Archive pour le 29 mars, 2011

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29 mars, 2011

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Le « Parvis » de Paris. Un bilan (par Sandro Magister)

29 mars, 2011

du site:

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1347285?fr=y

Le « Parvis » de Paris. Un bilan

Confrontation du cardinal Ravasi et de l’agnostique Julia Kristeva. Et, avec eux, de dizaines d’autres chercheurs croyants et non croyants. Les prochaines étapes du dialogue voulu par Benoît XVI auront lieu à Chicago, au Québec et à Stockholm

par Sandro Magister

ROME, le 29 mars 2011 – L’idée est venue de Benoît XVI en personne. De même que le nom : Parvis des gentils. « Au dialogue avec les religions – avait-il dit en présentant ses vœux à la curie romaine le 21 décembre 2009 – doit aujourd’hui s’ajouter le dialogue avec ceux à qui Dieu est inconnu ».
Et l’idée a fait son chemin. Après un prologue le 12 février à Bologne, dans ce qui fut la première grande université d’Europe, la première rencontre du Parvis des gentils a eu lieu les 24 et 25 mars à Paris, dans la « Ville Lumière », qui symbolise les Lumières modernes.
Ces « gentils » qui, à Jérusalem, accédaient au temple dans l’espace qui leur était réservé, à eux les non-juifs, sont aujourd’hui les gens qui sont loin de Dieu, les non-croyants.
Mais, comme Paul le disait déjà dans sa lettre aux chrétiens d’Éphèse, leur parvis n’est pas un parvis fermé. Parce que le Christ a justement abattu ce mur de séparation qui dissociait les juifs des gentils, « afin de créer en sa personne les deux en un seul homme nouveau, faire la paix et les réconcilier tous deux en un seul corps ».
C’est ce que l’on a voulu faire à Paris. Des voix croyantes et des voix agnostiques ont débattu amicalement. Sur un terrain de frontière. Chacun avait les pieds plantés dans son terrain mais était prêt à écouter les raisons de l’autre.
Les endroits où s’est déroulée cette rencontre avaient également une signification symbolique. L’UNESCO, l’Institut de France, la Sorbonne sont des lieux laïques par excellence. Tandis que le Collège des Bernardins est un vieux cénacle de culture catholique. Et la cathédrale Notre-Dame a été l’un et l’autre en même temps : le parvis pour tous les hommes de bonne volonté et l’intérieur de la cathédrale pour la prière dirigée par la communauté de Taizé, les portes ouvertes.
On peut trouver le programme des deux journées, avec les lieux de rencontre, la présentation des orateurs et les textes des interventions, sur un site en langue française créé pour l’occasion et géré par le conseil pontifical de la culture et l’Institut Catholique de Paris:

> Parvis des gentils, 24-25 mars 2011

Le message adressé par Benoît XVI aux personnes qui participaient à la rencontre – transmis par vidéo en grand écran sur le parvis de Notre-Dame, le soir du 25 mars – se trouve sur cette page de www.chiesa :
> « Sur ce parvis du Dieu Inconnu… »
Mais pour mieux comprendre la pensée de Benoît XVI qui est derrière le Parvis des gentils, il faut relire la partie finale du discours qu’il avait prononcé le 12 septembre 2008 à Paris, dans ce même Collège des Bernardins qui a été le théâtre de l’une des rencontres de ces jours derniers :
« Le schéma fondamental de l’annonce chrétienne ‘ad extra’ – aux hommes qui, par leurs questionnements, sont en recherche – se dessine dans le discours de saint Paul à l’Aréopage [...] : « On dirait un prêcheur de divinités étrangères » (Ac 17, 18). Ce à quoi Paul réplique : ‘J’ai trouvé chez vous un autel portant cette inscription : Au dieu inconnu. Or, ce que vous vénérez sans le connaître, je viens vous l’annoncer’ (cf. 17, 23). Paul n’annonce pas des dieux inconnus. Il annonce Celui que les hommes ignorent et pourtant connaissent : l’Inconnu-Connu. C’est Celui qu’ils cherchent, et dont, au fond, ils ont connaissance et qui est cependant l’Inconnu et l’Inconnaissable. Au plus profond, la pensée et le sentiment humains savent de quelque manière que Dieu doit exister et qu’à l’origine de toutes choses, il doit y avoir non pas l’irrationalité, mais la Raison créatrice, non pas le hasard aveugle, mais la liberté. Toutefois, bien que tous les hommes le sachent d’une certaine façon – comme Paul le souligne dans la Lettre aux Romains (1, 21) – cette connaissance demeure ambigüe : un Dieu seulement pensé et élaboré par l’esprit humain n’est pas le vrai Dieu. Si Lui ne se montre pas, quoi que nous fassions, nous ne parvenons pas pleinement jusqu’à Lui.
« La nouveauté de l’annonce chrétienne c’est la possibilité de dire maintenant à tous les peuples : Il s’est montré, Lui personnellement. Et à présent, le chemin qui mène à Lui est ouvert. La nouveauté de l’annonce chrétienne ne réside pas dans une pensée, mais dans un fait : Dieu s’est révélé. Ce n’est pas un fait nu mais un fait qui, lui-même, est Logos – présence de la Raison éternelle dans notre chair. ‘Verbum caro factum est’ (Jn 1, 14) : il en est vraiment ainsi en réalité, à présent, le Logos est là, le Logos est présent au milieu de nous. C’est un fait rationnel. Cependant, l’humilité de la raison sera toujours nécessaire pour pouvoir l’accueillir. Il faut l’humilité de l’homme pour répondre à l’humilité de Dieu.
« Sous de nombreux aspects, la situation actuelle est différente de celle que Paul a rencontrée à Athènes, mais, tout en étant différente, elle est aussi, en de nombreux points, très analogue. Nos villes ne sont plus remplies d’autels et d’images représentant de multiples divinités. Pour beaucoup, Dieu est vraiment devenu le grand Inconnu. Malgré tout, comme jadis où derrière les nombreuses représentations des dieux était cachée et présente la question du Dieu inconnu, de même, aujourd’hui, l’actuelle absence de Dieu est aussi tacitement hantée par la question qui Le concerne. ‘Quaerere Deum’ – chercher Dieu et se laisser trouver par Lui : cela n’est pas moins nécessaire aujourd’hui que par le passé. Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l’humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves. Ce qui a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable ».
*
Après ses débuts à Paris, le Parvis des gentils, sous la direction du cardinal Gianfranco Ravasi, a déjà mis en chantier d’autres rendez-vous en différents points du monde : à Tirana, à Stockholm, aux États-Unis, au Canada et aussi en Asie, continent où l’on rencontre moins un athéisme de type occidental mais où sont répandues des formes de religiosité qui ne sont pas moins éloignées du Dieu chrétien.
On trouvera ci-dessous un premier bilan de la rencontre de Paris, effectué par le cardinal Ravasi, ainsi qu’une discussion avec une intellectuelle française d’origine bulgare, Julia Kristeva, qui a été l’une des participantes les plus convaincues au Parvis.

Ces deux interviews ont été réalisées par Lorenzo Fazzini pour le quotidien de la conférence des évêques d’Italie, « Avvenire ».

RAVASI : « CE QUI SERA DIFFICILE, CE SERA DE DIALOGUER AVEC LES INDIFFÉRENTS »

