IRAK : « QUAND JE SORS DU COUVENT, JE NE SAIS PAS SI JE VAIS RENTRER »

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IRAK : « QUAND JE SORS DU COUVENT, JE NE SAIS PAS SI JE VAIS RENTRER »

Témoignage du nouveau supérieur des Dominicains de Bagdad

ROME, Vendredi 22 juillet 2011 (ZENIT.org) – L’Aide à l’Eglise en Détresse (AED) publie ce témoignage dupère Amir Jaje, 42 ans, nouveau supérieur des Dominicains de Bagdad et vicaire provincial du monde arabe (deux couvents en Irak, un au Caire, un autre à Alger, ainsi qu’un frère au Liban). Il perpétue la présence des Dominicains initiée en Irak il y a 260 ans.
Entré au petit séminaire de Bagdad à l’âge de 17 ans, il est ordonné prêtre le 14 juillet 1995. Après trois ans en tant que prêtre diocésain, il entre chez les Dominicains, sous l’autorité de la Province de France où il vient passer sa maîtrise puis son DEA.
Il revient à Bagdad en septembre 2003, quatre mois après la chute de Saddam Hussein, et y reste jusqu’en 2008. « Un vrai cauchemar », explique-t-il. Après deux nouvelles années en France pour une thèse de doctorat, il est de retour à Bagdad le 22 octobre 2010, une semaine avant les attentats qui ensanglantent Notre-Dame du Perpétuel Secours. Le 31 octobre, il devait célébrer la messe dans la cathédrale. Fatigué, il est remplacé au dernier moment.
AED : Que s’est-il passé à Bagdad le 31 octobre 2010 ? Quelle a été votre réaction ?
Père Amir Jaje: Au moment de la prise d’otage, j’étais au nord du pays. Ils m’ont appelé depuis l’église pour me dire que des terroristes étaient à l’intérieur. Quand j’ai appris que 58 personnes étaient mortes, j’étais effondré. Je me suis dit qu’il n’y avait plus d’espérance en Irak, que nous devions partir. Je n’en pouvais plus.
 Une fois sur place, je suis entré dans l’église, jonchée de cadavres. C’était horrible. J’étais très ami avec les deux prêtres qui sont morts. Wasim, le plus jeune, était mon cousin, il avait 27 ans. Nous avons passé les jours suivants à aider les blessés, à rendre visite aux familles dans les hôpitaux. Il fallait être présent. Quand j’ai vu les besoins, j’ai compris que je n’avais pas le droit de désespérer, que les gens avaient besoin de mon espérance pour être soutenus dans la leur. C’est ce qui m’a sauvé de l’enfermement et du désespoir.
AED : Vous auriez dû mourir ce jour là…
Je me suis dit que si je n’étais pas mort, si je ne faisais pas partie de ces martyrs, c’est que Dieu voulait faire de ma vie quelque chose, qu’il avait besoin de moi et que je n’avais pas le droit de tomber dans la désespérance. J’avais l’impression d’être à bord d’un avion qui chute mais qui remonte à la dernière minute, parce qu’il a une mission.
Ma mission est d’être aux côtés des chrétiens qui ne peuvent pas quitter Bagdad. Aujourd’hui, ceux qui restent sont ceux qui n’ont pas les moyens de partir. Notre présence est leur seul bien, ils nous le disent.
AED : A quoi ressemble votre quotidien ?
On nous demande d’enseigner et de prêcher des retraites. Les besoins sont immenses. On comptait plus de trente prêtres chaldéens il y a 6 ou 7 ans. Aujourd’hui, ils sont seulement 8. Tous les jours quand je sors du couvent, je ne sais pas si je vais rentrer ou non. Mais je sors quand même et je fais mon devoir. Il ne faut pas que la peur nous immobilise. Malgré la peur, il faut vivre, il faut croire en l’avenir.
AED : « Le sang des martyrs est semence de chrétiens », disait Tertullien. Ce que vivent les chrétiens d’Irak aujourd’hui peut-il présager d’une fécondité à venir ?
Cette phrase est une réalité que nous vivons aujourd’hui. Les terroristes veulent nous faire fuir. Mais je pense que les gens sont de plus en plus solides dans leur foi. Ils font une rencontre personnelle avec Dieu. J’ai prêché Vendredi Saint dernier à la cathédrale Notre Dame du Perpétuel Secours. J’ai parlé de la souffrance : « Où est Dieu quand je souffre ?». Je pensais qu’il y aurait peu de monde. J’ai été surpris de voir l’église bondée. Ce sont des témoignages très forts pour nous, les prêtres. Aucune force ne peut supprimer la Parole de Dieu, la semence, de cette terre. C’est une terre évangélique. L’épreuve est négative, c’est évident, mais elle est purificatrice. L’or qui passe par le feu devient plus pur. L’épreuve purifie la matière. Ils peuvent tuer des gens, mais ils ne peuvent pas enlever notre trésor qu’est la foi.
AED : Comment se passent les relations interreligieuses ?
Nous parlons trop de dialogue, mais je pense qu’il faut commencer par la cohabitation. Le dialogue vient dans un second temps. Si on respecte l’autre, on peut, demain, parler de dialogue. Avec l’islam, il faut chercher la cohabitation. Le dialogue est abstrait, la cohabitation est le vécu. J’ai autant d’amis musulmans que chrétiens ! Nous sommes frères et sœurs, nous avons été créés par le même Dieu. Il faut avoir cette base d’humanité. La guerre nous a fait perdre beaucoup de valeurs humaines. Il faut reconstruire l’Irak par ces valeurs.
AED : Pourquoi les chrétiens sont-ils pris pour cible ?
Des petites minorités veulent supprimer les chrétiens. Et d’autres groupes profitent de cette violence pour s’enrichir. Al-Qaïda veut éradiquer tout ce qui n’est pas l’islam. Pas seulement les chrétiens, mais aussi les sabbéens, les yézidis… Comme toutes les petites minorités en Irak, les chrétiens sont victimes des conflits entre les grands groupes. Les chrétiens sont une monnaie d’échange entre les sunnites et les chiites ou entre les sunnites et les kurdes au nord de l’Irak. Les kurdes considèrent les chrétiens comme une ceinture de sécurité pour eux. Traditionnellement, les terrains où ils se trouvent sont pour les sunnites (entre le Kurdistan et Mossoul : la vallée de Ninive). Aujourd’hui les kurdes veulent s’y installer en disant qu’ils protègent les chrétiens, gagnant ainsi du territoire sur les sunnites. S’il y a un jour un conflit ouvert entre eux, ce sont les chrétiens qui paieront le prix fort. Rassembler les chrétiens dans une zone particulière est une très mauvaise idée. On risquerait un jour d’être totalement effacé. Je suis pour que les chrétiens soient partout, non pas dans un endroit précis. Sinon c’est une perte de richesse pour le pays.
AED : Quand vous priez, que dites vous ?
Je demande que nous puissions vivre en paix. Quand je prie, je demande que la force du Seigneur accompagne tous ces gens qui vivent des difficultés, qui vivent leur foi dans l’épreuve. Que soit soutenu leur courage pour qu’ils restent enracinés dans la foi. Et que Dieu me donne ce courage et cette force de croire toujours en l’avenir.
Propos recueillis par R. Autric pour l’Aide à l’Eglise en Détresse (AED)

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