Archive pour le 16 juin, 2011
Psaume 39
16 juin, 2011Je ne suis pas sûr mais je pense que ce commentaire n’est pas catholique, mais il est bon:
http://www.levangile.com/Bible-Annotee-Psaumes-39.htm
PSAUME
Chapitre 39
1 Au maître chantre, à Jéduthun. Psaume de David.
2 J’avais dit : Je prendrai garde à mes voies, De peur de pécher par ma langue ; Je garderai sur ma bouche un baillon, Tant que le méchant sera en ma présence.
3 Je restai muet, dans le silence ; Je me tus, sans m’en trouver bien, Et ma douleur ne fit que s’irriter.
4 Mon cœur s’échauffa au-dedans de moi ; De ma méditation jaillit un feu, Et la parole vint sur ma langue…
5 Eternel ! fais-moi connaître ma fin Et quelle est la mesure de mes jours. Que je sache combien je suis fragile !
6 Voici, tu as donné à mes jours la largeur de la main, Et ma durée est comme néant devant toi ; Oui, tout homme, si bien affermi qu’il soit, n’est qu’un souffle.
(Jeu d’instruments.)
7 Oui, l’homme se promène comme une ombre, Tout le bruit qu’il fait n’est qu’un souffle. Il amasse, et il ne sait qui recueillera.
8 Et maintenant, que puis-je espérer, Seigneur ? Mon attente est en toi !
9 Délivre-moi de toutes mes transgressions, Ne m’expose pas à l’outrage de l’insensé.
10 Je suis muet, je n’ouvrirai pas la bouche, Car c’est toi qui agis.
11 Détourne de moi tes coups ! Sous la rigueur de ta main, c’en est fait de moi.
12 Quand tu reprends un homme pour son iniquité, Tu détruis comme la teigne ce qu’il a de plus précieux. Oui ! tout homme n’est qu’un souffle.
(Jeu d’instruments.)
13 Ecoute ma prière, Eternel, et prête l’oreille à mon cri, Ne reste pas sans rien dire, en présence de mes larmes ; Car je suis en passage chez toi, En séjour, comme tous mes pères.
14 Détourne ton regard de moi, et que je reprenne ma sérénité, Avant que je m’en aille et que je ne sois plus.
Tout homme n’est qu’un souffle.
Qui a raison sur la terre ? Le juste ou le méchant ? Cette question, qui est en définitive le grand problème de l’existence humaine, a déjà fait le sujet du Psaume 37. Mais c’était alors un vieillard qui déclarait, instruit par l’expérience, combien est courte la prospérité des impies, durable au contraire celle des gens de bien. Ici, comme au Psaume 73 nous sommes au fort de la crise, alors que la lumière de l’expérience fait encore défaut. En face du méchant, dont la présence seule est une négation du gouvernement divin, un croyant dans l’affliction s’efforce en vain de refouler le doute et le murmure ; le feu intérieur éclate (versets 2 à 4). Mais bientôt, revenant à l’Éternel, il médite sur la brièveté de la vie, ce qui le pousse à chercher son refuge en ce Dieu même dont la main s’appesantit sur lui (versets 5 à 12). Ainsi l’agitation s’apaise, et si le ton de la prière finale est encore celui de la tristesse, c’est pourtant celui d’une tristesse résignée (versets 13 et 14).
Ce psaume est un exemple remarquable de la foi israélite qui, en face du voile qui recouvre l’avenir, n’ayant d’autre perspective que le Schéol, après une vie très courte, remplie de maux, n’en persiste pas moins à espérer en l’Éternel. Une étroite parenté de pensée rapproche notre psaume du Psaume 72, qui, en outre, est aussi dédié au chantre Jéduthun. On ne peut rnéconnaître non plus une grande ressemblance de pensée et d’expression avec le livre de Job. Toutefois la distinction entre souffrance et culpabilité, si importante dans le livre de Job, n’est point accentuée, ni même indiquée dans ce psaume.
Verset 1
Jéduthun était, avec Héman et Asaph, un des principaux directeurs des chœurs de Lévites (lChroniques 16.41-42 ; 2 Chroniques 5.12).
Verset 2
2 à 4
La révolte du juste en présence du méchant.
De peur de pécher… Je m’étais décidé au silence, dans la crainte de murmurer contre Dieu ou de récriminer amèrement contre les hommes.
