Archive pour le 7 avril, 2011
AUDIENCE GÉNÉRALE DU 6 AVRIL 2011 : SAINTE THÉRÈSE DE LISIEUX
7 avril, 2011du site:
http://www.zenit.org/article-27523?l=french
AUDIENCE GÉNÉRALE DU 6 AVRIL 2011 : SAINTE THÉRÈSE DE LISIEUX
Texte intégral
ROME, Mercredi 6 avril 2011 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la catéchèse prononcée par le pape Benoît XVI, ce mercredi, au cours de l’audience générale, sur la Place saint-Pierre, au Vatican.
Chers frères et sœurs,
Je voudrais vous parler aujourd’hui de sainte Thérèse de Lisieux, Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte-Face, qui ne vécut que 24 ans dans ce monde, à la fin du XIXe siècle, conduisant une vie très simple et cachée mais qui, après sa mort et la publication de ses écrits, est devenue l’une des saintes les plus connues et aimées. La « petite Thérèse » n’a jamais cessé d’aider les âmes les plus simples, les petits, les pauvres, les personnes souffrantes qui la priaient, mais elle a également illuminé toute l’Eglise par sa profonde doctrine spirituelle, au point que le vénérable Pape Jean-Paul II, en 1997, a voulu lui conférer le titre de Docteur de l’Eglise, s’ajoutant à celui de patronne des missions, qui lui avait été attribué par Pie XI en 1939. Mon bien-aimé prédécesseur la définit « experte en scientia amoris » (Novo Millennio ineunte, n. 42). Cette science, qui voit resplendir dans l’amour toute la vérité de la foi, Thérèse l’exprime principalement dans le récit de sa vie, publié un an après sa mort sous le titre Histoire d’une âme. C’est un livre qui eut immédiatement un immense succès, et qui fut traduit dans de nombreuses langues et diffusé partout dans le monde. Je voudrais vous inviter à redécouvrir ce petit-grand trésor, ce commentaire lumineux de l’Evangile pleinement vécu !
L’Histoire d’une âme, en effet, est une merveilleuse histoire d’Amour, racontée avec une telle authenticité, simplicité et fraîcheur que le lecteur ne peut qu’en être fasciné ! Mais quel est cet Amour qui a rempli toute la vie de Thérèse, de son enfance à sa mort ? Chers amis, cet Amour possède un Visage, il possède un Nom, c’est Jésus ! La sainte parle continuellement de Jésus. Reparcourons alors les grandes étapes de sa vie, pour entrer au cœur de sa doctrine.
Thérèse naît le 2 janvier 1873 à Alençon, une ville de Normandie, en France. C’est la dernière fille de Louis et Zélie Martin, époux et parents exemplaires, béatifiés ensemble le 19 octobre 2008. Ils eurent neuf enfants ; quatre d’entre eux moururent en bas âge. Les cinq filles survécurent, et devinrent toutes religieuses. A l’âge de 4 ans, Thérèse fut profondément frappée par la mort de sa mère (Ms A, 13r). Son père s’installa alors avec ses filles dans la ville de Lisieux, où se déroulera toute la vie de la sainte. Plus tard, Thérèse, frappée d’une grave maladie nerveuse, fut guérie par une grâce divine, qu’elle-même définit comme le « sourire de la Vierge » (ibid., 29v-30v). Elle reçut ensuite la Première Communion, intensément vécue (ibid., 35r), et plaça Jésus Eucharistie au centre de son existence.
La « Grâce de Noël » de 1886 marque un tournant important, qu’elle appelle sa « conversion complète » (ibid., 44v-45v). En effet, elle guérit totalement de son hypersensibilité infantile et commence une « course de géant ». A l’âge de 14 ans, Thérèse s’approche toujours plus, avec une grande foi, de Jésus Crucifié, et prend à cœur le cas, apparemment désespéré, d’un criminel condamné à mort et impénitent (ibid., 45v-46v). « Je voulais à tout prix l’empêcher de tomber dans l’enfer » écrit la sainte, dans la certitude que sa prière le mettrait en contact avec le Sang rédempteur de Jésus. C’est sa première expérience fondamentale de maternité spirituelle : « J’avais tant confiance dans la Miséricorde infinie de Jésus », écrit-elle. Avec la très Sainte Vierge Marie, la jeune Thérèse aime, croit et espère avec « un cœur de mère » (cf. PR 6/10r).
