Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix (Edith Stein)
9 août, 2011(Qui donne un Dieu dans l’amour à la plénitude)
(Qui donne un Dieu dans l’amour à la plénitude)
du site:
http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cclergy/documents/rc_con_cclergy_doc_19022000_slaur_fr.html
SAINT LAURENT – PROTO DIACRE DE L’EGLISE ROMAINE
Don Francesco Moraglia
Docteur de théologie systématique
L’histoire de l’Eglise nous a laissé de grandes figures d’évêques et de prêtres qui ont contribué à illustrer, sur le plan théologique et pastoral, le sens profond du ministère ordonné. Pour l’épiscopat, on distingue, entre autres, les figures d’Irénée, Augustin, Winfrid, Boniface, Bartolomé Las Casas et Ildephonse Schuster; pour la prêtrise, l’époque moderne et contemporaine a été marquée par Philippe Néri, Jean-Marie Vianney, Jean Bosco, Pierre Chanel et Maximilien Kolbe. Le ministère diaconal acquiert lui aussi des contours plus nets si on le considère à la lumière de la figure de grands diacres; c’est le cas, par exemple, du martyr Laurent, proto diacre de l’Eglise romaine qui, avec Etienne et Philippe, est certainement l’un des plus célèbres de l’antiquité.
Le diaconat considéré en lui-même, en tant que ministère permanent, non finalisé à la prêtrise, disparaît en Occident après avoir été une institution florissante jusqu’au Ve siècle; à partir de cette époque – principalement à cause de l’engagement plus grand des prêtres dans l’activité pastorale -, le premier degré du sacrement de l’ordre se réduit à une simple étape d’accès au degré suivant, la prêtrise. On peut alors aisément comprendre pourquoi l’institution diaconale, sur le plan de la réflexion théologique et de la pratique pastorale, est restée inhibée, presque fossilisée.
Dès le XVIe siècle, le concile de Trente tenta de réagir à cette situation, sans succès; il faudra attendre le concile Vatican II, dans la seconde moitié du XXe siècle, pour assister au rétablissement du diaconat « en tant que degré propre et permanent de la hiérarchie… »; le texte de la constitution dogmatique Lumen Gentium, toujours au n. 29, précise immédiatement après: « …avec l’accord du pontife romain ce diaconat pourra être conféré à des hommes mûrs, même s’ils vivent dans le mariage, ainsi qu’à des jeunes gens idoines, pour lesquels, cependant, la loi du célibat doit rester ferme » (EV. 1/360).
Paul VI, dans la lettre apostolique Sacrum diaconatus ordinem – 18 juin 1967 -, réaffirme que l’ordre du diaconat « …ne doit pas être considéré comme un pur et simple degré d’accès au sacerdoce; celui-ci, insigne par son caractère indélébile et sa grâce particulière, s’enrichit d’autant plus que ceux qui y sont appelés peuvent se consacrer de manière stable aux mystères du Christ et de l’Eglise » (EV. 2/369).
Le seul fait que pendant une période aussi longue – quinze siècles -, le diaconat ne se soit pas réalisé sous une forme permanente dans l’Eglise latine, laisse deviner qu’il est nécessaire, sur le plan de la réflexion théologique et de la pratique pastorale, de récupérer le temps perdu à travers une ample réflexion de la part de toute la communauté ecclésiale. Le diaconat permanent, en effet, représente un important enrichissement pour la mission de l’Eglise.
Naturellement, le rétablissement du diaconat permanent, sollicité avec autorité par le dernier concile, ne pourra se réaliser qu’en harmonie et continuité avec la tradition ancienne. A ce sujet, la récente déclaration conjointe – 22 fevrier 1998 – de la Congrégation pour l’Education catholique et de la Congrégation pour le Clergé est extrêmement significative; elle se trouve au début des « Normes fondamentales pour la formation des diacres permanents » et du « Directoire pour le ministère et la vie des prêtres »; le contenu de cette déclaration apporte une clarification et une orientation pour le futur: « c’est la réalité diaconale toute entière (vision doctrinale fondamentale, discernement vocationnel et préparation, vie, ministère, spiritualité et formation permanente) qui postule une révision du chemin de formation jusqu’ici parcouru, pour obtenir une clarification globale, indispensable à une nouvelle impulsion de ce degré de l’Ordre sacré, en correspondance avec les vœux et les intentions du Concile Œcuménique Vatican II » (Normes fondamentales pour la formation des diacres permanents, Directoire pour le ministère et la vie des diacres permanents. Cité du Vatican, page 7).
Pour reprendre ce qui a été dit au sujet des grandes figures d’évêques, de prêtres et de diacres qui ont illustré et influencé le ministère ordonné, permettant une compréhension plus vraie et plus approfondie de celui-ci, il est raisonnable de s’arrêter sur la figure du diacre Laurent dont l’histoire personnelle incite à repenser le premier degré du ministère ordonné; lequel, en raison de l’évolution historique évoquée plus haut, attend encore aujourd’hui d’être pleinement compris et mis en valeur. Il s’agit de donner une nouvelle vigueur à un ministère permanent en mesure de s’exprimer avec une plus grande fécondité dans la vie de l’Eglise.
Les vicissitudes personnelles de saint Laurent, archidiacre de l’Eglise de Rome, nous sont parvenues à travers une tradition ancienne divulguée dès le IVe siècle; cette tradition accueillie par l’Eglise a également été admise dans les textes liturgiques.
Les épisodes les plus connus du martyre de Laurent sont décrits, avec richesse de détails, dans la Passio Polychromi dont nous avons trois rédactions (V-VIIe siècle); De fait, ce récit renferme des éléments légendaires, même si certaines informations que nous rapportons ici figurent dans des témoignages précédents comme celui de saint Ambroise dans De Officiis (cf. PL XVL 89-92).
Nous commençons, avec l’intention de les développer, par les courtes annotations reportées pour la fête du martyr qui – selon la « Depositio martyrum » (année 354) – tombe le 10 août; voici les expressions du Missel Romain: « Laurent, célèbre diacre de l’Eglise de Rome, confirma son service de charité par le martyre sous Valérien (258), quatre jours après la décapitation du pape Sixte II. Selon une tradition divulguée dès le IVe siècle, il soutint, intrépide, un atroce martyre sur le gril, après avoir distribué les biens de la comunauté aux pauvres qu’il considérait comme les vrais trésors de l’Eglise… ». Ces annotations se terminent en rappelant que le nom de Laurent figure également dans le Canon Romain.