Tant que le méchant… La pensée qui vient naturellement au fidèle, en face du mal, est que l’impie ne saurait subsister longtemps en présence de Dieu. L’épreuve de la foi grandit, à mesure que le jugement tarde.
Verset 3
Je restai muet : la résolution prise fut tenue un certain temps.
Sans m’en trouver bien, hébreu : je me suis tu loin du bien.
Verset 5
5 à 12
Le néant de la vie humaine.
On a eu tort de chercher dans les versets 5 à 7 l’expression de l’impatience et du bouillonnement intérieur dont il vient d’être parlé. Nous y voyons plutôt la prière apaisée par laquelle le psalmiste redevient maître de lui-même. Il demande que l’Éternel l’élève à son propre point de vue, pour considérer toutes choses. Là se trouve, pour le croyant, le secret de la sérénité dans l’épreuve.
Fais-moi connaître ma fin. Comparez Psaumes 90.12. Quand la vie est si courte vaut-il la peine de s’irriter en face du méchant ?
Verset 6
Devant toi : à tes yeux et comparativement à toi. Comparez Esaïe 40.17.
Verset 7
Il amasse… Ces richesses, qui provoquent tant de jalousies et de querelles, échappent comme tout le reste à celui qui les possède.
Verset 8
Que puis-je espérer ?… Dans le néant de toutes choses, une ressource reste au croyant : Dieu est son souverain bien. Cette pensée est développée dans les Psaumes 16 et 73.
Verset 9
Délivre-moi de mes transgressions : du poids du péché, en même temps que de la ruine complète qu’il attire sur le coupable. L’insensé trouverait dans cette ruine une occasion d’outrager le fidèle et par là même l’Éternel.
Verset 10
Je suis muet. Par la foi, le juste a retrouvé la vraie soumission ; il sait voir, dans les événements qui l’irritaient, la main de Dieu au-dessus de celle de l’homme (c’est toi qui agis). Il demande seulement de ne pas succomber sous le châtiment qu’il reconnaît avoir mérité.
Verset 12
Comme la teigne : image d’une destruction graduelle (Esaïe 50.9).
Bien que Dieu ne foudroie pas ouvertement du ciel les coupables, toutefois sa malédiction secrète ne laisse pas de les miner, ainsi que la teigne, sans qu’on l’aperçoive, consume un drap ou un bois par sa morsure cachée (Calvin).
Ce qu’il a de plus précieux : de plus agréable et désirable. Le psalmiste semble faire allusion à une maladie qui enlève force, santé et beauté.
Verset 13
13 et 14
Requête finale.
En passage, en séjour, littéralement : je suis étranger, habitant (et non citoyen). Le psalmiste rappelle qu’il ne possède rien en propre sur la terre et qu’il ne vit que de ce que l’Éternel veut bien lui accorder. Comparez Genèse 23.4 ; 1Pierre 2.11.
Verset 14
Détourne ton regard. Comparez Job 7.19. Il s’agit d’un regard irrité.
Les meilleurs amis de Paul, les femmes
16 juin, 2011du site:
http://paulissimo.dominicains.com/spip.php?article214&lang=fr
Les meilleurs amis de Paul, les femmes
Mon souci dans cette conférence est de prendre le contre-pied des remarques encore trop souvent faites à propos de saint Paul et de marquer sa proximité avec le monde féminin, et l’équilibre de ses positions, surtout dans le contexte de son temps. J’ai donc choisi de faire un peu choc : lorsqu’on commence en disant « les meilleurs amis de Paul », on peut attendre que suivent quelques noms du genre « Timothée et Tite », des masculins, et sans doute pas « les femmes » : mais après tout, en rassemblant les uns et les autres dans un même titre, n’était-ce pas déjà une manière de contribuer à l’équilibre, celui-là même que Paul a vécu en son temps ?
Pour vous présenter le sujet choisi, je serai obligé, pour des contraintes de temps et de genre littéraire, de me limiter et de n’aborder que quelques textes parmi ceux qui auraient pu ou dû l’être, en particulier au niveau des Pastorales. J’ai choisi de commencer par elles parce que je considère pour ma part qu’elles sont peut-être les premières lettres de Paul, et qu’elles présentent une vision très traditionnelle de la femme, celle qu’a dû connaître l’apôtre autour de lui : en d’autres termes, elles sont pour moi un bon point de départ.
