Archive pour juin, 2011

Psaume 39

16 juin, 2011

Je ne suis pas sûr mais je pense que ce commentaire n’est pas catholique, mais il est bon:

http://www.levangile.com/Bible-Annotee-Psaumes-39.htm

PSAUME

Chapitre 39

1 Au maître chantre, à Jéduthun. Psaume de David.
2 J’avais dit : Je prendrai garde à mes voies, De peur de pécher par ma langue ; Je garderai sur ma bouche un baillon, Tant que le méchant sera en ma présence.
3 Je restai muet, dans le silence ; Je me tus, sans m’en trouver bien, Et ma douleur ne fit que s’irriter.
4 Mon cœur s’échauffa au-dedans de moi ; De ma méditation jaillit un feu, Et la parole vint sur ma langue…
5 Eternel ! fais-moi connaître ma fin Et quelle est la mesure de mes jours. Que je sache combien je suis fragile !
6 Voici, tu as donné à mes jours la largeur de la main, Et ma durée est comme néant devant toi ; Oui, tout homme, si bien affermi qu’il soit, n’est qu’un souffle.
(Jeu d’instruments.)
7 Oui, l’homme se promène comme une ombre, Tout le bruit qu’il fait n’est qu’un souffle. Il amasse, et il ne sait qui recueillera.
8 Et maintenant, que puis-je espérer, Seigneur ? Mon attente est en toi !
9 Délivre-moi de toutes mes transgressions, Ne m’expose pas à l’outrage de l’insensé.
10 Je suis muet, je n’ouvrirai pas la bouche, Car c’est toi qui agis.
11 Détourne de moi tes coups ! Sous la rigueur de ta main, c’en est fait de moi.
12 Quand tu reprends un homme pour son iniquité, Tu détruis comme la teigne ce qu’il a de plus précieux. Oui ! tout homme n’est qu’un souffle.
(Jeu d’instruments.)
13 Ecoute ma prière, Eternel, et prête l’oreille à mon cri, Ne reste pas sans rien dire, en présence de mes larmes ; Car je suis en passage chez toi, En séjour, comme tous mes pères.
14 Détourne ton regard de moi, et que je reprenne ma sérénité, Avant que je m’en aille et que je ne sois plus.

Tout homme n’est qu’un souffle.
Qui a raison sur la terre ? Le juste ou le méchant ? Cette question, qui est en définitive le grand problème de l’existence humaine, a déjà fait le sujet du Psaume 37. Mais c’était alors un vieillard qui déclarait, instruit par l’expérience, combien est courte la prospérité des impies, durable au contraire celle des gens de bien. Ici, comme au Psaume 73 nous sommes au fort de la crise, alors que la lumière de l’expérience fait encore défaut. En face du méchant, dont la présence seule est une négation du gouvernement divin, un croyant dans l’affliction s’efforce en vain de refouler le doute et le murmure ; le feu intérieur éclate (versets 2 à 4). Mais bientôt, revenant à l’Éternel, il médite sur la brièveté de la vie, ce qui le pousse à chercher son refuge en ce Dieu même dont la main s’appesantit sur lui (versets 5 à 12). Ainsi l’agitation s’apaise, et si le ton de la prière finale est encore celui de la tristesse, c’est pourtant celui d’une tristesse résignée (versets 13 et 14).
Ce psaume est un exemple remarquable de la foi israélite qui, en face du voile qui recouvre l’avenir, n’ayant d’autre perspective que le Schéol, après une vie très courte, remplie de maux, n’en persiste pas moins à espérer en l’Éternel. Une étroite parenté de pensée rapproche notre psaume du Psaume 72, qui, en outre, est aussi dédié au chantre Jéduthun. On ne peut rnéconnaître non plus une grande ressemblance de pensée et d’expression avec le livre de Job. Toutefois la distinction entre souffrance et culpabilité, si importante dans le livre de Job, n’est point accentuée, ni même indiquée dans ce psaume.

Verset 1
Jéduthun était, avec Héman et Asaph, un des principaux directeurs des chœurs de Lévites (lChroniques 16.41-42 ; 2 Chroniques 5.12).
Verset 2
2 à 4
La révolte du juste en présence du méchant.
De peur de pécher… Je m’étais décidé au silence, dans la crainte de murmurer contre Dieu ou de récriminer amèrement contre les hommes.
Tant que le méchant… La pensée qui vient naturellement au fidèle, en face du mal, est que l’impie ne saurait subsister longtemps en présence de Dieu. L’épreuve de la foi grandit, à mesure que le jugement tarde.
Verset 3
Je restai muet : la résolution prise fut tenue un certain temps.
Sans m’en trouver bien, hébreu : je me suis tu loin du bien.
Verset 5
5 à 12
Le néant de la vie humaine.
On a eu tort de chercher dans les versets 5 à 7 l’expression de l’impatience et du bouillonnement intérieur dont il vient d’être parlé. Nous y voyons plutôt la prière apaisée par laquelle le psalmiste redevient maître de lui-même. Il demande que l’Éternel l’élève à son propre point de vue, pour considérer toutes choses. Là se trouve, pour le croyant, le secret de la sérénité dans l’épreuve.
Fais-moi connaître ma fin. Comparez Psaumes 90.12. Quand la vie est si courte vaut-il la peine de s’irriter en face du méchant ?
Verset 6
Devant toi : à tes yeux et comparativement à toi. Comparez Esaïe 40.17.
Verset 7
Il amasse… Ces richesses, qui provoquent tant de jalousies et de querelles, échappent comme tout le reste à celui qui les possède.
Verset 8
Que puis-je espérer ?… Dans le néant de toutes choses, une ressource reste au croyant : Dieu est son souverain bien. Cette pensée est développée dans les Psaumes 16 et 73.
Verset 9
Délivre-moi de mes transgressions : du poids du péché, en même temps que de la ruine complète qu’il attire sur le coupable. L’insensé trouverait dans cette ruine une occasion d’outrager le fidèle et par là même l’Éternel.
Verset 10
Je suis muet. Par la foi, le juste a retrouvé la vraie soumission ; il sait voir, dans les événements qui l’irritaient, la main de Dieu au-dessus de celle de l’homme (c’est toi qui agis). Il demande seulement de ne pas succomber sous le châtiment qu’il reconnaît avoir mérité.
Verset 12
Comme la teigne : image d’une destruction graduelle (Esaïe 50.9).
Bien que Dieu ne foudroie pas ouvertement du ciel les coupables, toutefois sa malédiction secrète ne laisse pas de les miner, ainsi que la teigne, sans qu’on l’aperçoive, consume un drap ou un bois par sa morsure cachée (Calvin).
Ce qu’il a de plus précieux : de plus agréable et désirable. Le psalmiste semble faire allusion à une maladie qui enlève force, santé et beauté.
Verset 13
13 et 14

Requête finale.
En passage, en séjour, littéralement : je suis étranger, habitant (et non citoyen). Le psalmiste rappelle qu’il ne possède rien en propre sur la terre et qu’il ne vit que de ce que l’Éternel veut bien lui accorder. Comparez Genèse 23.4 ; 1Pierre 2.11.

Verset 14
Détourne ton regard. Comparez Job 7.19. Il s’agit d’un regard irrité.

Les meilleurs amis de Paul, les femmes

16 juin, 2011

du site:

http://paulissimo.dominicains.com/spip.php?article214&lang=fr

Les meilleurs amis de Paul, les femmes

Mon souci dans cette conférence est de prendre le contre-pied des remarques encore trop souvent faites à propos de saint Paul et de marquer sa proximité avec le monde féminin, et l’équilibre de ses positions, surtout dans le contexte de son temps. J’ai donc choisi de faire un peu choc : lorsqu’on commence en disant « les meilleurs amis de Paul », on peut attendre que suivent quelques noms du genre « Timothée et Tite », des masculins, et sans doute pas « les femmes » : mais après tout, en rassemblant les uns et les autres dans un même titre, n’était-ce pas déjà une manière de contribuer à l’équilibre, celui-là même que Paul a vécu en son temps ?
 
Pour vous présenter le sujet choisi, je serai obligé, pour des contraintes de temps et de genre littéraire, de me limiter et de n’aborder que quelques textes parmi ceux qui auraient pu ou dû l’être, en particulier au niveau des Pastorales. J’ai choisi de commencer par elles parce que je considère pour ma part qu’elles sont peut-être les premières lettres de Paul, et qu’elles présentent une vision très traditionnelle de la femme, celle qu’a dû connaître l’apôtre autour de lui : en d’autres termes, elles sont pour moi un bon point de départ.

I. La situation des femmes dans les « Pastorales »

A – La place des Pastorales dans le corpus paulinien
Vous le savez, le corpus paulinien le plus traditionnel contient entre autres trois lettres, la première et la deuxième lettre à Timothée, plus la lettre à Tite, auxquels la critique très largement majoritaire refuse aujourd’hui le sceau de l’authenticité : voyez sur tout cela le récent commentaire du frère Michel Gourgues à ce sujet [1].
Je vous l’avoue, je suis très sceptique sur l’idée même d’une pseudépigraphie néotestamentaire, j’ai du mal à imaginer que quelques auteurs aient pu vouloir se présenter sous l’autorité de Paul alors même que celui-ci venait de disparaître et que beaucoup de ceux qui l’avaient connu étaient encore vivants, et j’ai encore plus de mal à penser qu’ils l’aient fait avec autant de maladresse, je veux dire en utilisant un vocabulaire très marqué par le judaïsme le plus classique, et en proposant de la loi une vision si différente par rapport aux lettres au Galates et aux Romains qui les ont précédées : il faudrait qu’ils aient été de très très mauvais faussaires, et que leurs critiques aient eu une grâce d’aveuglement extrêmement forte pour attribuer quand même la paternité de leurs écrits à l’apôtre Paul.
J’ai donc proposé, il y a déjà longtemps, dans une série d’articles parus dans la revue Lumière et Vie [2], de les considérer comme les premières lettres de Paul , celles d’un homme encore très marqué par son judaïsme natif. Je ne vais pas vous proposer une démonstration, parce que mon sujet ne porte pas sur les Pastorales, mais sur les femmes dans les Pastorales.

B – Les femmes en 1 Timothée et Tite
L’exhortation de Tite est relativement brève : « Que pareillement les femmes âgées aient le comportement qui sied à des saintes : ni médisantes, ni adonnées au vin, mais de bon conseil ; ainsi elles apprendront aux jeunes femmes à aimer leur mari et leurs enfants, à être réservées, chastes, femmes d’intérieur, bonnes, soumises à leur mari, en sorte que la parole de Dieu ne soit pas blasphémée » (2,3-5).
Trois points ressortent immédiatement relativement aux jeunes femmes : la soumission au mari, la consécration aux enfants, la limitation de l’activité à la sphère privée. Ces conditions sont celles qui permettent à la parole de Dieu de n’être pas blasphémée, autrement dit aux chrétiens de trouver leur place dans la société : tout simplement parce que, ce faisant, ils se conforment aux critères de la dite société.
L’exhortation de 1 Tm est plus longue : « Que les femmes, de même, aient une tenue décente ; que leur parure, modeste et réservée, ne soit pas faite de cheveux tressés, d’or, de pierreries, de somptueuses toilettes, mais bien plutôt de bonnes œuvres, ainsi qu’il convient à des femmes qui font profession de piété. Pendant l’instruction, la femme doit garder le silence, en toute soumission. Je ne permets pas à la femme d’enseigner ni de faire la loi à l’homme. Qu’elle garde le silence. C’est Adam en effet qui fut formé le premier, Ève ensuite. Et ce n’est pas Adam qui se laissa séduire, mais la femme qui, séduite, se rendit coupable de transgression. Néanmoins elle sera sauvée en devenant mère, à condition de persévérer avec modestie dans la foi, la charité et la sainteté » (2,9-15).
A nouveau, trois points que je synthétise ainsi : modestie, silence, maternité. C’est encore une fois conforme à l’air du temps : la femme est invitée à rester chez elle, à gérer la maison, et n’a de relations avec l’extérieur que par la médiation de son mari auquel elle doit rester soumis. La spécificité est que ces règles propres à la société sont maintenant justifiées religieusement par une lecture « appropriée », si je puis dire, du récit de la Genèse sur la faute.
Il faudrait examiner bien d’autres passages des Pastorales, mais je n’en visiterai plus qu’un qui pose une question : existait-il à l’époque des diaconesses ? La question naît d’une certaine lecture de 1 Tm 3,10-11, alors que Paul est en train de parler des diacres : « on commencera pas les mettre à l’épreuve, et ensuite, si on n’a rien à leur reprocher, on les admettra aux fonctions de diacres. Que pareillement, les femmes soient dignes, point médisantes, sobres, fidèles en tout ». Les femmes des diacres ou les diaconesses ?
Je serais assez favorable à la deuxième interprétation, à condition de bien comprendre que les diacres, et donc aussi les diaconesses, représentent plutôt à l’époque (voir le fond d’Ac 6) des préposés à l’administration, des sortes d’économes. Revenons à 1 Tm. S’il s’était agi des « femmes des diacres », on aurait attendu une expression comme « leurs femmes » ; la répétition du ôsautos au début du verset 11, après celui du verset 8, suggère aussi un parallélisme ; en outre, les exigences adressées à ces femmes sont très proches de celles qui s’adressent aux diacres : sobriété, dignité, ce qui suggère qu’elles ont le même statut.
En Rm 16,11 justement, Phoebé « sert » l’église de Cenchrée : quand on sait l’accueil économique réservé par certaines femmes à la prédication paulinienne (cf. Lydie en Ac 16,14-15), Phoebé pourrait bien être une diaconesse, au sens d’une personne chargée de l’administration économique de la communauté. L’existence de telles diaconesses, qui semblent avoir très vite disparu, serait le signe que le statut n’est pas aussi confiné en judaïsme qu’il ne l’était alors dans le monde hellénistique : sans doute le monde romain a-t-il changé un peu la donne.
Voilà d’où Paul part, que ces textes soient ou non de lui : une vision très classique des femmes, que l’on pourra dire réductrice, en même temps qu’une reconnaissance de son rôle de gestionnaire. Il faudrait maintenant voir l’évolution éventuelle de l’apôtre, et pour cela examiner ses lettres dans l’ordre supposé où elles ont été écrites : c’est là que le bât blesse, parce que personne n’est d’accord sur une chronologie de Paul et de ses lettres. Les différences ne sont toutefois pas considérables, et je vais m’arrêter un moment sur ce sujet.

