Pourquoi je crois au christianisme (Par G.K.Chesterton)
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Pourquoi je crois au christianisme
Source : Extrait de « Why I Believe in Christianity » : Reprinted in The Religious Doubts of Democracy (1904) And « The Blatchford Controversies » (in The Collected Works of G.K. Chesterton,Vol. 1)
Par G.K.Chesterton
Traduction libre par Jean-Baptiste
Je ne ferai preuve d’aucun manque de respect envers Monsieur Blatchford en disant que notre difficulté provient de ce que lui, tout autant que des masses de gens instruits aujourd’hui, ne comprennent pas ce qu’est la théologie. Se tromper dans le domaine d’une science est une chose; se tromper sur sa nature en est une autre. Et, lisant « Dieu et mon voisin », ma conviction s’est progressivement confirmée, qu’il croyait que la théologie cherchait à savoir si de nombreux récits racontés sur Dieu dans la Bible sont historiquement démontrables. C’est exactement comme s’il essayait de prouver à un homme que le socialisme était de l’économie politique, qu’à mi-chemin de la démonstration il s’aperçoive que l’homme auquel il parle avait compris la question de la manière suivante : il pensait que économie politique signifiait d’étudier si les politiciens étaient économiques ou pas!
Il est très difficile d’expliquer brièvement la nature d’une étude vivante en entier; ce serait aussi difficile que d’expliquer la politique ou l’éthique. Car plus une chose est énorme et évidente et resplendit au milieu d’un visage, plus elle est difficile à définir. Tout le monde peut décrire la conchologie. Personne ne peut définir la morale.
Néanmoins, il nous incombe d’essayer d’expliquer cette philosophie religieuse qui était, et sera encore et toujours, l’étude des plus hauts intellects et les fondations des nations les plus fortes, mais que notre pauvre petite civilisation moderne a pour un temps oubliée, tout comme elle a oublié comment on danse et comment on se vêt décemment. J’essaierai d’expliquer pourquoi je pense qu’une philosophie religieuse est nécessaire et pourquoi je pense que le christianisme est la meilleure philosophie religieuse. Mais avant de le faire, je vous demande de conserver à l’esprit deux faits historiques. Je ne vous demande pas d’entrevoir ma déduction de ces faits, ni même de faire aucune déduction de ces faits : je vous demande juste de vous en rappeler tout au long de cette discussion.
1. Le christianisme apparut et se répandit dans un monde très cultivé et très cynique, en un mot, dans un monde très moderne ! Lucrèce était aussi matérialiste que Haeckel, et encore plus persuasif en tant qu’écrivain. Le monde romain avait lu « Dieu et mon voisin », et, blasé, l’avait pensé tout à fait vrai. Il est important de souligner que les religions prennent presque toujours naissance dans des civilisations septiques. Un livre récent sur la littérature de l’Arabie pré-Islamique décrit une vie entièrement terne et décadente. Il en fut de même avec Bouddha, né dans les fastes d’une ancienne civilisation. Il en fut ainsi pour le puritanisme en Angleterre et le renouveau catholique en France et en Italie, nés tous deux du rationalisme de la renaissance. Et il en est ainsi aujourd’hui ; il en est toujours ainsi. Allez dans les deux centres les plus modernes de la libre pensée, Paris et l’Amérique, et vous les trouverez pleins d’anges et de démons, de vieux mystères et de nouveaux prophètes : le rationalisme se bat pour sa survie contre les superstitions jeunes et vigoureuses.
2.Le christianisme, qui est une religion mystique, a néanmoins été la religion de la partie la plus pratique du genre humain. Il contient bien plus de paradoxes que les philosophies orientales, mais il construit aussi des routes plus solides. Les musulmans ont une conception pure et logique de, l’unique monade Allah. Mais il reste un barbare en Europe, et l’herbe ne poussera pas là où il met ses pieds. Les chrétiens ont un Dieu Trine, « une Trinité embrouillée », qui semble être une pure et capricieuse contradiction de termes. Cependant en action, il domine la terre, et même l’oriental le plus intelligent ne peut rivaliser qu’en l’imitant d’abord. L’Orient a la logique et vit du riz . La chrétienté a des mystères et des voitures à essence. Peu importe, comme je dis, de l’inférence, retenons simplement ce fait.
Maintenant avec ces deux choses à l’esprit, laisser moi tenter d’expliquer ce qu’est la théologie chrétienne. L’agnosticisme complet est une attitude évidente pour un homme. Nous sommes tous agnostiques, jusqu’à ce que nous découvrions que l’agnosticisme ne marche pas. Alors, nous adoptons quelque philosophie, celle de Mr Blatchford, ou la mienne, ou d’autre encore, car bien sûr celle de Mr Blatchford n’est pas plus agnostique que la mienne. L’agnostique dirait qu’il ne sait pas si un homme est responsable ou pas de ses péchés. Mr Blatchford dit qu’il sait que l’homme n’est pas responsable. Ici nous avons un fantastique épanouissement de dogmes en germe. Pourquoi Mr Blatchford va-t-il plus loin que l’agnosticisme en disant qu’il n’existe certainement pas de libre arbitre ? « Parce qu’il ne peut développer sa vision morale sans l’affirmation de l’inexistence du libre arbitre ». Il souhaite qu’aucun homme ne soit responsable d’un péché. Par conséquent, il doit faire en sorte que ses disciples soient tout à fait assurés que Dieu ne les a pas créés libres, et par conséquent responsables. Aucun des doutes farouches du chrétien ne traversera l’esprit du déterministe. Aucun démon ne lui susurrera à quelque heure de colère que c’est peut être la compagnie de promoteurs qui est responsable pour l’avoir escroqué à l’atelier. Aucun scepticisme soudain que c’est peut être le maître d’école qui est blâmable d’avoir battu le petit garçon à mort. La foi du déterministe doit être tenue fermement, ou autrement, la faiblesse de la nature humaine mènera les hommes à la colère quand ils sont diffamés ou à se ruer sur ceux qui se ruent sur eux. Bref, le libre arbitre semble à première vue appartenir à l’Inconnu. Cependant Mr Blatchford ne peut prêcher ce qui lui semble être la charité ordinaire sans affirmer un dogme sur celle-ci. Et je ne peut prêcher ce qui me semble être l’honnêteté ordinaire sans en affirmer un autre.