I. La situation des femmes dans les « Pastorales »
A – La place des Pastorales dans le corpus paulinien
Vous le savez, le corpus paulinien le plus traditionnel contient entre autres trois lettres, la première et la deuxième lettre à Timothée, plus la lettre à Tite, auxquels la critique très largement majoritaire refuse aujourd’hui le sceau de l’authenticité : voyez sur tout cela le récent commentaire du frère Michel Gourgues à ce sujet [1].
Je vous l’avoue, je suis très sceptique sur l’idée même d’une pseudépigraphie néotestamentaire, j’ai du mal à imaginer que quelques auteurs aient pu vouloir se présenter sous l’autorité de Paul alors même que celui-ci venait de disparaître et que beaucoup de ceux qui l’avaient connu étaient encore vivants, et j’ai encore plus de mal à penser qu’ils l’aient fait avec autant de maladresse, je veux dire en utilisant un vocabulaire très marqué par le judaïsme le plus classique, et en proposant de la loi une vision si différente par rapport aux lettres au Galates et aux Romains qui les ont précédées : il faudrait qu’ils aient été de très très mauvais faussaires, et que leurs critiques aient eu une grâce d’aveuglement extrêmement forte pour attribuer quand même la paternité de leurs écrits à l’apôtre Paul.
J’ai donc proposé, il y a déjà longtemps, dans une série d’articles parus dans la revue Lumière et Vie [2], de les considérer comme les premières lettres de Paul , celles d’un homme encore très marqué par son judaïsme natif. Je ne vais pas vous proposer une démonstration, parce que mon sujet ne porte pas sur les Pastorales, mais sur les femmes dans les Pastorales.
B – Les femmes en 1 Timothée et Tite
L’exhortation de Tite est relativement brève : « Que pareillement les femmes âgées aient le comportement qui sied à des saintes : ni médisantes, ni adonnées au vin, mais de bon conseil ; ainsi elles apprendront aux jeunes femmes à aimer leur mari et leurs enfants, à être réservées, chastes, femmes d’intérieur, bonnes, soumises à leur mari, en sorte que la parole de Dieu ne soit pas blasphémée » (2,3-5).
Trois points ressortent immédiatement relativement aux jeunes femmes : la soumission au mari, la consécration aux enfants, la limitation de l’activité à la sphère privée. Ces conditions sont celles qui permettent à la parole de Dieu de n’être pas blasphémée, autrement dit aux chrétiens de trouver leur place dans la société : tout simplement parce que, ce faisant, ils se conforment aux critères de la dite société.
L’exhortation de 1 Tm est plus longue : « Que les femmes, de même, aient une tenue décente ; que leur parure, modeste et réservée, ne soit pas faite de cheveux tressés, d’or, de pierreries, de somptueuses toilettes, mais bien plutôt de bonnes œuvres, ainsi qu’il convient à des femmes qui font profession de piété. Pendant l’instruction, la femme doit garder le silence, en toute soumission. Je ne permets pas à la femme d’enseigner ni de faire la loi à l’homme. Qu’elle garde le silence. C’est Adam en effet qui fut formé le premier, Ève ensuite. Et ce n’est pas Adam qui se laissa séduire, mais la femme qui, séduite, se rendit coupable de transgression. Néanmoins elle sera sauvée en devenant mère, à condition de persévérer avec modestie dans la foi, la charité et la sainteté » (2,9-15).
A nouveau, trois points que je synthétise ainsi : modestie, silence, maternité. C’est encore une fois conforme à l’air du temps : la femme est invitée à rester chez elle, à gérer la maison, et n’a de relations avec l’extérieur que par la médiation de son mari auquel elle doit rester soumis. La spécificité est que ces règles propres à la société sont maintenant justifiées religieusement par une lecture « appropriée », si je puis dire, du récit de la Genèse sur la faute.
Il faudrait examiner bien d’autres passages des Pastorales, mais je n’en visiterai plus qu’un qui pose une question : existait-il à l’époque des diaconesses ? La question naît d’une certaine lecture de 1 Tm 3,10-11, alors que Paul est en train de parler des diacres : « on commencera pas les mettre à l’épreuve, et ensuite, si on n’a rien à leur reprocher, on les admettra aux fonctions de diacres. Que pareillement, les femmes soient dignes, point médisantes, sobres, fidèles en tout ». Les femmes des diacres ou les diaconesses ?
