LA MUSIQUE JUIVE : Aux ORIGINES
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LA MUSIQUE JUIVE : Aux ORIGINES
1 – « La Bible et la musique. Par Léon Algazi,
Néanmoins, l’hypothèse de cette filiation peut se soutenir. Les premières synagogues et le dernier Temple ont , en effet, coexisté durant trois siècles environ. Il est donc fort probable que les chants qui servirent à l’établissement du culte synagogal ne furent pas autres que ceux des Lévites. Certes, il y eut l’exil qui priva les Juifs d’un centre spirituel, mais ce malheur devait avoir, parmi d’autres conséquences, celle de rendre plus jaloux l’attachement des exilés à la tradition. Le Chant de Sion en bénéficia au même titre que les autres éléments du patrimoine national. La connaissance des mélodies reçues contribuait d’ailleurs à conserver une lecture exacte et bien prosodiée du texte sacré. Pieusement, amoureusement, on continuait de se les transmettre de père en fils, de maître à disciples, durant des centaines d’années…
Malheureusement, notre antique notation musicale, la notation taamique, ne fut jamais appliquée aux textes des prières proprement dites. Que les mélodies synagogales de l’antiquité ne soient donc pas arrivées intactes jusqu’à nous et que ce qu’on appelle « le chant traditionnel » ait subi des transformations profondes, nul ne songe à le nier. Ces altérations sont attestées par la multiplicité des traditions musicales actuelles, variant selon les pays et les communautés. Il est même indéniable que des emprunts ont dû être faits par nos hazanim (chantres) au chant populaire, comme à la musique savante des peuples au milieu desquels se sont fondées et ont évolué les communautés juives de la Dispersion…
On note même des exemples d’infiltrations de cantiques chrétiens, des Noëls notamment, – dans la liturgie juive. En revanche, Georges Oudard, M. Amédée Gastoué, entre autres spécialistes du plain-chant dans l’Eglise, ont affirmé l’origine juive d’une partie au moins des mélodies grégoriennes… Le génie d’un peuple, d’un individu, ne crée rien ex nihilo. Mais il assimile les matériaux qu’il emploie, et leur imprime, si dissemblables soient-ils, le sceau de sa personnalité. Or, ce qui frappe, à l’analyse des mélodies hébraïques traditionnelles des rites les plus différents, en usage dans les contrées les plus éloignées les unes des autres, c’est précisément leur air de famille…Au demeurant, il n’est que de se remémorer tels chants d’Israël rendus célèbres par les adaptations de quelques musiciens modernes ou contemporains, – Le Kol Nidré, certains Kaddish. – pour reconnaître que le chant hébraïque a son style, sa physionomie, sa personnalité…
Fait pour la prière de l’homme, il demeure constamment humain. Fait pour purifier et ennoblir les sentiments naturels, et non pour les abolir, il est tour à tour suppliant et débordant de gratitude, joyeux et poignant, impérieux et tendre ; jamais désespéré, car il ne cesse d’être religieux. Fait pour implorer et louer Dieu, il est persuasif et émouvant, au point de pouvoir se passer de la parole : on chante beaucoup « à bouche fermée » dans certaines synagogues. Sa véhémence elle-même a un caractère traditionnel : elle est fille de la Bible. » (Léon Algazi, Le chant hébraïque de la Synagogue française, 9-10 : 13.) Source : Anthologie Juive, de Edmond Fleg, éd. Flammarion (1951).
2)- « Musiques juives, musiques hybrides, par Hervé Roten,
« …Le terme générique « musique juive » recouvre en fait des réalités musicales fort diverses. Il n’existe pas une, mais des musiques juives, chacune d’entre elles résultant d’une histoire et d’un environnement culturel spécifiques…
La musique hébraïque antique : les racines sumériennes, babyloniennes, assyriennes, égyptiennes… ..Au début du XVI° siècle, des humanistes chrétiens s’intéressent aux système des accents bibliques (teamim) qu’ils essayent de transcrire musicalement . (cf. notamment les manuscrits de Johannes Reuchlin (De accentibus et orthographia linguae hebraicae, Haguenau, 1518), de J. Böschenstein (Munich Co. Hebr. 401) ou encore de Sebastian Münster (Institutiones grammaticae in hebream linguam, Bâle, 1524). Cependant, ce n’est véritablement qu’à partir du XIX° siècle qu’un certain nombre de chantres européens commencent à noter leur pratique de la hazanut . A cette époque, la musique est généralement considérée comme l’émanation culturelle du génie des peuples…
Et les Juifs ? Leur musique remonterait aux temps les plus reculés et recèlerait les secrets d’une ou musique primitive qui aurait conservé le « pureté » le ses origines bibliques. Les premières recherches musicologiques ont fait vaciller le mythe… L’interdiction de l’image dans le culte mosaïque et l’absence de toute notation musicale entretiennent à ce sujet un flou artistique particulièrement gênant…Il subsiste de nombreux témoignages écrits faisant état d’une pratique musicale : à ce titre la Bible, la Mishnah, le Talmud, les manuscrits de Qumran (Mer Morte) ou encore les écrits de Flavius Josèphe fournissent des renseignements appréciables sur les pratiques musicales de l’ancien Israël. Sont notamment cités : des instruments à cordes de type lyre tels le Kinor, le nevel ou nevel asor (probablement un nevel de petite taille) ; des instruments à vent comme le shofar (corne de bélier ou de bouc), la hatsotserah (trompette en métal précieux, généralement en argent) ou le halil (chalumeau probablement à double tuyau), et enfin des instruments à percussion : cymbales (tsiltsalim ou metiltayim), tambourin (tof) ou encore cloches (paamonim).