Q. – Éminence, le premier Parvis est terminé. Quel bilan en tirez-vous ?
R. – Très positif, à plusieurs niveaux. Tout d’abord au niveau thématique, où il y a eu beaucoup de créativité. Nous espérons réunir toutes les interventions afin de pouvoir en tirer des indications pour les futurs Parvis. En second lieu, on a eu une très forte expansion dans l’expression culturelle, du point de vue sociopolitique à l’Unesco, intellectuel à la Sorbonne et thématique au Collège des Bernardins. Pour l’avenir nous pensons aborder des thèmes plus sectoriels, par exemple foi et science ou bien foi et art.
Q. – Qu’avez-vous perçu comme réaction dans le monde de la culture et la société française à propos du thème de la confrontation entre athées et catholiques ?
R. – Hier le philosophe agnostique Jean-Luc Ferry m’a demandé audience à la nonciature parce qu’il veut à tout prix écrire un livre avec moi à propos de l’Évangile de Jean. Cela aurait été impensable autrefois ! Cet épisode est emblématique parce que, du côté laïque, on désire non seulement dialoguer mais aussi élaborer une réflexion en commun avec les croyants. Ferry est l’une des figures les plus remarquables de la culture française. Et le recteur de la Sorbonne lui-même m’a interpellé à propos du thème de la « laïcité », en me demandant ce que nous avions à dire, nous catholiques, à ce sujet. Le monde laïc français s’est révélé beaucoup plus disponible que nous ne le pensions en ce qui concerne la question religieuse, la réflexion théologique.
Q. – Y a-t-il chez les athées une crainte que l’Église ne tente une sorte d’évangélisation dissimulée ?
R. – Non. Je n’ai rencontré cette préoccupation que dans les médias. Je n’ai trouvé aucune crainte chez nos interlocuteurs. D’autre part toute l’initiative du Parvis a été présentée comme un moment strictement culturel.
Q. – Comment pensez-vous agir en ce qui concerne les « nouveaux athées » ?
R. – D’un côté il y a un athéisme ironique et sarcastique, qui constitue désormais un élément significatif : Michel Onfray en fait partie, mais il a écrit à l’un de mes collaborateurs pour nous informer qu’il veut démontrer que ce qu’il propose ne relève pas de cette manière de voir. Nous étudierons donc également ces formes d’athéisme, « mineures » d’un point de vue intellectuel mais « majeures » en termes de diffusion. D’un autre côté il existe aussi le camp de l’indifférence, qui est selon moi plus grave et plus important. S’interroger sur les questions des « humanistes » – comme le fait, par exemple Julia Kristeva – est le dernier des problèmes pour les indifférents. Sur ce front nous n’avons pas de véritable interlocuteur. Nous ne disposons que d’un petit nombre d’études sur ce sujet, en dehors des travaux de sociologie de Charles Taylor, pour vérifier les structures profondes qui sont à la base de cette attitude. Ce sera le travail le plus difficile à effectuer pour l’avenir.
Q. – Quel avenir pour le Parvis ?
R. – Il faudra moduler la proposition en fonction des situations. Par exemple : au Québec ou à Chicago, où nous nous rendrons prochainement, nous devrons rester dans le domaine de la technologie et de la science, et ne pas apporter de propositions aussi « hautes » que celles que nous avons faites ici à Paris. Reste le problème de la continuité : une proposition comme le Parvis devrait être un espace normal dans l’activité pastorale de tous les diocèses.
_________

KRISTEVA : « AMIS LAÏCS, N’AYEZ PAS PEUR DE LA RELIGION »

