LES ANTECEDENTS DU MONACHISME CHRETIEN

du site:

http://eocf.free.fr/text_cours_monachisme_egypte_1.htm

INITIATION AU MONACHISME DES PREMIERS SIÈCLES CHRÉTIENS

Égypte et Palestine

par Soeur Véronique DUPONT, osb, Venière

CHAPITRE I

LES ANTECEDENTS DU MONACHISME CHRETIEN

1. DANS L’ANCIEN TESTAMENT

En scrutant l’Ancien Testament (même si vous utilisez un super ordinateur en six langues… mais rien ne vaut de faire le travail par soi-même!), on ne trouve pas de « moines » à proprement parler. Par contre, on trouve quelques traits de spiritualité monastique. C’est ce dont je vais vous entretenir présentement et qui vous permettra de mieux comprendre combien le monachisme chrétien est radicalement nouveau ; il est évangélique; il est une bonne nouvelle vécue.
Cette trace de spiritualité monastique est le naziréat. Qu’est-ce? Le mot signifie « consacré », et, très précisément le terme hébreu signifie « voeu ». Regardons tout d’abord les textes puis nous déduirons la structure de cette consécration.
- Gen. 49,26 « Que les bénédictions du Seigneur viennent sur la tête de Joseph, sur le front du consacré d’entre ses frères ». (Cf en parallèle : Dt, 33,16). Vous me direz que cela n’apporte pas grand chose! Mais tout de même on apprend ainsi que cette pratique du naziréat est très ancienne, qu’elle est antérieure à Moïse. Ce texte s’éclaire par d’autres : (Soit dit en passant, cette méthode d’étude de textes les uns par les autres est spécifiquement de la lectio divina).

- Juges 13,5-7 : « Le rasoir ne passera pas sur sa tête car l’enfant sera nazir de Dieu ».(il s’agit de Samson). Voir aussi Juges 13,13-14.
- Juges 16,17 : « Le rasoir n’a jamais passé sur ma tête car je suis nazir de Dieu depuis le sein de ma mère. »
De ces passages du Livre des Juges, on déduit que le naziréat se signale par :
. la chevelure jamais coupée
. l’abstinence même de raisin, de toute nourriture impure
. le nazir (ici Samson) est un charismatique : il est agité par l’esprit de Dieu (Juges 13,25).
. Il ne se sépare pas du reste du peuple, et ceci est radicalement différent de ce que pratiquera le monachisme chrétien.
- 1 Sam.1,11 : « Alors je le donnerai au Seigneur pour toute sa vie et le rasoir ne passera pas sur sa tête ».
- Mais le principal texte concernant le naziréat dans l’Ancien Testament se trouve dans le Livre des Nombres, 6,11 sq. :
 » Quand un homme ou une femme entend s’acquitter d’un vœu, le vœu de naziréat, par lequel il est voué au Seigneur, il s’abstiendra de vin et de boissons fermentées, il ne boira pas le vinaigre que l’on tire de l’un ou de l’autre, il ne boira aucun jus de raisin, il ne mangera ni raisins frais ni raisins secs. Durant tout le temps de sa consécration il ne prendra aucun produit du cep de vigne, depuis le verjus jusqu’au marc. Aussi longtemps qu’il sera consacré par son voeu, le rasoir ne passera pas sur sa tête; jusqu’à ce que soit écoulé le temps par lequel il s’est voué au Seigneur, il sera consacré et laissera croître librement sa chevelure. Durant tout le temps de sa consécration au Seigneur, il ne s’approchera pas d’un mort, ni par son père, ni par sa mère (…) car il porte sur sa tête la consécration de son Dieu. Durant tout le temps de son naziréat, il est consacré au Seigneur  » .
Puis aux versets 13 et suivants, vous avez le rituel du nazir. A la fin de sa consécration (car vous avez remarqué que ce vœu peut être temporaire ou définitif), le nazir est emmené à l’entrée de la tente du Rendez-vous où il offre un sacrifice pour le péché, puis un sacrifice de communion. Il reçoit du prêtre et présente au Seigneur les oblats du sacrifice de communion. Alors il peut boire du vin.
Il est encore un autre exemple de nazir, à la charnière de l’Ancien et du Nouveau Testament : c’est Jean, le Baptiste (Luc 1, 15) : « Il ne boira pas ni vin, ni boisson forte, il sera nazir dès le sein de sa mère ». Vous me direz qu’il n’est pas écrit explicitement que Jean Baptiste est nazir, et qu’en plus il n’est pas mentionné qu’il gardait sa chevelure sans la couper, signe par excellence du nazir. C’est vrai, mais souvenez-vous de Samson dont nous venons de parler : la force de Dieu (de l’Esprit de Dieu) est liée à sa chevelure. En Luc il est dit que Jean est rempli de l’Esprit-Saint. Peut-être cette force implique-t-elle que Jean ne s’est jamais coupé les cheveux (pour être signe). De plus, Jean précède le Christ, il attend sa venue; il est un veilleur, ce qui sera l’une des fonctions essentielles du moine.
En résumé de cette courte étude, nous pouvons conclure que: Ne pas se couper les cheveux ……………. signifie que la force de Dieu agit sur le nazir. Ne pas boire de boisson fermentée …….. signifie le rejet de la vie facile. Ne pas approcher un cadavre……….. .signifie que l’on appartient spécialement à Dieu. A ces trois signes du naziréat, on peut ajouter : la durée, temporaire ou définitive, parfois dès le sein maternel, sans limite de temps. Notons que l’on ne trouve pas toujours les trois éléments. Par exemple, pour Samuel, il n’est pas dit qu’il s’abstenait de vin. Vous remarquerez aussi que dans son vœu le nazir n’est tenu qu’à des pratiques – ou absences de pratiques – « extérieures » et non pas forcément morales, fondamentales, ni spirituelles. Ces pratiques sont cependant des signes d’une consécration à Dieu. .2. Il y a d’autres traces de « monachisme » dans l’Ancien Testament. Je ne les développerai pas ici car vous étudierez cela plus en détail au cours d’Ecriture Sainte, mais je vous citerai simplement : ELIE, cette grande figure biblique. Elie, lié aussi à Jean Baptiste. Et par là, je voudrais vous faire prendre conscience (mais nous y reviendrons) que le monachisme est lié au prophétisme. Ce lien atteint son apogée avec Jésus, le prophète par excellence, le moine par excellence.

