Archive pour le 8 août, 2011
Une grande figure féminine du judaïsme : Myriam
8 août, 2011du site:
http://bibleterremer.allmyblog.com/77-myriam-soeur-de-moise-1.html
Myriam, soeur de Moïse 1
Une grande figure féminine du judaïsme : Myriam
Choisir une seule personne pour représenter la femme dans le judaïsme n’a pas été facile. Non pas parce qu’aucun nom ne me venait à l’esprit, mais au contraire parce qu’en choisissant l’une plutôt que l’autre, j’avais l’impression d’être «injuste ».
En effet, de nombreuses femmes ont joué un rôle important dans le judaïsme et ont marqué son histoire. Un rabbin du site Modia définit d’ailleurs ainsi la femme juive : « Force inimaginable, capable de s’opposer à la brutalité déferlante des hommes. C’est l’image du peuple juif lui-même. » ( Le ton est donné ! )
Pour que vous ayez une idée de la place de la femme dans notre religion, je ne peux pas m’empêcher de citer en introduction ces grandes figures sans lesquelles le peuple juif ne serait pas ce qu’il est, et que j’aurais pu choisir pour mon exposé de ce soir…
Les trois matriarches, bien sûr : Sarah, Rébecca et Léa, épouses respectives des patriarches Abraham, Isaac et Jacob, à l’origine du peuple juif lui-même. Elles représentent le bon sens et sont de bon conseil. Dieu lui-même dit à Abraham : « Pour tout ce que Sarah te dit, obéis à sa voix. » (Genèse, 21,12)
Rachel, seconde femme et préférée de Jacob. Elle est appelée « Imanou », c’est-à-dire « Notre mère [ à tous ] » parce qu’elle est considérée, encore à l’heure actuelle, comme la protectrice des enfants d’Israël et des voyageurs.
Esther : célébrée lors de la fête de Pourim. Elle a sauvé tout son peuple de l’extermination totale organisée par Aman, sous le règne du roi Assuérus de Perse, grâce à son intelligence et à sa persévérance.
Ruth : L’histoire de Ruth, qui se déroule à l’époque où les Juges dirigeaient le peuple d’Israël, est rapportée par un livre qui lui est consacré. Il s’agit de montrer comment une femme étrangère (une non juive qui se convertira par la suite) est non seulement entrée dans le peuple d’Israël, mais est à l’origine des règles régissant l’attitude de la femme juive. Le récit met l’accent sur la loyauté exemplaire de la Moabite Ruth, vis-à-vis de sa belle-famille et vis-à-vis de D.ieu.
Déborah : Selon le livre des Juges (chapitres 4 et 5), c’est une prophétesse et la seule femme mentionnée par la Bible parmi les Juges d’Israël. Elle exerça cette fonction pendant 40 ans, de 1260 à 1221 avant l’ère chrétienne. Elle est représentée, siégeant sous un palmier, où tout le peuple pouvait lui demander conseil et d’où elle lançait ses ordres de combat. Elle est également l’un des premiers portraits d’une femme dans un rôle héroïque et militaire.
La liste, bien sûr, n’est pas exhaustive …
Mais parmi toutes ces grandes destinées, une, celle de Myriam, a fini par s’imposer à mon esprit, non seulement par sa vie et ses actions, mais également par la valeur symbolique de son existence et par la représentation qu’elle donne de l’image de la femme dans le judaïsme.
De plus, le parcours de Myriam va me permettre de vous montrer quelques aspects de la démarche d’investigation de la réflexion juive.
C’est pourquoi, dans un premier temps, je vous parlerai de la vie biblique et plus ou moins historique de Myriam, en tant que femme tout simplement.
Puis j’évoquerai les différents récits annexes, anecdotiques ou « midrachiques », écrits ultérieurement à son sujet.
Enfin, j’aborderai, à travers la place de Myriam dans son peuple, celle de la femme, plus généralement, dans le judaïsme.
I] La vie de Myriam :
Le prénom Myriam a plusieurs significations, aussi représentatives l’une que l’autre. Son premier sens est « Celle qui élève ». Puis, selon l’origine étymologique, Myriam signifie « souhaité un enfant », « amertume », « rebelle » ou « aimée » / « la bien-aimée » et l’on verra que chacune de ces traductions correspond à une étape de la vie de Myriam, sœur de Moïse/Moché et de Aaron, fille de Yokheved et de Amram.
