Prologue sur la Sagesse

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Prologue

(auteur : Dominique Cerbelaud)

La figure de la Sagesse… De tous les personnages, types et symboles que contient le texte biblique, il en est peu sans doute qui aient suscité autant de fascination que cette figure. Dès lors qu’elle prend la parole, au chapitre 8 du livre des Proverbes, cette entité s’affirme comme supérieure au plan terrestre. Proche du divin, elle garde cependant des traits bien humains – ne serait-ce que sa féminité, qu’elle revendique haut et clair ici et dans d’autres textes ! Mais elle ne cache pas qu’elle en sait long sur les secrets de Dieu : non seulement elle a assisté, des premières loges, au travail créateur, mais elle y a même collaboré ! Un tel privilège ne l’empêche pas de rester espiègle comme une écolière : son maître-mot, c’est le jeu. Elle n’a guère d’autre activité que ludique, suscitant par là même plaisir et agrément dans les hauteurs célestes, mais aussi parmi les fils d’Adam.
Fils d’Adam, dit-elle. Et non pas fils d’Israël… Probablement d’origine étrangère – les exégètes la font venir d’Égypte –, la Sagesse ne se laisse jamais enclore dans des frontières, fûssent-elles religieuses. Autre aspect de son jeu : libre comme l’air, elle va çà et là, on ne sait d’où à où – comme Jésus le dira à Nicodème en parlant de l’Esprit, auquel elle ressemble par plus d’un trait (cf. Jn 3,8).
C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle a suscité, non seulement de la fascination, mais aussi de la perplexité, voire de l’inquiétude. Les systèmes religieux construits sur le sol biblique se sont méfiés d’elle : trop fluide, en quelque sorte, pour entrer dans l’édifice. Faute de pouvoir la passer sous silence, on a cherché à la réduire, et tout d’abord en l’identifiant à quelqu’autre figure plus stable : celle de la Torah dans la tradition juive ; celle du Christ chez les chrétiens – bien qu’une minorité d’entre eux pense plutôt, justement, à l’Esprit saint ; celle du Coran dans l’islam. Mais du côté chrétien, l’irritante énigme de son origine (est-elle créée ou incréée ?) n’a cessé de faire rebondir la question. La sophiologie russe et symétriquement une certaine mariologie catholique vont élaborer deux nouvelles figures sapientielles : Marie et Sophie, curieusement jumelles…
Notre dossier a voulu tenir bien fermement le fil d’Ariane du poème inaugural (Pr 8,22-31), renonçant à explorer d’autres couloirs du labyrinthe sapientiel : les scénarios mettant en scène l’éon Sagesse chez les gnostiques des premiers siècles (que l’on pourrait vraiment intituler “Les malheurs de Sophie” !) ; les spéculations de Jacob Böhme, Swedenborg et autres initiés, illuministes et théosophes, sur les sagesses créée et incréée ; l’insertion de la Sagesse (en hébreu hokhmah) dans l’arbre des sefirot de la kabbale ; voire les équivalences de cette figure décidément insaisissable dans l’hindouisme, le bouddhisme et les sagesses extrême-orientales (certains théologiens prospectent aujourd’hui cet aspect “interreligieux”).
En filigrane de toutes ces relectures, une autre énigme se profile : qu’en est-il du féminin divin ? Si certains écrits des premiers siècles, pas toujours très orthodoxes il est vrai, n’hésitaient pas à évoquer la féminité des personnes divines, le Dieu de l’institution n’a pas tardé à se masculiniser. En langue latine par exemple, la Trinité se décline au masculin : Pater, filius, spiritus… Pourtant, il faut le reconnaître : le texte biblique évoque bien souvent un Dieu maternel, englobant ou physiquement proche, nourricier ou consolateur… Toujours espiègle et joueuse, la figure biblique de la Sagesse pourrait bien contribuer à contester, aujourd’hui et demain, le sérieux des représentations et des pratiques d’une Église somme toute très masculine. Cela implique d’entendre ce qu’elle a à dire : c’est à quoi ce dossier voudrait aider.

 »La figure de la Sagesse. Proverbes 8 »
Supplément au Cahier Evangile n° 120
page 8

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