L’Eglise, dans ses textes liturgiques, prend donc à son compte ce que rapporte la tradition ancienne qui, cependant, connaît en son sein des versions différentes. Ici, nous n’avons pas l’intention d’entrer dans le vif des hypothèses récemment avancées par la critique historiographique qui aurait tendance à reporter la date du martyre de saint Laurent au début du IVe siècle et à se démarquer des contours traditionnels pour le caractériser; par exemple, Laurent ne serait pas espagnol mais romain et, à ce propos, la Prefazio della mensa XII del Sacramniario leoniano le présente comme civis romain. Mais, comme le remarque Paolo Toschi, toutes ces nouvelles études « n’enlèvent pas a priori la possibilité qu’il existe, à Rome, une véritable tradition, exposée avec d’évidents embellissements réthoriques par saint Ambroise, sur la tragique capture et la fin de saint Laurent par le feu, supplice qui a été infligé sous Valérien, comme on le sait, à saint Fructuosus et aux diacres Euloge et Augure à Tarragone. D’autre part, le verbe animadvertere utilisé dans le décret de persécution dans la rédaction de Cyprien peut également faire référence à d’autres formes d’exécutions capitales en dehors de la « décapitation » (Bibliotheca Sanctorum, vol….1539).
Nous accueillons ici les données traditionnelles telles qu’elles sont rapportées dans les textes liturgiques, en nous limitant à les proposer de manière plus articulée.
Laurent serait donc né en Espagne, à Osca une petite ville de l’Aragon qui surgit aux pieds des Pyrénées. Afin de compléter ses études humanistiques et liturgiques il fut envoyé, tout jeune encore, dans la ville de Saragosse, où il fit la connaissance du futur pape Sixte II. Ce dernier – originaire de la Grèce -, était investi d’une charge d’enseignant dans l’un des plus importants centres d’études de l’époque et, parmi ses maîtres, le pape était l’un des plus connus et des plus appréciés.
Pour sa part, Laurent, qui devait devenir un jour le chef des diacres de l’Eglise de Rome, s’imposait par ses qualités humaines, par sa délicatesse d’âme et son intelligence. Entre le maître et l’élève s’instaura une communion et une familiarité qui, avec le passage du temps, augmenta et se cimenta; entre temps, l’amour qu’il portaient tous les deux pour Rome, centre de la chrétienté et ville-siège du vicaire du Christ, augmenta au point de suivre un flux migratoire alors très intense et de quitter l’Espagne pour la ville où l’apôtre Pierre avait établi sa chaire et rendu le témoignage suprême. C’est donc à Rome, au cœur de la catholicité, que maître et élève purent réaliser leur idéal d’évangélisation et de mission… jusqu’à l’effusion du sang. Lorsque le 30 août de l’année 257, Sixte II monta sur le trône de Pierre – pour un pontificat qui devait durer moins d’un an – , immédiatement et sans hésiter, il voulut à ses côtés son ancien élève et ami Laurent, en lui confiant la charge délicate de proto diacre.
Les deux hommes, à la fin, scellèrent leur vie de comunion et d’amitié en mourant par les mains du même persécuteur, séparés seulement par quelques jours.
Nous avons des informations sur la fin du pape Sixte II dans une lettre de saint Cyprien, évêque de Carthage. Cyprien, en parlant de la situation de grande incertitude et de malaise dans laquelle versaient les Eglises à cause de l’hostilité croissante à l’égard des chrétiens, remarque: « L’empereur Valérien a envoyé au sénat son rescrit par lequel il a décidé que les évêques, les prêtres et les diacres doivent être immédiatement mis à mort… – le témoignage de Cyprien continue – … je vous communique que Sixte a subi le martyre avec quatre diacres le 6 août, alors qu’il se trouvait dans la zone du cimetière. Les autorités romaines ont pour règle que ceux qui sont dénoncés comme chrétiens doivent être jugés et subir la confiscation de leurs biens au bénéfice du trésor public impérial » (Lettre 80, CSEL 3,839-840).
Le cimetière auquel le saint évêque de Carthage fait allusion est celui de Callixte, où Sixte fut capturé tandis qu’il célébrait la sainte liturgie et où il fut enterré après son martyre.
En revanche, pour le martyre du diacre Laurent, nous possédons un témoignage particulièrement éloquent de saint Ambroise dans De Officiis (1 41, 205-2079), repris ensuite par Prudence et saint Augustin, puis par saint Maxime de Turin, saint Pierre Chrisologue, saint Léon le Grand et, enfin, par certaines formules liturgiques renfermées dans les Sacramentaux romains, dans le Missale gothicum et dans l’Ormionale Visigotico (Bibliotheca Sanctorum, vol. …, 1538-1539).
Ambroise s’étend tout d’abord sur la rencontre et sur le dialogue entre Laurent et le pape, il évoque ensuite la distribution des biens de l’Eglise aux pauvres, il mentionne enfin le gril, l’instrument du supplice, en rapportant la phrase que le proto diacre de l’Eglise de Rome prononça en s’adressant à ses bourreaux: assum est, … versa et manduca (cf. Bibliotheca Sanctorum, vol. … col. 1538-1539).
C’est au texte d’Ambroise tiré du De Officiis (chap. 41, nn. 205-206-207), bouleversant par son intensité et sa force expressive, que nous nous référons; saint Ambroise s’exprime ainsi:
205. « … saint Laurent,… voyant son évêque Sixte conduit au martyre, commença à pleurer non pas parce que celui-ci était conduit à la mort, mais parce qu’il devait lui survivre. Il commença donc à lui dire de vive voix: « Où vas-tu, père, sans ton fils? Où t’empresses-tu, o saint évêque, sans ton diacre? Tu n’offrais jamais le sacrifice sans ministre. Qu’est-ce qui t’as donc déplu en moi, o père? Tu m’as peut-être trouvé indigne? Vérifie au moins si tu as choisi un ministre approprié. Ne désires-tu pas que celui auquel tu as confié le sang du Seigneur, celui que tu as associé à la célébration des mystères sacrés, verse son sang avec toi? Sois attentif à ce que ton discernement ne vacille pas tandis que ta force est louée. Le mépris du disciple porte préjudice au maître. Faut-il rappeler que les grands hommes remportent la victoire par les épreuves victorieuses de leurs disciples plus que par les leurs? Et puis Abraham a offert son fils, Pierre a envoyé Etienne en avant. Toi aussi, o mon père, montre en ton fils ta vertu; offre celui que tu as éduqué, pour obtenir la récompense éternelle en glorieuse compagnie, sûr de ton jugement ».