La vocalisation araméenne Mariam a donné le grec Maria, d’où le français Marie.
Myriam a d’abord été appelée « amertume » (mar en hébreu signifie « amer ») parce qu’au moment de sa naissance, le Peuple Juif était entré dans la phase la plus difficile de l’exil égyptien. Replaçons-nous dans le contexte…
Le pain quotidien des esclaves juifs en leur exil égyptien était bien amer. Ce qui avait commencé comme des travaux forcés n’en finissait plus de dégénérer en exactions d’une indicible cruauté. Le summum de l’horreur fut atteint avec le décret de Pharaon d’assassiner tous les nouveau-nés mâles.
Si le travail physique était éreintant, l’atteinte morale n’en était pas moins dramatique. La cellule familiale était éclatée : les épouses étaient séparées de leurs maris qui devaient demeurer sur leurs lieux de travail plus ou moins lointains. Le peuple était démoralisé et déprimé. Tout espoir en de meilleurs lendemains semblait impossible. Peu à peu le peuple juif perdit toute identité réelle, se fondit dans le « paysage » égyptien et oublia la plupart de ses valeurs premières.
Cependant, un groupe d’esclaves ne se laissa pas abattre et conserva par devers tout une étincelle d’optimisme. Ces esclaves conservèrent leur dignité humaine et continuèrent à croire en une vie meilleure. Ils encourageaient quotidiennement leurs familles avec une énergie surhumaine, et restaient confiants que leurs prières seraient exaucées.
Ces esclaves étaient les femmes du peuple hébreu. C’est pourquoi le Talmud affirme : « Par le mérite des femmes vertueuses de cette génération, nos ancêtres furent délivrés d’Égypte. »
La tradition rapporte qu’après une journée de travail épuisant, les femmes polissaient malgré tout leurs miroirs et les utilisaient pour se faire belles pour leurs maris. A tel point que ces miroirs seront utilisés lors de la construction du Tabernacle ! À la nuit tombée, les femmes se faufilaient dans le camp des hommes, et les réconfortaient, physiquement et moralement.
Elles avaient des paroles douces et apaisantes. « Ne perdons pas espoir. Nous ne serons pas les esclaves de ces dégénérés toute notre vie. Dieu nous a promis qu’Il nous prendra en pitié et qu’Il nous délivrera. » (Rav Loubavitch)
De nombreuses femmes conçurent lors de ces visites, donnant ensuite naissance aux enfants qui allaient assurer la continuité du Peuple Juif.
Comment ces femmes juives ont-elles pu garder espoir dans cette situation désespérée ? Elles avaient un chef et un guide. Son nom était Myriam, malgré son très jeune âge. Le Talmud commente : « Israël eut trois excellents chefs. Ce fut Moïse, Aaron et Myriam. » Et dans le livre de Michée, l’un des douze prophètes de l’Ancien Testament, nous pouvons lire : « Avec Moché et Aharone, elle est l’un des 3 instruments de vie donnés par Hachém à Son peuple. Mais, sans elle, rien n’aurait eu lieu. Elle a réussi à aimer dans les situations les plus difficiles et a pu ainsi sauver sa famille, parents, frère et son peuple tout entier, et dans la joie, en plus. Elle doit donc être connue et comprise pour connaître et comprendre le judaïsme. » Myriam devint donc rapidement le guide des femmes. Mais d’où tira-t-elle son courage et son don de vision, dès son plus jeune âge ?
Myriam était née à une époque où l’oppression de l’exil était à son paroxysme. « Et ils [les Égyptiens] rendirent leurs vies amères avec un travail difficile. » (Exode 1, 14)
Née dans la pire période d’asservissement, Myriam ressentait l’amertume et la douleur de son peuple. Ses premières années furent marquées par la réalité déchirante de l’exil du Peuple Juif. Témoin des meurtres et des tourments, elle pleurait avec ses frères, adressait à Dieu d’incessantes prières et nourrissait un espoir sans bornes en un avenir meilleur. Elle fut personnellement exposée aux décrets du cruel Pharaon. Personne ne saisissait l’amertume de l’exil mieux que Myriam.
Pourtant, l’autre signification de son nom est « rébellion » (de la racine meri).