Q. – Dans votre livre « Cet incroyable besoin de croire » vous écrivez que l’humanisme « n’est pas opposé aux religions, pas plus qu’il n’est d’accord avec elles ». Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?
R. – Nous nous trouvons à un moment où le dialogue entre chrétiens et humanistes est très important. Rien ne facilite ce contact : ces deux communautés connaissent une crise d’identité, on voit qu’elles sont vulnérables et elles ont des difficultés avec leurs interlocuteurs. Selon moi, cet échange est absolument nécessaire pour faire face à la crise économique et politique actuelle. Mais avant tout il faut comprendre ce que j’entends par humanisme. Je me réfère à quelque chose qui est distinct de la religion, qui naît à la Renaissance avec Érasme, traverse la période des Lumières avec Rousseau et arrive jusqu’à nous, par exemple dans la psychanalyse. Il s’agit là de ce qu’Hannah Arendt et Alexis de Tocqueville appelaient « le fil rompu de la tradition ». Ce processus est irréversible et aujourd’hui il est confronté au risque de la liberté, de l’individualité extrême et des passions totalement libérées. Mais il nous conduit à la nécessité de relire notre tradition « rompue », parce que quelque chose a été perdu.
Q. – Donc même l’humanisme sans foi a besoin de la religion ?
R. – L’humanisme doit trouver une richesse propre plus profonde et une relation nouvelle avec les systèmes moraux. Pour moi, personnellement, cela signifie une confrontation avec le catholicisme, grâce auquel il m’est possible de refonder mes propres Lumières. Les nouvelles manifestations modernes de la question de la femme, de l’enfance, des jeunes, posent le problème d’un nouveau rapport avec l’expérience religieuse, par exemple dans la prière. Cette rencontre ne doit pas aboutir à une simple « grande fraternité » entre l’humanisme et les religions, mais bien plutôt à la refondation de toute une tradition. C’est pourquoi il est nécessaire que les croyances, habituellement dogmatiques, soient elles aussi capables de se remettre en question.
Q. – Au cours d’une conférence à la cathédrale Notre-Dame, vous avez affirmé que le christianisme a pratiqué une révolution en ce qui concerne la souffrance. On reproche souvent à la religion chrétienne un dolorisme antihumain…
R. – Je pense que le christianisme, surtout dans sa pratique, a été une innovation dans l’histoire de la compréhension de la douleur. Selon les chrétiens la souffrance ne constitue pas une défaite de l’homme et elle n’aboutit pas à exclure de la société celui qui souffre. La douleur ne constitue pas une diminution de l’homme et elle ne le rend pas moins homme. Au contraire, elle devient le chemin pour arriver à Dieu. En souffrant le Christ manifeste Dieu lui-même. L’être humain qui souffre devient digne d’être accompagné et respecté. À partir de là, deux voies s’ouvrent. D’un côté, un certain dolorisme qui porte à des excès (Nietzsche l’a qualifié de « victimiste » ; aujourd’hui on parle de « christianisme bio-négatif »). De l’autre, on trouve le christianisme triomphant qui, face la douleur, déclenche la compassion envers l’autre : c’est l’accompagnement de la charité. Il se manifeste dans la proximité vis-à-vis du pauvre, du marginal, du handicapé. Et face à la dérégulation morale du monde des shows et du capitalisme, qui interprète tout en termes de productivité, nous risquons de perdre le sens de la vulnérabilité de la personne. Nous avons besoin de la tendresse chrétienne et nous devons nous appuyer sur le christianisme pour vaincre ce monde qui veut nier la douleur.
Q. – Quels exemples voyez-vous de cette « tendresse » chrétienne ?
R. – Je pense à certaines organisations chrétiennes et catholiques qui viennent en aide aux derniers, là où l’État n’arrive pas. Aujourd’hui la figure qui me paraît la plus significative est celle de Jean Vanier. Pendant un an j’ai entretenu avec lui une correspondance à propos de notre expérience de la douleur, en particulier du handicap, à tous les niveaux : politique, social, intellectuel et existentiel. Jean Vanier est un exemple unique : il a fondé 140 communautés de son « Arche ». Il prolonge ce que Saint François a fait il y a plusieurs siècles en Italie.
Q. – Que pensez-vous du « Parvis des gentils » ?
R. – C’est une très belle initiative, même si je ne sais pas quels résultats elle donnera. Il s’agit de quelque chose de surprenant, un début de ce dialogue qui me paraît nécessaire mais qui inspire des craintes à beaucoup de gens. Aussi bien les croyants que les non-croyants marchent sur la pointe des pieds par peur de perdre. Cela me fait penser à l’appel de Jean-Paul II, que j’avais rencontré en Bulgarie. Nous nous souvenons tous de son « N’ayez pas peur ». Il s’adressait aux catholiques et faisant référence au communisme. Et l’on a vu les résultats : naissance de Solidarnosc et chute du Mur de Berlin. Je veux dire à mes amis laïcs : « N’ayez pas peur de la religion ». Vous avez les moyens de penser le besoin religieux sans avoir peur d’être engloutis par l’obscurantisme. Nous pouvons faire mieux que Voltaire, en dépassant les abus de la religion et en regardant ce qu’il y a de positif dans le fait de croire.
Q. – « Rendre Dieu présent dans le monde », c’est le programme de l’actuel pontificat. Voyez-vous un danger dans cet objectif de Benoît XVI ?
R. – Quand il parle de ‘rendre Dieu présent dans le monde’, le Pape fait son métier : il serait étonnant qu’il ne le fasse pas ! Du reste il faut souligner que, seul des monothéismes, le christianisme a promu l’idée d’universalité. Il me semble que la politique de ce pape va en ce sens. Les religions monothéistes sont exposées au risque de s’imposer comme vérité, y compris violente, mais en même temps elles proposent en elles-mêmes le thème de la pluralité, le germe de la diversité et de l’étranger. Mon souhait est que, à partir de la confrontation dans le cadre du Parvis, on puisse se lancer dans cette voie d’universalité.