Je serais assez favorable à la deuxième interprétation, à condition de bien comprendre que les diacres, et donc aussi les diaconesses, représentent plutôt à l’époque (voir le fond d’Ac 6) des préposés à l’administration, des sortes d’économes. Revenons à 1 Tm. S’il s’était agi des « femmes des diacres », on aurait attendu une expression comme « leurs femmes » ; la répétition du ôsautos au début du verset 11, après celui du verset 8, suggère aussi un parallélisme ; en outre, les exigences adressées à ces femmes sont très proches de celles qui s’adressent aux diacres : sobriété, dignité, ce qui suggère qu’elles ont le même statut.
En Rm 16,11 justement, Phoebé « sert » l’église de Cenchrée : quand on sait l’accueil économique réservé par certaines femmes à la prédication paulinienne (cf. Lydie en Ac 16,14-15), Phoebé pourrait bien être une diaconesse, au sens d’une personne chargée de l’administration économique de la communauté. L’existence de telles diaconesses, qui semblent avoir très vite disparu, serait le signe que le statut n’est pas aussi confiné en judaïsme qu’il ne l’était alors dans le monde hellénistique : sans doute le monde romain a-t-il changé un peu la donne.
Voilà d’où Paul part, que ces textes soient ou non de lui : une vision très classique des femmes, que l’on pourra dire réductrice, en même temps qu’une reconnaissance de son rôle de gestionnaire. Il faudrait maintenant voir l’évolution éventuelle de l’apôtre, et pour cela examiner ses lettres dans l’ordre supposé où elles ont été écrites : c’est là que le bât blesse, parce que personne n’est d’accord sur une chronologie de Paul et de ses lettres. Les différences ne sont toutefois pas considérables, et je vais m’arrêter un moment sur ce sujet.
II. Quelques remarques sur le sujet féminin dans les lettres de Paul
La chronologie la plus traditionnelle classe les lettres de Paul dans l’ordre relatif suivant, en partant des plus anciennes (compte non tenu des Pastorales) : 1 et éventuellement 2 Thessaloniciens ; Galates, 1 et 2 Corinthiens, Romains, Philippiens, Philémon, et Colossiens et Éphésiens lorsque l’on en admet l’authenticité.
En termes de chronologie absolue, la plus ancienne, 1 Th, est datée du début des années 50, les « grandes lettres » des années 55-58, et le reste des années 60.
Je ne vais pas discuter tout cela, ce qui nous éloignerait de notre sujet, mais essayer de comprendre où Paul peut évoquer les femmes : on peut bien sûr rechercher ce qu’il en est de l’utilisation des termes femme, épouse, fille, mère, mais il faut aussi penser que Paul peut aussi parler directement de telle ou telle femme. Dans le premier cas, vous allez constater que :
1. Le terme « femme », très présent dans les Pastorales comme dans les lettres aux Corinthiens, aux Romains, Éphésiens et Colossiens, est pratiquement absent des lettres aux Thessaloniciens (1 mention peu significative de la femme enceinte en 1 Th 5,3) et n’est présent en Galates en dehors de 3,28, mention sur laquelle je m’arrêterai plus loin, que dans l’allégorie du chapitre 4, dont on ne peut dire qu’il parle de la condition féminine.
2. Le terme « épouse » ne se trouve qu’une fois en Galates, toujours dans le même chapitre 4.
3. Celui de « fille » ne se rencontre qu’à trois reprises, uniquement dans les lettres aux Corinthiens.
4. Enfin celui de « mère », présent à trois reprises dans les Pastorales, n’est présent qu’une fois en 1 Th, Ga (une fois de plus dans le chapitre 4) et Rm, et deux en Éphésiens.
En définitive, il n’y a pas de surprise : le thème féminin n’est jamais traité pour lui-même, il est relativement rare et ne prend quelque ampleur que dans les Pastorales, des lettres où il est surtout question de l’organisation des communautés et de leur vie interne, dans les lettres aux Corinthiens ou aux Romains, où la dimension ecclésiale est importante, et dans les lettres de la captivité où apparaissent des exhortations et des recommandations domestiques. Rien dans les lettres aux Thessaloniciens, pratiquement rien en Galates, à l’exception de la mention de 3,28 qui mérite que l’on s’y arrête brièvement.
