Archive pour le 8 juillet, 2011
Ougarit, patrie de l’alphabet
8 juillet, 2011du site:
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Ougarit, patrie de l’alphabet
Source : La Croix
27-10-2004
Le Musée des beaux-arts de Lyon organise la première grande exposition sur le royaume cananéen d’Ougarit, inventeur du premier alphabet
Bien sûr, il y a «Pharaon», que présente actuellement l’Institut du monde arabe à Paris. «Pharaon» ou la puissance évocatrice d’une civilisation devenue une intarissable machine à rêves. Moins spectaculaire, sans doute, l’exposition de Lyon ne mérite pas moins d’attention. Davantage, peut-être, puisque, pour la première fois au monde, le royaume d’Ougarit, peu connu du grand public et cependant contemporain de l’Égypte pharaonique (1 300 av. J.-C.), révèle, en une exceptionnelle monographie, ses mystères et ses richesses. Et parmi elles, une invention de taille : le premier alphabet de l’humanité. Un abécédaire d’une trentaine de lettres, très proche de l’arabe classique, d’où dérivent, par l’intermédiaire du phénicien, les alphabets grec puis latin.
L’histoire contemporaine d’Ougarit commence en 1929 par le coup de pioche d’un paysan qui met au jour une tombe datant de la fin de l’âge de bronze ; nous sommes dans la baie de Minet El-Beida, non loin de la ville de Lataqié, capitale du pays alaouite, située en bord de mer, au nord du pays. Au pied d’une chaîne de montagnes, la plaine côtière qui s’étire jusqu’à la frontière avec la Turquie, est l’unique et courte bande d’accès à la mer de la Syrie.
Elle est aussi l’un des endroits les plus fertiles du pays ; et si la riche forêt antique aux essences rares a pratiquement disparu, les champs d’oliviers, les orangeraies et les cultures maraîchères témoignent aujourd’hui d’une luxuriance propre aux régions méditerranéennes lorsqu’elles sont irriguées. Le site, somptueux, stratégiquement sensible depuis des millénaires (il est au carrefour des influences égyptiennes, mésopotamiennes et hittites) est aussi propice à l’homme qui s’y est installé voici plus de 8 000 ans et ne l’a jamais quitté.
Lors de la découverte de la tombe, la Syrie est sous protectorat français. Le gouverneur y dépêche un archéologue, Claude Schaeffer, qui prend la responsabilité du chantier jusqu’en 1949. Celui-ci décide de fouiller un tell (une colline artificielle) de 28 mètres de haut et de 27 hectares, situé à un kilomètre à l’intérieur des terres. Ce tell de Ras Shamra (la colline au fenouil) se révèle d’une prodigalité inouïe : dans ce qui fut la capitale du royaume, les archéologues découvrent un immense palais royal, des temples, des quartiers d’habitations dans un état de conservation souvent excellent ainsi que des tombes – généralement sous les maisons –, qui livrent leurs trésors de vaisselles, de bijoux, d’outils… et des plaquettes d’argile sur lesquelles fut gravé le premier alphabet. Une de ces découvertes essentielles qui mettent aussitôt en émoi la communauté des scientifiques.
Ces tablettes ont éclairé d’un jour nouveau les textes bibliques
Déchiffrée à l’orée du XIXe siècle, l’écriture cunéiforme des Sumériens (l’akkadien) est connue pour être la langue internationale du Levant antique ; support essentiel des échanges et de la communication, elle subit des transformations locales. Mais c’est à Ougarit qu’elle bénéficia de l’invention la plus originale : les scribes ougaritains mirent au point un nouveau système d’écriture, lequel, sur la base d’un alphabet de 30 lettres, permet de rédiger toutes sortes de textes, des récits mythologiques à la simple comptabilité marchande, en passant par la rédaction de contrats de location de navires…
Mais surtout, la découverte des tablettes d’argile d’Ougarit éclaira d’un jour nouveau les premiers textes bibliques. Pour décrypter ces tablettes cunéiformes rédigées en ougaritique, les épigraphes eurent recours à l’hébreu de la Bible. Et ce qu’ils traduisirent résonna d’un formidable écho… La proximité mythologique – les divinités d’Ougarit, en particulier Baal et El sont très présents dans la Bible – mais aussi, les affinités linguistiques et phraséologiques incontestables offrirent aux exégètes de nouvelles et passionnantes pistes d’étude.