En novembre 1887, Thérèse se rend en pèlerinage à Rome avec son père et sa sœur Céline (ibid. 55v-67r). Pour elle, le moment culminant est l’audience du Pape Léon XIII, auquel elle demande le permis d’entrer, à peine âgée de quinze ans, au carmel de Lisieux. Un an plus tard, son désir se réalise : elle devient carmélite « pour sauver les âmes et prier pour les prêtres » (ibid., 69v). Dans le même temps, commence également la douloureuse et humiliante maladie mentale de son père. C’est une grande souffrance qui conduit Thérèse à la contemplation du Visage de Jésus dans sa passion (ibid., 71rv). Ainsi, son nom de religieuse – sœur Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face – exprime le programme de toute sa vie, dans la communion aux mystères centraux de l’Incarnation et de la Rédemption. Sa profession religieuse, en la fête de la Nativité de Marie, le 8 septembre 1890, est pour elle un véritable mariage spirituel dans la « petitesse » évangélique, caractérisée par le symbole de la fleur : « Quelle belle fête que la Nativité de Marie pour devenir l’épouse de Jésus ! – écrit-elle – C’était la petite Vierge Sainte d’un jour qui présentait sa petite fleur au petit Jésus » (ibid., 77r). Pour Thérèse être religieuse signifie être l’épouse de Jésus et mère des âmes (cf. Ms B, 2v). Le même jour, la sainte écrit une prière qui indique toute l’orientation de sa vie : elle demande à Jésus le don de l’Amour infini, d’être la plus petite, et surtout elle demande le salut de tous les hommes : « Qu’aucune âme ne soit damnée aujourd’hui » (Pr 2). Son Offrande à l’Amour miséricordieux, faite en la fête de la Très Sainte Trinité de 1895, est d’une grande importance (Ms A, 83v-84r ; Pr 6) : une offrande que Thérèse partagea immédiatement avec ses consœurs, étant déjà vice-maîtresse des novices.
Dix ans après la « Grâce de Noël », en 1896, arrive la « Grâce de Pâques », qui ouvre la dernière période de la vie de Thérèse, avec le début de sa passion en union profonde avec la Passion de Jésus. Il s’agit de la passion du corps, avec la maladie qui la conduira à la mort à travers de grandes souffrances, mais il s’agit surtout de la passion de l’âme, avec une très douloureuse épreuve de foi (Ms C, 4v-7v). Avec Marie à côté de la Croix de Jésus, Thérèse vit alors la foi la plus héroïque, comme une lumière dans les ténèbres qui envahissent son âme. La carmélite a conscience de vivre cette grande épreuve pour le salut de tous les athées du monde moderne, qu’elle appelle « frères ». Elle vit alors encore plus intensément l’amour fraternel (8r-33v) : envers les sœurs de sa communauté, envers ses deux frères spirituels missionnaires, envers les prêtres et tous les hommes, en particulier les plus lointains. Elle devient véritablement une « sœur universelle » ! Sa charité aimable et souriante est l’expression de la joie profonde dont elle nous révèle le secret : « Jésus, ma joie est de T’aimer » (P 45/7). Dans ce contexte de souffrance, en vivant le plus grand amour dans les petites choses de la vie quotidienne, la sainte conduit à son accomplissement sa vocation d’être l’Amour au cœur de l’Eglise (cf. Ms B, 3v).
Thérèse meurt le soir du 30 septembre 1897, en prononçant les simples paroles « Mon Dieu, je vous aime ! », en regardant le Crucifix qu’elle serrait entre ses mains. Ces dernières paroles de la sainte sont la clé de toute sa doctrine, de son interprétation de l’Evangile. L’acte d’amour, exprimé dans son dernier souffle, était comme la respiration continuelle de son âme, comme le battement de son cœur. Les simples paroles « Jésus je T’aime » sont au centre de tous ses écrits. L’acte d’amour à Jésus la plonge dans la Très Sainte Trinité. Elle écrit : « Ah tu le sais, Divin Jésus je T’aime, / L’Esprit d’Amour m’enflamme de son feu, / C’est en T’aimant que j’attire le Père » (P 17/2).