Mais ce constat est un peu réducteur : il ne faut pas oublier que Paul peut évoquer directement les femmes sans passer par l’un des termes déjà évoqués. Tel est bien le cas en Ph 4,1-3, où sont mentionnées Évodie et Syntychè, qui ont « assisté Paul dans sa lutte pour l’évangile » : j’y reviendrai plus loin.
III. La femme de Ga 3,28
La lettre aux Galates me semble constituer une lettre intermédiaire dans la carrière de Paul, et je la date de l’année 53, donc quelques années avant la lettre aux Romains : s’il est vrai que ces deux lettres sont proches par certains thèmes et références, le traitement des sujets et leur finalité, je pense ici à la justification par la foi, y est très différent [3].
Le thème féminin est, je l’ai rappelé, très présent en Ga 4, mais à titre métaphorique : les femmes représentent ici des alliances, et ce chapitre ne nous apprend donc rien sur la manière dont Paul voit les femmes. En revanche, nous rencontrons une mention importante, celle de 3,28 : « Il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus ».
Ce verset récapitule toutes les grandes divisions sociales, et en particulier celle qui existe entre l’homme et la femme. Bien sûr, Paul plaide pour l’unité, mais il ne remet pourtant pas en cause ces distinctions : il en fait le constat, il ne veut pas qu’elles se transforment en oppositions, et il invite donc ses lecteurs à y reconnaître une complémentarité, ou au moins une communion possible « en Christ ». Force est de le constater : le temps n’est pas encore venu d’une réflexion autonome sur la femme comme telle.
C’est donc bien avec les lettres aux Corinthiens que le « sujet féminin » va prendre une consistance nouvelle.
IV. Les femmes dans les lettres aux Corinthiens
Ces lettres sont cruciales, non seulement parce qu’elles recèlent le plus grand nombre de références aux femmes, à leur statut dans la société, au rapport que Paul entretient avec elles, mais parce qu’elles ont largement contribué, avec la lettre aux Éphésiens, à donner une réputation de misogyne à l’apôtre. Je reviendrai plus loin rapidement sur Éphésiens, mais je commence donc par évoquer quelques mentions controversées.
A – 1 Co 11 et 1 Co 14
Passage extrêmement difficile que celui de 1 Co 11,2-15, dans lequel Paul lui-même semble perdu si l’on en juge par la conclusion : « au reste, si quelqu’un se plaît à ergoter, tel n’est pas notre usage, ni celui des églises de Dieu ».
La question est celle de la tenue des hommes et des femmes dans l’assemblée, et plus précisément le port des cheveux longs : sont-ils tolérables de la même manière pour les hommes et les femmes ? Et sinon, quels critères faut-il respecter ? Sur le fond, la réponse est simple : les hommes doivent couper leurs cheveux, les femmes doivent au contraire les garder longs…
Quant à l’argumentation, et donc aux critères, elle est beaucoup plus compliquée et n’est pas sans rappeler ce que Paul a déjà dit (ou dira) en 1Tm 2,9-15 ; je ne vais pas m’y attarder : il est très clair que ces usages, auxquels Paul veut donner une valeur forte, sont tout à fait contingents et Paul le reconnaît en fait dans les versets 13-15. La seule valeur qui en soi garde une justification, c’est l’importance de l’ordre, de la différenciation , idées très classiques dans la tradition juive [4] : s’il est clair que cet ordre, qui soumet la femme à l’homme, peut être discuté dans ses applications, il garde son importance au plan spirituel et théologique.
Et nous voici avec le fameux passage de 1 Co 14,34-35 : les femmes sont invitées à se taire dans l’assemblée, à se tenir dans la soumission, à s’instruire ou s’informer auprès de leurs maris !
Ici, deux remarques s’imposent d’emblée :
1. Cette invitation apparaît parfaitement contradictoire avec la reconnaissance de l’office prophétique accordé plus haut à la femme (11,5).
2. Les deux ou trois versets à considérer rompent le fil de la pensée. Il est en effet question de l’ordre qui doit régner dans l’expression prophétique dans les versets 31-33, et les interlocuteurs sont désignés par vous ; c’est à nouveau du bon ordre de l’expression prophétique dont il est question à partir du verset 37 et jusqu’à la fin du chapitre : ce passage sur les femmes est donc singulier, à moins de considérer qu’elles sont spécifiquement à l’origine de ces problèmes d’ordre, ce que rien n’indique par ailleurs.