C’est l’ensemble de ce patrimoine, remarquablement exploité depuis soixante-quinze ans par une mission devenue franco-syrienne en 1998, que le Musée des beaux-arts présente à travers 350 œuvres (dont 190 en provenance des musées de Damas, Alep, Lataquié et Tartous, les autres venant essentiellement du Louvre). La scénographie, sobre, suit une démarche thématique : le roi et son royaume, l’artisanat et le commerce, le culte et les croyances, la cité… Deux maquettes réalisées pour l’exposition, celle du temple de Baal et de la Maison aux tablettes littéraires, rendent plus sensible le niveau de sophistication de cette civilisation du Levant où la notion d’urbanisme et de bien commun apparaît déjà, en particulier à travers les systèmes élaborés de circulation d’eau.
L’essentiel, bien évidemment, réside dans la beauté des œuvres rassemblées et façonnées voici près de 4 000 ans. Ce bol en or repoussé, finement décoré de scènes de chasse et d’animaux chimériques ; cet étonnant joueur de cymbales sculpté dans un ivoire d’hippopotame ; ces délicates figurines en bronze ; cette stèle du dieu Baal doté de ses attributs protecteurs (Baal est le dieu des marins, des éleveurs et des paysans). La finesse d’exécution illustre le réel raffinement d’une culture fascinante par la variété des influences qui s’expriment : figurines égyptiennes, poteries mycéniennes, sculptures mésopotamiennes…
Peut-être les connaisseurs regretteront-ils l’absence de quelques pièces majeures de la civilisation d’Ougarit, en particulier cette inoubliable tête de prince en ivoire, restée à Damas en raison de sa trop grande fragilité. Mais la diversité est là, témoignant d’une société marchande polyglotte et cultivée. Le royaume d’Ougarit, qui disparaît mystérieusement au XIIe siècle av. J.-C. sous les coups des «peuples de la mer», sut intégrer les influences des puissants voisins en ayant la force d’être lui-même porteur d’une culture nouvelle. À l’heure d’une mondialisation rapide et redoutée, ce n’est pas le moindre des intérêts de cette exposition.
Geneviève WELCOMME, à Lataqié (Syrie) et Lyon
Aux origines de l’alphabet, le royaume d’Ougarit. Musée des beaux-arts de Lyon, jusqu’au 17 janvier 2005.
Rens. : 04.72.10.17.40.
Les époux Priscille et Aquilas, 8 juin mf (Pape Benoît, Audience 2 février 2007)
8 juillet, 2011du site:
BENOÎT XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 7 février 2007
Les époux Priscille et Aquilas
Chers frères et soeurs,
En faisant un nouveau pas dans cette sorte de galerie de portraits des premiers témoins de la foi chrétienne, que nous avons commencée il y a quelques semaines, nous prenons aujourd’hui en considération un couple d’époux. Il s’agit des conjoints Priscille et Aquilas, qui se trouvent dans le groupe des nombreux collaborateurs qui ont entouré l’apôtre Paul, que j’avais déjà brièvement mentionnés mercredi dernier. Sur la base des informations en notre possession, ce couple d’époux joua un rôle très actif au temps des origines post-pascales de l’Eglise.