« JE VEUX MOURIR VIVANT », PAR L’ABBÉ LELIÈVRE : VISAGES DE MALADES DU SIDA

29 mars, 2011

 du site:

http://www.zenit.org/article-27427?l=french

« JE VEUX MOURIR VIVANT », PAR L’ABBÉ LELIÈVRE : VISAGES DE MALADES DU SIDA

Un livre présenté aujourd’hui à Paris

ROME, Lundi 28 mars 2011 (ZENIT.org) – L’abbé Hubert Lelièvre publie « Je veux mourir vivant », aux éditions de l’Emmanuel. Le livre a été présenté à la presse à Paris ce lundi. Nous avons rencontré l’auteur dont l’expérience pastorale, comme prêtre dans la guerre de Bosnie, ou auprès des malades du SIDA à Rome fait avancer « en eau profonde ».
Zenit – Monsieur l’abbé Lelièvre, vous avez rencontré à Rome ces malades du SIDA dont vous faites découvrir les visages. Pourquoi ce titre ?
Abbé Lelièvre – Ce titre ne vient pas de moi. Il vient des nombreuses personnes malades du SIDA qui à un moment de leur cheminement au cours de la maladie se sont retrouvées petit à petit devant la vérité de ce qu’elles vivaient. De ce qu’elles étaient. De ce qu’elles avaient vécu. Et puis, lorsque la mort est inéluctable, les masques tombent. On ne peut plus jouer à cache cache. Le malade en fin de vie est particulièrement confronté à un choix de vie. Beaucoup m’ont dit : « Je veux mourir vivant ». On comprend bien ce que cela veut dire. Tant ont vécu dans la culture de mort, dans le mensonge. Maintenant, sachant qu’ils allaient partir au Ciel, ils ont appris et choisi de vivre. Avec Dieu. En Lui. Le creuset de la souffrance ouvre à un choix de Vie.
Zenit – Vous définissez vous-même votre livre comme « le témoignage d’un prêtre qui a vécu, près de personnes atteintes du SIDA, les plus belles et plus riches heures de sa vie de prêtre jusqu’à ce jour », on peut s’étonner, parce que c’est une confrontation douloureuse avec la souffrance, psychique et physique, avec l’angoisse, avec qui veut mourir et qui ne veut pas mourir, ou face à mes « murs »…
Abbé Lelièvre – Vous savez, le Seigneur a donné à mon cœur de prêtre d’abord de vivre un chemin intérieur. On ne s’approche pas de personnes malades, dont souvent il ne reste que quelques jours, semaines ou mois à vivre, sans en être profondément bouleversé. J’ai vécu ces années d’abord comme un cadeau particulier de Dieu pour moi. J’étais conscient qu’il transformait mon âme. Du dedans. Un peu comme quand le Seigneur appelle à vivre un temps de désert pour parler au plus intime de l’âme. J’ai vécu ce temps comme un « noviciat d’amour ». En même temps, j’étais confronté à la mort d’enfants, de jeunes, de jeunes adultes. Avec toutes les questions que cela pose dans le cadre du rétrovirus du SIDA. Pourquoi humainement tant de vies gâchées, fauchées dans leur printemps ? Dans ce désert de l’amour de notre société, où l’amour est blessé, meurtri, détruit, tant de familles divisées, comment faire fleurir l’Amour ?
Lorsque tous les masques tombent, nous nous trouvons en face de ce qu’est en toute vérité la personne humaine. Le visage de la personne malade devient alors une icône de la Présence de Jésus en elle. Jésus qui souffre et espère. Jésus qui guérit l’âme. Jésus qui sauve l’âme. Jésus qui apaise. Jésus présent dans ce temps de souffrances, indicibles bien souvent.
La souffrance d’une personne malade nous renvoie à nos propres blessures, souffrances intérieures. A nos propres lâchetés face à l’Amour, à la vie de la Grâce en nous. Cela nous apprend à devenir pauvres, à aimer. Alors, approcher une personne malade, c’est d’abord accepter que Jésus me rejoigne et vienne me guérir. Vienne mettre l’Huile de sa Miséricorde sur mes blessures.
Oui, dans ce désert de l’amour blessé, j’ai vu fleurir le Printemps ! J’ai vu rayonner la Gloire du Matin de Pâques sur tant de visages ! Quel bonheur d’être prêtre !