Les commentateurs les plus anciens n’avaient pas encore de scrupules à accepter ces versets tels quels, et ils expliquaient par exemple que l’évocation de la prophétie en 11,5 avait un caractère hypothétique, ou que ces versets s’accordent une fois de plus avec 1 Tm 2,11-15, des versets d’inspiration judéo-chrétienne [5].
Mais, quoi qu’il en soit de la date de 1 Tm, il est certain que 1 Corinthiens ne se situe plus dans la même ligne, et que ces versets détonnent. Aujourd’hui donc, les commentateurs n’hésitent plus à parler d’interpolation : ils y sont d’autant plus invités que ces versets sont repoussés après le verset 40 dans la tradition textuelle occidentale, marquant la gêne qu’ils provoquaient déjà alors. Tel est le constat de C. Senft : « Les versets 33b-36 sont une interpolation » , et il se justifie à partir des raisons que je viens de donner plus haut [6].
Une autre possibilité, envisagée par certains, serait que les versets incriminés représentent la position des adversaires de Paul, et qu’ils seraient suivis de la réponse de Paul. Il reste qu’en toute occurrence, ces versets ne représentent pas la pensée de l’apôtre.
En définitive, ni 1 Co 11 ni 1 Co 14 ne nous apprennent grand chose sur la manière dont Paul perçoit vraiment les femmes. Il en va très différemment avec 1 Co 7.
Ce chapitre est particulièrement dense et compliqué, avec une organisation interne qu’il est difficile de suivre, voire même de repérer : il m’est donc impossible de vous en proposer une lecture détaillée, et je vais me contenter de mettre en valeur deux points sur le sujet qui nous occupe. La première chose à rappeler est que Paul n’est pas un révolutionnaire, qu’il accepte habituellement les contraintes politiques et sociales de son temps : la chose est particulièrement manifeste dans l’exhortation deux fois répétée « Que chacun demeure dans la condition où l’a trouvé l’appel de Dieu » (v. 17 et 24). Il est tout à fait possible de trouver, si on le juge nécessaire, des justifications au « conservatisme » paulinien (la fin des temps est proche, v. 29, ou l’attachement à l’ordre, déjà évoqué et qui sera à nouveau marqué en 14,33), mais c’est un fait : Paul se situe à l’intérieur d’une société dont il ne remet pas en cause les fondements, pas même celui de l’esclavage.
Dès lors, et c’est la deuxième chose à noter, la place qu’il donne à la femme par rapport à l’homme, place largement établie depuis des siècles et que seul le monde romain commençait depuis l’Empire à remettre en cause, n’en est que plus extraordinaire : elle est vraiment la correspondante de l’homme. Je fais ici allusion aux sept premiers versets du chapitre, dans lesquels Paul applique systématiquement à la femme ce qui est dit de l’homme et réciproquement : « Toutefois, à cause des débauches, que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari. Que le mari s’acquitte de son devoir envers sa femme, et pareillement la femme envers son mari. La femme ne dispose pas de son corps, mais le mari. Pareillement, le mari ne dispose pas de son corps, mais la femme etc. » (v. 2-4). Et le même équilibre se retrouve dans les versets 12-13 à propos de séparation.
C’est cet équilibre qui me fait parler d’amitié, alors même qu’il est question de conjugalité. Parce que, même si la situation des femmes mariées avait évolué dans la société, romaine en particulier, on ne pouvait certainement pas parler de réciprocité et d’équilibre. Lesquels étaient par contre particulièrement vantées dans le cadre de l’amitié, en particulier par Aristote [7]. Paul place donc les femmes comme des amies de l’homme.
C – 1 Co 16… et Rm 16 ou Ph 4
En évoquant 1 Co 7, je viens de montrer que les femmes étaient les meilleures amies de l’homme, mais non pas encore de Paul. En revanche, la finale de la première aux Corinthiens le manifeste, surtout si on lui adjoint la finale de Romains ou celle de Philippiens : ce sont là des interpellations directes qui nous en apprennent beaucoup [8]. La finale de Romains évoque de nombreux correspondants, parmi lesquels beaucoup de femmes, et on va voir que celle de Philippiens dit quelque chose d’important de deux d’entre elles.
