Fête du Corps et du Sang du Christ, A – Homélie

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21.06.2011

Fête du Corps et du Sang du Christ, A

Homélie de la fête du Corps et du Sang du Christ

Dt 8, 2-3, 14b-16a ; 1 Co 10, 16-17 ; Jn 6, 51-58

Quand la vérité est débarrassée de ses voiles déformants, semés de paillettes scintillantes, grande est souvent la consternation parmi les gourmands de merveilleux. Or, la foi, précisément, nous invite à ne pas crier trop vite au miracle dont nous espérons souvent des bienfaits très matériels. Elle nous presse, au contraire, d’être attentifs aux signes toujours porteurs de riches enseignements et de valeurs spirituelles.
L’exemple de la manne est typique à cet égard. Gens de peu de foi, mais très sensibles au magique et au prodigieux, nous n’aimons guère voir la manne du désert être « réduite » à une sécrétion produite par de petits insectes piquant l’écorce du tanaris et qui, une fois durcie, tombe au sol et est ramassée par les Bédouins qui s’en servent comme substitut du sucre ou du miel, lui donnant de nos jours encore le nom de « man » (1). La réalité n’en est pourtant que plus belle, plus accessible, moins exceptionnelle, et donc bien incarnée dans la vie quotidienne, celle d’hier et celle d’aujourd’hui. Le « miracle » unique devient signe constamment répété. Ou, comme l’affirme un dicton juif, « La providence quotidienne de Dieu est plus extraordinaire que tous les miracles » (2).
La manne, en effet, est bien une réalité matérielle et une nourriture providentielle pour les pèlerins du désert, affamés et découragés. Mais la manne est surtout signe, leçon et avertissement offerts à des croyants infidèles à l’Alliance, pour leur « faire découvrir que l’homme ne vit pas seulement de pain mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur », comme l’explique en toutes lettres le testament de Moïse (1e lecture).
Rien d’étonnant de voir ces ventres creux se jeter sur d’étranges « rosée de givre » et s’en régaler. D’autant plus qu’elle avait un goût de beignet au miel, précise le livre de l’Exode (16, 32). Après la découverte providentielle des deux sources d’eau et des soixante-dix palmiers, les fils d’Israël n’ont pas encore perçu la leçon ni misé sur la confiance et l’espérance. Les murmures reprirent de plus belle contre Moïse et Aaron, et donc contre le Seigneur. Mais bientôt, ils eurent le matin du pain à satiété, avec la manne, et le soir, de la viande à manger, grâce à un essaim de cailles fatiguées et donc bien vulnérables. Un vrai cadeau « tombé du ciel ».
Les Hébreux vont pouvoir ainsi échapper au dénuement absolu du désert. Mais comprendront-ils que ces nourritures surprises les renvoient à la Parole et à la leçon de l’épreuve : le peuple « marchera-t-il ou non selon ma Loi ? ». Quand comprendront-ils que les aridités du désert les renvoient à Dieu et au besoin d’une nourriture d’amour qui les fasse vraiment vivre ?
Bien plus tard, les auditeurs de Jésus auront de la peine à déchiffrer le signe de la multiplication des pains. Plus difficile encore de comprendre que la Parole, Verbe de Dieu fait chair en Jésus Christ, devienne pain à manger pour vivre éternellement. Et plus tard encore, les chrétiens de Corinthe allaient manifester par leur égoïsme et leur division qu’ils n’avaient pas compris le vrai sens de l’eucharistie.
Les chrétiens seront d’ailleurs toujours tentés par une lecture magique, matérialiste, romantique ou juridique des réalités et des signes eucharistiques. Magique, quand on croit que la communion nous comble de grâce et nous transforme sans que nous ayons à lever le petit doigt. Matérialiste, quand nous croyons que tout est dit avec le pain et le vin, présence du Christ. Romantique, quand la communion est perçue comme un pieux cœur à cœur : « toi et moi, rien que nous deux ».
Il faut être attentif aux signes, nous dit Paul, communier au Corps et au Sang du Christ, c’est accepter que sa vie transforme la nôtre ; c’est ne plus faire qu’un avec lui pour accomplir comme lui la volonté du Père ; c’est témoigner par notre conduite qu’il est bien notre raison de vivre. La communion nous renvoie à la conversion et à l’action pour « devenir ce que nous avons reçu ». Comme la manne d’hier, mais a fortiori le « Pain du ciel », interpellent « nos appétits les plus spontanés pour les remettre en cause ».
Signe essentiel encore et « incontournable » d’un pain unique, qui est rompu pour réaliser un seul corps. Pas de vraie communion au Christ qui ne se double d’une communion aux autres. Une « fraction du pain », du pain partagé…
Aujourd’hui, « la mort guette de nombreux affamés » (3)… et pas uniquement en Birmanie. La famine étend ses ravages en bien des régions proches et lointaines… Appel à une solidarité à l’échelle du monde. Comment sera-t-il entendu par les chrétiens « nourris du Pain de Vie », dans les communautés de cette Eglise qui se veut universelle ?

P. Fabien Deleclos, franciscain (T)

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