2. DANS LE NOUVEAU TESTAMENT
2.1. JESUS, plus libre dans son comportement et plus libéral que Jean Baptiste. « Il mange et boit avec les pécheurs » etc… Et pourtant, Jésus reçoit le baptême de pénitence, lui qui n’a pas péché. Il passe quarante jours au désert (avec tout le symbolisme du nombre quarante : une vie, une génération…). Il lance l’appel à tout quitter pour le suivre (cf. Mt 16,21-28 et montre en même temps l’impossibilité de suivre deux maîtres. Tout cela manifeste une rupture radicale avec la Loi, aussi radicale que celle de Jean.
2.2. Saint PAUL recommande l’état de virginité qui permet d’être au Seigneur sans partage, sans division (« simple » = monos); voyez le grand texte de 1 Co. 7. De la deuxième Lettre de Paul à Timothée (2,4), les moines vont retenir le principe que les militaires en service ne se laissent pas impliquer dans les affaires séculières. De même si les moines veulent plaire à Dieu, à Celui auquel ils se sont voués, ils sont tendus vers lui, préoccupés de lui seul : « tendu de tout mon être , je cours en avant vers le prix que Dieu m’appelle à recevoir là-haut en Christ Jésus. » (Phil. 3,13-14). Cette tension vers le Christ – que Grégoire de Nysse appellera épectase, est toute monastique.
Autrement dit, le moine est un veilleur qui attend le retour du Christ. Cette spiritualité donnera naissance aux Pères neptiques (nepsis = veille).