En 1 Co 16, la femme est la fameuse Prisca, mariée à Aquilas. On sait qu’Ac 18 évoque aussi ce couple, et la manière dont Paul l’aurait connu : au travers d’une activité commune, celle de réparateurs ou fabricants de tentes. On les trouve mentionnés en Rm 16,3 et en 2 Tm 4,19 (une lettre que je date de la fin des années 40), et les deux fois, Prisca est nommée avant Aquilas, ce qui n’est pas du tout insignifiant pour l’époque [9]. Rm fait des deux, et je dis bien des deux, les coopérateurs ou collaborateurs de Paul, titre particulièrement enviable dans la bouche de l’apôtre : Urbain, inconnu par ailleurs, le reçoit en Rm 16,9, Timothée en Rm 16,21 et Tite en 2 Co 8,23, Clément et quelques autres en Ph 4. Comme on va le voir plus loin avec Ph 4, c’est finalement un vrai titre d’honneur qui touche aussi bien des femmes que des hommes.
En Rm 16, on remarque en outre que la première personne mentionnée, de manière extrêmement favorable, est Phoebé, une diaconesse : pour beaucoup de commentateurs, elle a dû porter la lettre que Paul adresse aux Romains, mais il reste qu’elle joue donc un rôle de premier plan. Et plus loin se trouvent évoquées Junias (v. 7), rangée au rang même des apôtres, Marie (v. 6) et Persis (v. 10), qui se seraient beaucoup fatiguées au service du Seigneur, puis « Philologue et Julie, Nérée et sa sœur, Olympas et tous les saints qui sont avec eux » (v. 15). Manifestement, les femmes sont très présentes et vues comme égales aux hommes, y compris dans les plus hautes fonctions.
Montrons-le plus encore avec Ph 4. Il s’agit des versets 2-3 : « J’exhorte Évodie comme j’exhorte Syntychè à vivre en bonne intelligence dans le Seigneur. Et toi de ton côté, Syzyge, vrai ‘compagnon’, je te demande de leur venir en aide : car elles m’ont assisté dans la lutte pour l’Évangile, en même temps que Clément et mes autres collaborateurs, dont les noms sont écrits au livre de vie ». Évodie et Syntychè ont donc « assisté » Paul dans la lutte pour l’évangile, en fait le grec dit littéralement qu’elles se sont comportées comme des athlètes à ses côtés ; et Paul, en les comparant à Clément et à d’autres, leur assure le titre de collaborateurs, celui-là même qui a été évoqué plus haut avec Rm 16. Pour Murphy O’Connor [10], le fait que la remontrance soit publique suggère que la dispute était publique, et il n’y voit d’autre explication que celle d’une dispute entre deux femmes dont chacune est à la tête d’une église domestique.
Terminons ce tour d’horizon en nous penchant maintenant, trop rapidement encore une fois, sur la condition des femmes dans les lettres de la captivité, surtout qu’elles sont pour une large part dans la fausse réputation de misogynie faite à Paul.
V. Les femmes dans les lettres de la captivité
Ces lettres font mention des femmes dans ce que l’on appelle « les tabelles », ou bien aussi les « codes de devoir » [11], autrement dit les règles de vie proposées par l’apôtre pour la vie domestique ou ecclésiastique. Ces règles forment un genre littéraire précis, relativement standardisé, et l’on est donc conduit à se demander si Paul reçoit ce qu’il y dit des femmes ou s’il est créatif.
Pour certains, tel Dibelius, il faut y reconnaître des éléments de la morale commune gréco-latine, en particulier stoïcienne, superficiellement christianisés ; pour d’autres, il faut accepter l’originalité chrétienne de ces tabelles, avec par exemple le caractère réciproque et « dans le Seigneur », des obligations. Ce sont vers ces derniers que penche ma lecture, en particulier du fait d’Ep 5, passage sur lequel je vais maintenant m’arrêter. Vous le savez, en Col 3,18-19 comme en Ep 5,21-33, ce qui est dit des femmes, en particulier l’invitation à la soumission, n’a cessé de générer un anti-paulinisme forcené et… totalement injuste. Je ne vais pas entrer dans cette stérile controverse, et je me contente de rappeler, au sujet d’Ep 5, le passage le plus conséquent, que Paul :
1. Invite préalablement à la soumission réciproque tout le monde en 5,21, et pas seulement les femmes.
2. Pour cette raison très probable que la soumission n’est pas ici une donnée sociale, mais l’acceptation d’un ordre voulu par Dieu. Dans la tradition juive en effet, et nous en avons une illustration dès le premier récit de la Genèse, Dieu trie et sépare, il met de l’ordre dans le tohu-bohu, il est un « dieu non de désordre, mais de paix ». Rappelons d’ailleurs que le verbe grec utilisé pour dire « soumettre » contient en lui-même l’idée d’ordre, ce qui n’est pas le cas du français.