Malgré la noirceur de l’époque de sa naissance, Myriam se révolta depuis son plus jeune âge contre la mentalité d’esclave qui minait son peuple.
Bien qu’elle partageât la douleur de ses frères, jamais elle ne s’abandonna à la peur ou au désespoir. Bien qu’elle fût exposée à la cruauté la plus abjecte, elle ne céda jamais à la corruption morale ou à l’abattement. Avec courage et volonté, elle fut la gardienne vigilante de la foi en l’avenir.
Dans le texte de la Torah, Myriam nous est d’abord présentée, de façon cachée, au moment où le nouveau Pharaon monte sur le trône d’Égypte. « Il se leva un roi nouveau sur l’Égypte… Et il s’adressa aux sages-femmes des Hébreux, dont le nom de l’une était Chifra et le nom de l’autre Pouah. »
« Et il dit : » Lorsque vous accoucherez les femmes des Hébreux, vous regarderez sur le siège d’enfantement : si c’est un fils, faites-le périr. Si c’est une fille, qu’elle vive. » »
Malgré ce décret, « les sages-femmes craignaient Dieu : elles ne firent point ce que leur avait dit le roi d’Égypte… » (Exode 1, 8-17)
Rachi, grand commentateur du XIème siècle, explique que les noms des sages-femmes mentionnés dans la Torah étaient les noms professionnels de Yokheved et de Myriam.
Yokheved (la mère de Myriam) était appelée Chifra parce qu’elle était experte dans l’art d’embellir (de la racine chafar) et de laver le nouveau-né. Myriam, bien qu’elle fût encore une enfant, excellait dans l’art de murmurer (de la racine pa’ah) à l’oreille du nouveau-né et de calmer un bébé qui pleure avec sa douce voix, d’où son nom : « Pouah ». On appelait aussi Myriam ainsi parce qu’elle faisait revivre les bébés en soufflant dans leur bouche, et elle faisait des bulles avec du vin pour amuser les enfants. On trouve ici sa caractéristique qui est de faire revivre, ce qu’elle fera également envers ses parents, envers son peuple, etc. D’après le Midrache (conte explicatif de la Torah), Myriam fut aussi appelée Pouah suite à un autre épisode : « Elle dévoila (de la racine hofiya) son visage avec aplomb devant Pharaon, en disant « Malheur à cet homme, quand Dieu se vengera de lui ! »
Voici la suite : « Pharaon fut très en colère en entendant ces paroles et voulut la faire tuer. Mais Yokheved l’apaisa en disant » Ne lui accordez pas d’attention. Elle n’est qu’une enfant qui ne réalise pas à qui elle s’adresse, ni même ce qu’elle dit. » »
Il faut dire que Myriam n’avait que cinq ans à ce moment-là ! Malgré son très jeune âge, elle tint donc tête au plus puissant souverain du monde, le réprimandant avec audace pour sa cruauté envers son peuple.
Courageusement, elle et sa mère continuèrent d’ignorer l’ordre de Pharaon de tuer tous les nouveau-nés mâles, se souciant même de leur prodiguer soins et nourriture afin qu’ils survivent. Un autre événement de l’enfance de Myriam reflète encore sa force de caractère et sa capacité à résister à l’injustice.
Le Talmud relate que lorsque Pharaon décréta que les bébés soient jetés dans le Nil, Amram, le père de Myriam, décida de divorcer de sa femme. En tant que figure centrale du Peuple Juif en son temps, l’attitude d’Amram constituait un exemple pour tous ceux de sa génération. Son raisonnement était que si aucun enfant ne naissait, des bébés innocents ne seraient pas tués.
Et tous les hommes de cette génération suivirent l’exemple d’Amram et divorcèrent de leurs épouses.
Constatant cela, Myriam s’approcha de son père et s’écria :
« Mon père ! Ton décret est pire que celui de Pharaon. Lui n’a condamné que les garçons, mais toi tu as décrété que notre peuple sera dépourvu aussi bien de garçons que de filles !
« Pharaon est un homme méchant et donc il est peu probable que son décret ne tienne. Mais toi, tu es un juste et ton décret sera accompli.