Chers amis, nous aussi avec sainte Thérèse de l’Enfant Jésus nous devrions pouvoir répéter chaque jour au Seigneur que nous voulons vivre d’amour pour Lui et pour les autres, apprendre à l’école des saints à aimer de manière authentique et totale. Thérèse est l’un des « petits » de l’Evangile qui se laissent conduire par Dieu dans les profondeurs de son Mystère. Un guide pour tous, surtout pour ceux qui, dans le Peuple de Dieu, accomplissent le ministère de théologiens. Avec l’humilité et la charité, la foi et l’espérance, Thérèse entre continuellement dans le cœur de la Sainte Ecriture qui renferme le Mystère du Christ. Et cette lecture de la Bible, nourrie par la science de l’amour, ne s’oppose pas à la science académique. La science des saints, en effet, dont elle parle elle-même dans la dernière page de l’Histoire d’une âme, est la science la plus élevée. « Tous les saints l’ont compris et plus particulièrement peut-être ceux qui remplirent l’univers de l’illumination de la doctrine évangélique. N’est-ce point dans l’oraison que les saints Paul, Augustin, Jean de la Croix, Thomas d’Aquin, François, Dominique et tant d’autres illustres Amis de Dieu ont puisé cette science divine qui ravit les plus grands génies ? » (Ms C, 36r). Inséparable de l’Evangile, l’Eucharistie est pour Thérèse le Sacrement de l’amour divin qui s’abaisse à l’extrême pour s’élever jusqu’à Lui. Dans sa dernière Lettre, sur une image qui représente l’Enfant Jésus dans l’Hostie consacrée, la sainte écrit ces simples mots : « Je ne puis craindre un Dieu qui s’est fait pour moi si petit ! (…) Je l’aime car Il n’est qu’Amour et Miséricorde ! » (LT 266).
Dans l’Evangile, Thérèse découvre surtout la Miséricorde de Jésus, au point d’affirmer : « A moi il a donné sa Miséricorde infinie, et c’est à travers elle que je contemple et adore les autres perfections divines ! (…) Alors toutes m’apparaissent rayonnantes d’amour, la Justice même (et peut-être encore plus que toute autre) me semble revêtue d’amour » (Ms A, 84r). Ainsi s’exprime-t-elle dans les dernières lignes de l’Histoire d’une âme : « Je n’ai qu’à jeter les yeux dans le Saint Evangile, aussitôt je respire les parfums de la vie de Jésus et je sais de quel côté courir… Ce n’est pas à la première place, mais à la dernière que je m’élance… Oui je le sens, quand même j’aurais sur la conscience tous les péchés qui se peuvent commettre, j’irais, le cœur brisé de repentir, me jeter dans les bras de Jésus, car je sais combien Il chérit l’enfant prodigue qui revient à Lui » (Ms C, 36v-37r). « Confiance et Amour » sont donc le point final du récit de sa vie, deux mots qui comme des phares ont éclairé tout son chemin de sainteté, pour pouvoir guider les autres sur sa propre « petite voie de confiance et d’amour », de l’enfance spirituelle (cf. Ms C, 2v-3r ; LT 226). Confiance comme celle de l’enfant qui s’abandonne entre les mains de Dieu, inséparable de l’engagement fort, radical du véritable amour, qui est un don total de soi, pour toujours, comme le dit la sainte en contemplant Marie : « Aimer c’est tout donner, et se donner soi-même » (Pourquoi je t’aime, ô Marie, P 54/22). Ainsi Thérèse nous indique à tous que la vie chrétienne consiste à vivre pleinement la grâce du Baptême dans le don total de soi à l’Amour du Père, pour vivre comme le Christ, dans le feu de l’Esprit Saint, Son propre amour pour tous les autres.
A l’issue de l’audience générale le pape a résumé sa catéchèse en différentes langues et salué les pèlerins. Voici ce qu’il a dit en français :
Chers frères et sœurs,
Fille des bienheureux Louis et Zélie Martin, Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face est née en 1873 en France. Le décès de sa mère, alors qu’elle a 4 ans, la blesse profondément. Totalement guérie et convertie à Noël 1886, elle devint à 15 ans religieuse carmélite à Lisieux, épouse du Christ comme elle le dit elle-même, pour sauver les âmes et prier pour les prêtres. Elle vécut ses douloureuses souffrances physiques et spirituelles en union à la Passion de Jésus et dans une foi héroïque, jusqu’à sa mort à 24 ans. Docteur de l’Église et Patronne des Missions, Thérèse s’est offerte totalement à l’Amour miséricordieux, voulant être l’amour au cœur de l’Église. Son œuvre, Histoire d’une âme, est un lumineux commentaire de l’Évangile vécu à la lumière de la science de l’amour. L’amour a un Visage, un Nom, c’est Jésus ! Inséparable de l’Évangile, l’Eucharistie est le Sacrement de l’Amour divin. L’amour était comme le souffle ininterrompu de l’âme et le battement du cœur de la petite Thérèse. « Aimer c’est tout donner, et se donner soi-même ». Chers amis, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus est un guide pour tous, particulièrement pour les théologiens. Experte de la scientia amoris, elle nous enseigne que la voie de la sainteté est toute de confiance et d’amour.