3. Presse les hommes d’aimer leurs femmes, du même amour dont le Christ aime l’Église, ce qui représente quand même pour eux et pour toute époque une exigence considérable. C’est cette exigence qui me fait douter que Paul se contente de christianiser des recommandations classiques.
Le verset 33, trop souvent oublié, me semble dire l’essentiel de la pensée de Paul : « que chacun aime sa femme comme soi-même, et que la femme révère son mari ». La femme y est un vrai sujet, autonome, bénéficiant de l’amour que son mari se porte aussi à lui-même : je vois là à nouveau une forme de l’amitié, quand bien même le thème de la soumission, de caractère plus culturel [12], pourrait paraître l’invalider.
VI. Conclusion
Il est des réputations dont on dit qu’elles « collent à la peau » : telle est celle de misogyne pour Paul. Il ne suffit pas de dire qu’elle serait le résultat de l’agrégation de lettres non pauliniennes aux lettres authentiques, parce que rien n’assure que les lettres dénoncées ne soient pas de Paul, mais aussi parce qu’il existe des passages troublants dans des lettres aussi assurées que 1 Corinthiens.
Mais si l’on s’attache au contexte de chacun des passages dénoncés, si l’on tient compte de l’air du temps, si l’on cherche à établir un constat global, la vérité commande de reconnaître que l’apôtre Paul donne aux femmes un statut extrêmement élevé, différent certes mais néanmoins comparable à celui de l’homme, et que le rapport hommes/femmes est plus proche de l’amitié que de la soumission, quoi qu’il en soit de certains passages de ses lettres. Paul se révèle ainsi bien plus accueillant et positif pour elles qu’on ne l’était généralement à son époque. En définitive, certainement pas misogyne, bien plutôt philogyne : c’est ce que j’ai voulu marquer en assurant que les femmes étaient « les meilleurs amis » de Paul.
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notes:
[1] Michel Gourgues, Les Deux « Lettres à Timothée » ; La lettre à Tite, Commentaire biblique, Nouveau Testament (Paris : Les éditions du Cerf, 2009)
[2] Hervé Ponsot, “Les Pastorales seraient-elles les premières lettres de Paul ?,” Lumière et Vie, no. 231, 232 et 233 (1997)
[3] Voir Hervé Ponsot, Abraham dans la théologie paulinienne Rom IV. Gal III : fonction littéraire, historique et théologique de la paternité d’Abraham (Institut catholique de Paris, Université Paris-IV Sorbonne, 1985)
[4] Jerome Murphy O’Connor, Paolo e le donne, 1er éd. (Assisi : Cittadella, 2006), insiste sur la dimension de différenciation sexuelle dans ce passage.
[5] Voir par exemple A. Robertson et A. Plummer, A Critical and Exegetical Commentary on the First Epistle of Saint Paul to the Corinthians, coll. ICC. Édimbourg, T&T Clark, 1983, ad loc.
[6] C. Senft, La première épître de saint Paul aux Corinthiens, Coll. Commentaire du Nouveau Testament, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1979, ad loc.
[7] Je pense bien sûr ici aux chapitres 8 et 9 de l’Éthique à Nicomaque, dans lesquels on trouve par exemple : « Car l’amitié consiste plutôt à aimer qu’à être aimé ».
[8] Sur ces passages et ces points, on pourra consulter Jerome Murphy O’Connor, Paolo e le donne, 1er éd. (Assisi : Cittadella, 2006).
[9] Murphy O’Connor, p. 15, y insiste aussi.
[10] op. cit. p. 14.
[11] Marie-Louise Lamau, Des chrétiens dans le monde. Communautés pétriniennes au 1er siècle, Coll. Lectio Divina n? 134, Paris, Cerf, 1988, p. 153-230.
[12] Murphy O’Connor, ibid., ne retient pas l’authenticité d’Éphésiens, mais bien celle de Colossiens. Il explique le « recul » de Colossiens pour des raisons conjoncturelles, sans que soit remise en cause l’égalité fondamentale entre hommes et femmes, si chère à Paul.