Évagre le Pontique ou le Moine [J'ai mis La Première Partie, hier, le 22 Juin]

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Évagre le Pontique ou le Moine.

[J'ai mis La Première Partie, hier, le 22 Juin]

81. Sache que les saints anges nous poussent à la prière et se tiennent alors à nos côtés, joyeux et priant pour nous. Si donc nous sommes négligents et accueillons des pensées étrangères, nous les irritons grandement de ce que, pendant qu’ils luttent si fort pour nous, nous ne voulons même pas supplier Dieu pour nous-mêmes; méprisant leurs services, nous abandonnons Dieu leur Seigneur pour aller au devant des démons impurs.
82. Prie comme il faut et sans trouble; psalmodie avec attention et harmonie, et tu seras comme le petit de l’aigle planant dans les hauteurs.
83. La psalmodie calme les passions et apaise l’intempérance du corps; la prière fait exercer à l’intelligence l’activité qui lui est propre.
84. La prière est l’activité qui sied à la dignité de l’intelligence, autrement dit l’emploi le meilleur et adéquat de celle-ci.
85. La psalmodie appartient à la sagesse multiforme; mais la prière est le prélude de la gnose immatérielle et uniforme.
86. La gnose est excellente, car elle collabore avec la prière en éveillant la puissance intellectuelle de l’intelligence à la contemplation de la gnose divine.
87. Si tu n’as pas encore reçu le charisme de la prière ou de la psalmodie, obstine-toi et tu recevras.
88. Il leur dit aussi une parabole pour montrer qu’ils doivent prier toujours et ne pas se lasser. Donc ne te lasse pas d’attendre, ne te décourage pas pour n’avoir pas reçu; tu recevras dans la suite. Et il conclut la parabole ainsi : « Encore que je ne craigne pas Dieu ni ne me préoccupe des hommes, du moins à cause des embarras que me cause cette femme, je lui rendrai justice. Ainsi Dieu fera justice à ceux qui crient vers lui jour et nuit, et promptement. » Aie donc bon courage et persévère vaillamment dans la sainte prière.
89. Ne veuille pas que ce qui te concerne s’arrange selon tes idées, mais selon le bon plaisir de Dieu; alors tu seras sans trouble et plein de reconnaissance dans ta prière.
90. Même s’il te semble que tu es avec Dieu, prends garde au démon de la luxure, car il est fort trompeur et très envieux. Il prétend être plus prompt que le mouvement, la sobriété et la vigilance de ton intelligence, au point de l’entraîner loin de Dieu tandis qu’elle se tient près de Lui avec une crainte respectueuse.
91. Si tu t’appliques à la prière, prépare-toi aux assauts des démons et supporte vaillamment leurs coups; car ils se jetteront sur toi comme des fauves et mettront à mal tout ton corps.
92. Prépare-toi comme un lutteur expérimenté pour ne pas fléchir, même si tu vois tout à coup un fantôme; pour ne pas te laisser troubler, même à l’aspect d’une épée brandie contre toi ou d’un éclair te jaillissant au visage; pour ne pas laisser le moins du monde effondrer ton courage, même devant un spectre hideux et sanglant; mais tiens ferme et poursuis ta belle confession, et tu supporteras d’un coeur léger la vue de tes ennemis.
93. Qui supporte les tracas, obtiendra aussi les consolations; et qui est constant dans les désagréments, ne manquera pas les agréments.
94. Prends garde que les méchants démons ne te trompent par quelque vision; mais sois attentif, recours à la prière et invoque Dieu, pour que, si le concept vient de Lui, Il t’éclaire Lui-même; sinon, qu’Il se hâte de chasser de toi le séducteur. Aie confiance : les chiens n’y sauront tenir; si tu te livres à une supplication ardente, sans retard, invisiblement et sans se montrer, la puissance de Dieu les fustigera et les chassera bien loin.
95. Il est bon que tu n’ignores pas non plus la ruse suivante : à l’occasion, les démons se divisent, et si tu as l’air de chercher du secours [contre les uns], les autres entrent en scène sous des formes angéliques et pourchassent les premiers; cela pour que tu t’y méprennes en t’imaginant que ce sont vraiment de saints anges.
96. Efforce-toi d’acquérir beaucoup d’humilité et de courage, et les insultes des démons ne toucheront pas ton âme; nul fléau n’approchera de ta tente, parce qu’il donnera en ta faveur des ordres à ses anges pour qu’ils te gardent 1; et les anges chasseront invisiblement loin de toi toutes les entreprises hostiles.