Le chant est également mentionné dans la Bible. Il peut être d’ordre profane (chant de l’eau ou du labour, airs de ralliement, chants de guerre et de triomphe, chants de fêtes populaires) ou comporter un caractère sacré (Cantique de Moïse – Exode, XV, 1-21- et de Déborah – Juges V -). Toutefois, au cours de la période nomade, la musique ne joue qu’un rôle mineur dans l’accomplissement des préceptes religieux : son utilisation est généralement spontanée et souvent restreinte à l’accompagnement des processions ou des cérémonies. Il faudra attendre l’établissement de la royauté (vers 1025 av.J.C), l’instauration du premier orchestre cultuel par le roi David et l’édification du premier Temple de Jérusalem par son fils Salomon, pour que se mette en place un culte ritualisé accompagné de musiques.
…le don des Lois écrite et orale au mont Sinaï -acte fondateur par excellence du judaïsme – ne comporte aucune mention musicale…Le texte biblique relatant l’énonciation divine des dix commandements indique que le peuple hébreu rassemblé au bas de la montagne sacrée « voit les voix… » du Créateur (Exode xx,18)…à défaut de les entendre. Ce récit, …laisse transparaître que dans la tradition juive, la musique hébraïque n’est pas d’essence divine.
Selon toute vraisemblance, la musique des temps bibliques puise ses racines dans les musiques sumérienne, babylonienne et assyrienne. A l’époque de Joseph et pendant leur séjour en Egypte, les Hébreux ont enrichi de musiques égyptiennes ce fonds originel. Durant l’exil babylonien (586-538 avant J.C.) les musiciens juifs ont probablement intégré les orchestres de cour des rois assyriens et babyloniens selon le coutume en usage à l’époque. Enfin, au cours des trois derniers siècles précédant l’ère chrétienne, la musique du royaume de Juda a été fortement influencée par la civilisation hellénistique ; en témoignent les nombreux noms d’instruments grecs qui figurent dans le livre de Daniel (III,5) ainsi que les descriptions de Ben Sira (II° siècle av. JC.) des pratiques musicales profanes inspirées des mœurs grecques (festins, créatin de théâtres, concours musicaux…) A cette même époque, l’essor de le synagogue favorise la création d’une esthétique musicale résolument fonctionnelle. La musique synagogale, essentiellement vocale, sert d’écrin expressif et mnémotechnique aux cantilations bibliques, psaumes, et autres prières communes récitées durant le culte. Lorsqu’au II° siècle de l’ère vulgaire les Romains mettent un terme à l’existence de la Judée, la musique hébraïque…s’est profondément transformée. Mais l’absence de tout système de notation musicale datant de cette époque ne permet pas de la reconstituer de façon tangible. »
« L’adoption de la métrique arabe dans la poésie religieuse… « …A l’égal des mythes fondateurs, c’est dans l’exil que se délite l’hébreu, le judéen, et que se forge la nouvelle identité juive. Regroupés en communautés, les fils de Moïse organisent leur existence en la ritualisant. La Synagogue, et le culte qui s’y déroule, sont au cœur de leur vie. De par son pouvoir émotionnel et fédérateur, la musique unit les hommes dans la prière… Rappelons qu’à ses débuts, l’office synagogal comportait principalement des prières de base comme le Shema, le Halel, la Tefilah (ou Amidah) et la récitation des psaumes. A cela s’ajoutait la lecture de la Torah les lundis, jeudis et samedis. Jusqu’à la destruction du Second Temple (70 après J.C.) différents rituels de prières coexistaient au sein du culte synagogal. C’est sous l’impulsion de Gamaliel II (milieu du 1er siècle de l’ère chrétienne – avant 132) que fut adopté un nouveau rituel unifié appelé Avodah shebalev (« culte du cœur ») qui se développa dans toutes les synagogues et fut appliqué sans grands changements jusqu’à la fin de l’époque talmudique.
C’est d’ailleurs en partie pour apporter un peu de variété à cet office quelque peu sclérosé que naquirent les piyutim vers le V° siècle de l’ère chrétienne. A l’origine, le piyut est une poésie religieuse destinée à remplacer les prières obligatoires, notamment lors des offices de shabbat et des fêtes. Cette évolution fut probablement liée à la restriction de la liberté d’enseignement et de prières sous Justinien 1er (décret de 553). Malgré de sévères critiques, notamment de la part des membres des grandes Académies de Babylone, la poésie religieuse, forte de son succès populaire, se répandit dans toutes les communautés juives. Et au fil des siècles, certains piyutim furent intégrés aux prières selon un choix propre à chaque communauté.