« De plus, Pharaon ne peut faire du mal que dans ce monde. Les enfants assassinés sont innocents et ont une part dans le monde futur. Mais ton décret va les en priver, car, si un enfant ne vient jamais au monde, comment pourrait-il avoir une part dans le monde futur ?
Tu dois réépouser ma mère. Elle est destinée à avoir un fils qui délivrera Israël. »
Myriam avait six ans lorsqu’elle fit face à son père et elle prophétisait déjà. Aaron avait deux ans et Moïse devait naître un an plus tard. Quoi qu’il en soit, les mots de Myriam eurent sur son père un impact si profond qu’il la fit paraître devant le Sanhédrine (la cour suprême juive) pour qu’elle réitère sa requête.
Les membres du Sanhédrine répondirent à Amram « Tu as interdit (que nous restions mariés à nos épouses), tu dois maintenant permettre. »
Pour montrer l’exemple à tous, Amram amena alors sa femme sous une magnifique ‘houpa (dais nuptial). Aaron et Myriam dansaient et chantaient devant eux, comme devant une jeune mariée. Myriam chantait sans interruption « Ma mère va enfanter un fils qui délivrera Israël ! »
Quand les hommes juifs virent cette cérémonie, ils reprirent tous leurs épouses. Une génération entière fut transformée grâce au courage et à la vision de la petite Myriam qui eut assez d’assurance pour déclarer son opinion et dire sa prophétie.
Peu de temps après, Yokheved donna naissance à un fils et vit « qu’il était bon ».
Au moment de la naissance de Moïse, la maison se remplit entièrement de la lumière divine qui émanait de lui. Amram embrassa Myriam sur sa tête et lui dit « Ma fille, ta prophétie s’est accomplie. »
La joie de cet instant fut brisée, cependant, avec la prise de conscience que ce garçon devrait être pris pour être tué.
« Et lorsque Yokheved ne put le cacher plus longtemps, elle lui prépara un berceau d’osier… elle y plaça l’enfant et le déposa dans les roseaux sur la rive du fleuve. A ce moment-là, Myriam n’est pas encore nommée en tant que telle dans la torah ; elle est simplement celle qui surveille et sauve Moïse : « Sa sœur se tint à distance, pour observer ce qui lui arriverait. » (Exode 2, 3-4)
Lorsqu’elles abandonnèrent Moïse au fleuve, Yokheved, démoralisée, frappa Myriam sur sa tête et dit « Ma fille, où est ta prophétie maintenant ? »
Mais Myriam s’obstina dans son optimisme.
Elle se tint au bord du fleuve non pas pour voir si, mais comment sa prophétie se réaliserait.
Elle ressentait, elle aussi, la douleur et l’amertume de cette situation où son petit frère leur était arraché. Mais en même temps, elle était animée par son esprit rebelle et sa conviction : elle ne succomberait pas au désespoir.
Telle était Myriam. Elle avait cette double qualité de ressentir la douleur dans toute son intensité tout en se révoltant contre son emprise pour découvrir une lueur d’espoir et de volonté tout au fond de soi.
Depuis le fourré où elle s’était cachée, Myriam observait donc le tournant de la vie pourtant si ténue de son petit frère. Ce fut elle qui vit Bityah, la fille de Pharaon, descendre se baigner dans le Nil. Tout le monde sait qu’en découvrant le panier sur la rive du fleuve et entendant les cris déchirants du nourrisson qui s’y trouvait, Bityah décida de le sauver et de l’adopter.
Myriam était là, à observer sur la rive du Nil, alors que l’avenir de son peuple tout entier était suspendu au sort précaire d’un nourrisson qui dérivait dans un petit panier sur ce fleuve gigantesque. Mais pas un instant sa foi en la libération de son peuple ne faillit. Plus tard, en tant que leader des femmes, Myriam transmettra ces qualités à leurs cœurs meurtris, ce qui mènera le peuple entier vers la délivrance.
C’est pourquoi ce fut une Myriam pleine d’assurance qui s’approcha de Bityah pour lui suggérer qu’elle amène le bébé à une nourrice juive. Et à l’insu de Bityah, Myriam ramena Moïse à sa propre mère.
Moïse resta donc dans sa famille, bénéficiant au cours de sa première enfance d’un environnement nourricier tant matériellement que spirituellement, jusqu’à ce qu’il fût sevré. Ce n’est qu’après avoir reçu l’amour et l’enseignement de ses parents que Moïse fut ramené au palais royal pour y accomplir son destin de chef et de guide.