97. Qui s’applique à la prière pure, entendra bruits et fracas, voix et insultes; mais il ne s’effondrera pas, ni ne perdra son sang froid, disant à Dieu: « Je ne craindrai aucun mal, parce que Tu es avec moi », et autres paroles semblables.
98. Au moment de telles tentations, use d’une prière brève et intense.
99. Si les démons menacent de t’apparaître soudainement dans les airs, de te terrasser et de saccager ton intelligence, ne t’en épouvante pas; ne fais même pas attention à ces menaces. Ils te font peur pour voir si, décidément, tu t’occupes d’eux, ou si tu es arrivé à les mépriser complètement.
100. Si c’est à Dieu, le Tout-Puissant, Créateur et Providence, que tu es présent dans ta prière, pourquoi apportes-tu à cette présence cette absurdité de passer à côté de Sa crainte souveraine pour aller avoir peur de moustiques et de cafards ? N’as-tu donc pas entendu celui qui dit: « Tu craindras le Seigneur ton Dieu », et encore : « Lui devant la puissance de qui tout est dans l’effroi et le tremblement » .
101. Comme le pain est nourriture pour le corps et la vertu pour l’âme, de même la prière spirituelle pour l’intelligence.
102. Prie non pas comme le pharisien, mais comme le publicain dans le lieu sacré de la prière, afin d’être, toi aussi, justifié par le Seigneur.
103. Fais tous tes efforts pour ne rien dire contre personne dans ta prière; ce serait démolir ce que tu veux édifier et rendre ta prière abominable.
104. Que le débiteur de mille talents te serve de leçon: si tu ne remets pas à ton débiteur, tu n’obtiendras pas la rémission, toi non plus, car il est écrit : « Il le livra aux bourreaux. »
105. Ne tiens pas compte des besoins du corps quand tu es en prière, pour qu’une morsure de pou, de puce, de moustique ou de mouche ne t’enlève pas le meilleur profit de ta prière.
106. Il nous est revenu qu’à un saint homme en prière, le malin livra un combat si acharné que, à peine étendait-il les mains, l’ennemi se travestissait en lion, levait tout droit sur lui ses pattes de devant et enfonçait ses griffes dans les deux joues de l’athlète, sans lâcher prise qu’il n’eût baissé les bras. Mais lui ne les laissait jamais retomber qu’il n’eût achevé ses prières habituelles.
107. Tel fut aussi, nous le savons, Jean le Petit, ou, pour mieux dire, le très grand moine qui menait la vie solitaire dans une fosse : par l’effet de son intimité avec Dieu, il demeura inébranlable tandis que le démon, sous la forme d’un dragon enroulé autour de son corps, lui torturait les chairs et lui éructait au visage.
108. Tu as certainement lu aussi les vies des moines de Tabennèse, là où il est dit que, tandis que l’abbé Théodore faisait un discours aux frères, deux vipères vinrent sous ses pieds; mais lui, sans se troubler, fit de ses jambes comme une voûte pour les y loger jusqu’à ce qu’il eût terminé la conférence. Et alors, il les montra aux frères en leur racontant la chose.
109. Au sujet d’un autre frère spirituel encore, nous avons lu que, tandis qu’il priait, une vipère vint s’attaquer à son pied. Mais lui ne baissa pas les bras avant qu’il eût achevé sa prière accoutumée; et il ne subit aucun dommage pour avoir aimé Dieu plus que lui-même.
110. Tiens le regard fixe pendant la prière; renie la chair et l’âme, et vis selon l’intelligence.
111. Un autre saint menant la vie solitaire dans le désert et priant courageusement, fut assailli de démons qui, deux semaines durant, jouèrent avec lui comme avec un ballon et le bernèrent en le lançant en l’air et le recevant sur une natte. Mais ils ne réussirent pas un instant à faire descendre son intelligence de sa prière enflammée.
112. A un autre encore, plein d’amour pour Dieu et de zèle pour la prière, survinrent, tandis qu’il marchait dans le désert, deux anges qui le prirent au milieu et cheminèrent avec lui, mais il ne fit pas attention à eux pour ne pas perdre ce qu’il y a de meilleur. Car il se rappelait le mot de l’Apôtre : « Ni les anges, ni les principautés, ni les puissances ne pourront nous séparer de la charité du Christ. »
113. Le moine devient l’égal des anges par la prière véritable.
114. Aspirant à voir la face du Père qui est aux cieux, ne cherche pour rien au monde à percevoir une forme ou une figure au moment de la prière.
115. Ne désire pas voir sensiblement des anges, ni des puissances, ni le Christ, pour ne pas perdre complètement le bon sens en accueillant le loup au lieu du berger et en adorant les démons ennemis.