Je salue cordialement les pèlerins de langue française, particulièrement les Frères du Sacré-Cœur, ainsi que les lycéens et les collégiens ! N’ayez pas peur d’imiter sainte Thérèse de l’Enfant Jésus ! La vie chrétienne consiste vraiment à vivre pleinement la grâce du baptême dans le don total de soi à l’amour du Père, pour manifester comme le Christ, dans le feu de l’Esprit Saint, son amour pour les autres. Ma prière vous accompagne !
APPEL
Au cours de l’Audience générale, le pape a lancé l’appel suivant :
Je continue de suivre avec une grande préoccupation les événements dramatiques que vivent en ces jours les chères populations de Côte d’Ivoire et de Libye. Je souhaite, en outre, que le cardinal Turkson, que j’avais chargé de se rendre en Côte d’Ivoire pour exprimer ma solidarité, puisse bientôt entrer dans le pays. Je prie pour les victimes et je suis proche de tous ceux qui souffrent. La violence et la haine sont toujours un échec ! C’est pourquoi j’adresse un nouvel appel pressant à toutes les parties en conflit afin que soit entamée l’œuvre de pacification et de dialogue et que l’on évite de nouvelles effusions de sang.
© Copyright du texte original plurilingue : Libreria Editrice Vaticana
Traduction : Zenit
1ère rencontre – Les repas dans la Bible : manger un acte sacre?
7 avril, 2011du site:
http://www.stjosephdesepinettes.org/repas1.htm
1ère rencontre – Les repas dans la Bible
MANGER, UN ACTE SACRE ?
Après tout, pourquoi y a-t-il tant de moines sur les boîtes de fromage ? Pourquoi tant de vignobles portent-ils des noms de saints ? Pourquoi tant d’abbayes productrices de bières, de fromages, de liqueurs, de bonbons, de gâteaux, de chocolats et autres pâtes de fruits ? Pourquoi tant de bons religieux inventeurs d’élixirs en tous genres ? Mais aussi, pourquoi tant de mentions de repas dans l’Evangile ? La réponse paraît simple : c’est, bien sûr, parce que la nourriture est quelque chose de vital. Mais il faut aller plus loin : parce que c’est vital, parce que le boire et le manger sont, à toutes les époques, et en tous lieux, des éléments essentiels de la vie humaine, le boire et le manger sont très souvent intimement liés au sacré, et ce, dans toutes les religions.
Manger ensemble : le partage de la table crée entre les convives une communauté d’existence. Ce repas peut aussi avoir un caractère sacré, dans les religions païennes comme dans la Bible. Et on peut, en quelque sorte, s’asseoir à la table des démons ou à celle de Dieu : chacun réalise la communauté d’existence qu’il veut, avec Dieu ou avec les puissances d’en bas. Un exemple dans le Premier Testament de repas sacré d’alliance avec Dieu: Ex 24,7-11. Bien plus tard, on retrouvera cette notion de « repas d’alliance » dans la Cène de Jésus avec ses apôtres. A l’inverse, on trouve l’affaire du veau d’or : Ex 32,1-6.
ET EN FRANCE ?
Mais, pour l’instant, avant d’aller parcourir de plus près le monde biblique, puisque nous sommes en France, restons-y : la France qui aime tant donner des leçons au monde entier, et tout particulièrement quand il s’agit de cuisine, la France qui revendique haut et fort sa laïcité, la France qui a inventé une forme unique en son genre de séparation de l’Eglise et de l’Etat, la France donc, fait beaucoup dans le religieux quand il s’agit de manger et de boire.
Deux exemples de menu : vous pouvez faire un repas avec, grâce à un brave chanoine dijonnais, un Kir en apéritif ( à moins que vous ne préfériez un Cardinal, c’est la même chose mais avec du vin rouge ), des coquilles saint Jacques en entrée, du saint Pierre en plat de résistance, du saint Paulin en fromage et un saint Honoré en dessert, le tout arrosé, mettons, d’un vin blanc de st Véran.
Autre menu possible : un verre de saint Raphaël en apéritif, du jésus en entrée, des pieds de cochon à la sainte Menehould, une salade de capucine, et du saint Nectaire ; pour le dessert, vous avez le choix entre des clémentines, fruit inventé en Algérie par un Père Blanc, frère Clément, et des fruits de la passion, ainsi nommés parce que leurs fleurs figurent de manière paraît-il impressionnante le matériel de la passion de Jésus : la couronne d’épines, les fouets de la flagellation et les trois clous de la crucifixion. Le tout arrosé de st Amour, st Emilion ou st Estèphe ou, si vous le préférez, de st Yorre.