Les noms d’Aquilas et de Priscille sont latins, mais l’homme et la femme qui les portent étaient d’origine juive. Cependant, au moins Aquilas provenait géographiquement de la diaspora de l’Anatolie septentrionale, qui s’ouvre sur la Mer Noire – dans la Turquie actuelle -, alors que Priscille, dont le nom se trouve parfois abrégé en Prisca, était probablement une juive provenant de Rome (cf. Ac 18, 2). C’est en tout cas de Rome qu’ils étaient parvenus à Corinthe, où Paul les rencontra au début des années 50; c’est là qu’il s’associa à eux car, comme nous le raconte Luc, ils exerçaient le même métier de fabricants de toiles ou de tentes pour un usage domestique, et il fut même accueilli dans leur maison (cf. Ac 18, 3). Le motif de leur venue à Corinthe avait été la décision de l’empereur Claude de chasser de Rome les Juifs résidant dans l’Urbs. L’historien Romain Suétone nous dit, à propos de cet événement, qu’il avait expulsé les Juifs car « ils provoquaient des tumultes en raison d’un certain Crestus » (cf. « Les vies des douze Césars, Claude », 25). On voit qu’il ne connaissait pas bien le nom – au lieu du Christ, il écrit « Crestus » – et qu’il n’avait qu’une idée très confuse de ce qui s’était passé. Quoi qu’il en soit, des discordes régnaient à l’intérieur de la communauté juive autour de la question de savoir si Jésus était ou non le Christ. Et ces problèmes constituaient pour l’empereur un motif pour expulser simplement tous les juifs de Rome. On en déduit que les deux époux avait déjà embrassé la foi chrétienne à Rome dans les années 40, et qu’ils avaient à présent trouvé en Paul quelqu’un non seulement qui partageait cette foi avec eux – que Jésus est le Christ – mais qui était également un apôtre, appelé personnellement par le Seigneur Ressuscité. La première rencontre a donc lieu à Corinthe, où ils l’accueillent dans leur maison et travaillent ensemble à la fabrication de tentes.
Dans un deuxième temps, ils se rendirent en Asie mineure, à Ephèse. Ils jouèrent là un rôle déterminant pour compléter la formation chrétienne du juif alexandrin Apollos, dont nous avons parlé mercredi dernier. Comme il ne connaissait que de façon sommaire la foi chrétienne, « Priscille et Aquilas l’entendirent, ils le prirent à part et lui exposèrent avec plus d’exactitude la Voie de Dieu » (Ac 18, 26). Quand, à Ephèse, l’Apôtre Paul écrit sa Première Lettre aux Corinthiens, il envoie aussi explicitement avec ses propres salutations celles d’ »Aquilas et Prisca [qui] vous saluent bien dans le Seigneur, avec l’Eglise qui se rassemble chez eux » (16, 19). Nous apprenons ainsi le rôle très important que ce couple joua dans le milieu de l’Eglise primitive: accueillir dans leur maison le groupe des chrétiens locaux, lorsque ceux-ci se rassemblaient pour écouter la Parole de Dieu et pour célébrer l’Eucharistie. C’est précisément ce type de rassemblement qui est appelé en grec « ekklesìa » – le mot latin est « ecclesia », le mot français « église » – qui signifie convocation, assemblée, regroupement. Dans la maison d’Aquilas et de Priscille, se réunit donc l’Eglise, la convocation du Christ, qui célèbre là les saints Mystères. Et ainsi, nous pouvons précisément voir la naissance de la réalité de l’Eglise dans les maisons des croyants. Les chrétiens, en effet, jusque vers le III siècle, ne possédaient pas leurs propres lieux de culte: dans un premier temps, ce furent les synagogues juives, jusqu’à ce que la symbiose originelle entre l’Ancien et le Nouveau Testament ne se défasse et que l’Eglise des Gentils ne soit obligée de trouver sa propre identité, toujours profondément enracinée dans l’Ancien Testament. Ensuite, après cette « rupture », les chrétiens se réunissent dans les maisons, qui deviennent ainsi « Eglise ». Et enfin, au III siècle, naissent de véritables édifices de culte chrétien. Mais ici, dans la première moitié du I et du II siècle, les maisons des chrétiens deviennent véritablement et à proprement parler des « églises ». Comme je l’ai dit, on y lit ensemble les Saintes Ecritures et l’on célèbre l’Eucharistie. C’est ce qui se passait, par exemple, à Corinthe, où Paul mentionne un certain « Gaïus vous salue, lui qui m’a ouvert sa maison, à moi et à toute l’Eglise » (Rm 16, 23), ou à Laodicée, où la communauté se rassemblait dans la maison d’une certaine Nympha (cf. Col 4, 15), ou à Colosse, où le rassemblement avait lieu dans la maison d’un certain Archippe (cf. Phm 1, 2).
