Archive pour le 26 mai, 2011
LA PRIÈRE DU SILENCE
26 mai, 2011du site:
http://www.pagesorthodoxes.net/priere/priere-bloom.htm
LA PRIÈRE DU SILENCE
par Mgr Antoine Bloom
Quand nous disons que nous nous tenons devant Dieu, nous pensons toujours que nous sommes ici, et que Dieu est là, extérieur à nous. Si nous cherchons Dieu en haut, devant ou autour de nous, nous ne le trouverons pas. Saint Jean Chrysostome disait : « Trouvez la porte de la chambre secrète de votre âme, et vous découvrirez que c’est la porte du royaume des cieux. » Saint Ephraïm le Syrien dit que Dieu, quand il créa l’homme, mit au plus profond de lui tout le royaume, et que le problème de la vie humaine est de creuser assez profond pour aller jusqu’au trésor caché. C’est pourquoi, pour trouver Dieu, nous devons creuser, en quête de cette chambre secrète, de ce lieu où se trouve le royaume de Dieu au cœur même de notre être, où Dieu et nous pouvons nous rencontrer.
Le meilleur outil, celui qui percera tous les obstacles, c’est la prière. Le problème est de prier avec attention, simplement et dans la vérité, sans remplacer le vrai Dieu par un faux dieu quelconque, par une idole, par un produit de notre imagination, et sans chercher à vivre une expérience mystique. En nous concentrant sur ce que nous disons, certains que chaque mot que nous prononçons atteint Dieu, nous pouvons utiliser nos propres mots, ou les mots de ceux qui sont plus grands que nous pour exprimer, mieux que nous ne le pourrions, ce que nous éprouvons ou ressentons obscurément en nous. Ce n’est pas par la multiplicité des mots que nous serons entendus de Dieu, mais par leur véracité. Quand nous employons nos propres mots, nous devons parler à Dieu avec précision, sans chercher à faire long ou à faire court, mais à dire vrai.
Il est des moments où les prières sont spontanées et aisées, d’autres où il nous semble que la source s’est tarie. C’est alors qu’il est bon d’utiliser les prières d’autres qui expriment fondamentalement ce que nous croyons, toutes ces réalités qui ne sont pas en cet instant vivifiées par une réaction profonde de notre cœur. Nous devons alors prier dans un double acte de foi, non seulement en Dieu mais en nous-mêmes, confiants dans cette foi qui s’est obscurcie mais qui fait pourtant partie intégrante de notre être.
Il est des moments où nous n’avons nul besoin de mots, ni des nôtres ni de ceux d’autrui, et nous prions alors en silence. Ce silence parfait est la prière idéale, pourvu cependant que le silence soit réel et non un rêve éveillé. Nous avons très peu d’expérience de ce que signifie le profond silence du corps et de l’âme, quand une sérénité absolue comble l’âme, quand une paix totale emplit le corps, quand il n’y a aucune agitation d’aucune sorte et que nous nous tenons devant Dieu, totalement ouverts en un acte d’adoration. Il peut y avoir des moments où nous nous sentons bien physiquement, et mentalement détendus, fatigués des paroles parce que nous en avons déjà trop utilisé ; nous ne voulons pas nous agiter et nous nous sentons bien dans cet équilibre délicat ; nous sommes là au bord du rêve éveillé. Le silence intérieur est une absence de toute sorte d’agitation de la pensée ou de l’affectivité, mais c’est une totale vigilance, une ouverture à Dieu. Nous devons garder le silence absolu quand nous le pouvons, mais nous ne devons jamais le laisser dégénérer en simple plaisir. Pour éviter cela, les grands auteurs de l’orthodoxie nous avertissent de ne jamais abandonner complètement les formes normales de la prière, car même ceux qui avaient atteint ce silence de la contemplation jugeaient nécessaire, chaque fois qu’ils étaient en danger de relâchement spirituel, de réintroduire les paroles de la prière jusqu’à ce que la prière eût renouvelé le silence.
Les Pères grecs mettaient ce silence, qu’ils appelaient hesychia, à la fois au point de départ et au point d’aboutissement d’une vie de prière. Le silence est l’état dans lequel toutes les facultés de l’âme et du corps sont complètement en paix, tranquilles et recueillies, concentrées et parfaitement vigilantes, libres de toute agitation. Les Pères utilisent souvent dans leurs écrits l’image de l’étang : tant qu’il y a des rides à la surface, rien ne peut être correctement réfléchi, ni les arbres ni le ciel ; quand la surface est tout à fait calme, le ciel se reflète parfaitement, comme les arbres de la rive, et tout est aussi distinct que dans la réalité.