Pour les jours de fête, vous pouvez ouvrir une bouteille de champagne dom Pérignon : grâces soient rendues à ce bon religieux de l’abbaye de Hautvillers qui, au temps de Louis XIV, trouva la solution pour maîtriser et bonifier la fermentation capricieuse du vin des bords de Marne.
Restons, si j’ose dire, en odeur de sainteté, et parlons fromages. La France, dont le Général de Gaulle disait, paraît-il : « comment voulez-vous gouverner un pays qui possède 365 sortes de fromages ? », en réalité, en possède beaucoup plus. Or, beaucoup de fromages ont leur origine et souvent encore leur lieu de production dans des abbayes, comme l’Abondance, le Tamié, le Mont-des-Cats, le Belval, le Citeaux, le Maroilles, le Port Salut, le saint Marcellin, le saint Félicien, le sainte Maure, sans compter le Munster dont le nom vient semble-t-il du mot « monastère ». Faut-il parler du Caprice des Dieux ou du Chaussée aux Moines ?
Côté vignoble, c’est pas mal non plus : nombre de crus de Bordeaux s’appellent saint quelque chose. Pensez aussi au saint Pourçain ou au Châteauneuf-du-Pape ( dont le nom vient de la proximité d’Avignon où la Papauté s’installa quelque temps ). Et en plus, quand le vin est bon et qu’il flatte le palais, toutes opinions religieuses confondues, tout bon Français s’exclame : « c’est le petit Jésus en culotte de velours » ….
Côté bières, on pourrait faire une litanie avec les abbayes du Nord de la France et surtout de nos voisins belges : Leffe, Affligem, Chimay, etc. N’oublions pas, à tout péché miséricorde, de citer une très bonne bière qui s’appelle le « fruit défendu », dont Adam et Eve fort peu vêtus ornent l’étiquette. Pour compenser, d’autres étiquettes de bières portent d’ailleurs de très suggestifs portraits de diables.
Et que dire, côté liqueurs, de la Bénédictine ou de la Chartreuse ?
Comme on a l’esprit large, on peut même boire de l’eau : saint Yorre, saint Amand, san Pellegrino, sainte Enimie, saint Georges, sainte Marguerite, il n’y a que l’embarras du choix.
Côté sucreries, c’est la même chose : on trouve des nonnettes et des religieuses, mais aussi, fermons nos chastes oreilles, des pets de nonne. On trouve aussi des galettes saint Michel, ou des pains d’épice en forme de saint Nicolas, que certains enseignants du Nord de la France ont interdit dans leurs écoles au nom de la laïcité, mais ceci est une autre histoire. Il existe également des gâteaux moins connus qui s’appellent le Sacristain, le doigt de la Vierge ou le Jésuite.
Ou n’oubliera pas non plus de mentionner la galette des Rois, les crêpes de la Chandeleur, les cloches et les œufs de Pâques.
Et si avec tout cela vous avez une indigestion, pas de souci, on a de quoi vous soigner avec l’eau de mélisse des Carmes, les gouttes de l’abbé Chaupitre ou la Jouvence de l’abbé Soury.
Mais comme nous sommes un peuple très prévoyant, pour vous faire pardonner vos excès, vous pouvez vous adresser :
à saint Antoine, patron des charcutiers,
à saint Vincent, patron des vignerons,
à saint Amand, patron des brasseurs et cafetiers,
à saint Honoré, patron des boulangers,
à saint Pierre, patron des pécheurs et des poissonniers,
à saint Laurent, patron des rôtisseurs,
à saint Michel, patron des biscuitiers,
à saint Nicolas, patron des confiseurs, etc.
DANS LA BIBLE …
Plus sérieusement, la nourriture en général et les repas en particulier jouent un rôle prépondérant dans l’histoire humaine et donc dans l’histoire biblique. Du fruit cueilli par Adam et Eve ( dont la Bible n’a d’ailleurs jamais dit que c’était une pomme ) au repas de l’eucharistie, en passant par la manne au désert et les noces de Cana, beaucoup de moments décisifs se jouent autour d’un repas. Combien de fois ne voit-on pas Jésus partager le repas de gens très différents, de la famille de Lazare à une table de pharisien en passant par Zachée ou Lévi les publicains. Ce sera d’ailleurs un des points de friction entre Jésus et les religieux de son peuple : Mc 2,13-17, Mt 11,18-19.