116. L’origine des illusions de l’intelligence, c’est la vaine gloire; c’est elle qui pousse l’intelligence à essayer de circonscrire la divinité dans des figures et dans des formes.
117. Pour moi, je dirai une pensée à moi que j’ai déjà exprimée ailleurs : Heureuse l’intelligen-ce qui, durant la prière, est arrivée à une complète indétermination.
118. Heureuse l’intelligence qui, dans une prière sans distraction, acquiert toujours de nouveaux accroissements d’amour pour Dieu.
119. Heureuse l’intelligence qui, durant la prière, devient immatérielle et dénuée de tout.
120. Heureuse l’intelligence qui, durant la prière, arrive à une parfaite insensibilité.
121. Heureux le moine qui tient tous les hommes pour Dieu, après Dieu.
122. Heureux le moine qui regarde le salut et le progrès de tous comme le sien propre, en toute joie.
123. Heureux le moine qui se juge « le rebut de tous ».
124. Moine est celui qui est séparé de tout et uni à tous.
125. Est moine celui qui s’estime un avec tous, par l’habitude de se voir lui même en chacun.
126. Celui-là mène la prière à sa perfection qui sans cesse fait fructifier pour Dieu toute son intellection première.
127. Évite tout mensonge et tout serment si tu veux prier en moine; sinon c’est en vain que tu affiches ce qui ne te convient pas.
128. Si tu veux prier « en esprit », n’aie d’aversion pour personne et tu n’auras pas de nuage pour t’obscurcir la vue durant la prière.
129. Remets à Dieu les nécessités du corps; ce sera montrer que tu lui remets aussi celles de l’esprit.
130. Si tu entres en possession des promesses, tu seras roi; tourne donc ton regard vers celles-ci, et tu porteras allègrement la pauvreté présente.
131. Ne récuse pas la pauvreté et l’affliction, aliments de la prière qui ne pèse pas.
132. Que les vertus corporelles te servent pour obtenir celles de l’âme; celles de l’âme pour les spirituelles; et celles-ci pour la gnose immatérielle et essentielle.
133. Quand tu pries contre une pensée et qu’elle cède facilement, examine d’où cela te vient, pour ne pas tomber dans une embuscade et te trahir toi-même par erreur.
134. Il arrive que les démons te suggèrent des pensées et, par ailleurs, te stimulent, comme de juste, à prier contre eux ou à leur répliquer; et puis, de leur propre mouvement, ils se retirent pour que, abusé, tu t’en fasses accroire en t’imaginant que tu as commencé de vaincre les pensées et de mettre en fuite les démons.
135. Si tu pries contre une passion ou contre un démon importun, souviens-toi de celui qui dit: « Je poursuivrai mes ennemis et je les atteindrai, et je ne m’arrêterai pas qu’ils ne s’avouent vaincus; je les écraserai et ils ne pourront tenir, ils tomberont sous mes pieds… » Voilà ce qu’il est à propos de dire pour t’armer d’humilité contre les adversaires.
136. Ne crois pas avoir acquis la vertu tant que tu n’as pas combattu pour elle jusqu’au sang; car il faut résister au péché jusqu’à la mort, selon le divin Apôtre, comme un lutteur sans reproche.
137. Quand tu auras été utile à quelqu’un, un autre te nuira, pour que le sentiment de l’injustice te fasse dire ou faire quelque’ chose de regrettable contre le prochain, et qu’ainsi tu dissipes malheureusement ce que tu avais si heureusement rassemblé. Tel est de fait le but des méchants démons; aussi faut-il veiller soigneusement.
138. Reçois toujours les pénibles assauts des démons en recherchant comment échapper à leur servitude.
139. De nuit, les démons mauvais réclament le maître spirituel pour le troubler par eux mêmes; de jour, ils se servent des hommes pour l’entourer de vicissitudes, de calomnies et de périls.
140. Ne récuse pas les foulons, s’ils frappent en foulant aux pieds et s’ils tendent pour carder; du moins, par là, ton vêtement deviendra-t-il éclatant de blancheur.
141. Pour autant que tu n’auras pas renoncé aux passions, et que ton intelligence s’oppose à la vertu et à la vérité, tu ne trouveras pas dans ton sein le parfum de bonne odeur.
142. Tu aspires à la prière ? Émigre d’ici-bas et aie ton domicile au ciel en tout temps, non pas par la simple parole, mais par la pratique angélique et la gnose divine.
143. Si dans les afflictions seulement tu te souviens du Juge et combien Il est redoutable et incorruptible, tu n’as pas encore appris à servir le Seigneur dans la crainte et à te réjouir en Lui dans le tremblement. Car sache bien que même dans les délassements et les aises spirituelles, il faut d’autant plus Lui rendre un culte plein de piété et de révérence.