Plusieurs décennies passent, Moïse grandit et revient de Midian en tant que libérateur de son peuple, désigné par Dieu. Les dix plaies s’abattent sur l’Égypte pour la punir de sa cruauté et délivrer le peuple hébreu de son oppression. Celui-ci sort du pays triomphalement. Puis, alors qu’il est pourchassé par un roi récalcitrant et son armée, Dieu ouvre miraculeusement la mer, sauvant Son peuple et noyant ses ennemis.
Finalement, après des centaines d’années d’exil, leurs ennemis avaient été totalement déjoués et les Hébreux avaient connu une délivrance miraculeuse et absolue. Leurs souffrances en Égypte étaient définitivement terminées. Leur servitude était arrivée à son terme et leur salut était tangible.
Sur les rives de la Mer Rouge, le Peuple Juif, sous la direction de son chef, Moïse, entonna alors la Chirat Hayam, « le chant de la mer », un cantique exprimant leur gratitude et la grâce qu’il rendait à D.ieu.
Mais, lorsque Moïse et son peuple eurent conclu leur chant, survint quelque chose d’inattendu. Je cite :
« Et Myriam, la prophétesse, sœur d’Aaron, prit dans sa main le tambourin, et toutes les femmes la suivirent avec des tambourins et des danses. Et Myriam leur répondit : » Chantez l’Éternel car Il est très élevé » (Exode 15, 20-21)
C’est ici, pour la première fois, que la Torah appelle Myriam par son nom. Et ce n’est que beaucoup plus tard, dans Les Nombres, 26, 59, que nous apprendrons sa généalogie complète : « Et le nom de l’épouse d’Amram était Yokhévèd, fille de Lévi, qui avait été enfantée à Lévi en Egypte. Elle enfanta à Amram Aaron et Moïse, et Myriam, leur sœur. »
On observe également que le titre de « prophète » n’a été conféré auparavant qu’à Abraham (La Genèse, 20, 7), et que c’est ici la première fois qu’il est porté par une femme.
Moïse et les hommes avaient chanté leur cantique. Puis Myriam et les femmes se sont levées pour chanter le leur.
Les hommes avaient chanté avec leurs voix seulement. Mais le chant des femmes fut composé de voix, de tambourins et de danses. Les cœurs des femmes étaient épris d’une plus grande joie et leur chant aussi fut plus complet.
On peut se demander quel fut l’apport de Myriam et des autres femmes dans ce chant. Pourquoi leur cantique surpassa-t-il celui des hommes ?
Rachi (sur Exode 15, 20) explique le fait que les femmes avaient ces tambourins avec elles : « Les femmes vertueuses de cette génération croyaient profondément que le Saint Béni soit-Il ferait pour elles des miracles, et elles avaient emporté des tambourins d’Égypte. »
Replaçons-nous dans le contexte. Lorsque les Juifs quittèrent l’Égypte, ce fut en hâte. En telle hâte qu’ils n’eurent pas le temps de laisser la pâte de leur pain lever et durent le cuire comme des galettes plates. Les femmes n’étaient pas inquiètes au sujet de leurs besoins matériels, car elles savaient que Dieu leur prodiguerait ses bienfaits. Elles vivaient dans une dimension supérieure, par delà la réalité naturelle. En effet, malgré leur précipitation, les femmes prirent le temps de préparer, longtemps à l’avance, quelque chose qui leur semblait essentiel.
Après des années d’un exil amer – après avoir été témoin d’actes d’absolue barbarie, après avoir versé des torrents de larmes pour les bébés qui avaient été arrachés de leur bras, après avoir vu leurs enfants murés vivants dans des murs de briques pour remplir les quotas de construction – qu’est-ce que ces femmes avaient bien pu préparer alors qu’elles étaient encore esclaves en Égypte ?
Des tambourins.
Des instruments avec lesquels elles chanteraient et loueraient leur Dieu pour le miracle qui se produirait assurément un jour.