206. Sixte lui répondit: « Je ne te quitte pas, je ne t’abandonne pas, o mon fils; mais des épreuves plus difficiles te sont réservées. Comme nous sommes vieux, il nous a été donné de parcourir une épreuve plus facile; Comme tu es jeune, tu es destiné à un triomphe plus glorieux sur le tyran. Tu viendras bientôt, cesse de pleurer: tu me suivras dans trois jours. Cet intervalle entre un évêque et un lévite est convenable. Tu n’aurais pas été digne de vaincre sous la conduite de ton maître, comme si tu cherchais une aide. Pourquoi demandes-tu à partager mon martyre? Je t’en laisse l’entière succession. Pourquoi exiges-tu ma présence? Les disciples encore faibles précèdent leur maître, ceux qui sont déjà forts, qui n’ont plus besoin d’enseignements, le suivent pour vaincre sans lui. C’est pourquoi Elie quitta Elisée. Je te confie la succession de ma vertu ».
207. Il existait entre eux une rivalité véritablement digne d’être combattue par un évêque et par un diacre: celui qui, le premier, devait souffrir pour Jésus-Christ. On raconte que lors des représentations tragiques, les spectateurs éclataient en applaudissements bruyants lorsque Pilade disait qu’il était Oreste et Oreste, comme c’était le cas, affirmait qu’il était Oreste, le premier pour être tué à la place d’Oreste, le second pour empêcher que Pilade fut tué à sa place. Mais ces derniers ne devaient pas vivre, car ils étaient tous les deux coupables de parricide: l’un parce qu’il l’avait commis, l’autre parce qu’il était son complice. Dans notre cas, le seul désir qui animait saint Laurent était celui de s’immoler pour le Seigneur. Et lui aussi, trois jours après, ayant ridiculisé le tyran, sera brûlé sur un gril: « Cette partie est cuite, dit-il, retourne-la et mange-la ». Il triomphait ainsi, avec sa force d’âme, de l’ardeur du feu » (saint Ambroise, De Officiis, libri tres, Milan, Bibliothèque ambrosienne, Rome Città Nuova Editrice 1977, pp. 148-151).
Si l’on s’en tient au témoignage de saint Ambroise, le diacre apparaît caractérisé ainsi:
1) comme celui qui, constitué sacramentellement au service de l’offrande (diaconie), vit son ministère diaconal en exprimant dans le martyre le témoignage suprême de Jésus-Christ, le sens théologique du service de la charité, à travers l’accueil de cet amour-charité plus grand qu’est le martyre.
2) comme celui qui, en vertu du lien structurel qui le lie sacramentellement à l’évêque, (premier degré de l’ordre), vit la « communion ecclésiale », à travers un service spécifique à l’épiscopat, à partir de l’eucharistie et en référence à celui-ci.
3) comme celui qui, en vertu du sacrement (c’est-à-dire dans la mesure où il est enraciné dans le premier degré de l’ordre), se consacre au service d’une charité intégrale, à 360 degrés – par conséquent pas seulement une solidarité humaine et sociale -, et manifeste de la sorte le caractère le plus typique de la diaconie.
Examinons l’une après l’autre ces caractéristiques:
1) Le diacre se présente comme celui qui, constitué sacramentellement au service de l’offrande (diaconie), vit son ministère diaconal en exprimant dans le martyre le témoignage suprême de Jésus-Christ, le sens théologique du service de la charité, à travers l’accueil de cet amour-charité plus grand qu’est le martyre.
Si la caractéristique principale qui identifie le diacre, en soi et dans son ministère, est celle d’être ordonné au service de la charité, le martyre – témoignage jusqu’à l’effusion du sang -, doit être considéré comme l’expression d’un amour-charité plus grand, à savoir le service d’une charité qui ne connaît pas de limites. Le ministère de la charité auquel le diacre est délégué à travers l’ordination ne s’arrête donc pas au service des « cantines » ou, comme on avait coutume de dire autrefois, dans un langage catéchétique, aux œuvres de miséricorde corporelles, ni même aux œuvres spirituelles, mais le service diaconal de la charité doit parvenir, par l’inconditionnel don de soi, à l’imitation du Christ, le témoin fidèle par antonomase (cf. Ap 1,5;3,14).
Dans le cas de Laurent – explique Ambroise- « aucun désir ne l’animait sinon le désir de s’immoler pour le Seigneur » (cf. saint Ambroise, De Officiis, I, 41, n. 207); à travers le témoignage rendu face à ses persécuteurs, il apparaît évident que l’exercice du ministère diaconal ne s’identifie pas ici avec le service du prochain, réduit aux seules nécessités matérielles; puisque dans ce geste qui exprime un amour plus grand pour Jésus-Christ et qui porte à donner sa propre vie, Laurent fait en sorte que ses bourreaux puissent également, au sens réel, faire « une certaine » expérience du Verbe incarné qui, en dernière instance, est le destin personnel et commun de tout homme; c’est le service théologique de la charité auquel chaque diacre doit tendre ou, tout au moins, rester disponible.
Ceci ne signifie pas que le diacre épuise dans son ministère le témoignage de la charité qui est, et reste toujours, vocation et mission de toute l’Eglise, mais on entend affirmer qu’en vertu de son ordination, le diacre porte en soi, de manière sacramentelle-spécifique, la « forme Christi » pour le service de la charité; ce qui revient à dire un « exercice ministériel » de la charité qui se réalise envers Jésus-Christ et les frères et qui peut aller jusqu’à exiger le don de soi… jusqu’au sacrifice de la vie. Les mots que Laurent adresse à l’évêque Sixte résonnent clairement: « Et puis Abraham a offert son fils, Pierre a envoyé Etienne en avant. Toi aussi, o mon père, montre en ton fils ta vertu; offre celui que tu as éduqué, pour obtenir la récompense éternelle en glorieuse compagnie, sûr de ton jugement » (saint Ambroise, De Oficiis, I, 41, n. 205).