Et c’est ici l’échec de l’agnosticisme. Car notre vision quotidienne des choses que nous connaissons (dans un sens ordinaire), dépend en réalité de notre vision des choses que nous ne connaissons pas (dans un sens ordinaire). Il est très bien de dire à un homme, comme le fait l’agnostique, de « cultiver son jardin ». Mais supposez que cet homme ignore tout de ce qui existe en dehors de son jardin, et parmi ces choses, qu’il ignore le soleil et la lune ! C’est là, ce qui se passe en réalité. Vous ne pouvez vivre sans dogmes sur de telles choses. Vous ne pouvez passer vingt-quatre heures sans décider soit de tenir les hommes responsables ou pas . La théologie est un produit bien plus pratique que la chimie.
Certains déterministes s’imaginent que le christianisme a inventé un dogme tel que celui du libre arbitre pour le plaisir – une pure contradiction. C’est absurde. Vous avez la contradiction quoique vous soyez. Les déterministes me disent, avec un certain degré de vérité, que le déterminisme ne fait pas de différence dans la vie quotidienne. Cela signifie que, bien qu’ils savent que les hommes n’ont pas de libre arbitre, ils les traitent cependant comme s’ils en avaient.
La différence est alors assez simple. Le chrétien met la contradiction dans sa philosophie. Le déterministe la met dans sa vie quotidienne. Le chrétien dit comme un mystère inavoué ce que le déterministe appelle un non-sens. Le déterministe vit avec ce même non-sens au petit déjeuner, au dîner, au thé et au souper chaque jour de sa vie.
Le chrétien, je le répète, met le mystère dans sa philosophie. Ce mystère, par ses ténèbres, éclaire toute chose. C’est à lui que l’on doit que la vie est la vie, que le pain est le pain, et que le fromage est le fromage : il peut rire et combattre ! Le déterministe fait que l’esprit est logique et lucide : et à la lumière de cette lucidité toutes les choses sont assombries, les mots sans signification, les actions sans but. Il a fait de sa philosophie un syllogisme et de lui même un lunatique incompréhensible.
Ce n’est pas ici un débat entre mysticisme et rationalité. C’est un débat entre mysticisme et folie. Car le mysticisme, et le mysticisme seul, a pu garder les hommes sains d’esprit depuis le commencement du monde. Toutes les voies droites de la logiques mènent à Bedlam, à l’anarchie, ou à l’obéissance passive, ou encore à la désillusion de l’esprit, à force de traiter l’univers comme une oeuvre d’horloger. Seul le mystique, l’homme qui accepte les contradictions, peut rire et marcher aisément à travers ce monde.
N’est-vous pas surpris que la même civilisation qui croyait en la Trinité fut celle qui découvrit la vapeur? Toutes les grandes doctrines chrétiennes sont de cette sorte. Regardez les attentivement et équitablement. Je me contenterai de deux exemples. Le premier est l’idée que le christianisme a de Dieu. De même que nous avons tous été agnostiques, nous avons tous été panthéistes. Dans la divinité voilée de la jeunesse, il était facile de dire : « Pourquoi un homme ne verrai-t-il pas Dieu dans un oiseau qui vole et n’en serait il pas satisfait ? » Mais vient ensuite le moment d’aller plus loin et de dire « Si Dieu est dans les oiseaux, ne nous contentons pas d’être aussi beaux que les oiseaux, soyons aussi cruels qu’eux. Vivons la vie insensée et sanglante de la nature ». Et la part de ce qui reste encore sain en nous résistera et dira « Mon ami, vous tournez fous ! ».
Alors le bord opposé vient en disant : “Les oiseaux sont détestables, et les fleurs honteuses. Je ne dirai rien de bien sur un univers si bas ». Et la part de ce qui reste encore sain en nous dira : « Mon ami, vous tournez fou ! ».
Vient alors une nouveauté fantastique disant : “Vous avez raison de vous réjouir des oiseaux, mais vous seriez bien fous de les imiter. Il y a du bien derrière chacune de ces choses, et cependant chacune de ces choses est moins bien que vous. L’univers est une bonne chose, mais le monde ne tourne pas rond ». Et la part de ce qui reste encore sain en nous dira : « J’ai trouvé la voie supérieure »
Maintenant, quand le christianisme arriva, l’ancien monde avait juste atteint ce dilemme. Il entendait la voix de l’adoration de la nature disant : « Tout ce qui est naturel est bon. La guerre est aussi saine que les fleurs, l’envie aussi est pure que les étoiles ». Et il entendait aussi la voix des stoïciens sans espoir et des idéalistes : « Les fleurs sont en guerre ; les étoiles sont souillées : rien n’est bon en dehors de l’esprit humain, et celui ci est complètement défait ».
Ces deux visions des choses étaient étayées, philosophiques et exaltées. Leur seul inconvénient était que le premier conduisait logiquement au meurtre et le second au suicide. Après une agonie de la pensée, le monde vit un chemin de salut entre les deux. Ce fut le Dieu des chrétiens. Il créa la Nature, mais, il devint homme.
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