3. LES ESSENIENS
Avant d’aller plus loin dans les antécédents du monachisme chrétien, je voudrais vous parler d’un mouvement communautaire juif contemporain de Jean Baptiste et de Jésus, les esséniens.
3.1. Qu’est-ce que c’est ?
Pline l’Ancien, Philon en parlent. Cette secte – car c’était une secte juive – a eu une influence réelle sur la première communauté chrétienne et sur le monachisme des premiers siècles chrétiens. On connaît les esséniens non seulement par les textes anciens, mais aussi par le lieu où ils s’étaient établis : Qumrân, au bord de la Mer Morte, là où l’on a retrouvé en 1947 les restes d’un véritable monastère.
Cette communauté juive habitait un vaste bâtiment dressé sur un promontoire dominant la Mer Morte ainsi que vingt-cinq grottes. Les bâtiments, avec huit cours intérieures, comprenaient un réfectoire, une cuisine, des salles de réunion, une lingerie, deux poteries, huit citernes (de différentes tailles). L’eau y était amenée par des canaux. On a même décelé les traces d’un barrage.
En 68, lorsqu’elle dut fuir devant le général romain Vespasien et la dixième légion romaine – qui détruisirent la plupart des locaux – la communauté enveloppa ses manuscrits dans des jarres en terre cuite qu’elle cacha dans des grottes. On a retrouvé, dix-neuf siècles plus tard, toute cette précieuse bibliothèque. Le climat très sec de la région a permis la conservation intacte de ces manuscrits pendant deux mille ans.
3.2. Quel est le projet de vie de cette communauté ?
On le connaît par l’un des manuscrits qui est la Règle de la Communauté. Cette règle aurait été écrite entre 100 et 75 avant Jésus-Christ.
Le supérieur est le Maître de Justice. Les points les plus saillants de la Règle sont les suivants :
obéissance au supérieur et obéissance mutuelle
correction fraternelle
humilité
amour fraternel.
A travers tout ce texte on dégage une « spiritualité », un appel à la perfection et à la sainteté. Mais vous allez le constater, cette soif de perfection et de sainteté est assez élitiste et même « puriste ». On retrouvera cela périodiquement dans la vie de l’Eglise : des chrétiens puristes au point de devenir une secte, que ce soit au II ème siècle avec Montan et Tertullien, ou au Moyen-Age avec les cathares.
La sainteté, dans la Règle de la communauté, se traduit par la communion avec le monde céleste : Dieu et les anges. La perfection se traduit par l’observance exacte de toute la Loi.
Autre point-clé de cette Règle de vie : la conversion et le culte que l’on vit dans l’action de grâce jubilante. Enfin, le célibat fait partie de toutes ces sectes dont je vous parlais à l’instant. Les relations conjugales vont être considérées comme mauvaises (ce qui est chrétiennement faux). Mais à Qumrân, on trouvera, liée au célibat, la conviction d’exercer une fonction sacerdotale. Ceci est intéressant pour la grave question, plus tardive, du célibat des prêtres.
Signalons aussi la place, dans cette règle, de l’interprétation des Ecritures et du discernement des esprits. Vous voyez, nous avons là un ensemble très charismatique.
3.3. Comment se passait une journée?
. Avant le lever du soleil, la communauté se rassemble dans une grande salle de réunion pour la prière matinale.
. Puis chacun vaque à son travail (travail qui a lieu dans l’enceinte du monastère) : potier, teinturier, copiste, jardinier, cuisinier, boulanger…
. A 11 heures a lieu le bain de purification pour lequel on revêt un pagne de lin.
. Succède à cela le repas communautaire : élément très important de la vie à Qumrân. C’est une véritable liturgie à laquelle ne participent que ceux qui sont définitivement engagés dans la communauté. Pour ce repas on revêt des vêtements sacrés. Lorsque tous les membres sont à leur place, le boulanger distribue un pain à chacun, puis le cuisinier remet une écuelle à chacun. Ensuite a lieu la prière de bénédiction (on ne mange pas avant). A la fin du repas, on dit les grâces. A la sortie, on défait ses vêtements sacrés et on retourne au travail jusqu’au soir.
. Repas du soir.
. Veillée nocturne quand le soleil se couche jusque tard dans la nuit. Cette veillée dure trois heures et demie.
3.4. Les membres de la communauté
On commence par une année de postulat, puis une année de noviciat. Après quoi on s’engage par un serment que l’on renouvelle chaque année. Pendant les deux années probatoires, on s’initie à l’idéal d’ascèse et de sainteté de la communauté : vie de prière, vie de travail, vie d’étude de la Loi.
Cette communauté était-elle mixte? On n’a pas de certitudes absolues sur ce point. Mais on a retrouvé des ossements de femmes. Il semble donc que oui.
Ils sont issus d’un même germe : l’idéal communautaire et fraternel esquissé dans l’Ancien Testament, ainsi que la vocation à être un peuple saint par une pratique parfaite de la volonté divine. Mais la différence essentielle est que les gens de Qumrân se situent dans une perspective vétéro-testamentaire, c’est-à-dire une perspective légaliste, même lorsqu’ils s’efforcent de se laisser conduire par l’Esprit de Vérité. Le monachisme chrétien se réfère à la personne de Jésus.
Jean Baptiste a peut-être cheminé quelque temps avec les esséniens. En tous cas il s’en serait séparé car tel que nous le présente l’Evangile, il ne vivait pas en communauté.
Jésus a donné à ses disciples (surtout aux Apôtres) une forme de vie communautaire et fraternelle proche de celle des esséniens. Par exemple, la déclaration de Jésus à Simon : « Tu es Pierre… » est un parallèle d’une hymne essénienne plus ancienne. Jésus apparaît comme ré-éditant, de façon nouvelle, le rôle du Maître de Justice. Mais Jésus se démarque aussi radicalement de certaines pratiques esséniennes telles celle d’éviter les souillures, celles concernant le mariage, etc….