Il est utile de rappeler, cependant, que le témoignage d’un « amour-charité » plus grand de la part de celui qui est ordonné au service de la charité, ne dispensera jamais l’Eglise-Epouse de s’offrir au Christ-Epoux, dans le don de la « martyria » par lequel, au delà de toute réticence et ambiguité, se manifeste la valeur absolue et l’union inséparable que « vérité » et « charité » revêtent dans la vie du disciple du Seigneur (cf. 1 Cor 13,4-5, Phil 4,15).
A cet effet, il est utile de relire le texte de Lumen Gentium 42, dans lequel on affirme. « … le martyre, par lequel le disciple est rendu semblable au maître qui accepte librement la mort pour le salut du monde, et se conforme à lui dans l’effusion du sang, est estimé par l’Eglise comme le don exeptionnel et la preuve suprême de la charité… si le martyre est accordé à peu, tous doivent cependant être prêts à confesser Jésus-Christ devant les hommes, et à le suivre sur le chemin de la croix à travers les persécutions, qui ne font jamais défaut à l’Eglise » (EV, 1/398).
A présent – malgré l’appel universel à la charité même héroïque -, un fait reste incontestable: dans l’Eglise il existe un « ministère ordonné » spécifique, par conséquent des hommes sacramentellement constitués au service de la charité.
2) Le diacre se présente comme celui qui, en vertu du lien structurel qui le lie sacramentellement à l’évêque, (premier degré de l’ordre), vit la « communion ecclésiale », à travers un service spécifique à l’épiscopat, à partir de l’eucharistie et en référence à celui-ci.
C’est l’autre caractéristique qui ressort du dialogue entre Sixte et Laurent au cimetière de Callixte; le dialogue met en évidence le fait que c’est justement dans le lien sacramentel qui unit le diacre à l’évêque, que le diacre apparaît comme l’ »homme de la communion » à travers le service spécifique qu’il rend à l’évêque; ce service, ensuite, se réalise, concrètement, par l’accomplissement fidèle de ce que l’évêque, en vertu de la plénitude du sacerdoce et du gouvernement qu’il a sur l’Eglise – toujours en communion avec l’évêque de Rome -, exige de son diacre selon les nécessités et les urgences ecclésiales.
Dans le ministère du diacre, enfin, toute chose fait référence à l’autel, dans la mesure où dans l’Eglise toute chose, à commencer par la charité, tire son origine de la S.S. Eucharistie. Voici le point où le témoignage d’Ambroise, à cet égard, se fait particulièrement significatif: « … Laurent,… voyant son évêque Sixte conduit au martyre, commença… à lui dire de vive voix: « Où vas-tu, père, sans ton fils? Où t’empresses-tu, o saint évêque, sans ton diacre? Tu n’offrais jamais le sacrifice sans ministre… ? …Ne désires-tu pas que celui auquel tu as confié le sang du Seigneur, celui que tu as associé à la célébration des mystères sacrés, verse son sang avec toi? » (saint Ambroise, De Officiis, 1.41, n.205).
La communion et l’affection entre l’évêque et le diacre, qui se manifestent dans leur commune dépendance et dans leur lien commun à l’eucharistie, expriment une vision ecclésiale profondémente théologique qui va au delà des conceptions qui abaissent et réduisent l’Eglise-Epouse à une simple dimension politique et sociologique, en l’assimilant, de fait, à l’une des nombreuses institutions humaines; il est donc nécessaire de se libérer de toute perspective secularisée et sécularisante, qui conduit inéluctablement à perdre et à compromettre le sens et la force régénérante du Mystère; le risque est celui de voir aussi bien dans le pape que dans les évêques, les prêtres et les diacres, autant de degrés d’une bureaucratie infinie semblable à celle de l’administration publique et chargée, comme cette dernière, de veiller au bon ordre de l’ensemble guère mieux précisé.
La rencontre du pape Sixte avec le diacre Laurent nous invite, le cas échéant, à renverser une telle vision et à redécouvrir au cœur de l’Institution-Eglise, toujours indispensable, et des structures ecclésiales, pareillement nécessaires, la réalité vive et vivifiante de la grâce qui les anime et, par là même, nous invite à redécouvrir le lien théologique qui les lie au Christ, unique, véritable Evêque, Prêtre et Diacre. D’autre part, dans le Nouveau Testament – dans la lettre aux Philippiens (cf. Phil 1,1) et dans la première lettre à Timothée (cf. Tim 3,1-13) -, nous trouvons associés l’évêque et le diacre; par la suite, leur lien étroit est attesté dans la « Traditio apostolica » – début du IIIe siècle (Hyppolite de Rome) -, où la grâce conférée au diacre par le rite de l’ordination est définie comme « simple service de l’évêque », sans sacerdoce; quelques années après – dans la moitié du IIIe siècle, en Syrie -, la « Didascalie des Apôtres » présente le diacre comme le « serviteur de l’évêque et des pauvres ».
Enfin, la relation qui lie structurellement le diacre à l’évêque aujourd’hui est exprimée de manière transparente à travers la liturgie de l’ordination; dans ce cérémonial, en effet, à la différence de celui de l’ordination des évêques et des prêtres, le geste de l’imposition des mains est réalisé uniquement par l’évêque qui ordonne pour indiquer le lien caractéristique et singulier qui lie le diacre à l’évêque.
3) Le diacre se présente comme celui qui, en vertu du sacrement (c’est-à-dire dans la mesure où il est enraciné dans le premier degré de l’ordre), se consacre au service d’une charité intégrale, à 360 degrés – par conséquent pas seulement une solidarité humaine et sociale -, et manifeste de la sorte le caractère le plus typique de la diaconie.