II. Quelques remarques sur le sujet féminin dans les lettres de Paul

La chronologie la plus traditionnelle classe les lettres de Paul dans l’ordre relatif suivant, en partant des plus anciennes (compte non tenu des Pastorales) : 1 et éventuellement 2 Thessaloniciens ; Galates, 1 et 2 Corinthiens, Romains, Philippiens, Philémon, et Colossiens et Éphésiens lorsque l’on en admet l’authenticité.
En termes de chronologie absolue, la plus ancienne, 1 Th, est datée du début des années 50, les « grandes lettres » des années 55-58, et le reste des années 60.
Je ne vais pas discuter tout cela, ce qui nous éloignerait de notre sujet, mais essayer de comprendre où Paul peut évoquer les femmes : on peut bien sûr rechercher ce qu’il en est de l’utilisation des termes femme, épouse, fille, mère, mais il faut aussi penser que Paul peut aussi parler directement de telle ou telle femme. Dans le premier cas, vous allez constater que :
1. Le terme « femme », très présent dans les Pastorales comme dans les lettres aux Corinthiens, aux Romains, Éphésiens et Colossiens, est pratiquement absent des lettres aux Thessaloniciens (1 mention peu significative de la femme enceinte en 1 Th 5,3) et n’est présent en Galates en dehors de 3,28, mention sur laquelle je m’arrêterai plus loin, que dans l’allégorie du chapitre 4, dont on ne peut dire qu’il parle de la condition féminine.
2. Le terme « épouse » ne se trouve qu’une fois en Galates, toujours dans le même chapitre 4.
3. Celui de « fille » ne se rencontre qu’à trois reprises, uniquement dans les lettres aux Corinthiens.
4. Enfin celui de « mère », présent à trois reprises dans les Pastorales, n’est présent qu’une fois en 1 Th, Ga (une fois de plus dans le chapitre 4) et Rm, et deux en Éphésiens.
En définitive, il n’y a pas de surprise : le thème féminin n’est jamais traité pour lui-même, il est relativement rare et ne prend quelque ampleur que dans les Pastorales, des lettres où il est surtout question de l’organisation des communautés et de leur vie interne, dans les lettres aux Corinthiens ou aux Romains, où la dimension ecclésiale est importante, et dans les lettres de la captivité où apparaissent des exhortations et des recommandations domestiques. Rien dans les lettres aux Thessaloniciens, pratiquement rien en Galates, à l’exception de la mention de 3,28 qui mérite que l’on s’y arrête brièvement.
Mais ce constat est un peu réducteur : il ne faut pas oublier que Paul peut évoquer directement les femmes sans passer par l’un des termes déjà évoqués. Tel est bien le cas en Ph 4,1-3, où sont mentionnées Évodie et Syntychè, qui ont « assisté Paul dans sa lutte pour l’évangile » : j’y reviendrai plus loin.

III. La femme de Ga 3,28

La lettre aux Galates me semble constituer une lettre intermédiaire dans la carrière de Paul, et je la date de l’année 53, donc quelques années avant la lettre aux Romains : s’il est vrai que ces deux lettres sont proches par certains thèmes et références, le traitement des sujets et leur finalité, je pense ici à la justification par la foi, y est très différent [3].
Le thème féminin est, je l’ai rappelé, très présent en Ga 4, mais à titre métaphorique : les femmes représentent ici des alliances, et ce chapitre ne nous apprend donc rien sur la manière dont Paul voit les femmes. En revanche, nous rencontrons une mention importante, celle de 3,28 : « Il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus ».
Ce verset récapitule toutes les grandes divisions sociales, et en particulier celle qui existe entre l’homme et la femme. Bien sûr, Paul plaide pour l’unité, mais il ne remet pourtant pas en cause ces distinctions : il en fait le constat, il ne veut pas qu’elles se transforment en oppositions, et il invite donc ses lecteurs à y reconnaître une complémentarité, ou au moins une communion possible « en Christ ». Force est de le constater : le temps n’est pas encore venu d’une réflexion autonome sur la femme comme telle.
C’est donc bien avec les lettres aux Corinthiens que le « sujet féminin » va prendre une consistance nouvelle.

IV. Les femmes dans les lettres aux Corinthiens

Ces lettres sont cruciales, non seulement parce qu’elles recèlent le plus grand nombre de références aux femmes, à leur statut dans la société, au rapport que Paul entretient avec elles, mais parce qu’elles ont largement contribué, avec la lettre aux Éphésiens, à donner une réputation de misogyne à l’apôtre. Je reviendrai plus loin rapidement sur Éphésiens, mais je commence donc par évoquer quelques mentions controversées.
A – 1 Co 11 et 1 Co 14
Passage extrêmement difficile que celui de 1 Co 11,2-15, dans lequel Paul lui-même semble perdu si l’on en juge par la conclusion : « au reste, si quelqu’un se plaît à ergoter, tel n’est pas notre usage, ni celui des églises de Dieu ».
La question est celle de la tenue des hommes et des femmes dans l’assemblée, et plus précisément le port des cheveux longs : sont-ils tolérables de la même manière pour les hommes et les femmes ? Et sinon, quels critères faut-il respecter ? Sur le fond, la réponse est simple : les hommes doivent couper leurs cheveux, les femmes doivent au contraire les garder longs…
Quant à l’argumentation, et donc aux critères, elle est beaucoup plus compliquée et n’est pas sans rappeler ce que Paul a déjà dit (ou dira) en 1Tm 2,9-15 ; je ne vais pas m’y attarder : il est très clair que ces usages, auxquels Paul veut donner une valeur forte, sont tout à fait contingents et Paul le reconnaît en fait dans les versets 13-15. La seule valeur qui en soi garde une justification, c’est l’importance de l’ordre, de la différenciation , idées très classiques dans la tradition juive [4] : s’il est clair que cet ordre, qui soumet la femme à l’homme, peut être discuté dans ses applications, il garde son importance au plan spirituel et théologique.
Et nous voici avec le fameux passage de 1 Co 14,34-35 : les femmes sont invitées à se taire dans l’assemblée, à se tenir dans la soumission, à s’instruire ou s’informer auprès de leurs maris !
Ici, deux remarques s’imposent d’emblée :
1. Cette invitation apparaît parfaitement contradictoire avec la reconnaissance de l’office prophétique accordé plus haut à la femme (11,5).
2. Les deux ou trois versets à considérer rompent le fil de la pensée. Il est en effet question de l’ordre qui doit régner dans l’expression prophétique dans les versets 31-33, et les interlocuteurs sont désignés par vous ; c’est à nouveau du bon ordre de l’expression prophétique dont il est question à partir du verset 37 et jusqu’à la fin du chapitre : ce passage sur les femmes est donc singulier, à moins de considérer qu’elles sont spécifiquement à l’origine de ces problèmes d’ordre, ce que rien n’indique par ailleurs.
Les commentateurs les plus anciens n’avaient pas encore de scrupules à accepter ces versets tels quels, et ils expliquaient par exemple que l’évocation de la prophétie en 11,5 avait un caractère hypothétique, ou que ces versets s’accordent une fois de plus avec 1 Tm 2,11-15, des versets d’inspiration judéo-chrétienne [5].
Mais, quoi qu’il en soit de la date de 1 Tm, il est certain que 1 Corinthiens ne se situe plus dans la même ligne, et que ces versets détonnent. Aujourd’hui donc, les commentateurs n’hésitent plus à parler d’interpolation : ils y sont d’autant plus invités que ces versets sont repoussés après le verset 40 dans la tradition textuelle occidentale, marquant la gêne qu’ils provoquaient déjà alors. Tel est le constat de C. Senft : « Les versets 33b-36 sont une interpolation » , et il se justifie à partir des raisons que je viens de donner plus haut [6].
Une autre possibilité, envisagée par certains, serait que les versets incriminés représentent la position des adversaires de Paul, et qu’ils seraient suivis de la réponse de Paul. Il reste qu’en toute occurrence, ces versets ne représentent pas la pensée de l’apôtre.
En définitive, ni 1 Co 11 ni 1 Co 14 ne nous apprennent grand chose sur la manière dont Paul perçoit vraiment les femmes. Il en va très différemment avec 1 Co 7.
Ce chapitre est particulièrement dense et compliqué, avec une organisation interne qu’il est difficile de suivre, voire même de repérer : il m’est donc impossible de vous en proposer une lecture détaillée, et je vais me contenter de mettre en valeur deux points sur le sujet qui nous occupe. La première chose à rappeler est que Paul n’est pas un révolutionnaire, qu’il accepte habituellement les contraintes politiques et sociales de son temps : la chose est particulièrement manifeste dans l’exhortation deux fois répétée « Que chacun demeure dans la condition où l’a trouvé l’appel de Dieu » (v. 17 et 24). Il est tout à fait possible de trouver, si on le juge nécessaire, des justifications au « conservatisme » paulinien (la fin des temps est proche, v. 29, ou l’attachement à l’ordre, déjà évoqué et qui sera à nouveau marqué en 14,33), mais c’est un fait : Paul se situe à l’intérieur d’une société dont il ne remet pas en cause les fondements, pas même celui de l’esclavage.
Dès lors, et c’est la deuxième chose à noter, la place qu’il donne à la femme par rapport à l’homme, place largement établie depuis des siècles et que seul le monde romain commençait depuis l’Empire à remettre en cause, n’en est que plus extraordinaire : elle est vraiment la correspondante de l’homme. Je fais ici allusion aux sept premiers versets du chapitre, dans lesquels Paul applique systématiquement à la femme ce qui est dit de l’homme et réciproquement : « Toutefois, à cause des débauches, que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari. Que le mari s’acquitte de son devoir envers sa femme, et pareillement la femme envers son mari. La femme ne dispose pas de son corps, mais le mari. Pareillement, le mari ne dispose pas de son corps, mais la femme etc. » (v. 2-4). Et le même équilibre se retrouve dans les versets 12-13 à propos de séparation.
C’est cet équilibre qui me fait parler d’amitié, alors même qu’il est question de conjugalité. Parce que, même si la situation des femmes mariées avait évolué dans la société, romaine en particulier, on ne pouvait certainement pas parler de réciprocité et d’équilibre. Lesquels étaient par contre particulièrement vantées dans le cadre de l’amitié, en particulier par Aristote [7]. Paul place donc les femmes comme des amies de l’homme.
C – 1 Co 16… et Rm 16 ou Ph 4
En évoquant 1 Co 7, je viens de montrer que les femmes étaient les meilleures amies de l’homme, mais non pas encore de Paul. En revanche, la finale de la première aux Corinthiens le manifeste, surtout si on lui adjoint la finale de Romains ou celle de Philippiens : ce sont là des interpellations directes qui nous en apprennent beaucoup [8]. La finale de Romains évoque de nombreux correspondants, parmi lesquels beaucoup de femmes, et on va voir que celle de Philippiens dit quelque chose d’important de deux d’entre elles.
En 1 Co 16, la femme est la fameuse Prisca, mariée à Aquilas. On sait qu’Ac 18 évoque aussi ce couple, et la manière dont Paul l’aurait connu : au travers d’une activité commune, celle de réparateurs ou fabricants de tentes. On les trouve mentionnés en Rm 16,3 et en 2 Tm 4,19 (une lettre que je date de la fin des années 40), et les deux fois, Prisca est nommée avant Aquilas, ce qui n’est pas du tout insignifiant pour l’époque [9]. Rm fait des deux, et je dis bien des deux, les coopérateurs ou collaborateurs de Paul, titre particulièrement enviable dans la bouche de l’apôtre : Urbain, inconnu par ailleurs, le reçoit en Rm 16,9, Timothée en Rm 16,21 et Tite en 2 Co 8,23, Clément et quelques autres en Ph 4. Comme on va le voir plus loin avec Ph 4, c’est finalement un vrai titre d’honneur qui touche aussi bien des femmes que des hommes.
En Rm 16, on remarque en outre que la première personne mentionnée, de manière extrêmement favorable, est Phoebé, une diaconesse : pour beaucoup de commentateurs, elle a dû porter la lettre que Paul adresse aux Romains, mais il reste qu’elle joue donc un rôle de premier plan. Et plus loin se trouvent évoquées Junias (v. 7), rangée au rang même des apôtres, Marie (v. 6) et Persis (v. 10), qui se seraient beaucoup fatiguées au service du Seigneur, puis « Philologue et Julie, Nérée et sa sœur, Olympas et tous les saints qui sont avec eux » (v. 15). Manifestement, les femmes sont très présentes et vues comme égales aux hommes, y compris dans les plus hautes fonctions.
Montrons-le plus encore avec Ph 4. Il s’agit des versets 2-3 : « J’exhorte Évodie comme j’exhorte Syntychè à vivre en bonne intelligence dans le Seigneur. Et toi de ton côté, Syzyge, vrai ‘compagnon’, je te demande de leur venir en aide : car elles m’ont assisté dans la lutte pour l’Évangile, en même temps que Clément et mes autres collaborateurs, dont les noms sont écrits au livre de vie ». Évodie et Syntychè ont donc « assisté » Paul dans la lutte pour l’évangile, en fait le grec dit littéralement qu’elles se sont comportées comme des athlètes à ses côtés ; et Paul, en les comparant à Clément et à d’autres, leur assure le titre de collaborateurs, celui-là même qui a été évoqué plus haut avec Rm 16. Pour Murphy O’Connor [10], le fait que la remontrance soit publique suggère que la dispute était publique, et il n’y voit d’autre explication que celle d’une dispute entre deux femmes dont chacune est à la tête d’une église domestique.
Terminons ce tour d’horizon en nous penchant maintenant, trop rapidement encore une fois, sur la condition des femmes dans les lettres de la captivité, surtout qu’elles sont pour une large part dans la fausse réputation de misogynie faite à Paul.