4. LES SOURCES EVANGELIQUES DE LA VIE MONASTIQUE
« Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48).
Aussi ancien que les origines du christianisme, l’idéal spirituel des moines plonge ses racines dans l’enseignement même du Christ. La Parole de Jésus « Si tu veux être parfait, va, vends tes biens et donnes-en le prix aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux, puis viens, suis-moi » (Mt 19,21) entendue par une multitude de moines, est un condensé de toute la vie monastique :
- Etre parfait : appel à la perfection évangélique « comme votre Père céleste est parfait ».
- va : se mettre en route.
- Vends tes biens : la pauvreté.
-Donnes-en le prix aux pauvres : la charité, « les bonnes œuvres » selon saint Benoît.
-Et tu auras un trésor dans les cieux : la récompense, la vie éternelle.
- Puis viens, suis-moi : Chercher Jésus, le suivre par la Croix jusqu’à la gloire de la Résurrection. » Celui qui veut venir à ma suite, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive »… »Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi.. » . Dans ce « Viens, suis-moi » se trouve aussi la relation du Maître et du disciple, c’est la suite du Christ, la vie monastique, la vie évangélique toute pure.
Cependant pour bien saisir cela il convient de remarquer que les textes évangéliques ont été compris après comme un appel à la vie monastique sous l’inspiration de l’Esprit-Saint dans les coeurs. L’expérience a fait comprendre le texte comme « pour moi » (cf. saint Antoine), mais ceux qui ne répondent pas de la même manière ne sont pas infidèles à l’Evangile.

5. LA PREMIERE COMMUNAUTE CHRETIENNE ET LES FONDEMENTS DE LA VIE MONASTIQUE
Dès le début les Actes des Apôtres (4,32) nous montrent la première communauté chrétienne ne faisant « qu’un cœur et qu’une âme; (…) ils se montraient assidus à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. Toute âme était dans la crainte car beaucoup de prodiges et de signes se faisaient par les apôtres. Tous ceux qui avaient cru étaient ensemble et avaient tout en commun; chaque jour, d’un commun accord, ils fréquentaient assidûment le Temple, et rompant le pain à la maison, ils prenaient leur nourriture avec allégresse et simplicité de cœur ; ils louaient Dieu et trouvaient faveur auprès de tout le peuple et le Seigneur ajoutait chaque jour à leur groupe ceux qui étaient sauvés ». (2,42-47). Dans ce texte, on retrouve toutes les composantes de la vie parfaite selon l’Evangile, composantes qui vont devenir celles de la vie monastique :
- Les pratiques ascétiques : le jeûne (Ac. 13,2-3; 14,23); la mise en commun des biens (Ac. 4,32-37); le travail manuel (1Th. 4,11; 2Th 3, 10-12).
- La prière : « Priez sans cesse » (1Th 5,17) et la liturgie (Ac 2,42-47).
- La lecture : publique dans les assemblées (1Th. 5,27; Col.4,16) ou privée (qui deviendra la lectio divina) (1Tm 4,13).
- la crainte de Dieu (Ac. 2,43) et la plus radicale ascèse : celle de la virginité consacrée et du martyre.
Dans cette communauté primitive, certaines femmes vont exprimer très vite le désir de vivre au milieu de la communauté chrétienne avec la ferme intention de garder la continence pour l’amour du Christ. Ce sont les veuves et les vierges. On voit aussi bientôt des hommes garder la chasteté pour ce même amour du Seigneur (cf. 1Co. 7). Ce sont les ascètes. La décision de virginité se prend dans son coeur, en pleine possession de sa volonté, écrit saint Paul.

6. LES VEUVES
Dès la naissance du christianisme des femmes résolurent de ne pas se remarier et de faire profession (intérieure et publique), irrévocablement, de veuvage pour l’amour du Christ. Organisées en diaconies, elles aidaient à la préparation matérielle du baptême, de l’agape, au soin des infirmes et dans les ministères de compassion. Elles assuraient aussi un ministère de prière (cf. 1Tm. 5,3-16, la Didascale syriaque et les Constitutions apostoliques).

