LA RÉVÉLATION DE L’ESPÉRANCE
du site:
http://biblio.domuni.eu/cours/theologie/esperance/esperance-04.htm
LA RÉVÉLATION DE L’ESPÉRANCE
1. A tout lecteur du Nouveau Testament, l’espérance apparaît essentielle à la vie dans le Christ : à la fois confiance et attente patiente de la consommation qui sera béatitude et rémunération. Même là où son nom n’est pas prononcé, elle est présente dans ces complexes concrets que sont les attitudes demandées aux fidèles (j’entends par « complexes » certaines catégories de la vie morale et spirituelle qui désignent non pas une vertu distinguée de toutes les autres, comme fait l’analyse spéculative, mais une attitude à laquelle plusieurs vertus concourent nécessairement, même si on ne la désigne que par l’une d’elles). Les analyses lexicographiques sont indispensables et éclairantes, mais il faut savoir les dépasser : il est beaucoup plus souvent question de l’espérance que ne le laisserait croire la présence expresse de son nom.
Il est constant par exemple qu’elle entre déjà souvent dans ce que l’évangile appelle la foi. C’est qu’il y a entre ces deux vertus, très proches quoique distinctes, cet élément affectif commun qu’est la confiance. Confiance diversement nuancée, mais confiance d’un côte en celui qui parle et qu’on ne veut pas tenir pour un menteur ; de l’autre en celui qui promet et qu’on croit, non seulement véridique, mais Tout-Puissant et fidèle. La même Parole de Dieu donne prise à ces deux attitudes, dont l’une prolonge l’autre, mais par chacune desquelles on lui « fait crédit » : la Parole de Dieu est vraie, on ne se trompe pas en y croyant ; et cette Parole demeure aux siècles des siècles, on peut s’appuyer sur elle, attendre la réalisation de ce qu’elle annonce : le ciel et la terre passeront, mais elle ne passera pas et rien ne prévaudra contre les desseins de Dieu. Si Dieu est avec moi, qui sera contre moi ? De la foi jaillit l’espérance.
2. Mais si cette espérance est une notion chrétienne, la révélation en était commencée dans l’Ancien Testament, si nettement marquée par l’attente. Il est clair qu’Abraham n’est pas moins un modèle d’espérance que de foi ; à la foi qu’on loue en lui s’unit indissociablement l’espérance : une attitude qui prend appui sur la Promesse de Celui dont les hauts faits ont déjà manifesté la puissance, pour attendre, malgré tous les signes contraires, la réalisation de cette promesse. Sur la vraie nature et la vraie portée de cette attitude, le dernier voile ne sera levé que par la prédication évangélique : on saura alors quel est Celui en qui toutes les nations seront bénies ; mais avec le progrès de la révélation le sens de l’espérance, tout au long de l’Ancien Testament, se précise peu à peu. Elle est confiance et elle est attente : confiance en Dieu et attente de ce que Dieu réserve à ses fidèles.
Dans la première ligne, l’espérance se fera de plus en plus filiale et abandonnée à mesure que prend du relief l’idée de la paternité divine, qui n’aura tout son éclat que dans l’évangile. Elle passera ainsi d’une conception encore trop juridique (l’Alliance et même la Promesse) à une notion très purement spirituelle de la Providence du Père qui prend soin de nous avec plus de sollicitude que des lis et des oiseaux.
Dans la seconde ligne, l’espérance s’approfondit et s’affine avec le progrès de la révélation et des idées religieuses sur la nature et les caractères de la récompense promise, de la rémunération ; progrès qui fut extrêmement lent. Ce qu’on a d’abord conçu, c’est que la justice de Dieu se réalise en ce monde ; et ce qui est au premier plan, c’est l’idée d’une responsabilité collective qui englobe le peuple lui-même, la race, Israël. C’est lui qui porte la Promesse, c’est avec lui qu’a été contractée l’Alliance ; c’est lui qui est récompensé, s’il est fidèle, puni s’il va vers d’autres dieux. Peu à peu, très lentement et en somme tardivement, se font jour l’idée d’une responsabilité plus personnelle et la conception d’une rétribution après la mort, car il a bien fallu prendre conscience que la justice ne se réalise pas en ce monde.