De retour à Rome, Aquilas et Priscille continuèrent à accomplir cette très précieuse fonction également dans la capitale de l’Empire. En effet, Paul, écrivant aux Romains, envoie précisément ce salut: « Saluez Prisca et Aquilas, mes coopérateurs dans le Christ Jésus; pour me sauver la vie ils ont risqué leur tête, et je ne suis pas seul à leur devoir de la gratitude: c’est le cas de toutes les Eglises de la gentilité; saluez aussi l’Eglise qui se réunit chez eux » (Rm 16, 3-5). Quel extraordinaire éloge des deux conjoints dans ces paroles! Et c’est l’apôtre Paul lui-même qui le fait. Il reconnaît explicitement en eux deux véritables et importants collaborateurs de son apostolat. La référence au fait d’avoir risqué la vie pour lui est probablement liée à des interventions en sa faveur au cours d’un de ses emprisonnements, peut-être à Ephèse même (cf. Ac 19, 23; 1 Co 15, 32; 2 Co 1, 8-9). Et le fait qu’à sa gratitude, Paul associe même celle de toutes les Eglises des gentils, tout en considérant peut-être l’expression quelque peu excessive, laisse entrevoir combien leur rayon d’action a été vaste, ainsi, en tous cas que leur influence en faveur de l’Evangile.
La tradition hagiographique postérieure a conféré une importance particulière à Priscille, même s’il reste le problème de son identification avec une autre Priscille martyre. Dans tous les cas, ici, à Rome, nous avons aussi bien une église consacrée à Sainte Prisca sur l’Aventin que les catacombes de Priscille sur la Via Salaria. De cette façon se perpétue la mémoire d’une femme, qui a été certainement une personne active et d’une grande valeur dans l’histoire du christianisme romain. Une chose est certaine: à la gratitude de ces premières Eglises, dont parle saint Paul, doit s’unir la nôtre, car c’est grâce à la foi et à l’engagement apostolique de fidèles laïcs, de familles, d’époux comme Priscille et Aquilas, que le christianisme est parvenu à notre génération. Il ne pouvait pas croître uniquement grâce aux Apôtres qui l’annonçaient. Pour s’enraciner dans la terre du peuple, pour se développer de façon vivante, était nécessaire l’engagement de ces familles, de ces époux, de ces communautés chrétiennes, et de fidèles laïcs qui ont offert l’ »humus » à la croissance de la foi. Et c’est toujours et seulement ainsi que croît l’Eglise. En particulier, ce couple démontre combien l’action des époux chrétiens est importante. Lors-qu’ils sont soutenus par la foi et par une forte spiritualité, leur engagement courageux pour l’Eglise et dans l’Eglise devient naturel. Leur vie commune quotidienne se prolonge et en quelque sorte s’élève en assumant une responsabilité commune en faveur du Corps mystique du Christ, ne fût-ce qu’une petite partie de celui-ci. Il en était ainsi dans la première génération et il en sera souvent ainsi.
Nous pouvons tirer une autre leçon importante de leur exemple: chaque maison peut se transformer en une petite Eglise. Non seulement dans le sens où dans celle-ci doit régner le typique amour chrétien fait d’altruisme et d’attention réciproque, mais plus encore dans le sens où toute la vie familiale sur la base de la foi, est appelée à tourner autour de l’unique domination de Jésus Christ. Ce n’est pas par hasard que dans la Lettre aux Ephésiens, Paul compare la relation matrimoniale à la communion sponsale qui existe entre le Christ et l’Eglise (cf. Eph 5, 25-33). Nous pourrions même considérer que l’Apôtre façonne indirectement la vie de l’Eglise tout entière sur celle de la famille. Et en réalité, l’Eglise est la famille de Dieu. Nous honorons donc Aquilas et Priscille comme modèles d’une vie conjugale engagée de façon responsable au service de toute la communauté chrétienne. Et nous trouvons en eux le modèle de l’Eglise, famille de Dieu pour tous les temps.