7. LES VIERGES
Depuis les origines des relations de Dieu avec l’homme, la virginité n’a cessé d’être le mode d’expression le plus radical, hormis le martyre, de l’amour de l’homme pour Dieu, en réponse à l’amour premier de Dieu.
Avec Jésus, l’appel se fait pressant pour ceux qui en reçoivent le don et il attire des disciples qui vivront dans la virginité ou la chasteté. L’Eglise primitive fait une place de choix aux vierges dans les assemblées. Avant la fin des grandes persécutions de l’empire romain, on voit apparaître un peu partout dans le monde chrétien la soif du don total au Christ sinon par le martyre, du moins par la virginité – qui est un autre martyre. Dès les premiers siècles, les Pères exhortent les fidèles dans cette voie d’ascèse et d’amour radical.
Je vais vous donner brièvement un aperçu des premiers textes patristiques sur la spiritualité de la virginité (I-IIIe siècle), et plus spécialement sur les motivations spirituelles qui ont suscité cette vie dans la virginité.
La virginité consacrée est une conséquence du désir d’imiter Jésus qui, né vierge, est demeuré vierge; la virginité de Jésus étant la préfiguration en acte de son sacrifice total. C’est un motif d’amour absolu qui ne se « justifie » pas. Son but est vraiment sponsal : l’union intime avec le Verbe de Dieu. Cela se trouve exprimé de diverses manières qui sont toutes différentes facettes de la même réalité fondamentale :
. Imitation de Jésus pour être en communion avec lui, en vivant comme il a vécu pendant son séjour sur la terre (cf. le Pseudo-Clément).
. Plaire à Dieu, vivre avec lui et demeurer toujours en sa présence; goûter le repos du Père et du Fils (cf. Actes de Paul).
. Vivre au-delà des commandements et du devoir, dans le Royaume de l’amour de telle sorte que l’âme soit non plus « servante inutile » mais servante de l’amour, c’est-à-dire en vérité épouse du Christ à qui elle est consacrée tout entière (cf. Origène).
. Vivre en altitude, les yeux du coeur toujours fixés sur la vie céleste, dans la demeure de Dieu (cf. Méthode d’Olympe).
La vierge, ou l’ascète, ne se marie pas, non par une volonté de vie solitaire mais parce qu’il n’est plus seul : Dieu règne en son coeur et l’a uni à lui pour l’éternité : « Le royaume de Dieu est semblable à des noces… » (Mt. 22,2).
Etre vierge pour être à Dieu sans partage, telle est bien la motivation essentielle de saint Paul en 1Co. 7, 25-40, motivation développée très tôt par les Pères parce que vécue très tôt par des ascètes ou des vierges qui aspiraient à être totalement au Christ, à faire régner en eux les vertus mêmes de Jésus.
Une autre motivation, eschatologique celle-ci, apparaît également dans les premiers écrits patristiques: la virginité consacrée comme annonce prophétique de la vie éternelle.
Remarquons que ces textes patristiques sont pétris d’Ecriture Sainte, surtout néo-testamentaire. En ce sens, ils sont une vraie spiritualité pour la vie chrétienne.
Il convient également de dire un mot de l’anthropologie sous-jacente à ces premiers écrits chrétiens. Je ne vais pas en développer ici l’étude car ce n’est pas directement notre propos d’une part, et d’autre part nous verrons cela au cours de patristique, mais remarquons brièvement que l’homme est UN. On ne peut dissocier son corps de son âme ni de son esprit. Autrement dit, la virginité du corps appelle la virginité du coeur, et la virginité du coeur appelle la virginité – ou la chasteté – du corps. Tout l’être est consacré à Dieu; tout désir, charnel ou spirituel, est tendu vers l’unique bien : l’amour de Dieu. Il s’agit d’un vrai mariage que l’ascète ou la vierge contracte avec le Christ auquel il appartient désormais tout entier.
La virginité n’est pas un but en soi, mais un moyen de sanctification, en même temps que la préfiguration de la vie après la résurrection. La virginité est consacrée, vouée à Dieu, pour vivre une union plus parfaite, plus absolue, avec Dieu.
La virginité, ou la vie ascétique, va être très liée au baptême. Elle va même en être une conséquence qui sera considérée comme allant de soi dans certaines églises. En Orient syrien par exemple où l’on trouvera une tendance très marquée à lier baptême et renonciation à la vie matrimoniale (d’ailleurs, comme on le verra au cours d’histoire de l’Eglise, lors du baptême, on remettait aux jeunes filles la couronne de la virginité).
Clément de Rome, Ignace d’Antioche, Hermas, Justin font état des vierges et des continents (les ascètes). L’Eglise subventionne les vierges (ainsi que les veuves), et de cette sorte, elle exerce un contrôle sur leur fidélité et les invite à remplir un service social (pastoral dirait-on aujourd’hui). Les groupes ascétiques d’hommes et de femmes vont devenir de plus en plus nombreux. Ils identifient la vie évangélique à la pauvreté, au célibat, à la séparation du monde tout en vivant dans le monde, mais ils n’imposent pas aux autres chrétiens leur conception du renoncement total et ils voient dans l’humilité la garantie suprême de la sagesse. Ces groupes d’ascètes vont être de toutes sortes. Des exagérations et des déviations vont apparaître. On peut les résumer en deux catégories : . Les encrates (= les « tempérants ») qui imposent ce mode de vie à toute la communauté chrétienne. Ils s‘abstiennent de vin et de toute boisson fermentée et sont souvent végétariens. Ils s’abstiennent également de relations sexuelles, sont opposés au mariage et à la procréation.
. Les relations vont être parfois si étroites entre un ascète et une vierge, ou entre des ascètes et des vierges, qu’ils vont vivre dans la continence sous le même toit. Mais vous percevez là l’absence de témoignage et le danger. L’Eglise va rapidement intervenir … (cf. la Lettre aux Vierges du pseudo-Clément).
Ce grand mouvement ascétique des trois premiers siècles a gagné rapidement tout le monde chrétien et a préparé ainsi la naissance du monachisme.