V. Les femmes dans les lettres de la captivité

Ces lettres font mention des femmes dans ce que l’on appelle « les tabelles », ou bien aussi les « codes de devoir » [11], autrement dit les règles de vie proposées par l’apôtre pour la vie domestique ou ecclésiastique. Ces règles forment un genre littéraire précis, relativement standardisé, et l’on est donc conduit à se demander si Paul reçoit ce qu’il y dit des femmes ou s’il est créatif.
Pour certains, tel Dibelius, il faut y reconnaître des éléments de la morale commune gréco-latine, en particulier stoïcienne, superficiellement christianisés ; pour d’autres, il faut accepter l’originalité chrétienne de ces tabelles, avec par exemple le caractère réciproque et « dans le Seigneur », des obligations. Ce sont vers ces derniers que penche ma lecture, en particulier du fait d’Ep 5, passage sur lequel je vais maintenant m’arrêter. Vous le savez, en Col 3,18-19 comme en Ep 5,21-33, ce qui est dit des femmes, en particulier l’invitation à la soumission, n’a cessé de générer un anti-paulinisme forcené et… totalement injuste. Je ne vais pas entrer dans cette stérile controverse, et je me contente de rappeler, au sujet d’Ep 5, le passage le plus conséquent, que Paul :
1. Invite préalablement à la soumission réciproque tout le monde en 5,21, et pas seulement les femmes.
2. Pour cette raison très probable que la soumission n’est pas ici une donnée sociale, mais l’acceptation d’un ordre voulu par Dieu. Dans la tradition juive en effet, et nous en avons une illustration dès le premier récit de la Genèse, Dieu trie et sépare, il met de l’ordre dans le tohu-bohu, il est un « dieu non de désordre, mais de paix ». Rappelons d’ailleurs que le verbe grec utilisé pour dire « soumettre » contient en lui-même l’idée d’ordre, ce qui n’est pas le cas du français.
3. Presse les hommes d’aimer leurs femmes, du même amour dont le Christ aime l’Église, ce qui représente quand même pour eux et pour toute époque une exigence considérable. C’est cette exigence qui me fait douter que Paul se contente de christianiser des recommandations classiques.
Le verset 33, trop souvent oublié, me semble dire l’essentiel de la pensée de Paul : « que chacun aime sa femme comme soi-même, et que la femme révère son mari ». La femme y est un vrai sujet, autonome, bénéficiant de l’amour que son mari se porte aussi à lui-même : je vois là à nouveau une forme de l’amitié, quand bien même le thème de la soumission, de caractère plus culturel [12], pourrait paraître l’invalider.

VI. Conclusion

Il est des réputations dont on dit qu’elles « collent à la peau » : telle est celle de misogyne pour Paul. Il ne suffit pas de dire qu’elle serait le résultat de l’agrégation de lettres non pauliniennes aux lettres authentiques, parce que rien n’assure que les lettres dénoncées ne soient pas de Paul, mais aussi parce qu’il existe des passages troublants dans des lettres aussi assurées que 1 Corinthiens.
Mais si l’on s’attache au contexte de chacun des passages dénoncés, si l’on tient compte de l’air du temps, si l’on cherche à établir un constat global, la vérité commande de reconnaître que l’apôtre Paul donne aux femmes un statut extrêmement élevé, différent certes mais néanmoins comparable à celui de l’homme, et que le rapport hommes/femmes est plus proche de l’amitié que de la soumission, quoi qu’il en soit de certains passages de ses lettres. Paul se révèle ainsi bien plus accueillant et positif pour elles qu’on ne l’était généralement à son époque. En définitive, certainement pas misogyne, bien plutôt philogyne : c’est ce que j’ai voulu marquer en assurant que les femmes étaient « les meilleurs amis » de Paul.
——————————————————-

notes:
[1] Michel Gourgues, Les Deux « Lettres à Timothée » ; La lettre à Tite, Commentaire biblique, Nouveau Testament (Paris : Les éditions du Cerf, 2009)
[2] Hervé Ponsot, “Les Pastorales seraient-elles les premières lettres de Paul ?,” Lumière et Vie, no. 231, 232 et 233 (1997)
[3] Voir Hervé Ponsot, Abraham dans la théologie paulinienne Rom IV. Gal III : fonction littéraire, historique et théologique de la paternité d’Abraham (Institut catholique de Paris, Université Paris-IV Sorbonne, 1985)
[4] Jerome Murphy O’Connor, Paolo e le donne, 1er éd. (Assisi : Cittadella, 2006), insiste sur la dimension de différenciation sexuelle dans ce passage.
[5] Voir par exemple A. Robertson et A. Plummer, A Critical and Exegetical Commentary on the First Epistle of Saint Paul to the Corinthians, coll. ICC. Édimbourg, T&T Clark, 1983, ad loc.
[6] C. Senft, La première épître de saint Paul aux Corinthiens, Coll. Commentaire du Nouveau Testament, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1979, ad loc.
[7] Je pense bien sûr ici aux chapitres 8 et 9 de l’Éthique à Nicomaque, dans lesquels on trouve par exemple : « Car l’amitié consiste plutôt à aimer qu’à être aimé ».
[8] Sur ces passages et ces points, on pourra consulter Jerome Murphy O’Connor, Paolo e le donne, 1er éd. (Assisi : Cittadella, 2006).
[9] Murphy O’Connor, p. 15, y insiste aussi.
[10] op. cit. p. 14.
[11] Marie-Louise Lamau, Des chrétiens dans le monde. Communautés pétriniennes au 1er siècle, Coll. Lectio Divina n? 134, Paris, Cerf, 1988, p. 153-230.
[12] Murphy O’Connor, ibid., ne retient pas l’authenticité d’Éphésiens, mais bien celle de Colossiens. Il explique le « recul » de Colossiens pour des raisons conjoncturelles, sans que soit remise en cause l’égalité fondamentale entre hommes et femmes, si chère à Paul.

bonne nuit

15 juin, 2011

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le don de l’Eucharistie

15 juin, 2011

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Pape Benoît: Audience générale du 15 juin : Elie

15 juin, 2011

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Audience générale du 15 juin : Elie

Texte intégral

ROME, Mercredi 15 juin 2011 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la catéchèse prononcée par le pape Benoît XVI, ce mercredi, au cours de l’audience générale, sur la Place Saint-Pierre, au Vatican.

