Pontife.
A une certaine période de l’antiquité, on désignait par le terme charité, agape, non seulement le repas fraternel que les chrétiens prenaient ensemble, mais toute l’Eglise[5]. Le martyr saint Ignace d’Antioche salue l’Eglise de Rome comme celle qui « préside à la charité (agape) », c’est-à-dire à la « fraternité chrétienne », à l’ensemble de toutes les Eglises[6]. Cette phrase n’exprime pas seulement le fait de la primauté, mais aussi sa nature, ou la manière de l’exercer: c’est-à-dire dans la charité.
L’Eglise a besoin, de façon urgente, d’une bouffée de charité qui guérisse ses fractures. Dans un de ses discours, Paul VI disait: « L’Eglise a besoin de sentir refluer par toutes ses facultés humaines, la vague d’amour, cet amour qui s’appelle charité, précisément répandue dans nos coeurs par l’Esprit saint qui nous a été donné »[7]. Seul l’amour guérit. C’est l’huile du samaritain. De l’huile, aussi parce qu’elle doit flotter au-dessus de tout comme le fait l’huile par rapport aux liquides. « Et puis, par-dessus tout, la charité, en laquelle se noue la perfection » (Col 3, 14). Au-dessus de tout, super omnia ! Et donc aussi au-dessus de la foi et de l’espérance, de la discipline, de l’autorité, même si, il est évident, la discipline et l’autorité elles-mêmes peuvent être une expression de la charité. Il n’y a pas d’unité sans la charité mais s’il y en avait une, ce serait une unité de peu de valeur pour Dieu.
Il y a un domaine important à travailler: celui des jugements réciproques. Saint Paul écrivait aux Romains: « Mais toi, pourquoi juger ton frère ? Et toi, pourquoi mépriser ton frère ?… Finissons-en donc avec ces jugements les uns sur les autres » (Rm 14, 10.13). Avant lui, Jésus avait dit: « Ne jugez pas, afin de n’être pas jugés (…) Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’oeil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton oeil à toi, tu ne la remarques pas ! » (Mt 7, 1-3). Il compare le péché du prochain (le péché jugé), quel qu’il soit, à de la paille, et celui de qui juge (le péché de juger) à une poutre. La poutre est le fait même de juger, tellement il est grave aux yeux de Dieu.
Le discours sur le jugement est certes délicat et complexe et il manquera de réalisme s’il n’est pas mené jusqu’au bout. Comment fait-on, en effet à vivre sans jamais juger ? Le jugement est implicite en nous, même dans un regard. On ne peut pas observer, écouter, vivre, sans donner des appréciations, c’est-à-dire sans juger. Un parent, un supérieur, un confesseur, un juge, quiconque a une responsabilité sur les autres, doit juger. Parfois, comme c’est le cas de nombreuses personnes ici à la Curie, le jugement est même le type de service qu’elles sont appelées à rendre à la société ou à l’Eglise.
En effet, ce n’est pas tant le jugement que nous devons ôter de notre coeur, mais le venin qui vient de notre jugement ! C’est-à-dire la rancune, la condamnation. Dans l’Evangile de Luc, le commandement de Jésus: « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés » est immédiatement suivi, comme pour expliquer le sens de ces paroles, par le commandement: « ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés » (Lc 6, 37). En soi, l’action de juger est neutre, le jugement peut se terminer aussi bien par une condamnation que par une absolution ou une justification. Ce sont les jugements négatifs qui sont repris et bannis de la parole de Dieu, ceux qui condamnent le pécheur en même temps que le péché, ceux qui visent davantage la punition que la correction du frère.
Il y a un autre point qui qualifie la charité sincère: l’estime. « Que l’amour fraternel vous lie d’affection entre vous » (Rm 12, 10). Pour estimer son frère, il ne faut pas s’estimer trop soi-même, il ne faut pas être toujours sûr de soi ; il ne faut pas « se surestimer », dit l’Apôtre (Rm 12, 3). Celui qui se surestime est comme un homme qui, la nuit, a devant les yeux une source de lumière intense: il ne voit rien au-delà de cette lumière ; il ne parvient pas à voir les lumières de ses frères, leurs mérites et leurs valeurs.
« Minimiser » doit devenir notre verbe préféré dans les relations avec les autres: minimiser nos mérites et les défauts des autres. En revanche – chose diamétralement opposée – ne pas minimiser nos défauts et les mérites des autres, comme nous avons souvent tendance à le faire. Il y a une fable d’Esope à ce sujet, adaptée par La Fontaine, qui dit:
On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain.
Le Fabricateur souverain
Nous créa Besaciers tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d’aujourd’hui:
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d’autrui8
Il faudra tout simplement inverser les choses: mettre nos défauts dans la besace que nous avons devant et les défauts des autres dans celle de derrière. Saint Jacques avertit: « Ne médisez pas les uns des autres » (Jc 4, 11). On ne parle plus maintenant de commérages, on parle de gossip, et on dirait que c’est devenu une chose innocente, alors qu’en réalité il s’agit de l’une des choses qui empoisonnent le plus la vie commune. Il ne suffit pas de ne pas dire du mal des autres ; il faut aussi empêcher que les autres le fassent en notre présence, leur faire comprendre, même sans rien dire, qu’on n’est pas d’accord. L’ambiance d’un lieu de travail ou d’une communauté est tellement différente quand on prend au sérieux l’avertissement de saint Jacques ! Dans beaucoup de lieux publics, à une certaine époque il était écrit: « Interdiction de fumer » ou même « Interdiction de blasphémer ». Ce ne serait pas mal de le remplacer, dans certains cas, par « Commérages interdits ».
Ecoutons pour terminer, comme si elle nous était adressée, l’exhortation de l’Apôtre à la communauté des Philippiens qu’il aimait tant: « Mettez le comble à ma joie par l’accord de vos sentiments: ayez le même amour, une seule âme, un seul sentiment ; n’accordez rien à l’esprit de parti, rien à la vaine gloire, mais que chacun par l’humilité estime les autres supérieurs à soi ; ne recherchez pas chacun vos propres intérêts, mais plutôt que chacun songe à ceux des autres. Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2, 2-5).