Notons aussi que le récit de la multiplication des pains et du gigantesque repas qui en découle est le texte le plus fréquent des quatre Evangiles, puisqu’on en trouve pas moins de six narrations : 2 chez Matthieu, 2 chez Marc,1 chez Luc et chez Jean.
Nous allons donc, au fil des rencontres, essayer de mieux comprendre tout cela. Nous irons dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament, en passant souvent de l’un à l’autre. Nous regarderons de près le sens de la Pâque juive pour mieux voir ce que le Nouveau Testament apporte de radicalement neuf dans l’eucharistie ; nous découvrirons quelques coutumes de repas à sens religieux à travers le monde ; et nous nous attacherons particulièrement à la messe.
LA NOURRITURE AUX TEMPS BIBLIQUES
Et d’abord : qu’est-ce qu’on mange ? Commençons par regarder comment les repas se passaient au quotidien dans le monde biblique.
Bien entendu, ce que je vais décrire ici est surtout vrai à partir du moment où Israël s’est sédentarisé, à partir du moment où les tribus revenant d’Egypte ont commencé à s’installer de manière un peu plus stable et un peu plus durable, autrement dit à partir du X° s. Et comme, contrairement à notre époque, en ces temps-là les choses de la vie courante évoluent assez lentement, ce sera, en gros, le quotidien que connaîtra Jésus. Avant cette sédentarisation, au temps de l’errance des tribus nomades, il faut évidemment imaginer une vie et donc une nourriture encore plus simple et fruste.
LA CREATION EST BONNE
Il faut d’abord dire que la religion juive est une religion très réaliste, très proche des réalités de la vie de chaque jour. Son point de départ est une conviction de foi : la création est bonne : et Dieu vit que cela était bon, répète le poème de la Création au livre de la Genèse. Dans toute la Bible, monte le chant d’action de grâce pour le créateur : Ps 65,10-14 ; 104,15.27-28. Les choses et les gestes les plus humbles de la vie sont sacrés parce qu’ils entrent dans le plan de Dieu. Un exemple : la Loi d’Israël exigeait de réciter une prière avant et après les repas. On demande à Dieu ce dont on a besoin : Pr 30,7-9. Les biens matériels ne sont pas méprisables, puisqu’ils viennent de Dieu, mais l’homme doit s’en souvenir. Ce que l’homme possède, il le doit à Dieu, et l’abondance matérielle doit être prise comme un signe de bénédiction de Dieu. Regardez comment Dieu récompense Job de sa fidélité dans l’épreuve : en multipliant ses biens ( Jb 42,10-15 ). Chez les prophètes, l’annonce d’un temps de paix et de joie après des temps d’épreuve, prend bien souvent des images de banquet : par exemple, chez Joël : vous mangerez à satiété, vous louerez le nom du Seigneur votre Dieu, qui a agi merveilleusement pour vous ( Jl 2,26 ) ; Ce jour-là, les montagnes dégoulineront de vin nouveau, les collines ruisselleront de lait, dans tous les ruisseaux de Juda les eaux couleront ( Jl 4,18 )
Mais que mangeait-on aux temps Bibliques ? Une nourriture simple, modeste. Connu depuis très longtemps au Moyen-Orient, le pain constituait l’essentiel de l’alimentation. Cela restera vrai dans beaucoup d’endroits et jusqu’à une époque récente : n’oublions pas qu’une des raisons de la prise de la Bastille en 1789 fut une augmentation telle du prix du pain que les pauvres ne pouvaient plus se nourrir. En hébreu, « manger son pain » signifiait « prendre un repas ». Il fallait donc traiter le pain avec respect : même si le pain durci servait parfois d’assiette, il était par exemple interdit de poser de la viande crue ou une cruche sur le pain, ou de placer un plat chaud à côté ; il était encore plus interdit de le jeter : on devait ramasser les miettes « à partir de la taille d’une olive ». On ne coupait pas le pain : on le rompait. Pensez aux paroles de la messe : Jésus prit du pain, et après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit ( Mt 26,26 ).
Le pain n’était pas le même pour tous : les pauvres mangeaient du pain d’orge, les riches du pain de froment, toujours broyé entre deux meules de pierre, ce travail étant souvent celui de la femme.