Du fond de leur misère, ces femmes ne perdirent pas de vue leur idéal. Portant le deuil de leurs enfants massacrés avec leur sensibilité féminine plus douloureusement encore que leurs maris, les femmes trouvèrent la force de ne pas perdre espoir. Elles se rebellèrent contre la dépression qui aurait dû découler naturellement d’un tel malheur, contre l’apathie et contre le découragement, guidées par l’esprit rebelle de Myriam. Telle fut la force de celle-ci : une force féminine qui grandit de l’amertume. Une force forgée au milieu du désespoir.
Peu de temps après survient un autre événement curieux mais qui, comme très souvent dans la Torah, rappelle que tout être humain, même le plus grand, est, par définition, imparfait et faillible. Voici ce que nous pouvons lire dans la section 12,1 à 16, des Nombres :
« Myriam et Aaron médirent de Moïse, à cause de la femme éthiopienne qu’il avait épousée, car il avait épousé une Ethiopienne, et ils dirent: « Est-ce que l’Éternel n’a parlé qu’à Moïse, uniquement? Ne nous a-t-il pas parlé, à nous aussi? » L’Éternel les entendit. [ …] Pourquoi donc n’avez-vous pas craint de parler contre mon serviteur, contre Moïse? » La colère de l’Éternel éclata ainsi contre eux, et il se retira. La nuée ayant disparu de dessus la tente, Myriam se trouva couverte de lèpre, blanche comme la neige. Aaron se tourna vers Myriam, et la vit lépreuse. Et Aaron dit à Moïse: « Pitié, mon Seigneur! De grâce, ne nous impute pas à péché notre démence et notre faute! [ … ] » Et Moïse implora l’Éternel. […] L’Éternel répondit à Moïse: » […] Qu’elle soit donc séquestrée sept jours hors du camp, et ensuite elle y sera admise. » Myriam fut séquestrée hors du camp pendant sept jours; et le peuple ne partit que lorsque Myriam eut été réintégrée.
Après cela, le peuple partit de Hacêroth, et ils campèrent dans le désert de Pharan. »
Ce passage est une allusion à l’origine africaine de Tsiporah, la femme de Moché et en même temps au don prophétique d’Aaron et de Myriam. L’on peut se demander pourquoi seule Myriam (et non Aaron) est punie pour cette médisance. Mais ce qu’il faut surtout retenir, c’est que, comme ses frères, Myriam n’était pas parfaite. Comme tout être humain elle était faillible, donc punissable car personne n’échappe au rachat de sa faute. D’autant plus que dans le judaïsme, la médisance est l’une des fautes les plus lourdes. Myriam doit donc servir d’exemple, un exemple d’autant plus marquant pour le peuple qu’il a une véritable admiration pour elle et pour sa forte personnalité.
Le peuple attend donc Myriam pendant les sept jours de purification, puis il reprend sa route.
Pendant quarante ans, le Peuple Juif erra dans le désert sans souffrir d’un manque d’aliments ni de confort. La Manne tombait quotidiennement, assouvissant leurs besoins nutritionnels. Ils avaient assez à boire, grâce au Rocher qui voyageait avec eux et d’où coulait de l’eau fraîche et douce. De plus, le camp était entouré par six côtés de Nuées de Gloire qui assuraient sa sécurité matérielle dans le désert.
Puis comme ses frères, mais avant eux, Myriam mourut avant que le peuple ait atteint la terre promise, après la traversée du désert de Tsin, à Kadéche où elle fut enterrée (Nombres 20:1). Il semblerait qu’elle avait alors 127 ans (86 ans à la sortie d’Egypte, 39 ans plus tôt).
Tout de suite après la mort de Myriam, le Rocher s’arrêta soudain de donner son eau de sorte que le Peuple n’eut plus rien à boire. Rachi conclut de ce fait que pendant quarante ans, le puits coula en l’honneur de Myriam, et c’est la raison pour laquelle nos Sages s’y réfèrent comme au « puits de Myriam ». Les puits miraculeux qui accompagnaient les Enfants d’Israël par le mérite de celle-ci ayant disparu, le peuple réclame de l’eau. Dieu indique à Moïse de commander à un rocher d’en donner. Troublé par l’attitude du peuple, Moïse frappe la pierre et l’eau en jaillit, restaurée par son mérite. Et pourtant, Dieu lui annonce que ni lui ni Aaron n’entreront en Terre Promise car Moïse a « frappé le rocher » sous l’effet de la colère, au lieu de simplement le toucher.