144. Bien avisé est l’homme qui, jusqu’à la parfaite pénitence, ne se départit pas du souvenir douloureux de ses propres péchés et de la sanction du feu éternel qui les châtie.
145. Celui qui, encore embarrassé de péchés, ou d’accès de colère, ose impudemment se porter à la connaissance de choses plus divines, ou même pénétrer dans la prière immatérielle, qu’il reçoive la réprimande de l’Apôtre et qu’il comprenne qu’il lui est périlleux de prier la tête nue et découverte, car, est-il dit, « une âme de cette sorte doit porter sur la tête le signe de la domination, à cause des anges présents », s’enveloppant de la pudeur et de l’humilité convenables.
146. De même qu’il ne sert de rien à qui est malade des yeux de fixer sans voile et avec insistance le soleil en plein midi, quand il est en son plus fort embrasement, de même ne servirait-il absolument de rien à l’intelligence passionnée et impure de contrefaire la redoutable et suréminente prière en esprit et en vérité; mais bien au contraire exciterait-elle contre elle-même l’indignation de la divinité.
147. Si celui qui venait porter une offrande à l’autel ne fut pas reçu par le maître incorruptible qui n’a besoin de rien, jusqu’à ce qu’il se fût réconcilié avec le prochain fâché contre lui 4, considère quelle sobriété, quelle vigilance et quel discernement il faut pour offrir d Dieu un encens agréable sur l’autel immatériel.
148. Ne sois ami ni du verbiage ni de la gloriole, sans quoi ce n’est plus ton dos mais ton front que labourent les pécheurs; tu leur serviras d’amusement au moment de la prière, ils t’appâteront et t’entraîneront en des pensées hétéroclites.
149. L’attention en quête de la prière trouvera la prière, car s’il est quelque chose qui suit la prière, c’est l’attention; il faut donc s’y appliquer.
150. Comme la vue est le meilleur de tous les sens, ainsi la prière est plus divine que toutes les vertus.
151. L’excellence de la prière ne consiste pas dans la simple quantité, mais dans la qualité; c’est ce que prouvent les deux hommes qui montèrent au temple 2, et la parole :  » Vous, lorsque vous priez, ne radotez point ».
152. Tant que tu fais encore attention aux convenances du corps, tant que ton intelligence tient compte des agréments extérieurs, tu n’as pas encore vu le lieu de la prière; tu es même loin de la bienheureuse voie qui y conduit.
153. Quand tu seras parvenu dans ta prière au-dessus de toute autre joie, c’est alors qu’en toute vérité, tu auras trouvé la prière.
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(1) Une petite ville mal localisée du Pont, sur la côte nord de l’Anatolie.
(2) Un lieu-dit du désert de Nitrie, dans la dépression appelée aujourd’hui le wadi an-Natrun, au sud d’Alexandrie.
(3) Dans le vocabulaire des Pères, la Gnose est la connaissance intellectuelle qui permet l’expérience de Dieu et le « gnostique » est le moine qui a acquis la « connaissance de Dieu ». Il ne faut pas confondre cette Gnose avec la « gnose » des gnostiques des IIème et IIIème siècles.
(4) Saint Nil d’Ancyre, dit aussi Nil l’Ascète, mourut vers 430 à Ancyre, en Galatie. Ami et disciple de saint Jean Chrysostome, il le soutint dans ses combats. Nil entreprit de réfuter l’Arianisme par des lettres adressées aux principaux chefs goths. Il y expliquait la double nature du Christ et y justifiait le qualificatif de Théotokos appliqué à Marie.
(5) Dans l’Évangile de Jean, le verset 21:11 nous apprend qu’après la « pêche miraculeuse », saint Pierre compta cent cinquante-trois poissons dans ses filets.
(6) Ces mots sont de l’archimandrite Placide Deseille, La spiritualité orthodoxe, Bayard, Paris (1997), p. 26.
(7) Un examen minutieux des Actes du Vème Concile montre qu’Évagre n’y est jamais nommé.
(8) La préexistence des âmes, par exemple.
(9) Intelligence traduit le grec « nous », qui est la faculté de penser et donc l’intelligence, l’esprit, la pensée mais aussi la sagacité, la sagesse, le projet, l’intention. Mais « nous » est aussi l’âme, le coeur, et, par suite, le sentiment, la manière de penser, la volonté ou le désir. Pour les Pères, « nous » désigne la double faculté qu’a la personne de penser le monde ou de contempler Dieu

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