Une autre image du même genre utilisée par les Pères est celle de la vase qui, tant qu’elle ne repose pas au fond de l’étang, à l’abri de toute agitation, trouble la transparence de l’eau. Ces deux analogies s’appliquent à l’état du cœur humain. « Heureux les cœurs purs car ils verront Dieu » (Mt 5, 8). Aussi longtemps que la vase est agitée dans l’eau, il n’y a pas de vision claire possible, et aussi longtemps qu’il y a des rides sur la surface, les objets qui entourent l’étang ne peuvent s’y refléter sans déformation.
Aussi longtemps que l’âme n’est pas en repos, il ne peut y avoir de vision, mais quand la paix nous a permis de nous trouver en présence de Dieu, alors un autre genre de silence, beaucoup plus absolu, intervient : le silence d’une âme qui n’est pas seulement tranquille et recueillie, mais à qui la présence de Dieu impose respect et adoration ; un silence dans lequel, selon les termes de Julienne de Norwich, « la prière unit l’âme à Dieu. »
Extrait de : Antoine Bloom,
Prière vivante, Cerf (FV 185), 1981.
Dernière mise à jour : 18-11-07
AUDIENCE GÉNÉRALE DU 25 MAI 2011 : LA LUTTE DE JACOB AVEC DIEU
26 mai, 2011du site:
http://www.zenit.org/article-28026?l=french
AUDIENCE GÉNÉRALE DU 25 MAI 2011 : LA LUTTE DE JACOB AVEC DIEU
Texte intégral
ROME, Mercredi 25 mai 2011 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la catéchèse prononcée par le pape Benoît XVI, ce mercredi, au cours de l’audience générale, sur la Place Saint-Pierre, au Vatican.
Chers frères et sœurs,
Aujourd’hui, je voudrais réfléchir avec vous sur un texte du Livre de la Genèse, qui rapporte un épisode assez particulier de l’histoire du patriarche Jacob. C’est un passage qui n’est pas facile à interpréter, mais qui est important pour notre vie de foi et de prière ; il s’agit du récit de la lutte avec Dieu au gué du Yabboq, dont nous avons entendu un passage.
Comme vous vous en souviendrez, Jacob avait soustrait à son jumeau Esaü son droit d’aînesse en échange d’un plat de lentilles et avait ensuite soutiré par la ruse la bénédiction de son père Isaac, désormais très âgé, en profitant de sa cécité. Fuyant la colère d’Esaü, il s’était réfugié chez un parent, Laban ; il s’était marié, était devenu riche et s’en retournait à présent dans sa terre natale, prêt à affronter son frère après avoir prudemment pris certaines précautions. Mais, lorsque tout est prêt pour cette rencontre, après avoir fait traverser à ceux qui l’accompagnaient le gué du torrent qui délimitait le territoire d’Esaü, Jacob, demeuré seul, est soudain agressé par un inconnu avec lequel il lutte toute une nuit. Ce combat corps à corps — que nous trouvons dans le chapitre 32 du Livre de la Genèse — devient précisément pour lui une expérience particulière de Dieu.
La nuit est le temps favorable pour agir de façon cachée, et donc, pour Jacob, le meilleur moment pour entrer dans le territoire de son frère sans être vu et sans doute dans l’illusion de prendre Esaü par surprise. Mais c’est au contraire lui qui est surpris par une attaque soudaine, à laquelle il n’était pas préparé. Il avait joué d’astuce pour tenter d’échapper à une situation dangereuse, il pensait réussir à tout contrôler, et il doit en revanche affronter à présent une lutte mystérieuse qui le surprend seul et sans lui donner la possibilité d’organiser une défense adéquate. Sans défense, dans la nuit, le patriarche Jacob lutte contre quelqu’un. Le texte ne spécifie pas l’identité de l’agresseur ; il utilise un terme hébreu qui indique « un homme » de façon générique, « un, quelqu’un » ; il s’agit donc d’une définition vague, indéterminée, qui maintient volontairement l’attaquant dans le mystère. Il fait nuit, Jacob ne réussit pas à distinguer son adversaire et pour le lecteur, pour nous, il demeure inconnu ; quelqu’un s’oppose au patriarche et cela est l’unique élément sûr fourni par le narrateur. Ce n’est qu’à la fin, lorsque la lutte sera désormais terminée et que ce « quelqu’un » aura disparu, que Jacob le nommera et pourra dire qu’il a lutté avec Dieu.