Quant au sort d’Israël, ce sera le grand drame de ce peuple de s’aveugler à tenir un messianisme charnel et racial, de ne pas saisir le caractère spirituel du Royaume de Dieu annoncé par les Promesses ; de ne pas passer à la réalité spirituelle de l’Israël de Dieu, qui, par le Christ, s’étend à tous les rachetés et constitue le Corps Mystique, où il n’y a plus distinction de races et de cultures, où tout le monde est appelé à entrer, juifs et gentils, grecs et barbares…
3. Or c’est tout cela à la fois qui éclate et se réunit dans la conception chrétienne de l’espérance, celle qui emplit le Nouveau Testament. Notre confiance, c’est qu’il a plu au Père, qui prend soin de nous, de nous donner le Royaume ; et nous attendons, nous espérons la consommation de ce Royaume, en toutes ses dimensions à la fois historiques et supra-temporelles. Essentiellement, ce sera d’abord d’avoir part au grand festin de la vision divine, préparé pour les élus, avec le Christ et tous ceux que réunit la grande société de l’agapè.
A l’intérieur de cette vue globale, il y a de multiples enseignements sur l’espérance ; je vous laisse le soin de les recueillir. Pour base d’une première recherche vous pouvez par exemple prendre la note mise dans la Bible de Jérusalem à Rm, 5, 2.
Je voudrais seulement vous mettre en garde contre certaines erreurs de perspective. L’espérance est l’attente des biens eschatologiques. Sous cette formule, très explicable, il ne faudrait pas minimiser la différence qu’il y a par rapport à l’espérance, entre les situations respectives de l’Israël de l’Ancien Testament, et de l’Église du Christ. La vertu théologale d’espérance, indispensable à tous les justes depuis le début du monde, n’a certes pas changé d’objet essentiel ; mais, comme la foi, sur laquelle elle s’appuie, elle a beaucoup progressé en explicitation et précision ; et, comme pour la foi, la situation de ses sujets a changé par rapport à l’événement capital : la mort du Christ et sa résurrection. Certains auteurs s’expriment aujourd’hui comme si les chrétiens étaient, par rapport à la Parousie, exactement dans la même situation et donc dans la même attitude intérieure qu’Israël par rapport à la venue du Messie. Des influences protestantes, venant de l’idée que le Royaume de Dieu, purement « eschatologique », n’est pas vraiment commencé, ne sont peut-être pas étrangères à ces vues.
Accepter cette perspective, c’est méconnaître des données essentielles à l’économie chrétienne. Ce qui était, pour Israël, « les derniers temps », le « Jour de Iahvé », les « biens eschatologiques », nous y sommes ; c’étaient les temps messianiques. Certes, on ne voyait pas, et nous savons combien les premières générations chrétiennes ont eu peine à comprendre, que ces « derniers temps » s’étaleraient eux-mêmes sur une longue histoire, jusqu’au moment, ignoré même du Fils de l’Homme, que le Père a fixé en sa puissance. Mais ce délai, quel qu’en soit la longueur, ne change rien à cette vérité que, pour l’essentiel, dans le Christ mort et ressuscité, la fin de l’histoire sainte est atteinte. Le salut est réalisé. La Parousie n’en apportera pas un autre : elle sera la manifestation de ce salut en ses ultimes conséquences et le dernier triomphe sur la mort (triomphe déjà acquis et réalisé dans le Christ, prémice des dormants, et dans sa Mère d’ores et déjà associée à sa gloire en corps et en âme).
Dès lors il n’est pas vrai que l’espérance de l’Église du Christ, et par conséquent celle du chrétien, soit uniquement tendue vers la Parousie comme terme de l’histoire. En ceux de ses fils qui pérégrinent encore ici-bas, et qui certes attendent cette Parousie, l’espérance tend aussi et d’abord vers le bien eschatologique par excellence, la « vie éternelle », et celle-ci n’est pas différée jusqu’à la Parousie. L’Église n’a pas oublié la parole de Jésus au bon larron : « AUJOURD’HUI, tu seras avec moi dans le Paradis ». A cette assurance fait écho la définition de Benoît XII enseignant que des maintenant, depuis l’Ascension du Christ, et sans attendre la résurrection de la chair et le Jugement universel, les âmes des élus voient Dieu ; que cette vision les fait proprement « bienheureux » et que par suite elle exclut pour eux toute activité théologale de foi et d’espérance. (Denz. 530).
Il ne sert à rien de faire remarquer que cette définition dogmatique est « tardive » (XIV° s.) ; car, tardive ou non, nous savons que la vérité sur laquelle elle porte n’aurait pu être définie si elle n’était pas révélée par Dieu, si donc elle ne faisait pas partie de la Tradition Apostolique reçue par l’Église. Et puisque, en la partie d’elle-même qui triomphe au ciel, l’Église du Christ ne connaît plus l’espérance parce qu’elle a déjà la possession, il faut bien que pour l’Église de la terre, chez les fidèles encore militants ici-bas, l’espérance ait pour objet premier et principal cela même dont la présence la fera disparaître en comblant son attente : la vision divine.
Et voilà qui nous prépare immédiatement à entrer dans la Théologie de l’espérance avec le traité de S. Thomas.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.