8. LE MARTYRE
Le martyre est la forme éminente de la sainteté chrétienne. Victoire sur Satan, le martyre est une configuration à la passion du Christ et à sa résurrection. C’est la véritable « suite du Christ ». Etre martyr, c’est devenir un vrai disciple (cf. Ignace d’Antioche). Dans la spiritualité du martyre, on trouve aussi tout l’aspect rédempteur : donner sa vie pour ses frères.
« Le martyre est la réponse de toute âme un peu fière au Crucifié » (Père Vallée).
« Les martyrs sont les imitations de la vraie charité, les copies du Christ souffrant, les athlètes du Christ » (cf. Apophtegmes).
Nous étudierons la spiritualité du martyre plus profondément aux cours d’Histoire de l’Eglise et de Patrologie.

9. LA NAISSANCE DU MONACHISME
Baptême, martyre, vie monastique sont de même nature, une unique vocation. Le monachisme est né dans les Eglises lorsque les persécutions sévissaient encore. A la fin des grandes persécutions (Edit de Milan, en 313), on va présenter le moine comme un substitut du martyr pour faire saisir qu’il s’agit du même mystère, enraciné dans la participation à la mort et à la résurrection du Christ. Il ne s’agit pas d’un lien historique comme si la vie monastique était liée à un affaiblissement de la ferveur dans les communautés chrétiennes après les persécutions, mais la fin des persécutions favorise le développement du monachisme au grand jour. La vie monastique va alors se propager comme une traînée de poudre. Mais où a-t-elle pris naissance? On ne sait, Dieu le sait. Dans l’Eglise primitive, elle a poussé naturellement, là où Dieu est présent. Elle naît de manière spontanée et simultanément en diverses régions du Bassin Méditerranéen. Elle est un fruit naturel de la maturité des communautés chrétiennes. Elle ne s’est pas répandue à partir d’un centre qui serait l’Egypte comme on l’a écrit si souvent. La référence à l’Egypte n’est venue que dans un second temps. A cause du modèle remarquable que représentait le monachisme égyptien, on ne s’est pas contenté d’y puiser les leçons d’expérience, on a voulu s’y attacher en s’inventant des origines égyptiennes. Le cas du monachisme syrien, antérieur historiquement, est particulièrement frappant. Ce mythe littéraire a été considéré ensuite comme historique. La référence au monachisme égyptien n’en reste pas moins fondamentale. Il a été en quelque sorte choisi comme « père » par des monachismes qui ne sont pas nés de lui. En Occident, principalement à travers Cassien, il garde un caractère de « source » : non pas la source de la vie monastique, mais la source d’une certaine manière de la vivre.
Si ce grand mouvement de la fuite du monde pour suivre Jésus radicalement connaît un grand essor en Egypte, ce n’est pas un hasard. En effet, à Alexandrie la communauté chrétienne était très fervente, en pleine croissance, et tout près se trouve … le DESERT.
..  

Laisser un commentaire