L’épisode se déroule donc dans l’obscurité et il est difficile de percevoir non seulement l’identité de l’agresseur de Jacob, mais également le déroulement de la lutte. En lisant le passage, il est difficile d’établir qui des deux adversaires réussit à avoir le dessus ; les verbes utilisés sont souvent sans sujet explicite, et les actions se déroulent de façon presque contradictoire, si bien que lorsqu’on croit que l’un des deux a l’avantage, l’action successive contredit immédiatement les faits et présente l’autre comme vainqueur. Au début, en effet, Jacob semble être le plus fort, et l’adversaire — dit le texte — « ne le maîtrisait pas » (v 26) ; et pourtant, il frappe Jacob à l’emboîture de la hanche, provoquant son déboîtement. On devrait alors penser que Jacob est sur le point de succomber, mais c’est l’autre au contraire qui lui demande de le lâcher ; et le patriarche refuse, en imposant une condition : « Je ne te lâcherai pas, que tu ne m’aies béni » (v. 27). Celui qui par la ruse avait dérobé son frère de la bénédiction due à l’aîné, la prétend à présent de l’inconnu, dont il commence sans doute à entrevoir les traits divins, mais sans pouvoir encore vraiment le reconnaître.
Son rival, qui semble retenu et donc vaincu par Jacob, au lieu de céder à la demande du patriarche, lui demande son nom : « Quel est ton nom ». Et le patriarche répond : « Jacob » (v. 28). Ici, la lutte prend un tournant important. Connaître le nom de quelqu’un, en effet, implique une sorte de pouvoir sur la personne, car le nom, dans la mentalité biblique, contient la réalité la plus profonde de l’individu, en dévoile le secret et le destin. Connaître le nom veut dire alors connaître la vérité de l’autre et cela permet de pouvoir le dominer. Lorsque, à la demande de l’inconnu, Jacob révèle donc son nom, il se place entre les mains de son adversaire, c’est une façon de capituler, de se remettre totalement à l’autre.
Mais dans le geste de se rendre, Jacob résulte paradoxalement aussi vainqueur, car il reçoit un nom nouveau, en même temps que la reconnaissance de sa victoire de la part de son adversaire, qui lui dit : « On ne t’appellera plus Jacob, mais Israël, car tu as été fort contre Dieu et contre les hommes et tu l’as emporté » (v. 29). « Jacob » était un nom qui rappelait l’origine problématique du patriarche ; en hébreu, en effet, il rappelle le terme « talon », et renvoie le lecteur au moment de la naissance de Jacob, lorsque, sortant du sein maternel, il tenait par la main le talon de son frère jumeau (cf. Gn 25, 26), presque en préfigurant l’acte de passer en premier, au détriment de son frère, qu’il aurait effectué à l’âge adulte ; mais le nom de Jacob rappelle également le verbe « tromper, supplanter ». Eh bien, à présent, dans la lutte, le patriarche révèle à son opposant, dans le geste de se remettre et de se rendre, sa propre réalité d’imposteur, qui supplante ; mais l’autre, qui est Dieu, transforme cette réalité négative en positive : Jacob l’imposteur devient Israël, un nom nouveau lui est donné qui marque une nouvelle identité. Mais ici aussi, le récit conserve une duplicité voulue, car la signification la plus probable du nom Israël est « Dieu est fort, Dieu triomphe ».
Jacob a donc prévalu, il a vaincu — c’est l’adversaire lui-même qui l’affirme — mais sa nouvelle identité, reçue de l’adversaire, affirme et témoigne de la victoire de Dieu. Et lorsque Jacob demandera, à son tour, son nom à son adversaire, celui-ci refusera de le lui dire, mais il se révélera dans un geste sans équivoque, en lui donnant la bénédiction. Cette bénédiction que le patriarche avait demandée au début de la lutte lui est à présent accordée. Et ce n’est pas la bénédiction obtenue par la tromperie, mais celle donnée gratuitement par Dieu, que Jacob peut recevoir car il est désormais seul, sans protection, sans astuces ni tromperies, il se remet sans défense, il accepte de se rendre et confesse la vérité sur lui-même. Ainsi, au terme de la lutte, ayant reçu la bénédiction, le patriarche peut finalement reconnaître l’autre, le Dieu de la bénédiction : « car — dit-il — j’ai vu Dieu face à face et j’ai eu la vie sauve » (v. 31, et il peut à présent traverser le gué, porteur d’un nom nouveau mais « vaincu » par Dieu et marqué pour toujours, boiteux à la suite de la blessure reçue).
