Archive pour le 4 avril, 2011
Romanos le Mélode: Le Carême, dernière préparation de ceux qui seront baptisés à Pâques
4 avril, 2011du site:
http://www.levangileauquotidien.org/main.php?language=FR&module=commentary&localdate=20110405
Le mardi de la 4e semaine de Carême
Commentaire du jour
Romanos le Mélode (?-v. 560), compositeur d’hymnes
Hymne « Aux nouveaux baptisés », str. 1-5,19 (trad. SC 283, p. 343s)
Le Carême, dernière préparation de ceux qui seront baptisés à Pâques
Nouveaux baptisés, enfants du baptistère, nous tous qui venons de recevoir la lumière, nous crions en te rendant grâces, Christ Dieu : « Tu nous as illuminés de la lumière de ton visage, tu nous as revêtus de la robe qui convient à tes noces (Ps 4,7; Mt 22,11). Gloire à toi, gloire à toi, car tel fut ton bon plaisir. »
Qui dira, qui montrera au premier créé, Adam, la beauté, l’éclat, la dignité de ses enfants ? Qui racontera aussi à la malheureuse Ève que ses descendants sont devenus rois, vêtus d’une robe de gloire, et qu’avec grande gloire ils glorifient Celui qui les a glorifiés, tout brillants par le corps, l’esprit et le vêtement ?… Et qui les a exaltés ? C’est, bien sûr, notre Résurrection. Gloire à toi, gloire à toi, car tel fut ton bon plaisir…
Tu es brillant, tu es radieux, Adam… En te voyant, ton Adversaire se dessèche et crie : « Qui est celui que je vois ? Je ne sais pas. La poussière a été rénovée (Gn 2,7), la cendre a été divinisée. Le pauvre, l’infime a été invité, il s’est baigné, il est entré pour s’attabler. On l’entraîne au banquet, il a eu l’audace de manger et la hardiesse de boire Celui-là même qui l’a fait. Et qui lui a donné ? C’est, bien sûr, sa Résurrection. –-Gloire à toi, gloire à toi, car tel fut ton bon plaisir.
« De ses fautes anciennes il n’a plus souvenir, de ses premières blessures il ne montre plus la moindre cicatrice. Ses longues années de paralysie, il les a rejetées dans la piscine, comme jadis le paralytique, et maintenant il ne porte plus son lit sur les épaules, mais en vérité il porte sur lui la croix de Celui qui l’a pris en pitié et qui, moi, m’a perdu. Autrefois, l’Ami des hommes (Sg 1,6) a souvent lavé beaucoup d’hommes dans les eaux, et ils n’ont pas brillé ainsi. Ceux-là, leur Résurrection les a rendus éclatants ». –-Gloire à toi, gloire à toi, car tel fut ton bon plaisir…
Te voici recréé, nouveau baptisé, te voici renouvelé ; ne courbe plus le dos sous les péchés. Tu possèdes la croix comme bâton ; appuie-toi sur elle. Apporte-la dans ta prière, apporte-la à table, dans ton lit et partout comme ton titre de gloire… Crie aux démons : « La croix en main, je me tiens debout, chérissant notre Résurrection ». –-Gloire à toi, gloire à toi, car tel fut ton bon plaisir.
LA CARÈME DE LA JOIE
4 avril, 2011du site:
Cet article est un condensé de l’article de frère Antoine-Emmanuel qu’on pourra retrouver dans le Sources Vives n°109 : Le temps pascal
LA CARÈME DE LA JOIE
«Les cinquante jours à partir du dimanche de la Résurrection jusqu’à celui de Pentecôte sont célébrés dans la joie et l’exultation, comme si c’était un jour de fête unique, ou mieux ‘un grand dimanche’» (Normes Universelles de l’année liturgique du Missel Romain, 22).
Un Père de l’Église, Asterius Sophiste, parle de la Sainte Nuit de Pâques comme de la «nymphagogue» de l’Église, c’est-à-dire comme de celle qui conduit l’Épouse à l’Époux : «Ô nuit, désir de tout l’an, ô nuit, nymphagogue de l’Église, ô nuit, mère des néophytes, ô nuit en laquelle l’Héritier introduit l’héritière en l’héritage». La liturgie pascale est bien cela : elle conduit les enfants de l’Église à la rencontre de l’Époux, elle les introduit en son héritage, et cet héritage n’est autre que la joie pascale. Car Pâques est joie, joie pure, joie véritable, joie définitive. «L’Exsultet pascal, écrit Paul VI, chante un mystère accompli au-delà même des espérances prophétiques : dans l’annonce joyeuse de la Résurrection, la peine de l’homme elle-même est transfigurée, et la plénitude de la joie jaillit de la victoire du Crucifié, de son Cœur transpercé, de son Corps glorifié, et illumine les ténèbres des âmes : Et nox illuminatio mea in deliciis mieis, Et la nuit même est lumière pour ma joie».