Zenit – Plusieurs fois des malades vous renvoie dans vos buts – d’ailleurs vous posez vous-même la question – : Qu’est-ce qu’un malade attend du prêtre ? De Dieu ?
Abbé Lelièvre – Je me suis retrouvé plusieurs fois dans des situations où je me trouvais « mal à l’aise » parce que je ne contrôlais pas la situation, à cause de mon manque d’amour, d’écoute, de mon égoïsme. Et plusieurs fois le Seigneur m’a remis en place. Il m’en souvient de cette enfant, Marzia, âgée de 9 ans. J’allais la voir chaque jour. Et puis une fois, je ne suis pas venu la visiter. Le lendemain, en entrant dans la chambre, comme si tout était normal, après avoir frappé à la porte, elle me dit, sans me laisser le temps de respirer : « Jésus n’est pas content de toi ! ». Alors, à ce moment là, il ne vous reste qu’à demander pardon. Un sourire sur son visage a été sa réponse ; Marzia est entrée dans la Vie un mois plus tard, dans la nuit de la Saint Joseph. Nous étions tous autour d’elle. Au moment même de sa mort, une Lumière brillait sur son visage. En pleine nuit. La Lumière du Ciel !
Le malade attend que le prêtre soit prêtre. Tout prêtre. Seulement prêtre. C’est-à-dire, serviteur et témoin de sa Présence. Comme Jésus le vit dans l’Evangile.
Zenit – Comment ouvre-t-on une porte ?
Abbé Lelièvre – Je n’ai pas encore lu de « traité » sur l’ouverture d’une porte ! Au contact de personnes malades, surtout lorsque celles-ci sont les plus dépendantes, les plus vulnérables, j’ai observé que la manière avec laquelle on ouvrait la porte de sa chambre, comptait beaucoup. Influait beaucoup pour son apaisement ou au contraire, la personne malade se tendait, se crispait. Même dans le cas de personnes dans le coma. C’est vrai pour le personnel médical, comme pour les membres de la familles du malade, ou les amis. La poignée de porte est une école d’humilité !
Zenit – Vous rapportez votre conversation avec un jeune dont la « descente » a commencé par le cannabis. Il existe des « drogues douces » ?
Abbé Lelièvre – La drogue n’est jamais douce. La drogue détruit la personne dans son âme, son corps, son esprit. Dans sa sensibilité, son psychisme, sa volonté, son intelligence. Ceci plus ou moins vite en fonction de la drogue prise, de sa quantité et de la durée. Mais dire qu’il existe des « drogues douces », c’est tout simplement un mensonge. C’est criminel. La drogue tue, plus ou moins vite. Mais elle tue. Les vendeurs de drogue devront un jour répondre devant Dieu de ce marché de la mort. Je trouve qu’il est particulièrement lâche de se faire de l’argent facile auprès d’adolescents, de jeunes qui se posent des questions sur le sens de leur vie, qui construisent leur vie et qui n’ont souvent comme réponse que cette fuite, qui conduit vers la mort. Quand on sait que le marché mondial de la drogue est supérieur au marché mondial du pétrole ! Endormir, anesthésier ainsi un adolescent, un jeune au lieu de le rejoindre et de lui donner ce dont il a besoin pour devenir lui-même, elle-même, cela m’est insupportable. Ne pas vouloir voir, ou faire semblant de ne pas voir qu’un enfant prend de la drogue, cela s’appelle « le clan des aveugles volontaires ». Mais un jour, des pleurs viendront ! Je me permets de vous renvoyer à cet ouvrage : « Le cannabis démasqué », du Père Ambroise Pic, aux Editions du Jubilé.
Certains diront que j’exagère. Alors, allez écouter le témoignage de jeunes qui suivent un chemin de guérison, dans la Comunità del Cenacolo ou dans la Maison des Frères de Saint-Jean à Pellevoisin, tout contre le sanctuaire marial de Marie, Mère de toute Miséricorde.