Dans son témoignage, Ambroise nous présente encore Laurent comme celui qui, en vertu du sacrement reçu, est pleinement consacré au service de la charité dans une situation concrète: la Rome impériale du troisième siècle, tandis que la persécution fait fureur; dans cette conjoncture, Laurent est appelé à réaliser, face à la communauté ecclésiale et au monde, des gestes concrets destinés à se transformer en autant de signes de l’Amour-Charité de Dieu, à savoir de cette Charité dont toute chose provient et vers laquelle toute chose se dirige; et c’est dans ce service que le diacre exprime le ministère le plus typique de sa diaconie qui consiste, justement, dans le service de la charité réalisé en vertu du mandat sacramentel; en définitive une animation qui concerne l’Eglise ou des secteurs de la vie ecclésiale et qui se présente selon les caractères de la catholicité (kat’olon = selon la totalité, sans rien exclure); l’aspiration de ce service est la totalité des hommes sans exeption, le contenu, un bien qui répond à toutes les attentes de l’homme – esprit, âme et corps (cf. I Ts 5,23) – excluant toute partialité et unilatéralité.
En outre, dans le texte ambrosien on relève une allusion qui aide à la réflexion. Sixte, désormais prisonnier, confie à Laurent, le premier de ses diacres, l’Eglise entière et la lui laisse pour une période de trois jours. « … Comme nous sommes vieux, il nous a été donné de parcourir une épreuve plus facile; comme tu es jeune, tu es destiné à un triomphe plus glorieux sur le tyran. Tu viendras bientôt, cesse de pleurer: tu me suivras dans trois jours. Cet intervalle entre un évêque et un lévite est convenable… » (saint ambroise, De Officiis, n.206). Laurent, pendant ces trois jours, et en tant que diacre, en esprit de service et d’obéissance à son évêque – désormais définitivement arraché à son peuple -, devra prendre soin de l’Eglise, et pour la dernière fois il administrera les biens de l’Epouse du Christ en le faisant par un geste qui porte en soi la force d’une définition et qui dit comment, dans l’Eglise, tout est finalisé et prend de la valeur à partir du service de la charité, réalité destinée à perdurer quand tout aura disparu et la scène de ce monde sera passée (cf. 1 Cor 13,8).
Pour ceux qui regardent de loin, de façon approximative – et, somme toute, superficielle -, ce geste peut sembler être exclusivemnet lié aux nécessités matérielles et au temps présent; il s’agit, en effet, de la distribution de biens matériels à des pauvres; en réalité, l’acte que Laurent réalise, en esprit de fidélité au dépôt qu’il a reçu de l’évêque et au ministère ecclésial dans lequel il est constitué, est un acte qui le projette, et avec lui projette toute l’Eglise – qui lui a été confiée jusqu’au moment du martyre -, au-delà de l’histoire, dans l’escathologie, c’est-à-dire dans le « temps » et dans « l’espace » dans lequel Dieu manifeste la plénitude de sa charité et de son amour.
Le diacre laurent, ministre ordonné de la charité, achève la tâche qu’il avait reçue, non seulement dans la mesure où il suit son évêque dans le martyre mais parce qu’à travers le geste par lequel il donne aux pauvres toutes les ressources de la communauté – ici exprimées par des biens matériels -, il montre comment, dans l’Eglise, chaque chose a de la valeur si elle est orientée vers la charité, si elle devient service à la charité, si elle peut se transformer en charité.
Et ce service – comme le rappelle la première lettre aux Théssaloniciens (cf. 1 Ts 5,23) -, s’étend non seulement au « corps » mais aussi à l’ »esprit » et à l’ »âme », pour se manifester en toute clarté dans la prière que – selon la Passio Polychromi (les actes du martyre de Laurent) -, le saint diacre voulut réciter pour la ville de Rome avant de monter sur le gril.
Et la ville, qui lui attribuait la victoire définitive sur le paganisme, le lui rendit en le choisissant comme son troisième patron et en célébrant sa fête dès le IVe siècle, en second, par odre d’importance, après la fête des bienheureux Pierre et Paul et en élevant, en honneur du saint diacre, dans l’antiquité et au moyen-âge, au moins trente quatre églises et chapelles, signe tangible de reconnaissance envers celui qui, fidèle à son ministère, avait été, en son sein, véritable ministre et serviteur de la charité.
A présent, au terme de ces réflexions sur le ministère du diaconat essentiellement envisagé sous sa forme « permanente », nous pouvons dire:
1) il faut savoir considérer avec un esprit critique toutes les perspectives – désormais dépassées, en vérité -, qui, de fait, interprètent et présentent le diaconat comme un ministère qui conduit à la cléricalisation des laïcs et à la laïcisation des clercs, parvenant ainsi à l’affaiblissement de l’identité des uns et des autres.
2) le diacre, qui se distingue des évêques et des prêtres dans la mesure où il n’est pas ordonné « ad sacerdotium, sed ad ministerium », est constitué dans un degré authentique de la hiérarchie et ne peut être compris comme pur accès au sacerdoce.
3) le diacre est habilité au service de la charité en étroite dépendance avec l’Eucharistie et au soin privilégié des pauvres, aussi bien par le service des « cantines » (œuvres de miséricorde corporelles), que par le service de la parole (œuvres de miséricorde spirituelles) en restant ouvert au service d’un amour-charité plus grand, le martyre.
Enfin, l’institution du « diaconat permanent », représente et marque un important enrichissement pour l’Eglise et sa mission, notamment en vue de la nouvelle évangélisation que le Saint-Père rappelle continuellement de ce début du troisième millénaire de l’ère chrétienne; et c’est la beauté, la force et le caractère héroïque de figures de diacres comme saint Laurent qui aident à découvrir et à mieux comprendre la particularité du ministère diaconal.
du site:
http://viechretienne.catholique.org/saints/2943-sainte-therese-benedicte-de-la-croix-edith
Les saints
Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix (Edith Stein)
Carmélite déchaussée, martyr (1891-1942)
« Inclinons-nous profondément devant ce témoignage de vie et de mort livré par Edith Stein, cette remarquable fille d’Israël, qui fut en même temps fille du Carmel et soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix, une personnalité qui réunit pathétiquement, au cours de sa vie si riche, les drames de notre siècle. Elle est la synthèse d’une histoire affligée de blessures profondes et encore douloureuses, pour la guérison desquelles s’engagent, aujoud’hui encore, des hommes et des femmes conscients de leurs responsabilités ; elle est en même temps la synthèse de la pleine vérité sur les hommes, par son coeur qui resta si longtemps inquiet et insatisfait, « jusqu’à ce qu’enfin il trouvât le repos dans le Seigneur » « . Ces paroles furent prononcées par le Pape Jean-Paul II à l’occasion de la béatification d’Édith Stein à Cologne, le 1 mai 1987.