Les grains de blé pouvaient aussi être rôtis, et servir de garniture à la viande. Broyés un peu gros, cela donnait l’équivalent de la polenta savoyarde ou du couscous des Arabes. On en faisait aussi des gâteaux, parfumés à la menthe, ou au cumin, et même, eh oui, à la sauterelle. Existaient aussi les beignets de farine et de miel frits à la poêle, ce qui n’est pas sans rappeler certaines pâtisseries orientales d’aujourd’hui. Et l’on savait déjà faire des sortes de bonbons parfumés à la rose ou au jasmin, l’équivalent des loukoums d’aujourd’hui.
Au lait de vache on préférait celui de chèvre ou de brebis. Quant au miel, il avait une grande place dans l’alimentation, puisqu’il servait de sucre.
En revanche, l’œuf était quasiment inconnu : on n’en parle pas une seule fois dans l’Ancien Testament, et une fois ( dans la bouche de Jésus ) dans le Nouveau Testament.
Les légumes aussi avaient une grande place : fèves, lentilles ( qui ont rendu Esaü célèbre ! ), mais aussi les salades, les concombres, les oignons.
On mangeait peu de viande : c’était un aliment de luxe réservé aux grandes fêtes ou aux familles les plus riches. Le veau gras pour les grandes circonstances, l’agneau pour les fêtes religieuses, et plus ordinairement le chevreau, le pigeon, mais aussi la gazelle, la caille et la perdrix. Mais c’était surtout le poisson qui nourrissait le petit peuple, mangé le plus souvent grillé ou séché. Si bien que la base du menu habituel, et souvent le menu tout court, était composée de pain et de poisson. On retrouvera bien sûr cela dans les Evangiles : multiplication des pains, repas du Christ ressuscité …
Plus exotique pour nous, on mangeait beaucoup de sauterelles : pensez à Jean Baptiste : il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage ( Mt 3,4 ). Cuites à l’eau avec du sel, comme des crevettes, séchées ou confites dans le miel ou le vinaigre, ou bien réduites en poudre pour parfumer des galettes. Tout cela était cuisiné avec beaucoup d’épices : le sel, venant des bords de la Mer Morte, mais aussi cumin, câpres, coriandre, safran, etc.
Le beurre étant quasiment inconnu, tout était évidemment cuisiné à l’huile d’olive, qui servait aussi en médecine.
Enfin, une grande place était donnée aux fruits : melons, grenades et dattes, figues et raisins dont Jésus parlera souvent, mais aussi les fruits secs grillés : amandes, noix, pistaches.
La religion contrôlait soigneusement tout cela : l’agneau devait être rôti aux ceps de vigne, et surtout il y avait des interdits alimentaires absolus : le porc bien sûr, mais aussi d’autres : Lv 11,1-23. Et les gestes les plus simples étaient aussi très réglementés : Lv 11,29-35.
Le sang étant le symbole de la vie, il était évidemment impensable de manger la chair d’un animal qui n’aurait pas été saigné : c’est la viande kasher : Lv 17,10-14.
Manger c’est bien, mais il faut aussi boire. On buvait de l’eau bien sûr, mais aussi du lait, ou du vinaigre plus ou moins rallongé avec de l’eau ( pensez au Christ en croix : quelqu’un courut, emplit une éponge de vinaigre, et la fixant au bout d’un roseau, il lui présenta à boire ( Mc 15,36 ). On trouvait aussi des jus de fruits plus ou moins fermentés ( il fait chaud ) et même la schechar, une sorte de bière à base de mil et d’orge, qui paraît-il n’était pas sans rappeler la cervoise chère à Obélix et à ses amis Gaulois.
Mais la boisson par excellence était le vin. Il était sacré puisque, sans aucun doute, c’est Dieu qui avait inspiré Noé, premier viticulteur de la Bible. Ce bon Noé fut d’ailleurs le premier ivrogne identifié de la création : Gn 9,20-27. L’Ancien Testament cite le vin 141 fois, ce vin source de joie : le vin réjouit le cœur des humains en faisant briller les visages plus que l’huile. Le pain réconforte le cœur des humains ( Ps 104,15 ). Il peut être la meilleure et la pire des choses : Si 31,25-31. Il y a même de descriptions assez réalistes de l’alcoolisme : Pr 23,29-34. Comme on n’ignorait pas les conséquences d’une consommation excessive de vin, il était interdit aux magistrats qui allaient rendre la justice et aux prêtres en fonction : Lv 10,8-11.
La vigne était le symbole d’Israël, pensez aux paraboles de Jésus sur les vignerons. Le vin était donc lui aussi l’objet de nombreuses prescriptions rituelles.