Zenit – Et ce jeune qui pense qu’il est condamné parce que « Dieu condamne les homosexuels » : ce sont des paroles qui, dit-il l’ont « enfoncé » davantage… Vous répondez « tu es une personne » : cela change tout ?
Abbé Lelièvre – Avant d’être aumônier d’hôpital, j’utilisais moi-même le terme « d’homosexuel ». Puis, très vite, grâce à leur contact, en les écoutant, j’ai purifié mon langage, qui en fait, était blessant. Nous devrions être particulièrement attentif à notre langage qui peut enfoncer ou permettre à une personne d’y voir plus clair, de prendre une route différente de celle sur laquelle elle se trouve aujourd’hui.
Chacun de nous est une personne créée à l’image et ressemblance de Dieu. J’existe pour être aimé et pour aimer. J’existe pour un jour, entrer dans la Gloire même de Dieu. Chacun de nous est profondément aimé par Dieu. De manière unique. Homme et femme il les créa. Je n’ai jamais lu dans la Bible « homosexuel il les créa ».
Dieu ne condamne pas les personnes. Quoiqu’ils fassent ou vivent. Il porte un regard de jugement sur nos actes. Dieu ne pourra jamais dire que l’homosexualité est un bien. Tout simplement parce que ce serait contraire et opposé à son regard d’amour, son dessein d’amour sur la création de l’homme et de la femme. A son regard sur la vocation personnelle de chaque homme, de chaque femme, dans toute sa personne. Par des actes, aller contre le code génétique de la Création, aller contre la grammaire commune de la Création, de ce qui est inscrit dans la nature, ne peut conduire l’humanité qu’à des impasses. L’Histoire des hommes nous enseigne que des civilisations entières se sont détruites par elles-mêmes.
Zenit – Avant l’hôpital Pallanzani, il y a eu la Bosnie… Quelle a été votre expérience de prêtre dans la guerre ?
Abbé Lelièvre – J’étais tout jeune prêtre, vicaire d’une paroisse dans la banlieue de Rome, paroisse très touchée par la drogue. Et puis, un jour, avec mon frère aîné qui était mon curé, nous regardions le journal télévisé. C’était au début de la guerre en Bosnie. Les images nous étaient insupportables et ont été en fait comme un appel à être présents auprès de ceux qui étaient dans l’épreuve. Alors, très vite, nous avons mobilisé la paroisse et bien au-delà puisque la télévision italienne, la RAI, nous demandait de témoigner. Nous sommes ainsi allés cinq fois pendant la guerre, sur le front, dans les hôpitaux, dans les camps, dans les villages. Au contact des évêques, des prêtres, de leurs paroissiens. Au contact de personnes dans les hôpitaux, perforées par les balles. Tout simplement pour dire : « Vous n’êtes pas abandonnés ». J’y ai vécu les plus beaux Noël de ma vie.
Zenit – Vous parlez d’une société qui « cache la mort ». Souvent, face à l’agonie ou à la mort, on ne « sait pas comment faire » : que proposer aux familles ?
Abbé Lelièvre – On cache la mort parce qu’on l’écarte de la vie. On cache la mort parce qu’on ne donne plus de sens à la vie et à cet instant si précieux et décisif qu’est la mort : la rencontre personnelle avec Dieu dans un face à Face.
C’est aussi une victoire du démon. Nous avons tellement besoin de la présence du prêtre auprès de nous lorsque le moment viendra. Pour obtenir le passeport pour l’Éternité. Le démon se réjouit de voir une âme quitter ce monde pas prête pour Dieu. Au moment de la mort, il y a un ultime combat. Il est inutile de se le cacher. La présence du prêtre, en plus de membres de la famille, est la Présence même de Jésus dans ce combat pour la Vie.
La mort est une réalité, non voulue par Dieu. Elle est ultime conséquence du péché originel. Accepter ce moment, sans le fuir, aide celui/celle qui quitte cette terre à vivre cet instant précieux, plus apaisé/e pour ce choix de vie à faire.