Qui fut cette femme ?
Quand, le 12 octobre 1891, Édith Stein naquit à Wroclaw (à l’époque Breslau), la dernière de 11 enfants, sa famille fêtait le Yom Kippour, la plus grande fête juive, le jour de l’expiation. « Plus que toute autre chose cela a contribué à rendre particulièrement chère à la mère sa plus jeune fille ». Cette date de naissance fut pour la carmélite presque une prédiction.
Son père, commerçant en bois, mourut quand Édith n’avait pas encore trois ans. Sa mère, femme très religieuse, active et volontaire, personne vraiment admirable, restée seule, devait vaquer aux soins de sa famille et diriger sa grande entreprise ; cependant elle ne réussit pas à maintenir chez ses enfants une foi vivante. Édith perdit la foi en Dieu : « En pleine conscience et dans un choix libre je cessai de prier ».
Elle obtint brillamment son diplôme de fin d’études secondaires en 1911 et commença des cours d’allemand et d’histoire à l’Université de Wroclaw, plus pour assurer sa subsistance à l’avenir que par passion. La philosophie était en réalité son véritable intérêt. Elle s’intéressait également beaucoup aux questions concernant les femmes. Elle entra dans l’organisation « Association Prussienne pour le Droit des Femmes au Vote ». Plus tard elle écrira : « Jeune étudiante, je fus une féministe radicale. Puis cette question perdit tout intérêt pour moi. Maintenant je suis à la recherche de solutions purement objectives ».
En 1913, l’étudiante Édith Stein se rendit à Gôttingen pour fréquenter les cours de Edmund Husserl à l’université ; elle devint son disciple et son assistante et elle passa aussi avec lui sa thèse. À l’époque Edmund Husserl fascinait le public avec son nouveau concept de vérité : le monde perçu existait non seulement à la manière kantienne de la perception subjective. Ses disciples comprenaient sa philosophie comme un retour vers le concret. « Retour à l’objectivisme ». La phénoménologie conduisit plusieurs de ses étudiants et étudiantes à la foi chrétienne, sans qu’il en ait eu l’intention. À Gôttingen, Édith Stein rencontra aussi le philosophe Max Scheler. Cette rencontre attira son attention sur le catholicisme. Cependant elle n’oublia pas l’étude qui devait lui procurer du pain dans l’avenir. En janvier 1915, elle réussit avec distinction son examen d’État. Elle ne commença pas cependant sa période de formation professionnelle.
Alors qu’éclatait la première guerre mondiale, elle écrivit : « Maintenant je n’ai plus de vie propre ». Elle fréquenta un cours d’infirmière et travailla dans un hôpital militaire autrichien. Pour elle ce furent des temps difficiles. Elle soigna les malades du service des maladies infectieuses, travailla en salle opératoire, vit mourir des hommes dans la fleur de l’âge. À la fermeture de l’hôpital militaire en 1916, elle suivit Husserl à Fribourg-en-Brisgau, elle y obtint en 1917 sa thèse « summa cum laudae » dont le titre était : « Sur le problème de l’empathie ».
Il arriva qu’un jour elle put observer comment une femme du peuple, avec son panier à provisions, entra dans la cathédrale de Francfort et s’arrêta pour une brève prière. « Ce fut pour moi quelque chose de complètement nouveau. Dans les synagogues et les églises protestantes que j’ai fréquentées, les croyants se rendent à des offices. En cette circonstance cependant, une personne entre dans une église déserte, comme si elle se rendait à un colloque intime. Je n’ai jamais pu oublier ce qui est arrivé ». Dans les dernières pages de sa thèse elle écrit : « Il y a eu des individus qui, suite à un changement imprévu de leur personnalité, ont cru rencontrer la miséricorde divine ». Comment est-elle arrivée à cette affirmation ?
Édith Stein était liée par des liens d’amitié profonde avec l’assistant de Husserl à Gôtingen, Adolph Reinach, et avec son épouse. Adolf Reinach mourut en Flandres en novembre 1917. Édith se rendit à Gôttingen. Le couple Reinach s’était converti à la foi évangélique. Édith avait une certaine réticence à l’idée de rencontrer la jeune veuve. Avec beaucoup d’étonnement elle rencontra une croyante. « Ce fut ma première rencontre avec la croix et avec la force divine qu’elle transmet à ceux qui la portent [...] Ce fut le moment pendant lequel mon irréligiosité s’écroula et le Christ resplendit ». Plus tard elle écrivit : « Ce qui n’était pas dans mes plans était dans les plans de Dieu. En moi prit vie la profonde conviction que -vu du côté de Dieu- le hasard n’existe pas ; toute ma vie, jusque dans ses moindres détails, est déjà tracée selon les plans de la providence divine et, devant le regard absolument clair de Dieu, elle présente une unité parfaitement accomplie ».
À l’automne 1918, Édith Stein cessa d’être l’assistante d’Edmund Husserl. Ceci parce qu’elle désirait travailler de manière indépendante. Pour la première fois depuis sa conversion, Édith Stein rendit visite à Husserl en 1930. Elle eut avec lui une discussion sur sa nouvelle foi à laquelle elle aurait volontiers voulu qu’il participe. Puis elle écrit de manière surprenante : « Après chaque rencontre qui me fait sentir l’impossibilité de l’influencer directement, s’avive en moi le caractère pressant de mon propre holocauste ».
Édith Stein désirait obtenir l’habilitation à l’enseignement. À l’époque, c’était une chose impossible pour une femme. Husserl se prononça au moment de sa candidature : « Si la carrière universitaire était rendue accessible aux femmes, je pourrais alors la recommander chaleureusement plus que n’importe quelle autre personne pour l’admission à l’examen d’habilitation ». Plus tard on lui interdira l’habilitation à cause de ses origines juives.