Chers frères et sœurs,

Dans l’histoire religieuse de l’ancien Israël, les prophètes ont joué un rôle de grande importance par leur enseignement et leur prédication. Parmi eux, ressort la figure d’Elie, suscité par Dieu pour conduire le peuple à la conversion. Son nom signifie « le Seigneur est mon Dieu » et c’est en accord avec ce nom que se déroule toute sa vie, consacrée tout entière à provoquer dans le peuple la reconnaissance du Seigneur comme unique Dieu. D’Elie, le Siracide dit : « Le prophète Elie se leva comme un feu, sa parole brûlait comme une torche » (Si 48, 1). Avec cette flamme, Israël retrouve son chemin vers Dieu. Dans son mystère, Elie prie : il invoque le Seigneur afin qu’il ramène à la vie le fils d’une veuve qui l’avait accueilli (cf. 1 R 17, 17-24), il crie à Dieu sa lassitude et son angoisse tandis qu’il fuit dans le désert, recherché et condamné à mort par la reine Jézabel (cf. 1 R 19, 1-4), mais c’est surtout sur le mont Carmel qu’il montre toute sa puissance comme intercesseur lorsque, devant tout Israël, il prie le Seigneur pour qu’il se manifeste et convertisse le cœur du peuple. C’est l’épisode raconté dans le chapitre 18 du Premier Livre des Rois, sur lequel nous nous arrêtons aujourd’hui.
Nous nous trouvons dans le royaume du Nord, au IXe siècle av. J. C., au temps du roi Achab, à un moment où en Israël s’était créée une situation de syncrétisme ouvert. A côté du Seigneur, le peuple adorait Baal, l’idole rassurante dont venait – pensait-on – le don de la pluie et auquel était attribué pour cette raison le pouvoir de donner la fertilité aux champs et la vie aux hommes et au bétail. Tout en prétendant suivre le Seigneur, Dieu invisible et mystérieux, le peuple recherchait aussi la sécurité chez un dieu compréhensible et prévisible, dont il pensait pouvoir obtenir la fécondité et la prospérité en échange de sacrifices. Israël était en train de céder à la séduction de l’idolâtrie, la tentation continuelle du croyant, ayant l’illusion de pouvoir « servir deux maîtres » (cf. Mt 6, 24 ; Lc 16, 13), et de faciliter les chemins impraticables de la foi dans le Tout-Puissant en plaçant également sa confiance dans un dieu impuissant fait par les hommes.
C’est justement pour démasquer la stupidité trompeuse d’une telle attitude qu’Elie fait se réunir le peuple d’Israël sur le mont Carmel et le place face à la nécessité de faire un choix : « Si le Seigneur est Dieu, suivez-le ; si c’est Baal, suivez-le » (1 R 18, 21). Et le prophète, porteur de l’amour de Dieu, n’abandonne pas son peuple face à ce choix, mais il l’aide en indiquant le signe qui révélera la vérité : lui d’un côté et les prophètes de Baal de l’autre prépareront un sacrifice et prieront, et le vrai Dieu se manifestera en répondant par le feu qui consumera l’offrande. Ainsi commence la confrontation entre le prophète Elie et les disciples de Baal, qui est en réalité entre le Seigneur d’Israël, Dieu de salut et de vie, et l’idole muette et sans consistance, qui ne peut rien faire, ni en bien ni en mal (cf. Jr 10, 5). Et commence aussi la confrontation entre deux manières complètement différentes de s’adresser à Dieu et de prier.
Les prophètes de Baal, en effet, crient, s’agitent, dansent en sautant, entrent dans un tel état d’exaltation qu’ils en vienne à s’inciser le corps, « avec des épées et des lances jusqu’à l’effusion du sang » (1 R 18, 28). Ils ont recours à eux-mêmes pour interpeller leur dieu, en faisant confiance à leurs propres capacités de provoquer sa réponse. Ainsi se révèle la réalité trompeuse de l’idole : il est pensé par l’homme comme quelque chose dont on peut disposer, que l’on peut gérer avec ses propres forces, auquel on peut accéder à partir de soi-même et de sa propre force vitale. L’adoration de l’idole, au lieu d’ouvrir le cœur humain à l’Altérité, à une relation qui libère et permet de sortir de l’espace étroit de son propre égoïsme pour accéder à des dimensions d’amour et de don réciproque, enferme la personne dans le cercle exclusif et désespérant de la recherche de soi. Et la tromperie est telle que, en adorant l’idole, l’homme se retrouve contraint à des actions extrêmes, dans la tentative illusoire de le soumettre à sa propre volonté. C’est pourquoi les prophètes de Baal en viennent jusqu’à se faire du mal, à s’infliger des blessures sur le corps, dans un geste dramatiquement ironique : pour avoir une réponse, un signe de vie de leur dieu, ils se recouvrent de sang, se recouvrant symboliquement de mort.
C’est une attitude de prière bien différente qu’adopte en revanche Elie. Il demande au peuple de s’approcher, en l’impliquant ainsi dans son action et dans sa supplication. Le but du défi qu’il a lancé aux prophètes de Baal était de ramener à Dieu le peuple qui s’était égaré en suivant les idoles : c’est pourquoi il veut qu’Israël s’unisse à lui, devenant participant et acteur de sa prière et de ce qui est en train d’advenir. Puis le prophète érige un autel, en utilisant, comme le dit le texte, « douze pierres, selon le nombre des tribus des fils de Jacob, à qui le Seigneur s’était adressé en disant : “Ton nom sera Israël” » (v. 31). Ces pierres représentent tout Israël et sont la mémoire tangible de l’histoire d’élection, de prédilection et de salut dont le peuple a été objet. Le geste liturgique d’Elie a une portée décisive ; l’autel est le lieu sacré qui indique la présence du Seigneur, mais ces pierres qui le composent représentent le peuple qui à présent, par la médiation du prophète, est symboliquement placé devant Dieu, devient « autel », lieu d’offrande et de sacrifice.
Mais il est nécessaire que le symbole devienne réalité, qu’Israël reconnaisse le véritable Dieu et retrouve son identité de peuple du Seigneur. C’est pourquoi Elie demande à Dieu de se manifester, et les douze pierres qui devaient rappeler à Israël sa vérité servent également à rappeler au Seigneur sa fidélité, à laquelle le prophète appelle dans la prière. Les paroles de son invocation sont riches de signification et de foi : « Seigneur, Dieu d’Abraham, d’Isaac et d’Israël, qu’on sache aujourd’hui que tu es Dieu en Israël, que je suis ton serviteur et que c’est par ton ordre que j’ai accompli toutes ces choses. Réponds-moi, Seigneur, réponds-moi, pour que ce peuple sache que c’est toi, Seigneur, qui es Dieu et qui convertis leur cœur ! » (vv. 36-37 ; cf. Gn 32, 36-37). Elie s’adresse au Seigneur en l’appelant Dieu des Pères, faisant ainsi mémoire de façon implicite des promesses divines et de l’histoire d’élection et d’alliance qui a uni de façon indissoluble le Seigneur à son peuple. La participation de Dieu à l’histoire des hommes est telle que désormais, son nom est lié de façon inséparable à celui des patriarches et le prophète prononce ce Nom saint afin que Dieu se rappelle et soit fidèle, mais également afin qu’Israël se sente appelé par son nom et retrouve sa fidélité. Le titre divin prononcé par Elie apparaît en effet un peu surprenant. Au lieu d’utiliser la formule habituelle, « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob », il utilise une appellation moins commune : « Dieu d’Abraham, d’Isaac et d’Israël ». L’utilisation du nom « Jacob » qui remplace celui d’« Israël » évoque la lutte de Jacob au gué du Yabboq et le changement de nom auquel le narrateur fait une référence explicite (cf. Gn 32, 31) et dont j’ai parlé dans l’une des catéchèses passées. Cette substitution acquiert une signification importante au sein de l’invocation d’Elie. Le prophète est en train de prier pour le peuple du royaume du Nord, qui s’appelait précisément Israël, qui se distingue de Juda, qui indiquait le royaume du Sud. Et à présent, ce peuple, qui semble avoir oublié son origine et sa relation privilégiée avec le Seigneur, est appelé par son nom tandis qu’est prononcé le nom de Dieu, Dieu du Patriarche et Dieu du peuple : « Seigneur, Dieu [...] d’Israël, qu’on sache aujourd’hui que tu es Dieu en Israël ».
Le peuple pour lequel Elie prie est placé devant sa propre vérité, et le prophète demande que la vérité du Seigneur également se manifeste et qu’Il intervienne pour convertir Israël, le détachant de la tromperie de l’idolâtrie et le conduisant ainsi au salut. Sa requête est que le peuple sache finalement, connaisse en plénitude qui est véritablement son Dieu, et fasse le choix décisif de le suivre, Lui seul, le vrai Dieu. Car ce n’est qu’ainsi que Dieu est reconnu pour ce qu’il est, Absolu et Transcendant, sans la possibilité de placer à ses côtés d’autres dieux, qui le nieraient comme absolu, le relativisant. Telle est la foi qui fait d’Israël le peuple de Dieu ; c’est la foi proclamée dans le texte bien connu du Shema ‘Israel : « Ecoute, Israël : Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir » (Dt 6, 4-5). A l’absolu de Dieu, le croyant doit répondre par un amour absolu, total, qui engage toute sa vie, ses forces, son cœur. Et c’est précisément pour le cœur de son peuple que le prophète, à travers sa prière, implore la conversion : « que ce peuple sache que c’est toi, Seigneur, qui es Dieu et qui convertis leur cœur ! » (1 R 18, 37). Elie, à travers son intercession, demande à Dieu ce que Dieu lui-même désire faire, se manifester dans toute sa miséricorde, fidèle à sa réalité de Seigneur de la vie qui pardonne, convertit, transforme.
Et c’est ce qui a lieu : « Et le feu du Seigneur tomba et dévora l’holocauste et le bois, et il absorba l’eau qui était dans le canal. Tout le peuple le vit ; les gens tombèrent la face contre terre et dirent : “C’est le Seigneur qui est Dieu ! C’est le Seigneur qui est Dieu !” » (vv. 38-39). Le feu, cet élément à la fois nécessaire et terrible, lié aux manifestations divines du buisson ardent et du Sinaï, sert à présent à signaler l’amour de Dieu qui répond à la prière et se révèle à son peuple. Baal, le dieu muet et impuissant, n’avait pas répondu aux invocations de ses prophètes : le Seigneur, au contraire, répond, et sans équivoque, non seulement en brûlant l’holocauste, mais en allant jusqu’à absorber toute l’eau qui avait été versée autour de l’autel. Israël ne peut plus avoir de doutes : la miséricorde divine est allée au devant de sa faiblesse, de ses doutes, de son manque de foi. A présent, Baal, la vaine idole, est vaincu et le peuple, qui semblait perdu, a retrouvé le chemin de la vérité et s’est retrouvé lui-même.
Chers frères et sœurs, que nous dit cette histoire du passé ? Dans quelle mesure cette histoire est-elle actuelle ? Avant tout, c’est la priorité du premier commandement qui est en question : adorer uniquement Dieu. Là où Dieu disparaît, l’homme tombe dans l’esclavage d’idolâtries, comme l’ont montré, à notre époque, les régimes totalitaires et comme le montrent également diverses formes de nihilisme, qui rendent l’homme dépendant d’idoles, d’idolâtries qui le réduisent à l’état d’esclave. Deuxièmement, l’objectif principal de la prière est la conversion : le feu de Dieu qui transforme notre cœur et nous rend capables de voir Dieu et ainsi, de vivre selon Dieu et de vivre pour l’autre. En troisième lieu, les Pères nous disent que cette histoire d’un prophète est elle aussi prophétique, si — disent-ils — elle est l’ombre du futur, du futur Christ ; il s’agit d’un pas sur le chemin vers le Christ. Et ils nous disent que nous voyons ici le véritable feu de Dieu : l’amour qui guide le Seigneur jusqu’à la croix, jusqu’au don total de soi. La véritable adoration de Dieu, alors, est de se donner soi-même à Dieu et aux hommes, la véritable adoration est l’amour. Et la véritable adoration de Dieu ne détruit pas, mais renouvelle, transforme. Certes, le feu de Dieu, le feu de l’amour brûle, transforme, purifie, mais précisément ainsi, il ne détruit pas, mais crée la vérité de notre être, il recrée notre cœur. Et ainsi, réellement vivants par la grâce du feu de l’Esprit Saint, de l’amour de Dieu, nous sommes adorateurs en esprit et en vérité. Merci.
A l’issue de l’audience générale le pape a résumé sa catéchèse en différentes langues et salué les pèlerins. Voici ce qu’il a dit en français :
Chers frères et sœurs, dans l’histoire religieuse de l’ancien Israël, les prophètes, leur enseignement et leur prédication, ont eu une grande importance. Parmi eux, ressort particulièrement la figure d’Élie, suscité par Dieu pour inviter à la conversion et inciter le peuple à reconnaître le Seigneur comme le Dieu unique. L’Écriture nous montre Élie invoquer Dieu en de nombreuses occasions. Mais c’est surtout sur le mont Carmel qu’Élie se montre dans toute sa puissance d’intercesseur quand, devant tout Israël, il prie le Seigneur pour qu’il se manifeste et convertisse le cœur du peuple. Face aux prophètes de Baal qui s’agitent devant les idoles, Élie l’invite à s’unir à lui dans son action et dans sa supplication envers Dieu. Le peuple est mis devant sa propre vérité et le prophète demande que la vérité du Seigneur se manifeste et qu’il intervienne pour convertir Israël, le détacher de la tromperie de l’idolâtrie, l’amenant ainsi au salut. Élie demande au Seigneur que le peuple connaisse véritablement qui est son Dieu et fasse le choix décisif de le suivre. Il pourra ainsi professer sa foi de tout cœur. Chers amis, demandons à Dieu de nous rendre capables d’être des médiateurs de vérité auprès de nos frères, prêts à indiquer le chemin de la foi dans le Dieu unique qui veut se révéler à tous les hommes pour les convertir et les conduire au salut  !

Je suis heureux de saluer les pèlerins francophones, particulièrement les jeunes et le groupe du sanctuaire de Belpeuch. En ces jours qui suivent la fête de la Pentecôte, que l’Esprit-Saint vous donne de savoir accueillir chaque jour la miséricorde de Dieu qui vient à la rencontre de notre faiblesse et de nos manques de foi  ! Que Dieu vous bénisse  !

Traduction : Zenit

La création

15 juin, 2011

du site:

http://www.rabbinat.qc.ca/

La création

-Au commencement, D’ieu avait créé le ciel et la terre. Or, la terre n’était que solitude et chaos; des ténèbres couvraient la face de l’abîme, et le souffle de D’ieu planait sur la face des eaux. D’ieu dit : Que la lumière soit! Et la lumière fut. D’ieu considéra que la lumière était bonne, et il établit une distinction entre la lumière et les ténèbres. D’ieu appela la lumière Jour, et les ténèbres, il les appela Nuit. Il fut soir, il fut matin, un jour Bérèchit 1, 1-5.. -