Mais une nuit suffira-t-elle pour que les baptisés se laissent envahir jusqu’au profond de l’âme par cette plénitude de joie jaillie de la victoire du Crucifié ? Une apparition a-t-elle suffi aux apôtres pour renoncer à toute amertume, toute culpabilité et toute tristesse et pour embrasser l’Évangile de la Résurrection de tout leur cœur, de toute leur âme et de toute leur force ? Certes non ! L’homme a besoin de temps ; le temps est son grand allié. Le printemps de l’âme est semblable à celui de la nature, il ne se déploie que peu à peu, multipliant couleurs et parfums, diffusant joie et allégresse.
L’Évangile, comme les Actes des Apôtres, nous montre bien cette nécessité d’un temps pour entrer dans la joie. Jésus, qui se manifeste vivant dans sa résurrection au jour de Pessah, lui, principe et prémices de l’humanité nouvelle, conduit les siens, cinquante jours durant, vers le jour de la fête des moissons, Shavouot, où, par l’effusion de l’Esprit, les apôtres seront comme ivres de joie. Manquait-il quelque chose au jour de Pâques ? Non ! En ce jour-là, tout nous est déjà donné ; Jésus en sa mort glorieuse a tout accompli, mais tout reste à accomplir — c’est-à-dire à accueillir — en nous. Pâques est déjà plénitude de joie : joie de Jésus puisqu’il est parti vers le Père et que tel est le motif de sa joie comme il l’avait fait comprendre aux apôtres (Jn 14,28) ; joie du Père lui-même qui accueille enfin en son sein l’humanité réconciliée en son Fils, Premier-né d’une multitude de frères ; joie de l’Esprit Saint qui est en personne la joie partagée du Père et du Fils qui exultent et dansent avec des cris de joie (So 3,17).
Tout est donné et rien ne manque. Mais comment les disciples accueillent-ils cette plénitude de joie pascale ? Les quatre Évangiles sont unanimes dans l’évocation d’un climat de doute, de peur, voire d’effroi. Luc évoque le visage sombre des disciples d’Emmaüs, Jean nous montre les larmes de Marie de Magdala, Matthieu parle du doute des Douze rassemblés sur la montagne de Galilée, et Marc n’a pas même une seule mention de la joie pascale. Il y a, certes, des éclairs de joie chez Matthieu, Luc et Jean, mais, à y regarder de près, il s’agit d’une joie bien fragile : chez Matthieu, la joie est mêlée de crainte ; chez Luc, la joie semble étouffer la foi ; chez Jean, la joie est inquiète et Jésus doit renouveler son salut porteur de paix et de miséricorde.
Qu’en est-il alors de la parole de Jésus : Je vous verrai de nouveau et votre cœur sera dans la joie, et votre joie, nul ne vous l’enlèvera (Jn 16,22) ? Le seul jour de Pâques ne suffit pas pour que la joie divine envahisse le cœur des disciples et transfigure leur existence. Il faudra bien quarante jours — le temps d’un exode — pour passer de la liberté offerte à la liberté accueillie, de la joie donnée à la joie reçue. Il faudra même cinquante jours pour que les disciples accueillent la joie bien particulière promise par Jésus qui a deux traits distinctifs : elle habite le cœur et nul ne pourra l’enlever.
Il faut une semaine de semaines pour recréer les cœurs dans la joie. Il ne suffit pas d’avoir trouvé la perle précieuse au jour de Pâques, il faut tout un temps pour s’employer à vendre tout ce que l’on possède de manière à pouvoir acheter cette perle inégalée (Mt 13,45-46). Les «sept semaines de la Sainte Pentecôte»4 nous sont données pour vendre, pour nous séparer de tout ce qui ternit et flétrit la joie. Ainsi l’onction de joie, qui remplace le vêtement de deuil (Is 61,3), pénètre en nous jusqu’à irriguer les recoins les plus secrets et plus hostiles à la joie de notre être. «Le saint, écrit Olivier Clément, est un homme consumé par la joie pascale». Le temps pascal est temps de l’Esprit qui «recrée dans la joie tout ce qu’il effleure», comme le disait le pape Paul VI… et cette nouvelle création dure sept semaines !