[1] Cf. S. Kierkegaard, Gli atti dell’amore, Milano, Rusconi, 1983, p. 163.
[2] Benoît XVI, Jésus de Nazareth, De l’entrée à Jérusalem à la Résurrection, Editions du Rocher
[3] S. Caterina da Siena, Dialogo 64.
[4] S. Agostino, Commento alla Prima Lettera di Giovanni, 6,2 (PL 35, 2020).
[5] Lampe, A Patristic Greek Lexicon, Oxford 1961, p. 8
[6] S. Ignazio d’Antiochia, Lettera ai Romani, saluto iniziale.
[7] Discorso all’udienza generale del 29 Novembre 1972 (Insegnamenti di Paolo VI, Tipografia Poliglotta Vaticana, X, pp. 1210s.).

Homélie du 23e dimanche ordinaire A

3 septembre, 2011

du site:

http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/

Homélie du 23e dimanche ordinaire A

Ez 33, 7-9 ; Rm 13, 8-10 ; Mt 18, 15-20

Dans un ouvrage écrit conjointement par des chercheurs croyants, chrétiens et musulmans, on peut lire que le Nouveau Testament « est digne de l’estime du musulman, car il est une voie qui mène à Dieu et à l’amour du prochain, c’est-à-dire à l’essentiel au regard de l’islam »… Et cela, même si « cette voie est différente de la sienne à maints égards » (1).
Juifs et chrétiens peuvent aussi se retrouver sur la même longueur d’onde, puisqu’ils reconnaissent par Moïse ou par Jésus que le premier et le deuxième commandement sont inséparables. La déclaration de Paul aux Romains le rappelle : « L’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour ».
Mais l’amour de Dieu et du prochain ne peut rester cloîtré dans la zone sereine des principes et des nobles abstractions. Pour exister, il doit naître au monde de la réalité et donc s’incarner. c’est ici que commencent aussitôt les difficultés, les tensions et les oppositions à propos des moyens utilisés, des interprétations choisies, et de l’intervention toujours perverse des intérêts personnels, vices et passions. C’est ainsi que les instruments deviennent des idoles, le secondaire prend rang d’absolu et des formes ou traditions passagères sont déclarées « de toujours ». C’est le règne de la violence, des intégrismes et fanatismes, du légalisme et du pharisaïsme, où Dieu et l’être humain, inséparablement, sont sacrifiés sur l’autel de l’orgueil ou de la bêtise, dont chaque religion a ses temples, ses grands prêtres et sa part de fidèles.
Il est vrai que la pratique de l’amour de Dieu et des autres n’est pas synonyme de facilité ni de tranquillité. Ezéchiel souligne bien la rude et difficile tâche des prophètes qui ont à dénoncer le mal, rappeler les exigences de l’Alliance, indiquer le juste chemin, réconcilier les adversaires, maintenir l’unité et la communion… Et toujours au risque de déplaire, de froisser des susceptibilités et de mettre en péril des intérêts par trop humains.
Ardu et quotidiennement exigeant que d’exercer au sein des communautés chrétiennes, ou de l’Eglise universelle, le devoir de « correction fraternelle » qui relève du souci d’unité et de communion, de la fidélité et du pardon, sans tomber dans la démission du silence, l’orgueil janséniste ou l’arbitraire de l’inquisition.
En passant du singulier au pluriel et de Pierre à tous les disciples, Jésus a confié à son Eglise, et à chacun de ses membres, l’admirable mission et la lourde responsabilité de la réconciliation et de l’unité. Tous ceux et celles qu’il nous arrive d’enchaîner et de paralyser par notre méfiance ou notre orgueil, les éloignant ainsi, et de nous, et de Dieu, nous pouvons aussi les délier par l’amour et la patience, la délicatesse et le respect.
Chaque communauté, si petite soit-elle, a même reçu l’incroyable pouvoir de rendre Jésus présent et agissant. Il « suffit » pour cela d’être ré-unis en son nom et de « se mettre d’accord »… Il faut cependant beaucoup plus que la simple présence physique de deux ou trois personnes. C’est bien l’unité, la communion entre elles, qui est exigée pour refléter et témoigner quelque peu de la vie même de Dieu, où les diversités culminent dans l’harmonie des échanges.
Pour être Eglise, re-présenter le Christ, faire des miracles et révéler Dieu au monde, il faut que ceux et celles qui se rassemblent s’aiment et collaborent, s’éclairent et s’entraident, se corrigent et s’encouragent, cultivant chacun et ensemble « l’exigence permanente du mieux » et le souci prioritaire du royaume de Dieu.
Ces communautés familiales, paroissiales ou religieuses, les réunions pastorales, les rassemblements eucharistiques, tout comme le dialogue entre les époux, ont sans cesse besoin d’une nouvelle évangélisation. Ne sommes-nous pas excessivement en dette de l’amour mutuel, au risque de conduire tout droit à la faillite, plans et projets, et même la construction du royaume de justice et de paix ?

P. Fabien Deleclos, franciscain (T)   1925 – 2008