Bérèchit est la première sidrade la Tora. La Tora s’ouvre sur le récit de la création du monde. Selon le Midrache Rabba rapporté par Rachi, il n’était point nécessaire de commencer la Tora par le récit de la création. Étant surtout le livre où sont édictées les règles et les lois du judaïsme, la Tora aurait dû débuter par la première loi Chémot 12, 2. : Ce mois-ci est pour vous le commencement des mois; il sera pour vous le premier de l’année. Toutefois en relatant la création du monde, la Tora tient à présenter notre Souverain Roi auquel nous devons obéissance puisque c’est Lui l’auteur du monde et son Créateur.
Par ailleurs, s’appuyant sur le texte Téhillim 111, 6. : La puissance de ses hauts faits, il l’a révélée à son peuple le Midrache Tanhouma, affirme que l’intention du créateur était de prouver aux peuples qu’Israël ne les a nullement spoliés de leur terre mais c’est le Maître du monde qui, les ayant dépossédés de leur pays, l’a donné à Israël.
Cependant même si nous devions admettre avec le Tanhouma que l’intention de la Tora était de faire taire tout argument des nations contre Israël, une difficulté subsisterait. Car quand bien même ces peuples auraient confiance et foi absolues en D’ieu, il n’en demeure pas moins qu’une donation reste toujours une donation qu’on ne peut reprendre avec autant de facilité. Une donation est comme une vente, irrévocable et inaliénable.
Mais le Chélah ha-Qadoche, explique à propos du verset Dévarim 4, 39. : Reconnais à présent, et imprime-le dans ton coeur, que l’Ét’ernel seul est D’ieu, dans le ciel en haut comme ici-bas sur la terre, qu’il n’en est point d’autres!que l’intention du texte, n’étant pas de nous convaincre de l’unicité de D’ieu, chose que nous savions déjà par Dévarim 6, 4. : Écoute Israël, l’Ét’ernel notre D’ieu, l’Ét’ernel est un, consiste en fait à affirmer que la présence divine dans le monde est la présence par excellence qui maintient l’existence du monde. C’est ainsi que la présence divine donne la vie à tout ce qui existe comme dit le texte Néhèmya 9, 6. : Tu donnes la vie à tous les êtres.
Rambam, dira également dans le Guide des Égarés Guide des Égarés vol. I chap. 72., D’ieu est appelé vie des mondes car c’est Lui qui les fait vivre et, s’il retirait Sa Providence ne serait-ce qu’un instant, ce sera la fin du monde. En effet, lorsqu’un artisan crée un objet, l’objet créé continue d’exister indépendamment de son auteur, tandis que le monde, même une fois créé, continue à dépendre du D’ieu créateur.
Aussi pour cette raison le Tanhouma base-t-il toute sa preuve sur le texte : La puissance de ses hauts faits, il l’a révélée à son peuple pour nous signaler que la puissance que renferme chaque acte et chaque fait divins, D’ieu les révèle à son peuple. Dans une telle perspective qui fait du peuple d’Israël le partenaire, ou tout au moins l’interlocuteur privilégié du Créateur, la donation du pays de Kénaâne faite aux sept peuples ne pouvait en aucune manière être considérée définitive et inaliénable. Cette donation était provisoire, momentanée car la terre dépendait et continue à dépendre de la Providence qui s’applique à elle d’une manière particulière. Une donation fait que le donateur n’a plus de prétention sur l’objet donné duquel il se détache complètement et définitivement. Ce ne fut nullement le cas du pays de Kénaâne.
Le récit de la création a ceci de particulier c’est qu’il nous renseigne sur la raison principale qui avait motivé la création. Le Midrache Rabba, rapporté par Rachi, affirme :
À cause de la Tora appelée rèchite, tel qu’il est dit Michelè 8, 22. :
L’Ét’ernel me créa au début, rèchite, de son action et à cause d’Israël appelé aussi rèchite tel qu’il est dit Yirmiya 2, 3. : Israël est une chose sainte, appartenant à l’Ét’ernel, les prémices, rèchite, de sa récolte…… que le monde a été créé.
Pour que la création puisse se maintenir Israël doit s’engager à étudier la Tora et à réaliser toutes les mitswot, . Israël est donc le garant de la création. Ce qui confirme les paroles du Talmoud Âvoda Zara 3a et Chabbat 88a., que la création a été soumise à la condition expresse qu’Israël accomplisse la Torasinon le monde serait réduit à néant.
Au commencement, D’ieu avait créé le ciel et la terre.
Ce texte suscite quelques remarques. Ainsi, pour quelle raison la Toracommence-t-elle par Bèt, et non Alèf ?
Bérèchit,est à l’état construit, un génitif, autrement dit, au commencement de.. la Tora n’indique pas le nom qu’il complète. Comment donc comprendre l’emploi de cette forme?
Èl’ohim : plus tard Bérèchit 2, 4. le texte dira : l’Ét’ernel D’ieu, Pourquoi ce changement?
La Tora commence par Bèt, parce que le roi Chélomo, dans son livre Qohèlète, compare la Tora au soleil qui éclaire la terre à partir de trois directions, Est, Sud, Ouest; le Nord n’est jamais visité par le soleil. Tel le Bèt, limité dans trois directions, mais la quatrième, toujours ouverte, que seule la Tora arrive à fermer, ainsi quiconque veut contester la Tora, s’expose aux tentations et aux attaques du yètsèr ha-râ, appelé tséfoni, l’originaire du nord. Mais quiconque désire échapper à ces attaques, la Torasera là pour l’aider.
Les Pirqè de Rabbi Èliêzèr, et le Zohar, rapportent comment le Créateur avait écarté chacune des lettres de l’alphabet pour débuter la Tora, invoquant pour chacune la raison de son refus. Le choix s’étant arrêté sur la lettre Bèt, Alèf, avait marqué son mécontentement. D’ieu le console en le gratifiant du privilège d’être placé en tête du décalogue. Anokhi, commence, en effet, par Alèf. Mais le choix divin s’était porté sur Bèt parce qu’elle débute le mot Bérakha, bénédiction, alors que Alèf est le début de arour, malédiction. La création du monde se situe donc au niveau de la bénédiction.
Zéqènim mi-Baâlè ha-tosséfot, font remarquer que le terme bérèchit, est composé de six lettres rappelant les six jours de création. Le verset se compose de sept mots correspondant aux septjours de la semaine. Et le nombre total des lettres qui composent ce verset est de 28 faisant référence aux 28 jours du mois. Ce verset renferme six fois la lettre Alèf qui se lit Èlèf, millénaire, attirant l’attention sur la durée du monde de la création qui est de 6000 ans.
Au commencement de… ,le texte ne dit pas au commencement de quoi. C’est pourquoi le midrache rapporté par Rachi propose comme lecture du verset Bé = bichevil, à cause d’un rèchite, et rèchites’explique par Tora et Israël. En d’autres termes, à cause de la Tora et d’Israël, D’ieu créa..
Mais le Targoum Yérouchalmi Traduction araméenne de Jérusalem., traduit avec sagesse D’ieu créa… car le verset Téhillim III, 10. dit : rèchite, le début de la sagesse, c’est la crainte de l’Ét’ernel.
Selon le Targoum, l’intention divine qui a présidé à la création est la sagesse autrement dit la crainte de l’Ét’ernel. Aussi pour le Zohar, l’anagramme de Bérèchit, est-il yéra Chabbat, crains le Chabbat. Et qui craint le Chabbat craint le Créateur. Le but de la création est donc que les créatures craignent l’Ét’ernel.
Èl’okim, Au début, D’ieu avait l’intention de créer le monde par la rigueur divine, middate ha-dine, mais comme il a vu que le monde ne pouvait tenir sur la justice stricte, il lui a associé la miséricorde, middate ha-rahamim, . Aussi le texte dira-t-il par la suite Bérèchit 2, 4. :
Telles sont les origines du ciel et de la terre, lorsqu’ils furent créés; à l’époque où l’Ét’ernel, miséricorde, D’ieu, justice, fit une terre et un ciel.
Toujours est-il impossible de penser qu’un changement ait pu intervenir au niveau de la volonté divine. Celle-ci a toujours voulu diriger son monde selon middate ha-dine qui continue d’ailleurs à s’appliquer aux tsaddiqim, en raison de leur aptitude à assumer à accepter la rigueur divine. S’agissant des réchaîm, incapables d’y faire face, le Créateur consent à lui adjoindre clémence et miséricorde. C’est pourquoi il a été donné au rachâ, la possibilité de s’amender et faire un repentir. Car si le monde était dirigé seulement par middate ha-dine, il n’y aurait pas eu de place aux réchaîm.
Ète ha-chamayim wé-ète ha-arèts:
Ces deux éléments ciel et terre ont été au début de la création. Pourtant chamayim, se décompose en èche, feu et mayim, eau! Pourquoi le texte ne donne-t-il pas d’information sur la création de ces deux éléments constitutifs des cieux?
Ète ha-chamayim,
Or ha-Hayim, réfutant l’explication de Bérèchit comme étant au commencement de la création du ciel et de la terre tente de montrer la grandeur du Créateur qui, par le premier verbe, la première parole Bérèchit, avait tout créé. En effet, le contraire serait impossible à comprendre étant difficilement en accord avec le texte. Car chamayim est déjà composé de Èche, feu, et mayim, eau, deux éléments qui n’étaient point jusqu’alors créés. Il cite à l’appui le texte du décalogue Chémot 20, 1. : Alors D’ieu prononça toutes ces paroles, c’est-à-dire, Il avait dit en une parole tous les dix commandements ce qu’aucune bouche ne peut exprimer. Tout ce que le Créateur avait l’intention de créer le fut à la première parole qui est Bérèchit.Aussi le ète, qui accompagne les cieux et la terre signifie ainsi que tout ce qu’ils renferment. Mais si D’ieu avait procédé à d’autres créations durant les jours suivants, ce fut surtout pour mettre de l’ordre dans son monde. Il en veut pour preuve le texte Bérèchit 2, 13. :
D’ieu bénit le septième jour et le proclama saint, parce qu’en ce jour il se reposa de l’oeuvre entière qu’il avait créée [le jour de la création] et organisée [pendant les six jours].
Or ha-Hayim explique ainsi l’emploi de Bérèchit. Se basant sur le texte Téhillim 33, 6. : Par la parole de l’Ét’ernel les cieux se sont formés, par le souffle de sa bouche, toutes leurs milice, il se demande comment nos Maîtres peuvent-ils affirmer que les créatures célestes ont été créées au deuxième jour pour éviter à l’homme l’erreur de dire qu’elles ont contribué à la création du monde. Le texte stipule, en effet, qu’elles ont été créées par le souffle de sa bouche qui, lui, est antérieur et précède la parole. Mais Bérèchit dont le sens est aussi parole divineatteste que le Créateur a usé de la parole avant le souffle afin que les êtres célestes ne puissent pas dire qu’ils ont participé à la création. Au début, les cieux et la terre furent créés par la parole ce n’est qu’ensuite que furent créés les êtres célestes par le souffle qui précède normalement la parole.
Or, la terre n’était que solitude et chaos; des ténèbres couvraient la face de l’abîme, et le souffle de D’ieu planait sur la face des eaux.
La terre était solitude et chaos,
Quel besoin de nous renseigner sur ce que la terre était avant la création de la lumière?
À partir des six jours de la création, le monde n’a pas subi, il est vrai, de changement. Le soleil continue toujours à se lever à l’Est et se coucher à l’Ouest. Cette information devient nécessaire car si les réchaîmcontribuaient par leurs mauvaises actions à jeter le monde dans le chaos, ce ne sera nullement un changement ni une nouveauté. Ce sera seulement le retour du chaos originel. L’ordre de la Création ne sera maintenu que si Israël et les tsaddiqim consentent à jouer ce rôle par leur conduite et par l’étude de la Tora.

D’ieu dit : Que la lumière soit! Et la lumière fut.

Et la lumière fut,

Pour quelle raison n’a-t-on pas dit et ce fut ainsi comme pour la plupart des choses créées? Dans ce texte il est écrit cinq fois le terme Or, et dans le texte traitant des luminaires, le quatrième jour, il est dit cinq fois Maor, . Pourquoi?
Rambane remarque, en effet, l’emploi de l’expression et la lumière fut au lieu de ce fut ainsi. L’expression ce fut ainsi suggère, dit-il, que la lumière initiale de la création est celle que nous avons en ce moment alors qu’elle n’a été en service que jusqu’au quatrième jour de la création, jour où furent créés les luminaires.
Rachi dit que cette lumière ne devait pas être au service des réchaîm, c’est pourquoi D’ieu l’avait mise en réserve pour la fin des temps.
C’est cette voie qu’emprunte, Maor Wa-Chèmèche. La Tora évite de préciser ce fut ainsi pour ne pas risquer de voir les réchaîm utiliser cette lumière destinée aux seuls tsaddiqim.
Ainsi pour cette raison trouvons-nous cinq fois le terme or, lumière, le premier jour et, parallèlement cinq fois le terme maor, luminaire, le quatrième jour pour préciser que la lumière qui est en service, celle produite par le soleil, la lune et les étoiles, n’est que le reflet de cette première lumière qui est gardée en réserve pour les tsaddiqim.
D’ieu considéra que la lumière était bonne, et il établit une distinction entre la lumière et les ténèbres.
Il établit une distinction entre la lumière et les ténèbres.
Cette information paraît de prime abord inutile puisque le jour sera le règne de la lumière et la nuit celui des ténèbres. Pourquoi alors l’avoir mentionnée?
Rachi explique qu’il n’est point convenable ni esthétique que la lumière et les ténèbres servent confusément.
Mais Sforno, souligne, tout en étant d’accord avec l’opinion de Rachi, que le jour et la nuit connaissent une distinction, pendant les quatre premiers jours, par la seule volonté du Créateur. Pendant ces quatres jours, la durée du jour et de la nuit a été marquée non par l’exercice du soleil et de la lune qui n’étaient pas en fonction, mais par la volonté divine.
D’ieu appela la lumière Jour, et les ténèbres, il les appela Nuit. Il fut soir, il fut matin, un jour.
Yom èhad, un jour.
Pourquoi ne pas employer yom richone, premier jour, comme pour les autres jours où le nombre ordinal est employé?
En ce premier jour D’ieu était unique en son monde. Kéli Yaqar, souligne qu’il faut absolument affirmer l’unicité de D’ieu créateur du jour et de la nuit pour combattre les croyances manichéennes qui enseignent l’existence d’un dieu créateur de la lumière distinct du créateur des ténèbres, dieu du mal distinct du dieu du bien.
Pour nous, D’ieu est èhad, unique. Il ne saurait exister d’autres divinités. Au-delà du récit de la Création, la Tora vise de nous imprégner de l’existence de D’ieu et de Sa Providence. Aussi dans nos prières devons-nous mentionner le jour comme la nuit que D’ieu est le créateur à la fois du jour et de la nuit, de la lumière et des ténèbres.

bonne nuit

14 juin, 2011

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katolichon di stavronikita

14 juin, 2011

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PENTECÔTE – MÉDITATION SUR LA FÊTE

14 juin, 2011

du site:

http://www.pagesorthodoxes.net/fetes/pentecote1.htm

PENTECÔTE – MÉDITATION SUR LA FÊTE

AVEC LE PÈRE LEV GILLET

« Voici que nous célébrons la fête de la Pentecôte, la venue de l’Esprit, l’accomplissement de la promesse ainsi que de notre espérance ». C’est en ces termes que l’Église aux vêpres de la Pentecôte, le samedi soir, nous invite à entrer dans l’atmosphère de cette très grande fête que nous célébrons le septième dimanche après Pâques [1] et qui n’est pas inférieure à Pâques elle-même.
Au cours de ces vêpres du samedi soir avant la Pentecôte, trois lectures de l’Ancien Testament nous préparent à la fête. La lecture du livre des Nombres (11, 16-17, 24-29) nous montre Moïse choisissant, sur l’ordre de Dieu, soixante-dix anciens auxquels Dieu communiqua une part de l’esprit qu’il avait donné à Moïse. Ils se tenaient près du tabernacle, « quand l’Esprit reposa sur eux, ils prophétisèrent… ». Et, quand Josué demanda à Moïse de réduire au silence deux hommes qui prophétisaient sans être venus vers le tabernacle, Moïse répondit : « Serais-tu jaloux pour moi ? Ah ! Puisse tout le peuple de Yahvé être prophète, Yahvé leur donnant son Esprit ! [2] ». La lecture du prophète Joël (2, 23-32) prédit ce qui arriva lors de la première Pentecôte chrétienne : « Après cela je répandrai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens auront des songes, vos jeunes gens, des visions. Même sur les esclaves, hommes et femmes, en ces jours-là, je répandrai mon Esprit ». La lecture du prophète Ezéchiel (36, 24-28) annonce elle aussi un renouvellement intérieur : « … Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau ; J’ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon esprit en vous… ».
Aux matines de la Pentecôte, chantées le samedi soir ou le dimanche matin, nous lisons un des évangiles racontant les apparitions de Jésus ressuscité. Dans ce passage (Jn 20, 19-31), nous voyons une première descente de l’Esprit sur les disciples : « … Il [Jésus] souffla sur eux et leur dit : Recevez l’Esprit Saint… ». Cette première venue de l’Esprit n’est pas moins réelle que celle du jour de la Pentecôte. La différence est que, le jour de la Pentecôte, l’Esprit descendit sur eux avec « puissance ». Il y a la même différence entre la venue du Saint-Esprit sur un chrétien baptisé, au moment où il reçoit le sacrement de chrismation ou confirmation, et ce baptême de l’Esprit dont nous reparlerons et que certains chrétiens obtiennent à un stade avancé de la vie spirituelle.
À la liturgie, le dimanche matin, nous lisons, au lieu d’épître, le récit des événements de la Pentecôte tels que les décrit le livre des Actes des apôtres (2, 1-11). Certains aspects de ce récit appellent particulièrement notre attention.
« Le jour de la Pentecôte étant arrivé… ». La Pentecôte est à la fois un achèvement et un début. Une voie nouvelle s’ouvrait devant les disciples, mais ils s’y étaient préparés. Nous ne pouvons pas entrer en quelque sorte dans la Pentecôte à l’improviste. Il nous faut d’abord avoir assimilé toute la substance spirituelle que nous offrent les cinquante jours compris entre Pâques et Pentecôte. Il nous faut déjà avoir eu l’expérience du Christ ressuscité. Il faut avoir traversé les jours de la Passion. Bref, il faut avoir mûri.
« Ils se trouvaient tous ensemble… ». Quelques autres versets du livre des Actes nous dépeignent les Onze, assemblés « dans la chambre haute », avec Marie, mère de Jésus et les femmes. C’était l’Église naissante. Ils priaient tous ensemble. Nous trouvons là les conditions nécessaires à la réception du Saint-Esprit. Il nous faut, à certains moments, nous retirer du monde et nous enclore dans la chambre haute de notre âme. Là nous devons prier. Et nous devons nous unir à la prière et à la foi de toute l’Église. Nous devons être « ensemble » avec les apôtres et avec la mère de Jésus. Qui veut ignorer l’autorité des apôtres ou se passer de la présence maternelle de Marie ne peut recevoir le Saint-Esprit.
« Quand, tout à coup, vint du ciel un bruit comme celui d’un violent coup de vent… ». Le Saint-Esprit est un souffle, un vent. Ce qui importe pour nous, ce n’est pas de nous émerveiller devant le puissance de ce souffle, mais de nous soumettre entièrement à lui et de nous laisser « pousser » par l’Esprit comme Jésus aux jours de sa vie terrestre. Que ce souffle nous dirige où il veut. Rappelons-nous aussi que ce souffle est lui-même « dirigé ». Il n’est pas une force indépendante et incohérente. Jésus a soufflé le Saint-Esprit sur ses disciples. Mais ce souffle procède d’abord de la bouche du Père [3]. Il est une obéissance à Dieu. En obéissant aux impulsions de l’Esprit (le vent bruyant n’est qu’un symbole extérieur et rare, l’impulsion intérieure est la réalité), nous participons à l’obéissance de l’Esprit lui-même, procédant du Père, envoyé par le Fils.
« Ils virent apparaître des langues qu’on eût dites de feu ; elles se divisaient et il s’en posa une sur chacun d’eux ». Le Saint-Esprit apparaît sous la forme de langues. La Pentecôte remédie à la dispersion et confusion des langues, produit de l’effort orgueilleux de la tour de Babel. Elle rétablit l’unité du langage humain. Les disciples seront compris par tous les étrangers venus à Jérusalem, Parthes, Mèdes et Cappadociens, et ceux-ci s’étonneront d’entendre comme dans leur propre langue les discours de ces Galiléens. Le langage de l’Esprit – du moins son sens intérieur – est aujourd’hui encore accessible à tous les hommes, à toutes les races, à toutes les nations ; le même Esprit transmet un message universel, que chaque âme reconnaît cependant comme le sien propre. D’autre part, encore de nos jours, celui en qui le Saint-Esprit agit devient capable, sinon de s’exprimer en langues étrangères, du moins de trouver la « langue » psychologique qui aura une résonance chez chacun et ouvrira son cœur. Le « dialogue » devient ainsi possible. Ce sont des langues de feu qui se posèrent sur les disciples. Ces langues impliquent une charité brûlante. La parole semble conditionnée par la flamme. Enfin les langues sont également distribuées. Elles ne sont pas le privilège de Pierre, ou de Marie, ou des Onze. Elles se posent sur tous ceux qui sont présents dans la chambre haute, et cependant ces langues enflammées sont un seul et même feu. Ainsi se trouve résolu dans l’Église le problème de l’unité et des personnes. Ni l’une ni les autres ne sont sacrifiées.
« Tous furent alors remplis de l’Esprit Saint… ». Cette soudaine et complète invasion de l’âme entière par le Saint-Esprit, accompagnée d’une force nouvelle, extraordinaire, constitue le « baptême du Saint-Esprit » différent à la fois du baptême d’eau et de l’onction par laquelle l’Église communique l’Esprit. Il y a là une réalité que nous avons trop perdue de vue, mais sur laquelle l’Écriture insiste et vers laquelle notre attention devrait être rappelée [4].
 « Et ils commencèrent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer… ». Nous avons déjà indiqué l’importance de cette parole « donnée » par l’Esprit [5]. Mais, d’une manière plus générale, ici se pose la question des grâces extraordinaires ou pentecostales, des charismes [6]. Un danger serait de les désirer d’une manière désordonnée. Un autre danger serait de les négliger, de les oublier, de penser que ce sont là choses du passé, alors qu’ils ont été donnés – ou plutôt qu’ils sont donnés – à l’Église pour tous les temps.
L’évangile du dimanche de la Pentecôte (Jn 7, 37-52 – 8, 12) relate les discussions entre Juifs relativement à la personne de Jésus. Seuls les trois premiers versets ont un rapport direct avec le Saint-Esprit : « Jésus debout, lança à pleine voix : si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi, selon le mot de l’Écriture, de son sein couleront des fleuves d’eau vive. Il parlait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croient en lui ; car ils n’avaient pas encore l’Esprit, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié ». Le sens de ces paroles est clair. D’une part, l’effusion du Saint-Esprit est conditionnée par la foi en Jésus. D’autre part, le Saint-Esprit sera donné quand la présence visible de Jésus aura été retirée de ce monde. Ce sont là les deux points fondamentaux de la doctrine des rapports du Fils et de l’Esprit dans la vie des chrétiens [7].
Aussitôt après la liturgie commencent des vêpres d’une structure spéciale. Au cours de cet office, la congrégation, agenouillée, chante d’une manière solennelle le tropaire « Roi du ciel, Consolateur, Esprit de vérité, toi qui es partout présent et qui remplis tout… ». On sait que ce tropaire est dit au début de chaque liturgie et de la plupart des offices du rit byzantin ; et il est, si nous ne faisons pas erreur, la seule prière adressée directement, dans ce rit, au Saint-Esprit [8]. Cette prière, le matin du dimanche de la Pentecôte, a une importance capitale : son chant est le moment où l’Église concentre toutes ses aspirations vers l’Esprit et implore sa venue ; à ce moment, chaque fidèle agenouillé peut, s’il demande vraiment Celui qui est le « don » par excellence, recevoir dans son cœur un renouvellement de la grâce pentecostale et la descente de la colombe [9]. La congrégation étant encore agenouillée, le prêtre lit sept longues prières ; deux d’entre elles sont adressées à Dieu, sans distinction entre les trois personnes divines ; deux sont adressées au Père et trois au Fils. Elles peuvent, au premier abord, sembler un peu diffuses ; mais si on les analyses attentivement, on reconnaîtra en elles une somme de la doctrine orthodoxe. Elles récapitulent toute l’économie divine du salut ; elles indiquent tout ce que Dieu a fait pour les hommes depuis la création et elle sollicitent les grâces dont nous avons besoin. Quoiqu’elles fassent certaines allusions au Saint-Esprit, elles marquent un glissement du mystère de l’Esprit au mystère de la Trinité. Une phrase de la cinquième de ces prières dit : « Ô toi, qui, le dernier et grand jour de notre salut, celui de la Pentecôte, nous as révélé le mystère de la Sainte Trinité, consubstantielle et co-éternelle… ». Cet aspect « trinitaire » de la fête de la Pentecôte explique pourquoi ce dimanche est souvent appelé, parmi les peuples orthodoxes, « jour de la Trinité [10] ». Il explique aussi pourquoi les Églises de rit Byzantin ont jugé bon de consacrer plus spécialement le lundi de la Pentecôte à la personne du Saint-Esprit : la liturgie et la plus grande part de l’office de la veille (sauf les sept prières dont nous avons parlé) sont répétées en ce lundi. À vrai dire, nommer, comme on le fait, le lundi de la Pentecôte « jour du Saint-Esprit » est une anomalie, car la vraie fête du Saint-Esprit est le dimanche de la Pentecôte, et il serait certainement souhaitable que, en ce dimanche même, la piété des fidèles s’adresse très particulièrement à la troisième personne de la Trinité, dont l’existence et l’action demeurent si voilées à beaucoup d’entre nous. D’autre part, il est bon que le mystère de la Trinité soit aussi rappelé à notre attention. Ce serait une grande erreur que de considérer le dogme de la Trinité comme une spéculation abstraite, lointaine, sans rapport avec notre vie pratique. L’amour vivant et réciproque des trois Personnes divines est le fait éternel, le fait le plus grand, infiniment plus grand et important que tout ce qui nous concerne nous-mêmes [11]. L’homme a été créé parce que les trois Personnes divines voulaient lui communiquer dans une certaine mesure leur propre vie intime. Déjà ici-bas, la vie de la grâce est une participation à cette vie de la Trinité. L’âme qui meurt unie à Dieu est appelée à entrer dans la circulation d’amour des trois Personnes. Les relations de celles-ci constituent le modèle suprême, quoiqu’infiniment transcendant, de ce que devraient être les relations entre les hommes. La Pentecôte, événement final de l’histoire de notre salut – puisque la dispensation du Saint-Esprit ne sera, en ce monde suivie d’aucune dispensation supérieure ou nouvelle – nous introduit au sein du mystère de la Trinité, océan d’où part et où aboutit le fleuve de l’amour divin qui emporte les hommes vers Dieu [12].
Afin de marquer que, à la Pentecôte, le cycle liturgique a atteint sa plénitude, l’Église orthodoxe appelle tous les dimanches qui suivent « dimanches après la Pentecôte ». Elle continue même de les désigner ainsi jusqu’au premier dimanche de la préparation au grand carême. Il en résulte, à partir du début de l’année liturgique (1er septembre), un curieux dédoublement entre la série des dimanches, qui se rattachent d’une certaine manière à la Pentecôte, au temps de plénitude, et les fêtes de Notre-Seigneur (Avent, Noël, Épiphanie), temps d’attente, de naissance et de croissance. En fait, la piété des fidèles saura, au cours des cinq ou six premiers mois de l’année liturgique, mettre spirituellement les dimanches en rapport avec le mystère du Christ attendu, apparaissant et grandissant au milieu des hommes. Par contre il est bon que, de la Pentecôte à la fin de l’année liturgique, nous sachions maintenir les dimanches dans le cadre du « temps après la Pentecôte » ou plutôt du « temps de la Pentecôte », lequel durera jusqu’au commencement de septembre. Nous célèbrerons ces dimanches dans l’esprit de la Pentecôte. Nous lirons, aux liturgies de ces dimanches des épisodes évangéliques bien antérieurs à la Pentecôte ; ils se rattachent à la vie terrestre de Jésus avant sa Passion et sa glorification. Mais nous les interprèterons en termes de l’Esprit, car c’est sous le souffle et par la puissance du Saint-Esprit que Jésus parlait et agissait.
Nous avons déjà souligné l’importance du thème de la lumière dans l’année liturgique byzantine : cette lumière divine apparaît avec la naissance du Christ ; elle croît avec lui ; elle triomphe sur les ténèbres la nuit de Pâques ; à la Pentecôte, elle atteint le plein midi. La Pentecôte est « la flamme du midi ». Mais à ce développement exprimé par l’année liturgique doit correspondre dans notre âme une croissance de la lumière intérieure. Les richesses et le symbolisme de l’année liturgique ne servent de rien si elles n’aident pas la « lumière intérieure » à guider notre vie.
Nous avons dit aussi que l’on pourrait discerner dans la vie spirituelle trois étapes comparables à trois conversions. La première conversion est la rencontre de l’âme avec Notre-Seigneur, suivi comme un Ami et comme un Maître. La deuxième conversion est l’expérience personnelle du pardon et du salut, de la croix et de la résurrection. La troisième conversion est la venue du Saint-Esprit dans l’âme comme une flamme et une force. C’est elle qui établit l’homme dans une union durable avec Dieu. Noël ou l’Épiphanie, puis Pâques et enfin la Pentecôte correspondent à ces trois conversions. Hélas ! il est probable que nous n’avons pas encore été transformés en flamme vive par les Pentecôtes déjà nombreuses auxquelles, chaque année, nous nous sommes liturgiquement associés. Du moins est-il bon que nous ne perdions jamais de vue quelles grâces, quelles possibilités chaque Pentecôte nous apporte.