Il faut donc un «Carême de la joie» pour convertir les cœurs à la joie : «Une fois le carême terminé, écrit Louis Évely, il reste à faire la plus grande mortification, le plus grand renoncement, celui que tous les autres renoncements doivent préparer et qui prouvera leur authenticité : il faut faire à Dieu le sacrifice d’être heureux ! Et pas le sacrifice d’être malheureux ! Donner à Dieu la joie de nous voir heureux à cause de Lui. Lui dire : ‘Tu as fait assez pour nous, tu nous as suffisamment aimés et tu as assez souffert pour moi pour que je puisse te donner au moins la compensation de me voir heureux. Heureux dans la foi, heureux dans la confiance, heureux de toi’. Vivre tellement de Dieu, être tellement unis à Lui et liés à Lui que, lorsque nous nous examinons, nous ne trouvions rien en nous qui soit plus vivant que Sa joie».
Que fait plus précisément Jésus pour nous tout au long de ce «grand dimanche»10 ? Il nous attire dans sa joie, par sa présence, par sa parole, par son souffle et par son Eucharistie.
La première joie typique du temps pascal est en effet l’expérience de la présence de Jésus ressuscité. Parce qu’il «ne cesse de venir vers nous» (F.-X. Durrwell), le Ressuscité est avec nous. Le drame du corps absent et introuvable cède la place à la joie du corps glorieux qui, en tout lieu et en tout moment, nous offre sa présence aimante et miséricordieuse. Le cierge pascal qui, pendant cinquante jours, demeure au cœur de nos assemblées, en est le signe éloquent, «expression symbolique de la joie festive et ininterrompue de Pâques». La liturgie nous dévoile la présence de Jésus qui demeure avec nous jusqu’à la fin des temps (Mt 28,20). Sa présence n’est pas mesurable à ce que nous en ressentons : elle est. Notre grande solitude existentielle, fruit du péché et cause de notre tristesse, est enfin rompue : il n’est pas bon que l’homme soit seul (Gn 2,18), et il ne le sera plus jamais. Celui par qui et vers qui nous avons été créés est Celui qui jamais ne nous abandonne.
Le temps pascal est aussi temps privilégié d’écoute de la Parole ; Jésus chemine avec les baptisés de Pâques, non pour soixante stades seulement, mais pendant quarante jours, leur interprétant dans toute les Écritures ce qui le concerne (Lc 24,27), ouvrant leur cœur à l’intelligence des Écritures (24,45). Dans les lectures quotidiennes que la liturgie nous offre, il nous est ainsi donné d’expérimenter à travers les Actes des Apôtres la Parole qui croît, et à travers le quatrième Évangile, la Parole qui est Esprit et Vie. Plus largement, que ce soit à travers les liturgies de la Parole, les catéchèses mystagogiques destinées aux néophytes ou à travers la lectio divina, le Ressuscité nous parle : «Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ?» (Lc 24,46).
Tout au long du temps pascal, l’Église fait aussi l’expérience que connurent les Apôtres dans la discrétion du Cénacle : celle de la première effusion de l’Esprit, au soir du premier jour de la semaine, quand Jésus souffla sur eux et leur dit : «Recevez l’Esprit Saint !» (Jn 20,22). Comme une brise légère, le souffle de Jésus parcourt l’Église des baptisés dans l’attente du vent impétueux de Pentecôte. C’est le souffle même de Jésus, l’haleine même du Ressuscité, qui est insufflé en nous comme au jour de la création du premier Adam : YHWH Dieu insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant (Gn 2,7). Un souffle nouveau, jour après jour, commence à nous habiter, une respiration nouvelle, une existence nouvelle libérée du péché et de la mort. Le temps pascal nous apprend à respirer, nous apprend à vivre de cette vie nouvelle qui est éternelle. Et non seulement ce souffle de miséricorde nous habite, mais il nous constitue pour les autres, ministres de réconciliation et donc ministres de la joie. Le baptême commence ainsi à porter son merveilleux fruit de miséricorde et de joie. Le temps pascal souligne la nouveauté baptismale de la vie chrétienne, en continuité avec la nouveauté du Ressuscité.
Le temps pascal nous attire dans la joie de Jésus en nous faisant donc goûter sa présence, entendre sa parole et connaître son souffle. Mais il y a plus : la liturgie du temps pascal nous donne d’accueillir le Corps même du Ressuscité livré entre nos mains. Les disciples d’Emmaüs, au terme d’une longue liturgie de la Parole, avaient certes le cœur brûlant, mais ils étaient encore incapables de reconnaître le Ressuscité. À eux, comme à nous, Jésus se donne à reconnaître en un geste bien précis, geste pascal par excellence : la fraction du pain. Ce n’est pas à travers de multiples apparitions, mais à travers l’Eucharistie que Jésus désormais rendra manifeste sa présence. Ainsi sera-t-il bien clair, bien tangible, que la présence de Jésus est une présence d’amour, présence de Celui qui sans cesse se donne, se livre, s’abandonne entre nos mains. Toujours et pour toujours. La Sainte cinquantaine nous conduit ainsi à cette joie inouïe : Jésus non seulement reste avec nous, mais il demeure en nous et nous en Lui.