Édith Stein retourna à Wroclaw. Elle écrivit des articles sur la psychologie et sur d’autres disciplines humanistes. Elle lit cependant le Nouveau Testament, Kierkegaard et le livre des exercices de saint Ignace de Loyola. Elle s’aperçoit qu’on ne peut seulement lire un tel écrit, il faut le mettre en pratique.
Pendant l’été 1921, elle se rendit pour quelques semaines à Bergzabern (Palatinat), dans la propriété de Madame Hedwig Conrad-Martius, une disciple de Husserl. Cette dame s’était convertie, en même temps que son époux, à la foi évangélique. Un soir, Édith trouva dans la bibliothèque l’autobiographie de Thérèse d’Avila. Elle la lut toute la nuit. « Quand je refermai le livre je me dis : ceci est la vérité ». Considérant rétrospectivement sa propre vie, elle écrira plus tard : « Ma quête de vérité était mon unique prière ».
Le ler janvier 1922, Édith Stein se fit baptiser. C’était le jour de la circoncision de Jésus, de l’accueil de Jésus dans la descendance d’Abraham. Édith Stein était debout devant les fonds baptismaux, vêtue du manteau nuptial blanc de Hedwig Conrad-Martius qui fut sa marraine. « J’avais cessé de pratiquer la religion juive et je me sentis de nouveau juive seulement après mon retour à Dieu ». Maintenant elle sera toujours consciente, non seulement intellectuellement mais aussi concrètement, d’appartenir à la lignée du Christ. À la fête de la Chandeleur, qui est également un jour dont l’origine remonte à l’Ancien Testament, elle reçut la confirmation de l’évêque de Spire dans sa chapelle privée.
Après sa conversion, elle se rendit tout d’abord à Wroclaw. « Maman, je suis catholique ». Les deux se mirent à pleurer. Hedwig Conrad-Martius écrivit : « Je vis deux israélites et aucune ne manque de sincérité » (cf Jn 1,47).
Immédiatement après sa conversion, Édith aspira au Carmel, mais ses interlocuteurs spirituels, le Vicaire général de Spire et le Père Erich Przywara, S.J., l’empêchèrent de faire ce pas. Jusqu’à pâques 1931 elle assura alors un enseignement en allemand et en histoire au lycée et séminaire pour enseignants du couvent dominicain de la Madeleine de Spire. Sur l’insistance de l’archiabbé Raphaël Walzer du couvent de Beuron, elle entreprend de longs voyages pour donner des conférences, surtout sur des thèmes concernant les femmes. « Pendant la période qui précède immédiatement et aussi pendant longtemps après ma conversion [... ] je croyais que mener une vie religieuse signifiait renoncer à toutes les choses terrestres et vivre seulement dans la pensée de Dieu. Progressivement cependant, je me suis rendue compte que ce monde requiert bien autre chose de nous [...] ; je crois même que plus on se sent attiré par Dieu et plus on doit « sortir de soi-même », dans le sens de se tourner vers le monde pour lui porter une raison divine de vivre ».
Son programme de travail est énorme. Elle traduit les lettres et le journal de la période pré-catholique de Newman et l’œuvre » Questiones disputatx de veritate » de Thomas d’Aquin et ce dans une version très libre, par amour du dialogue avec la philosophie moderne. Le Père Erich Przywara S.J. l’encouragea à écrire aussi des oeuvres philosophiques propres. Elle apprit qu’il est possible « de pratiquer la science au service de Dieu [... ] ; c’est seulement pour une telle raison que j’ai pu me décider à commencer une série d’oeuvres scientifiques ». Pour sa vie et pour son travail elle trouve toujours les forces nécessaires au couvent des bénédictins de Beuron où elle se rend pour passer les grandes fêtes de l’année liturgique.
En 1931, elle termina son activité à Spire. Elle tenta de nouveau d’obtenir l’habilitation pour enseigner librement à Wroclaw et à Fribourg. En vain. À partir de ce moment, elle écrivit une oeuvre sur les principaux concepts de Thomas d’Aquin : « Puissance et action ». Plus tard, elle fera de cet essai son ceuvre majeure en l’élaborant sous le titre « Être fini et Être éternel », et ce dans le couvent des Carmélites à Cologne. L’impression de l’œuvre ne fut pas possible pendant sa vie.
En 1932, on lui donna une chaire dans une institution catholique, l’Institut de Pédagogie scientifique de Münster, où elle put développer son anthropologie. Ici elle eut la possibilité d’unir science et foi et de porter à la compréhension des autres cette union. Durant toute sa vie, elle ne veut être qu’un « instrument de Dieu ». « Qui vient à moi, je désire le conduire à Lui ».
En 1933, les ténèbres descendent sur l’Allemagne. « J’avais déjà entendu parler des mesures sévères contres les juifs. Mais maintenant je commençai à comprendre soudainement que Dieu avait encore une fois posé lourdement sa main sur son peuple et que le destin de ce peuple était aussi mon destin ». L’article de loi sur la descendance arienne des nazis rendit impossible la continuation de son activité d’enseignante. « Si ici je ne peux continuer, en Allemagne il n’y a plus de possibilité pour moi ». « J’étais devenue une étrangère dans le monde ».
L’archiabbé Walzer de Beuron ne l’empêcha plus d’entrer dans un couvent des Carmélites. Déjà au temps où elle se trouvait à Spire, elle avait fait les voeux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. En 1933 elle se présenta à la Mère Prieure du monastère des Carmélites de Cologne. « Ce n’est pas l’activité humaine qui peut nous aider, mais seulement la passion du Christ. J’aspire à y participer ».
Encore une fois Édith Stein se rendit à Wroclaw pour prendre congé de sa mère et de sa famille. Le dernier jour qu’elle passa chez elle fut le 12 octobre, le jour de son anniversaire et en même temps celui de la fête juive des Tabernacles. Édith accompagna sa mère à la Synagogue. Pour les deux femmes ce ne fut pas une journée facile. « Pourquoi l’as-tu connu (Jésus Christ) ? Je ne veux rien dire contre Lui. Il aura été un homme bon. Mais pourquoi s’est-il fait Dieu ? » Sa mère pleure.