C’était semble-t-il uniquement du vin rouge, sans doute assez épais, riche en alcool et en tanin. On le servait donc toujours mélangé avec de l’eau. Il était conservé soit dans de grandes jarres, soit dans des outres faites de peaux de chèvre tannées et fermées par une cheville de bois. Là encore, ces outres serviront à Jésus pour développer une parabole.
A TABLE …
On prenait volontiers les repas dehors, dans la cour qui servait à mille choses. On s’installait au moment du repas : on n’a pas retrouvé en Palestine ce qu’on a retrouvé par exemple à Pompéi, des « salles à manger » permanentes. Le peuple ne prenait souvent que deux repas par jour, un tôt le matin avant d’aller au travail, un le soir une fois le travail terminé.
Pour les repas de grande cérémonie ( noces par exemple ) les esclaves et les servantes transmettaient l’invitation, et l’habit de fête était de rigueur ( là encore, on retrouve cela dans les paraboles de Jésus ). Le maître de maison veillait à ce qu’on aie lavé les pieds des invités, lesquels devaient se laver les mains et surtout la droite, qui servait à prendre les aliments. Dans les très grands festins, l’usage était de parfumer la tête des invités de marque.
Très longtemps on a mangé assis, jamais debout, mais au temps de Jésus l’influence de la mode gréco-romaine avait introduit le repas couché sur des coussins, où on s’appuyait sur le coude gauche pour manger de la main droite : pensez aux préparatifs du dernier repas pascal de Jésus avec ses apôtres : vous trouverez à l’étage une grande pièce garnie de coussins ; faites-y les préparatifs ( Lc 22,12 ). Le Siracide explique très bien les choses : 31,12-21. Quand il y avait des invités, le maître de maison ou le maître du repas les servait lui-même : Jésus prit la bouchée qu’il avait trempée et la donna à Judas Iscariote, fils de Simon ( Jn 13,26 ). Bien entendu, la fourchette n’existait pas. En guise d’assiettes, des coupes larges en métal étamé ( jamais en terre, c’était impur ) ou de simples galettes de pain dur. Chez les gens riches, on trouvait de la vaisselle d’argent ou d’or, des cuillers d’ivoire ou de bois rare, et les romains avaient introduit l’usage de la louche.
Les repas des plus pauvres se composaient généralement de pain d’orge, d’olives, de sauterelles et de fruits. Les gens un peu plus aisés ajoutaient du poisson, ce qui a dû être le quotidien de Jésus. En montant encore un peu dans l’échelle sociale, on trouvait d’autres mets sur la table, par exemple du chevreau, des gâteaux et du vin.
C’est dans ce quotidien que Jésus, on l’a évoqué, puisera beaucoup d’images pour ses discours et paraboles.
Mais avant d’en arriver à l’Evangile, faisons à présent un long détour par le sens sacré des repas dans l’Ancien Testament.
PARCOURS BIBLIQUE sur la NOURRITURE
Commençons par le commencement : tout débute au jardin d’Eden. Tout ce qui est beau et bon existe là : Gn 2,9. Mais il y a une limite : Dieu met un frein à l’appétit des hommes, au désir de tout dévorer, de tout goûter : Gn 2,16. Accepter la Parole de Dieu sur la nourriture, c’est accepter une loi qui me rappelle Sa présence : le jardin et ses fruits sont offerts à l’homme, mais dans ce jardin la Parole de Dieu, elle aussi, est vie, est nourriture. On connaît la suite de l’histoire : en mangeant du fruit défendu, en voulant dévorer ce qui appartient à Dieu, l’homme et la femme s’éloignent de leur vocation et de leur proximité avec Dieu.
BENIR …
Ainsi, manger n’est pas anodin, il y a une manière de manger qui respecte Dieu, et ce jardin, mais aussi ce que nous sommes. Il y a une manière de manger qui, en voulant tout absorber, apporte la souffrance et la mort. La leçon pour nous est d’apprendre à manger en bénissant Dieu, en n’oubliant pas le donateur. C’est le sens du « benedicite » avant le repas et des grâces après.
… PARTAGER
On peut vouloir tout accaparer, mais on peut à l’inverser partager son pain avec d’autres, accueillir à sa table, s’asseoir à une même table. Le fait de manger ensemble entrera dans les rituels d’alliance, dans les alliances humaines comme dans l’alliance avec Dieu. Par exemple, avant de se faire un serment mutuel, Isaac et son ancien ennemi Abimélek commencent par un festin : Gn 26,26ss. Accepter de manger et de boire ensemble nous engage les uns envers les autres. Ici, le repas scelle l’alliance entre Isaac et Abimélek. Partager la table de son ancien ennemi, c’est rétablir la paix, la communion.