Dans le je vous salue Marie, nous demandons à la Vierge Marie de prier pour nous « maintenant et à l’heure de notre mort ». Si nous la prions chaque jour à travers le chapelet, nul doute que Marie notre Mère sera présente à l’heure de notre mort. Trouvons, retrouvons la prière du chapelet. Elle nous inspirera des paroles, des gestes d’affection, d’amitié autour d’une personne qui s’en va au Ciel.
Zenit – La béatification de Jean-Paul II approche : on a dit que le secret de le fécondité de son ministère à Cracovie puis à Rome, c’est la façon dont il s’est tout de suite appuyé sur la prière des malades et sur sa propre participation à la souffrance du monde. Diriez-vous cela ?
Abbé Lelièvre – Le secret de la sainteté de Jean Paul II est sa vie de prière. Il priait sept heures par jour. Il s’abîmait littéralement dans la prière. Là est le secret de sa fécondité. Ceux qui ont pu approcher Jean-Paul II, spécialement lorsqu’il célébrait sa Messe, ont été saisis par la souffrance du monde qu’il portait et qui allait jusqu’à changer les traits physiques de son visage. Sa propre expérience de la souffrance, son chemin de croix commencé avec l’attentat, il y aura trente ans le 13 mai prochain, cela l’a rapproché des personnes malades sur lesquelles il s’est toujours appuyé dans son ministère de prêtre, d’évêque, puis de pape. Il y avait comme une particulière intimité, une communion profonde avec chacun d’eux, à l’image de Jésus dans l’Évangile qui aime, s’approche de chaque malade, un à un. Nous nous souvenons tous de ses regards bouleversants de compassion, posés sur les personnes malades, lors de sa dernière venue à Lourdes en 2004, quelques mois avant de quitter cette terre. Comme un testament.
La méditation de Jean-Paul II sur le sens chrétien de la souffrance, « Salvici Doloris », du 11 février 1984, est un cœur à cœur avec son cœur de prêtre et le cœur de chaque personne malade, de chaque personne qui souffre dans son cœur et dans son corps. Pour lui dire combien Jésus ne l’abandonne pas, combien Jésus est proche de sa souffrance.
Les heures si précieuses de l’agonie de Jean-Paul II, sont un enseignement pour chacun. Les derniers jours de sa vie terrestre nous laissent de belles et fortes pages, d’émouvantes pages de « l’Évangile de la souffrance ». Une réponse concrète face à notre société qui, en face de la personne qui souffre, supprime la personne elle-même.
Zenit – Vous offrez la « Médaille miraculeuse » aux malades. La Vierge Marie leur manifeste sa présence ?
Abbé Lelièvre – Je ne fais que vivre ce que la Sainte Vierge a demandé lors de sa venue sur la terre parisienne, dans la chapelle de la Médaille miraculeuse, rue du Bac, en 1830. La Sainte Vierge a demandé de porter cette médaille, la plus répandue dans le monde. Qu’elle protégerait ceux qui la porteraient. Que ces personnes obtiendraient des grâces.
Oui, Marie est présente au pied de la Croix le Vendredi Saint. Elle est présente auprès de chaque personne qui souffre dans son corps, dans son âme. Elle rend même visite à de nombreuses personnes malades dans nos hôpitaux, nos maisons, nos maisons de retraite. Il m’est arrivé de sentir souvent sa Présence. Ce qui n’est pas surprenant. Elle est notre Mère. Elle nous a été donnée au pied de la Croix. Elle exerce sa Maternité.
Elle est présente, pour faire sortir notre monde d’aujourd’hui, qui semble se trouver dans un interminable « samedi saint » de ces innombrables impasses dans lesquelles nous nous trouvons. Pour nous ouvrir à la Lumière et à la Joie de la Résurrection.
Propos recueillis par Anita S. Bourdin