NOTES

[1] On sait que la Pentecôte était d’abord, comme Pâques, une fête juive. À l’origine, c’était la fête de la moisson des prémices (Exodes 23, 16). Plus tard, sous l’influence des Pharisiens, le caractère de cette fête se spiritualisa : elle devint la commémoration du don de la loi fait par Dieu à Moïse. La Pentecôte chrétienne prolonge ces deux lignes d’origine : les conversions et les miracles de la première Pentecôte chrétienne étaient les prémices de la religion de Jésus ; la venue de l’Esprit dans le cœur des disciples y   inscrivait une Loi nouvelle. Nous savons par Tertullien que, le IIIe siècle, les chrétiens célébraient leur propre fête de Pentecôte. D’après les soi-disant Constitutions apostoliques, la célébration de la Pentecôte, au IVe siècle, durait une semaine. On conférait le baptême aux catéchumènes la veille du dimanche de Pentecôte, comme on le faisait le samedi-saint. Pâques et la Pentecôte – la Pâque de l’Esprit – étaient mises sur pied d’égalité.
[2] Ce texte devrait être médité, de nos jours, par les exclusivistes qui croient que Dieu ne peut se susciter de prophètes qu’auprès de leurs propres tabernacles. Les serviteurs de Dieu dont l’Église a sanctionné la vie et les paroles ont, de ce fait, une autorité particulière. Mais il n’est pas d’Église ou de groupe chrétiens, il n’est pas de religion, même païenne, où Dieu ne puisse élire des serviteurs saints et inspirés.
[3] Le souffle devient une voix. La voix qui prononce et la parole prononcée procèdent toutes deux du Père. Le Fils est le mot, la Parole de Dieu. Le Saint-Esprit est la voix qui porte et prononce cette Parole. Lorsque Dieu nous parle intérieurement, le contenu interne du message vient du Père. Le Fils formule et prononce le texte du message. Et c’est par la force de l’Esprit que le message nous atteint. Si le texte du message appartient au Fils, l’intonation et les inflexions, pour ainsi dire, sont de l’Esprit. Le même texte musical peut comporter des nuances très délicates d’exécution : le Saint-Esprit est le divin transmetteur des mots que prononce le Fils ; il joue des pédales dont dépendra la puissance ou la douceur du message, et il règle son impact sur l’âme humaine. Qu’on nous pardonne des comparaisons lamentablement déficientes. Mais il s’agit de réalités que nous ne pouvons représenter que par des images plus ou moins grossières. D’autre part, quand nous disons que l’Esprit, souffle du Père, a été – et est encore – insufflé par Jésus à ses disciples, nous parlons de l’envoi, de la mission de l’Esprit en ce monde. Mais il faut d’abord penser à l’Esprit comme au souffle du Père sur Jésus, souffle que Jésus transmet aux hommes. Nous touchons ici à la question de la procession de Saint-Esprit. Orthodoxes et Romains sont aujourd’hui d’accord sur un point : le Père seul est, dans la Trinité, principe absolu de procession. Ceux qui pensent que l’Esprit procède du Père « par le Fils » n’admettent cependant pas que le Fils soit, comme le Père, la source de la procession de l’Esprit ; il en est seulement le canal, l’instrument. Ceux qui pensent que le Fils et l’Esprit procèdent tous deux du Père d’une manière immédiate, sans que le Fils soit l’intermédiaire de la procession de l’Esprit (quoique, dans les missions extérieures de l’Esprit, ce soit le Fils qui l’envoie), sont peut-être implicitement préoccupés de ceci : éviter jusqu’à l’apparence de faire dépendre l’élément invisible (l’Esprit) de l’élément visible (le Fils incarné). Cette préoccupation a d’importantes conséquences dans la conception de l’Église ou, pus précisément, des rapports entre l’élément spirituel et l’élément institutionnel dans l’Église.
[4] L’Écriture montre que cette venue de l’Esprit « avec puissance » peut être accordée sans ministère humain, sans intermédiaire sacramentel (imposition des mains ou onction) : c’est ainsi que Corneille et d’autres reçurent le Saint-Esprit (Ac 10, 44). Dans ce cas, le baptême d’esprit a eu lieu avant le baptême d’eau. Paul a aussi reçu le Saint-Esprit avant d’être baptisé d’eau ; dans le cas de Paul, la venue de l’Esprit a été opérée par une imposition des mains, sans que nous sachions quelle place le ministre qui la conféra occupait dans la communauté chrétienne (Ac 9, 17). Il arrivait que l’Esprit vînt une deuxième fois sur un homme ou un groupe qui l’avaient déjà reçu (Ac 5, 31). Nous ne pouvons donc identifier simplement ce baptême d’Esprit, mentionné dans l’Écriture, avec les rites ecclésiastiques de la « confirmation » ou « chrismation » : ce sacrement se rapproche plutôt de l’insufflation de l’Esprit sur les disciples par Jésus, après la Résurrection, bien avant que la flamme et la force de la Pentecôte fussent descendues sur eux. De même, à la question que Paul posait aux Éphésiens : « Avez-vous reçu le Saint-Esprit ?  », il ne suffirait pas que nous répondions : « J’ai reçu l’Esprit lorsqu’après mon baptême j’ai été oint avec le chrisme ». Il s’agit de savoir si et comment la semence de l’Esprit, alors déposée en nous, s’est développée et a fructifié. La venue de l’Esprit avec puissance, la Pentecôte intérieure se produit parfois graduellement et insensiblement ; d’autre fois, elle constitue un événement brusque, une coupure radicale dans la trame de la vie. Elle peut s’accomplir sans aucune intervention humaine ; elle peut aussi s’accomplir au contact ou par la prière d’un homme, quel qu’il soit, qui déjà possède la force de l’Esprit. Beaucoup d’âmes vivent, étrangères à cette puissance pentecostale, quoiqu’elles aient été marquées du double sceau du baptême d’eau et de l’onction. Par contre, nous n’oserions point nier que, de nos jours, comme autrefois, certains hommes qui n’ont pas reçu sacramentellement l’Esprit ont cependant obtenu la réalité du baptême de l’Esprit et la grâce de Pentecôte, car « L’Esprit souffle où il veut » (Jn 3, 8) et « Dieu ne donne pas l’Esprit avec mesure » (Jn 3, 34). Une vie chrétienne où la puissance de l’Esprit (non seulement sa présence latente) ne se ferait pas sentir n’aurait pas atteint son développement normal. Mais en combien de chrétiens le baptême de l’Esprit, la Pentecôte sont-ils une force agissante ?  On reconnaît cette force dans la vie des saints.
[5] L’antiquité chrétienne a connu le « don des langues » sous une double forme : la « xénoglossie », qui consiste à s’exprimer dans une langue étrangère à celui qui la parle ou, si l’orateur s’exprime dans sa propre langue, à être compris par des étrangers ; et la « glossolalie », qui consiste à prononcer des paroles mystérieuses, incompréhensibles en toute langue, et nécessitant un interprète, lui aussi inspiré, pour les traduire aux auditeurs.
[6] Saint Paul énumère les principaux charismes : guérison, prophétie, parler en langues, discernement des esprits, etc. (1 Co 12, 7-10). Ces dons extraordinaires n’ont jamais disparu de l’Église : cet aspect de la succession apostolique a surtout été dévolu aux saints, et il constitue le ministère pneumatique, prophétique, à l’intérieur de la communauté chrétienne. La pauvreté de notre foi est cause que trop souvent nous considérons ces grâces comme exceptionnelles. Mais c’est aux croyants de tous les temps que Jésus a dit : « Et voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru : par mon Nom, ils chasseront les démons, ils parleront en langues… ils imposeront les mains aux malades et ceux-ci seront guéris (Mc 16, 17-18) ». Paul exhortait les fidèles à désirer ces dons de l’Esprit qui nous semblent extraordinaires : « Aspirez aux dons supérieurs » (1 Co 12, 31). Mais il ne faut pas oublier qu’au-delà des charismes se trouve ce que Paul nomme la « voie qui les dépasse tous » (1 Co 12, 31) de la charité.
[7] Si nous essayons de nous adresser au Saint-Esprit en le séparant mentalement de la personne du Christ, il semble en quelque sorte se retirer et s’évanouir. Le Fils nous envoie l’Esprit. L’Esprit nous révèle le Fils. Le Saint-Esprit n’est pas un substitut du Christ, mais il nous prépare pour le Christ, il le forme en nous, il nous le rend présent. En ce sens, on pourrait dire que le Fils, notre modèle, est l’« objet » vers lequel tend notre vie spirituelle. L’Esprit, agissant en nous, est le « sujet » qui tend vers cet objet et nous porte vers lui.
[8] À défaut de prières adressées au Saint-Esprit lui-même, nous devons pratiquer ce que l’apôtre Jude (épître, verset 20) appelle « prier dans l’Esprit Saint », soit que l’intention et les paroles de notre prière nous aient été données par l’Esprit, soit que notre âme s’unisse en silence à la prière inconnue que l’Esprit ne cesse de former. Il est en nous-mêmes le vrai Suppliant. Comme dit Paul, « L’Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables » (Rm 8, 26).
[9] Quand nous disons que le Saint-Esprit habite en nous, nous « approprions » (comme disent les théologiens) à la troisième Personne de la Trinité une action dans laquelle les deux autre Personnes se trouvent incluses, car la Trinité entière partage l’activité extérieure de chacun de ses membres. Mais il est très conforme à l’Écriture de parler d’une immanence de l’Esprit dans la créature humaine, qui est son temple.
[10] Les Églises de rit byzantin n’ont pas, comme l’Église latine ou l’Église anglicane, un dimanche spécialement dédié à la Sainte Trinité et distinct de la Pentecôte.
[11] Il serait très instructif et fructueux pour nous, par exemple, de lire l’Évangile en nous plaçant au point de vue, non de la mission de Jésus en faveur des hommes, mais de la relation personnelle du Fils au Père. Nous verrions alors combien cette relation est l’essence même du mystère de Jésus. Les Pères grecs avaient bien senti l’importance de cette contemplation désintéressée de la vie divine. À dater de Luther, une partie de la chrétienté a voulu connaître seulement « le Christ pour nous », dans son action rédemptrice. Ce fut là une grande perte.
[12] Sans vouloir esquisser ici une théologie, même très sommaire, du mystère de la Trinité, nous voudrions indiquer les grandes lignes qu’a suivies l’esprit humain pour approcher ce mystère. Nous éliminerons d’emblée l’hérésie modaliste qui voit dans les Trois Personnes de simples aspects ou modes de l’activité de Dieu. Nous pouvons considérer la Trinité sur le plan ontologique, métaphysique : à l’intérieur de l’être divin, nous distinguerons trois relations « substantielle » de paternité, de filiation, de spiration ; nous appelons ces relations « substantielle » parce que, à la différence des relations entre êtres créés qui sont « accidentelles », détachables en quelque sorte de l’essence qui les supporte, les relations divine sont ce qui constitue chacune des Trois Personnes ;  le Père n’est qu’en tant que Père, le Fils n’est qu’en tant de Fils, l’Esprit n’est qu’en tant que « spiré ». Telle est la ligne d’approche de Saint Thomas et de ses disciples. On  peut se se placer sur le plan psychologique et établir des analogies entre les Personnes divines et ce qui se passe dans l’âme humaine : le Père est premier principe, puissance, mémoire ; le Fils est intellect ; l’Esprit est volonté, amour. Telle est la ligne que suivront ceux qui s’inspirent de Saint Augustin. Tandis que les Pères latins sont plutôt allés de l’unité divine aux trois Personnes, les Pères grecs ont préféré considérer tout d’abord les Personnes et atteindre ensuite l’unité divine. Un latin, Richard de Saint-Victor, les a suivis dans cette voie : dans sa conception de la Trinité comme consistant en trois amours personnels, le Père est le premier aimant, le Fils le premier aimé, et l’Esprit le « co-aimé » dont l’existence est nécessaire aux deux autres personnes, car un amour parfait veut partager ce qu’il reçoit et multiplier ce qu’il offre. Le mystère de la Trinité ne peut évidemment être compris par l’intelligence humaine. Mais, tout en étant objet de foi et non de compréhension rationnelle, il peut être approché, pressenti par notre âme, grâce aux harmoniques qu’il y soulève.

Extrait du livre L’An de grâce du Seigneur,
signé « Un moine de l’Église d’Orient »

SAINT SILOUANE L’ATHONITE – LES LAMENTATIONS D’ADAM

14 juin, 2011

du site:

http://www.pagesorthodoxes.net/metanoia/silouane-lamentations.htm

SAINT SILOUANE L’ATHONITE  – LES LAMENTATIONS D’ADAM

Adam, père de toute l’humanité, connaissait dans le Paradis la douceur de l’amour de Dieu ; aussi souffrit-il amèrement lorsque, à cause de son péché, il fut chassé du jardin de l’Éden et perdit l’amour de Dieu. Il se lamentait avec de grands gémissements, et ses sanglots remplissaient tout le vaste désert, car son âme était tourmentée à cette pensée :  » J’ai offensé le Dieu que j’aime.  » Il ne regrettait pas tant le Paradis et sa beauté que d’avoir perdu l’amour de Dieu, qui, insatiablement et à chaque instant, attire l’âme à lui.
De même, toute âme qui a connu Dieu par le Saint-Esprit, mais qui, ensuite, a perdu la grâce, passe par les tourments d’Adam. L’âme est malade et éprouve un douloureux regret d’avoir affligé son Seigneur bien-aimé.