Les explications que l’exégèse biblique peut donner à ce passage sont multiples ; les chercheurs reconnaissent en particulier dans celui-ci des intentions et des composantes littéraires de différents genres, ainsi que des références à certains récits populaires. Mais lorsque ces éléments sont repris par les auteurs sacrés et englobés dans le récit biblique, ils changent de signification et le texte s’ouvre à des dimensions plus vastes. L’épisode de la lutte au Yabboq se présente ainsi au croyant comme un texte paradigmatique dans lequel le peuple d’Israël parle de sa propre origine et définit les traits d’une relation particulière entre Dieu et l’homme. C’est pourquoi, comme cela est également affirmé dans le Catéchisme de l’Eglise catholique, « la tradition spirituelle de l’Eglise a retenu de ce récit le symbole de la prière comme combat de la foi et victoire de la persévérance » (n. 2573). Le texte biblique nous parle de la longue nuit de la recherche de Dieu, de la lutte pour en connaître le nom et en voir le visage ; c’est la nuit de la prière qui avec ténacité et persévérance demande à Dieu la bénédiction et un nouveau nom, une nouvelle réalité fruit de conversion et de pardon.
La nuit de Jacob au gué du Yabboq devient ainsi pour le croyant le point de référence pour comprendre la relation avec Dieu qui, dans la prière, trouve sa plus haute expression. La prière demande confiance, proximité, presque un corps à corps symbolique, non avec un Dieu adversaire et ennemi, mais avec un Seigneur bénissant qui reste toujours mystérieux, qui apparaît inaccessible. C’est pourquoi l’auteur sacré utilise le symbole de la lutte, qui implique force d’âme, persévérance, ténacité pour parvenir à ce que l’on désire. Et si l’objet du désir est la relation avec Dieu, sa bénédiction et son amour, alors la lutte ne pourra qu’atteindre son sommet dans le don de soi-même à Dieu, dans la reconnaissance de sa propre faiblesse, qui l’emporte précisément lorsqu’on en arrive à se remettre entre les mains miséricordieuses de Dieu.
Chers frères et sœurs, toute notre vie est comme cette longue nuit de lutte et de prière, qu’il faut passer dans le désir et dans la demande d’une bénédiction de Dieu qui ne peut pas être arrachée ou gagnée en comptant sur nos forces, mais qui doit être reçue avec humilité de Lui, comme don gratuit qui permet, enfin, de reconnaître le visage du Seigneur. Et quand cela se produit, toute notre réalité change, nous recevons un nouveau nom et la bénédiction de Dieu. Mais encore davantage : Jacob, qui reçoit un nom nouveau, devient Israël, il donne également un nom nouveau au lieu où il a lutté avec Dieu, où il l’a prié, il le renomme Penuel, qui signifie « Visage de Dieu ». Avec ce nom, il reconnaît ce lieu comblé de la présence du Seigneur, il rend cette terre sacrée en y imprimant presque la mémoire de cette mystérieuse rencontre avec Dieu. Celui qui se laisse bénir par Dieu, qui s’abandonne à Lui, qui se laisse transformer par Lui, rend le monde béni. Que le Seigneur nous aide à combattre la bonne bataille de la foi (cf 1 Tm 6, 12 ; 2 Tm 4, 7) et à demander, dans notre prière, sa bénédiction, pour qu’il nous renouvelle dans l’attente de voir son Visage. Merci
A l’issue de l’audience générale le pape a résumé sa catéchèse en différentes langues et salué les pèlerins. Voici ce qu’il a dit en français :
Chers frères et sœurs, dans ma réflexion sur la prière, je m’arrête aujourd’hui sur l’expérience particulière de Jacob avec Dieu, relatée par le livre de la Genèse. Seul dans la nuit, le Patriarche est assailli à l’improviste par quelqu’un de mystérieux qu’il n’arrive pas à identifier à cause de l’obscurité. Jacob se défend vaillamment et demande le nom de son rival qui répond par la même question. En donnant son nom, Jacob se rend et devient paradoxalement vainqueur. L’être mystérieux lui donne alors un nouveau nom : Israël qui signifie : Dieu est fort, Dieu triomphe. Cette nouvelle identité témoigne de la victoire de Dieu, qui donne gratuitement la bénédiction à Jacob. La tradition spirituelle de l’Église a retenu de ce récit le symbole de la prière comme combat de la foi et victoire de la persévérance. C’est la longue nuit de la recherche de Dieu, de la lutte comme en un corps à corps symbolique, pour connaître son nom et voir son visage. Nuit de la prière et du désir de Dieu, qui culmine dans un abandon de soi à sa miséricorde. Chers amis, toute notre vie est comme cette longue nuit de combat et de prière, habitée par le désir de la bénédiction divine, qui, reçue avec humilité, nous change réellement et nous donne une nouvelle identité.
Je salue cordialement les pèlerins francophones, particulièrement les jeunes et les membres de la communauté de l’Arche de Grenoble ! Comme Jacob, laissez-vous bénir et transformer par Dieu pour rendre béni notre monde. Puisse le Seigneur vous aider à mener le bon combat de la foi avec humilité et dans une prière quotidienne et confiante ! Avec ma bénédiction !