L’éveil par l’art; par Olivier Clément
4 avril, 2011du site:
http://www.pagesorthodoxes.net/theologiens/clement/olivier-clement-intro.htm
L’éveil par l’art
par Olivier Clément
Dans la démarche de l’artiste, dans la démarche de tout homme qui s’arrache au somnambulisme, il y a ébranlement, interrogation sur le sens, creusement. Ou, plus simplement, et d’un mot qui résume tout, éveil. Les vieux ascètes disaient que le plus grand des péchés est l’oubli : devenir opaque, insensible, tantôt fiévreusement affairé, tantôt lourdement sensuel, incapable de faire un instant de silence, de s’étonner, de chanceler devant l’abîme, qu’il soit d’horreur ou de jubilation. Incapable d’admirer et d’aimer. Incapable d’accueillir les êtres et les choses. Insensible aux sollicitations secrètes, constantes pourtant, de Dieu.
L’art, ici, nous éveille. Il nous approfondit dans l’existence. Il fait de nous des hommes et non des machines – ou des » animaux dénaturés « . Il nous rend nos joies solaires et nos blessures saignantes. Il nous ouvre à l’angoisse et à l’émerveillement. L’art de l’icône est un support de contemplation, la possibilité de connaître Dieu par une certaine beauté, celle, dit Denys l’Aréopagite, » qui suscite toute communion « . J’inverserai volontiers la formule en disant : la beauté que suscite toute communion. Dans cet art, comme le montrent les images ici reproduites, il est moins question du » sacré » que du » saint » (Dieu n’est pas trois fois sacré, il est trois fois saint). Le » saint » se répand, il veut embraser » l’uni-totalité « . Le » profane « , en réalité est profané : il faut le libérer du mensonge, de ce que Berdiaev appelle l’ » objectivation « , pour qu’il s’illumine au grand soleil de la Transfiguration. La sainteté relie, s’exprime dans la flamme des choses et l’icône du visage. Le Christ enfant a un visage grave et profond, l’Ancien des jours un regard adolescent. » En ce jour, dit le prophète Zacharie (14, 20-1), il y aura sur les clochettes des chevaux : Sainte propriété du Seigneur, les marmites seront comme des coupes d’aspersion devant l’autel. Et toute marmite (…) deviendra une sainte propriété du Seigneur Sabaoth… « L’artiste, ici, assume une diaconie ecclésiale. Il ne peut être qu’un être de foi qui fait sien le Credo par la prière, l’ascèse, l’ouverture au grand fleuve de vie de la vraie Tradition. Laquelle est l’Evangile et l’Eucharistie rendus sans cesse actuels par le Saint Esprit. L’icône n’est-elle pas une écriture de l’Ecriture, une écriture de Lumière ?
L’iconographe essaie de se dégager de sa subjectivité close : des règles, des modèles guident sa contemplation que sa création va traduire. De sorte que l’image qu’il peint rejoint et réveille en lui l’image qu’il est, l’image de Dieu. Et la réveiller en ceux qui la regarderont avec amour ou plutôt se laisseront regarder par elle.
Alors, dira souvent l’homme d’aujourd’hui, le peintre d’icône n’est pas libre. Mais qu’entendons-nous lorsque nous disons : liberté ?
Sans doute répondra-t-on : être libre c’est faire ce qu’on veut.
Mais qui veut ? Est-ce l’homme déchiré, contradictoire – » je ne fais pas le bien que j’aime mais je fais le mal que je hais « , dit s.Paul – l’homme livré aux pulsions de son inconscient, aux modes, aux grandes forces de la société et du cosmos. La beauté créée par un tel homme ne risque-t-elle pas d’être la projection d’un ego tourmenté, une beauté magique, de » possession » ?
N’est-il pas plus libre, vraiment libre peut-être, l’homme libéré par une lumière d’en haut, pacifié, délivré de l’angoisse par la résurrection, du narcissisme par la prière, simultanément ouvert et unifié par cette autre lumière ? L’homme qui ne peut créer qu‘en s’acceptant comme créature…
C’est pourquoi les règles, les » canons » de l’art liturgique constituent comme une ascèse de libération. Une ascèse de communion aussi car tous doivent pouvoir reconnaître les scènes représentées, l’individualité des personnages. La perspective inversée, la frontalité, le rôle essentiel du visage, partie de corps la plus transparente à la personne, une certaine retenue dans l’expressivité, autant d’indications qui qualifient une beauté de célébration et de communion.
Cette ascèse, tout en donnant une humble et sûre valeur au travail répétitif de l’artiste, permet au créateur d’être vraiment libre de cette liberté que permet la transcendance enfin atteinte de la personne.