Adam languissait sur terre et sanglotait amèrement.
La terre ne lui était pas douce,
Et il soupirait après Dieu en clamant:
 » Mon âme languit après le Seigneur, et je le cherche avec larmes.
Comment ne le chercherais-je pas ?
Quand j’étais avec lui, mon âme était joyeuse et sereine,
Et l’Ennemi n’avait point d’accès auprès de moi.
Mais, à présent, l’esprit mauvais a pris pouvoir sur moi,
Agite et fait souffrir mon âme.
C’est pourquoi mon âme désire à en mourir le Seigneur;
Mon esprit s’élève vers Dieu, et rien sur terre ne peut me réjouir.
Rien ne peut consoler mon âme,
Mais elle désire de nouveau voir le Seigneur, et être comblée par lui.
Je ne puis l’oublier un seul instant, et mon âme languit après lui ;
Ma peine est si grande que je pleure en gémissant :
Aie pitié de moi, ô Dieu, aie pitié de ta créature tombée. « 

Ainsi se lamentait Adam,

Et les larmes lui coulaient de son visage sur la poitrine et jusqu’à terre,
Et tout le désert résonnait de ses gémissements.
Les animaux et les oiseaux se turent de douleur,
Mais Adam pleurait, car, à cause de son péché,
tous avaient perdu la paix et l’amour.
Grande était la détresse d’Adam lorsqu’il fut chassé du Paradis ;
Mais lorsqu’il vit Abel tué par son frère Caïn, sa souffrance redoubla ;
L’âme écrasée de douleur, il se lamentait et songeait :
 » De moi sortiront et se multiplieront des peuples entiers.
Tous, ils souffriront ; ils vivront dans l’inimitié
et se tueront les uns les autres.  »
Cette douleur était immense comme la mer,
Et seul peut la comprendre celui dont l’âme a connu le Seigneur
et sait combien il nous aime.

Moi aussi, j’ai perdu la grâce
Et, d’une seule voix, je crie avec Adam :
 » Sois miséricordieux envers moi, Seigneur.
Donne-moi un esprit d’humilité et d’amour.  »
Ô amour du Seigneur! Celui qui t’a connu,
sans se lasser te cherche jour et nuit, et s’écrie :
 » Je te désire, Seigneur, et je te cherche avec des larmes.
Comment pourrai je ne pas te chercher ?
Tu m’as donné de te connaître par le Saint-Esprit,
Et cette connaissance divine entraîne mon âme à te chercher en pleurant. « 

Adam pleurait:
 » Il n’y a point de douceur pour moi dans le désert.
Il n’y en a point dans les hautes montagnes, ni dans les prairies,
Ni dans les forêts, ni dans le chant des oiseaux ;
Rien ne m’est doux.
Mon âme est dans une profonde affliction, car j’ai offensé mon Dieu.
Et si le Seigneur me prenait à nouveau dans le Paradis,
même là, je souffrais et pleurerais
Pourquoi ai-je offensé le Dieu que j’aime ? « 

Chassé du Paradis, Adam souffrait dans son âme,
Et, dans sa douleur, il versait d’abondantes larmes.
De même, toute âme qui a connu le Seigneur, languit après lui et s’écrie :
 » Où es-tu, Seigneur ? Où es-tu, ma Lumière ?
Pourquoi m’as-tu caché ton Visage ?
Depuis longtemps mon âme ne te voit plus ;
Elle aspire à toi et te cherche en pleurant.
Où est mon Seigneur ?
Pourquoi mon âme ne le voit-elle plus ?
Qu’est-ce qui l’empêche de vivre en moi ?
Voici : je n’ai pas l’humilité du Christ, ni l’amour des ennemis. « 

Dieu est Amour infini, Amour impossible à décrire.
Adam marchait sur la terre, et pleurait à cause
des maux sans nombre de son coeur,
Mais ses pensées étaient absorbées en Dieu ;
Et lorsque son corps était à bout de forces
et ne pouvait plus répandre de larmes,
Même alors son esprit restait tendu vers Dieu,
Car il ne pouvait oublier le Paradis et sa beauté ;
Mais, plus que tout, Adam aimait Dieu,
Et cet amour lui donnait la force de s’élancer vers lui.

- Ô Adam, j’écris à ton sujet :
Mais, tu le vois, mon esprit est trop faible
pour comprendre ton désir de Dieu,
Et comment tu portais le fardeau de la pénitence.
Ô Adam, tu vois combien, moi, ton enfant, je souffre sur terre.
Il n’y a presque plus de feu en moi,
Et la flamme de mon amour est près de s’éteindre.
Ô Adam, chante-nous le cantique du Seigneur,
Pour que mon âme tressaille de joie dans le Seigneur
Et s’avance pour le louer et le glorifier,
Comme le louent, aux cieux, les Chérubins et les Séraphins,
Et comme toute la hiérarchie céleste des Anges
lui chante l’hymne trois fois sainte.
Ô Adam, notre père, chante-nous le cantique du Seigneur,
Pour que toute la terre l’entende,
Pour que tous tes enfants élèvent leur esprit vers Dieu,
Se réjouissent aux sons du chant céleste
et oublient leurs peines sur la terre.

Le Saint-Esprit est amour et douceur pour l’âme, l’intelligence et le corps. Celui qui a connu Dieu par le Saint-Esprit ne peut être comblé ; jour et nuit, il s’élance vers le Dieu Vivant, car grande est la douceur de l’amour divin. Et quand l’âme perd la grâce, c’est en pleurant qu’elle cherche à nouveau l’Esprit Saint.
Mais l’homme qui n’a pas connu Dieu par le Saint-Esprit, ne peut le chercher avec des larmes, et son âme est sans cesse assaillie par les passions ; son esprit est préoccupé par les choses de la terre et ne peut parvenir à la contemplation, ni connaître Jésus Christ. C’est par le Saint-Esprit que l’on connaît Jésus Christ.

Adam connaissait Dieu et le Paradis ;
et après la chute, il le cherchait en pleurant.

- Ô Adam, notre père, parle-nous du Seigneur, à nous tes enfants.
Ton âme connaissait Dieu sur terre;
Elle connaissait aussi le Paradis, sa douceur et sa joie.
Maintenant tu demeures aux cieux et tu vois la Gloire du Seigneur.
Dit-nous comment notre Seigneur est glorifié pour sa Passion ;
Parle-nous des chants que l’on chante aux cieux et de leur douceur,
Car c’est dans le Saint-Esprit qu’ils sont chantés.
Parle-nous de la Gloire du Seigneur ;
Dis-nous combien il est clément et combien il aime sa créature.

Parle-nous de la Très-Sainte Mère de Dieu ;
Dis-nous comment elle est magnifiée aux cieux,
Et par quelles hymnes elle est dite bienheureuse.
Parle-nous de la joie des Saints ;
Dis-nous comment ils resplendissent de grâce,
Combien ils aiment le Seigneur et avec quelle humilité
ils se tiennent devant Dieu.
Ô Adam, console et réjouis nos âmes affligées.
Raconte-nous ce que tu vois aux cieux…

Pourquoi donc gardes-tu le silence ?
Pourtant la terre entière est dans la souffrance…
Ou bien es-tu si absorbé par l’amour de Dieu
que tu ne peux plus te souvenir de nous ?
Ou bien vois-tu la Mère de Dieu dans la Gloire
et ne peux-tu t’arracher à cette vision ?
Pourquoi ne veux-tu pas nous dire avec douceur une parole de consolation,
À nous qui sommes accablés,
Pour nous faire oublier l’amertume de la terre ?
Ô Adam, notre père, tu vois pourtant l’accablement de tes fils sur la terre.
Pourquoi donc gardes-tu le silence?

Et Adam dit:
- Mes enfants, laissez-moi en paix.
Je ne puis m’arracher à l’amour de Dieu et parler avec vous.
Mon âme est blessée par l’amour du Seigneur et se réjouit de sa beauté;
Comment pourrais-je me souvenir de la terre?
Ceux qui vivent devant la Face du Seigneur
ne peuvent penser aux choses de la terre.

- Ô Adam, notre père, tu nous a abandonnés, nous tes orphelins.
Nous sommes pourtant plongés dans la souffrance ici sur la terre.
Dis-nous ce qu’il faut faire pour plaire à Dieu :
Regarde tes enfants dispersés sur toute la terre,
Dispersés aussi dans les pensées de leur coeur.
Beaucoup ont oublié Dieu ;
Ils vivent dans les ténèbres et se dirigent vers l’abîme de l’enfer.

- Ne me dérangez pas.
Je vois la Mère de Dieu dans la Gloire,
Et comment pourrais-je m’arracher à cette vision pour parler avec vous ?
Je vois les saints Prophètes et les Apôtres ;
Et, tous, ils sont semblables à notre Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu.
Je chemine à travers les jardins du Paradis
et, partout, je vois la Gloire du Seigneur.
Car le Seigneur est en moi et m’a rendu semblable à lui.
Le Seigneur glorifie l’homme et le rend semblable à lui.

- Ô Adam, nous sommes pourtant tes enfants.
Dis-nous, à nous qui peinons sur terre,
Comment on peut hériter du Paradis,
Pour que, nous aussi, comme toi, nous contemplions la Gloire du Seigneur.
Notre coeur languit après le Seigneur,
Alors que, toi, tu demeures dans les cieux
et te réjouis de la Gloire du Seigneur.
Nous t’en supplions, console-nous.

- Pourquoi élevez-vous la voix vers moi, mes enfants ?
Le Seigneur vous aime, et il vous a donné les commandements.
Observez-les ; aimez-vous les uns les autres,
Et vous trouverez la paix en Dieu.
À toute heure, repentez-vous de vos péchés,
Pour que vous puissiez rencontrer le Seigneur.
Le Seigneur a dit :  » J’aime ceux qui m’aiment,
Et je glorifierai ceux qui me glorifient. « 

- Ô Adam, prie pour nous, tes enfants.

Nos âmes sont accablées de bien de maux.
Ô Adam, notre père, tu demeures dans les cieux
Et contemples le Seigneur assis, dans la Gloire, à la droite de Dieu le Père.
Tu vois les Chérubins, les Séraphins, et tous les Saints;
Tu entends les chants célestes, et leur douceur a fait oublier
la terre à ton âme.
Mais nous, sur terre, nous sommes dans l’affliction et assoiffés de Dieu.
Il n’y a presque plus de feu en nous pour aimer avec ardeur le Seigneur.
Inspire-nous : que devons-nous faire pour trouver le Paradis ?

Et Adam répond :

- Ne troublez pas ma paix, mes enfants, car,

À cause de la douceur de l’amour de Dieu,
Je ne puis me souvenir de la terre.

- Ô Adam, nos âmes languissent,
nous sommes écrasés sous le poids de nos peines.
Dis-nous une parole de consolation.
Chante-nous l’un des chants que tu entends au ciel,
Pour que toute la terre l’entende
et que les hommes oublient leurs misères…
Ô Adam, nous sommes accablés de tristesse.

- Ne troublez pas ma paix.
Le temps de mes souffrances est passé.
La beauté du Paradis et la douceur de l’Esprit Saint sont telles
Que je ne puis plus me souvenir de la terre.
Mais voici ce que je vous dirai :
Le Seigneur vous aime, et, vous aussi, vivez dans l’amour ;
Soyez obéissants à toute autorité, humiliez vos coeurs,
Et le Saint-Esprit vivra en vous.
Il vient silencieusement dans l’âme, lui donne la paix,
Et, sans parole, témoigne de son salut.
Chantez à Dieu avec amour et humilité d’esprit,
Car c’est en cela que se réjouit le Seigneur.

- Ô Adam, notre père, que devons-nous donc faire ?
Nous chantons, mais nous n’avons ni amour ni humilité.

- Repentez vous devant le Seigneur, et demandez.
Il aime les hommes et leur accordera tout.
Moi aussi, je me suis beaucoup repenti,
Et j’ai beaucoup souffert d’avoir offensé le Seigneur,
Et d’avoir, par mon péché, perdu la paix et l’amour sur terre.
Mes larmes ruisselaient sur mon visage
et inondaient ma poitrine et la terre,
Et le désert entendait mes gémissements.
Vous ne pouvez comprendre ma détresse
ni comment je pleurais Dieu et le Paradis.
Au Paradis, j’étais heureux et joyeux :
L’Esprit de Dieu me réjouissait, et je ne connaissais aucune souffrance.
Mais, lorsque je fus chassé du Paradis,
Le froid et la faim commencèrent à me torturer ;
Les animaux et les oiseaux qui étaient doux dans le Paradis
et qui m’aimaient,
Devinrent sauvages et se mirent à me craindre et à me fuir.
De mauvaises pensées m’assaillirent ;
Le soleil et le vent me brûlèrent ; la pluie me trempa ;
Les maladies et toutes les souffrances de la terre me tourmentèrent.
Mais j’ai tout enduré, et j’ai fermement espéré en Dieu.
Vous aussi, accomplissez les travaux de la pénitence.
Aimez les afflictions, desséchez vos corps,
Humiliez-vous et aimez vos ennemis,
Pour que l’Esprit Saint puisse établir en vous sa demeure,
Et alors vous connaîtrez et trouverez le Royaume des Cieux.

Mais moi, ne me troublez pas :
Maintenant mon amour pour Dieu m’a fait oublier la terre
et tout ce qui s’y trouve.
J’ai même oublié le Paradis perdu,
Car je vois la Gloire du Seigneur et la Gloire des Saints.
Eux aussi, ils resplendissent de la lumière qui jaillit de la Face de Dieu,
Semblables au Seigneur lui-même.

- Ô Adam, chante-nous un chant céleste,
Pour que toute la terre puisse l’entendre
et jouir de la paix dans l’amour de Dieu.
Nous voudrions entendre ces chants :
Ils sont doux, car ils sont chantés dans l’Esprit Saint.

Adam avait perdu le Paradis terrestre et le cherchait en pleurant:
Mon Paradis, mon Paradis, mon merveilleux Paradis.  »
Mais le Seigneur, par son amour sur la Croix,
lui ouvrit un autre Paradis,
meilleur que le premier, un Paradis dans les cieux
où resplendit la Lumière de la Sainte Trinité.

Que donnerons nous au Seigneur
pour son amour envers nous ?
 

  Introduction aux Pages Métanoïa
  Pages Saint Silouane l’Athonite 

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