Le lendemain matin Édith prend le train pour Cologne. « Je ne pouvais entrer dans une joie profonde. Ce que je laissais derrière moi était trop terrible. Mais j’étais très calme – dans l’intime de la volonté de Dieu ». Par la suite elle écrira chaque semaine une lettre à sa mère. Elle ne recevra pas de réponses. Sa soeur Rose lui enverra des nouvelles de la maison.
Le 14 octobre, Édith Stein entre au monastère des Carmélites de Cologne. En 1934, le 14 avril, ce sera la cérémonie de sa prise d’habit. L’archiabbé de Beuron célébra la messe. À partir de ce moment Édith Stein portera le nom de soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix.
En 1938, elle écrivit : « Sous la Croix je compris le destin du peuple de Dieu qui alors (1933) commençait à s’annoncer. Je pensais qu’il comprenait qu’il s’agissait de la Croix du Christ, qu’il devait l’accepter au nom de tous les autres peuples. Il est certain qu’aujourd’hui je comprends davantage ces choses, ce que signifie être épouse du Seigneur sous le signe de la Croix. Cependant il ne sera jamais possible de comprendre tout cela, parce que c’est un mystère ».
Le 21 avril 1935, elle fit des voeux temporaires. Le 14 septembre 1936, au moment du renouvellement des voeux, sa mère meurt à Wroclaw. « Jusqu’au dernier moment ma mère est restée fidèle à sa religion. Mais puisque sa foi et sa grande confiance en Dieu [...] furent l’ultime chose qui demeura vivante dans son agonie, j’ai confiance qu’elle a trouvé un juge très clément et que maintenant elle est ma plus fidèle assistante, en sorte que moi aussi je puisse arriver au but ».
Sur l’image de sa profession perpétuelle du 21 avril 1938, elle fit imprimer les paroles de saint Jean de la Croix auquel elle consacrera sa dernière oeuvre : « Désormais ma seule tâche sera l’amour ».
L’entrée d’Édith Stein au couvent du Carmel n’a pas été une fuite. « Qui entre au Carmel n’est pas perdu pour les siens, mais ils sont encore plus proches ; il en est ainsi parce que c’est notre tâche de rendre compte à Dieu pour tous ». Surtout elle rend compte à Dieu pour son peuple. « Je dois continuellement penser à la reine Esther qui a été enlevée à son peuple pour en rendre compte devant le roi. Je suis une petite et faible Esther mais le Roi qui m’a appelée est infiniment grand et miséricordieux. C’est là ma grande consolation ». (31-10-1938)
Le 9 novembre 1938, la haine des nazis envers les juifs fut révélée au monde entier. Les synagogues brûlèrent. La terreur se répandit parmi les juifs. La Mère Prieure des Carmélites de Cologne fait tout son possible pour conduire soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix à l’étranger. Dans la nuit du 1er janvier 1938, elle traversa la frontière des Pays-Bas et fut emmenée dans le monastère des Carmélites de Echt, en Hollande. C’est dans ce lieu qu’elle écrivit son testament, le 9 juin 1939 : « Déjà maintenant j’accepte avec joie, en totale soumission et selon sa très sainte volonté, la mort que Dieu m’a destinée. Je prie le Seigneur qu’Il accepte ma vie et ma mort [...] en sorte que le Seigneur en vienne à être reconnu par les siens et que son règne se manifeste dans toute sa grandeur pour le salut de l’Allemagne et la paix dans le monde ».
Déjà au monastère des Carmélites de Cologne on avait permis à Édith Stein de se consacrer à ses oeuvres scientifiques. Entre autres elle écrivit dans ce lieu « De la vie d’une famille juive ». « Je désire simplement raconter ce que j’ai vécu en tant que juive ». Face à « la jeunesse qui aujourd’hui est éduquée depuis l’âge le plus tendre à haïr les juifs [...] nous, qui avons été éduqués dans la communauté juive, nous avons le devoir de rendre témoignage ».
En toute hâte, Édith Stein écrira à Echt son essai sur « Jean de la Croix, le Docteur mystique de l’Église, à l’occasion du quatre centième anniversaire de sa naissance, 1542-1942″. En 1941, elle écrivit à une religieuse avec laquelle elle avait des liens d’amitié : « Une scientia crucis (la science de la croix) peut être apprise seulement si l’on ressent tout le poids de la croix. De cela j’étais convaincue depuis le premier instant et c’est de tout coeur que j’ai dit : Ave Crux, Spes unica (je te salue Croix, notre unique espérance) ». Son essai sur Jean de la Croix porta le sous-titre : « La Science de la Croix ».
Le 2 août 1942, la Gestapo arriva. Édith Stein se trouvait dans la chapelle, avec les autres soeurs. En moins de 5 minutes elle dut se présenter, avec sa soeur Rose qui avait été baptisée dans l’Église catholique et qui travaillait chez les Carmélites de Echt. Les dernières paroles d’Édith Stein que l’on entendit à Echt s’adressèrent à sa soeur : « Viens, nous partons pour notre, peuple ».
Avec de nombreux autres juifs convertis au christianisme, les deux femmes furent conduites au camp de rassemblement de Westerbork. Il s’agissait d’une vengeance contre le message de protestation des évêques catholiques des Pays-Bas contre le progrom et les déportations de juifs. « Que les êtres humains puissent en arriver à être ainsi, je ne l’ai jamais compris et que mes soeurs et mes frères dussent tant souffrir, cela aussi je ne l’ai jamais vraiment compris [...] ; à chaque heure je prie pour eux. Est-ce que Dieu entend ma prière ? Avec certitude cependant il entend leurs pleurs ». Le professeur Jan Nota, qui lui était lié, écrira plus tard : « Pour moi elle est, dans un monde de négation de Dieu, un témoin de la présence de Dieu ».
À l’aube du 7 août, un convoi de 987 juifs partit en direction d’Auschwitz. Ce fut le 9 août 1942, que soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix, avec sa soeur Rose et de nombreux autres membres de son peuple, mourut dans les chambres à gaz d’Auschwitz.
Avec sa béatification dans la Cathédrale de Cologne, le ler mai 1987, l’Église honorait, comme l’a dit le Pape Jean-Paul II, « une fille d’Israël, qui pendant les persécutions des nazis est demeurée unie avec foi et amour au Seigneur Crucifié, Jésus Christ, telle une catholique, et à son peuple telle une juive ».