Sur le plan musical, la floraison de la poésie religieuse eut un impact considérable. La création de nouveaux textes entraîna le recours à une musique d’un genre nouveau. Dans un premier temps, les Piyutim furent chantés dans un style psalmodié ou dans un rythme libre déterminé par la place des accents dans la phrase. Mais le X° siècle, à l’instar de la poésie arabe, Dounash ben Labrat (c.920- c.980 ?) introduisit dans son œuvre la notion de mètre, soit l’existence d’un rapport de proportionnalité entre les différentes valeurs de durée. Cette innovation, loin d’être anodine, dénote l’influence de la civilisation arabe sur les communautés juives séfarades. Sur un plan linguistique, l’hébreu n’établit pas de différenciations entre syllabes longues et courtes. Lui appliquer un cadre métrique revenait à lui imposer une déclamation qui n’existe pas naturellement dans la langue hébraïque…ce qui n’empêcha pas l’initiative de Dounash ben Labrat de remporter un vif succès et d’être rapidement imitée par bon nombre de ses confrères.
L’adoption de la métrique arabeentraîna fréquemment le recours à une poésie de forme strophique. Chaque couplet était habituellement chanté sur une mélodie plus ou moins identique, l’assimilation du texte par le fidèle s’en trouvant ainsi grandement facilitée. La musique n’était ainsi plus un simple véhicule du texte, sans réelle existence . Bien au contraire, le texte devait se plier à une musique préétablie.
Ce renversement sémantique allait encore s’accentuer avec l’utilisation de timbres mélodiques de provenances diverses. L’emprunt de « timbres » est un phénomène communément répandu dans la musique juive : un air généralement à la mode et connu de tous est plaqué sur de nouvelles paroles. De nombreux piyutim comportent ainsi en tête le nom d’une mélodie préexistante sur laquelle est chanté le texte. En dehors des airs empruntés au répertoire traditionnel juif, on trouve mention de timbres espagnols, provençaux, italiens et allemands. Particulièrement apprécié du public, ce procédé donna lieu à de nombreuses controverses de la part du corps rabbinique ; il est toutefois demeuré jusqu’à nos jours une des caractéristiques majeures de l’hymnodie hébraïque…et une des plus grandes sources d’hybridation de la musique juive.
Ménestrels et troubadours juifs transcendent frontières et différences religieuses…
A un tout autre niveau, les ménestrels, troubadours ou trouvères juifs ont également contribué à introduire de nombreux airs étrangers dans la musique juive. Lorsqu’ils parcouraient les pays d’Europe et se livraient à leur art devant un public composé indifféremment de Juifs et de non-Juifs, les ménestrels exécutaient des chants poétiques en tous points semblables à ceux de leurs collègues non-Juifs. Lorsqu’ils se produisaient devant une assemblée juive, ils ajoutaient à leur répertoire quelques sujets tirés de la Bible ou du Midrash qu’ils chantaient dans la langue vernaculaire. On a ainsi retrouvé dans la genizah du Caire le carnet d’un ménestrel juif, datant de 1382, contenant la notation de chants d’inspiration profane ou sacrée avec des paroles allemandes écrites en caractères hébraïques.
Il ne faut pas sous-estimer l’impact des musiciens errants sur l’évolution de la vie musicale en Europe. Ces ménestrels contribuèrent à dresser une Europe musicale sans frontière qui transcendait les différences religieuses. Ils servaient de liens entre les communautés juives isolées et leur environnement. Ils étaient les porteurs d’une tradition instrumentale internationales. Lorsqu’ils accompagnaient les danses lors des mariages ou d’autres occasions, lorsqu’ils élaboraient le programme musical de ces festivités, ils transféraient inconsciemment une grande partie de leur répertoire dans les quartiers juifs. Ces mélodies de danses profanes, ces airs entraînants ne tardaient pas à s’infiltrer dans l’oreille des gens et des paytanim, si bien qu’au bout de quelque temps, on les retrouvait tout naturellement dans le répertoire des chants synagogaux. Indépendamment de l’idéal esthétique préconisé par des mélomanes férus de théorie musicale, la grande masse des fidèles imposait ainsi son goût pour une musique simple aux accents populaires.
Cet intérêt pour la culture séculaire et laïque apparaît particulièrement intense en Espagne, en Italie et dans le sud de la France. Ainsi dès 1230-40, les Juifs d’Andalousie et du sud de l’Europe chrétienne intègrent l’enseignement musical dans l’éducation de leurs enfants. Sensiblement à la même époque, plusieurs traités musicaux rédigés en arabe sont traduits en hébreu. En Provence, les Juifs étudient la pratique musicale de leur époque ; en témoigne la traduction hébraïque de notes prises en cours par un élève de l’école de musique de Jean Vaillant, musicien établi à Paris au début du XV° siècle. Cependant des persécutions de plus en plus fréquentes et surtout l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492 vont entraîner un repli des communautés juives sur elles-mêmes et l’émergence de courants mystiques où la musique occupera une place centrale. » (par Hervé Roten , Les cahiers du judaïsme n°5, Automne 1999, publié par l’Alliance Israëlite Universelle)
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