INITIATION AU MONACHISME DES PREMIERS SIÈCLES CHRÉTIENS (Etudes sur l’Orthodoxie Copte en France)

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INITIATION AU MONACHISME DES PREMIERS SIÈCLES CHRÉTIENS

Égypte et Palestine
par Soeur Véronique DUPONT, osb, Venière

CHAPITRE VIII

LA PRIERE DE JESUS DANS LA TRADITION DU DESERT D’EGYPTE
L’ébauche d’une théologie du nom de Jésus, post-scripturaire, peut être discernée dans un écrit aussi ancien que Le Pasteur d’Hermas, ouvrage dans lequel on trouve cette phrase : « Le Nom du Fils est grand et immense, et c’est lui qui soutient le monde entier ». Mais c’est dans le désert d’Egypte, au IVe siècle, que se trouvent les racines de cet arbre merveilleux de la « la prière de Jésus ».

LES PLUS ANCIENS TEMOIGNAGES
On trouve dans la littérature du désert l’évocation de guérisons et d’exorcismes « au nom de Jésus », par exemple dans la vie d’Antoine ou celle de Synclétique. Mais c’est le murmure du nom de Jésus qui fera naître la prière de Jésus.
Pour les Pères du désert, la prière, c’est la prière au sens biblique, évangélique du terme, c’est-à-dire la prière vocale de demande (même si elle est silencieuse, tacite, implicite). C’est aussi une oeuvre, une activité particulière, une occupation dans la journée du moine. Et vous connaissez bien les apophtegmes, on prie en travaillant. La prière tend à devenir continuelle jusque dans le travail et dans toutes les occupations du moine. Cette prière est courte, c’est pourquoi on l’appelle monologiste : une seule parole. Elle est souvent accompagnée de gestes, mais pas toujours; on se lève, on se prosterne, on lève les mains, les yeux… Cette prière se caractérise par la brièveté de sa formule et aussi par sa répétition afin de tendre à la prière continuelle selon le précepte de l’Evangile « Priez sans cesse », repris par Paul (1Th.5,17). Cette prière courte, dont la formule peut varier, est distincte de la psalmodie ou de l’oraison.
Chez les premiers Pères du monachisme égyptien, cette prière a consisté en la répétition quasi incessante du verset du psaume 69 « Deus in adjutorium… ». Elle visait à protéger le moine de toutes les attaques du démon certes, mais elle visait aussi à le purifier « en le dépouillant des richesses de toutes les pensées et en le réduisant à la pauvreté de ce verset ». C’est une monologie verbale et mentale qui assure la continuité du souvenir de Dieu et la continuité de la prière.
Peu à peu, les Anciens du désert vont prendre non plus seulement ce verset mais l’un ou l’autre verset psalmique. Au fil de notre lecture des apophtegmes, nous en indiquons quelques-uns :
Amoun : « Reste assis dans ta cellule, mange un peu chaque jour, aie continuellement la parole du publicain dans ton cœur et tu pourras être sauvé ».

 » O Dieu, sois-moi propice à moi pécheur ».
Arsène :  » Seigneur, conduis-moi de façon que je sois sauvé ».
Lucius: « Aie pitié de moi , ô mon Dieu ».
Abba Paul : « Aie pitié de moi ».
Abba Sisoès : « Seigneur protège-moi de ma langue ».
Amma Sara: « O Dieu, donne-moi la force ».
Jean Kolobos: « Seigneur, donne-moi l’endurance dans les combats ».
Anonyme: « Seigneur, secours-moi ».
Abba Macaire: « Seigneur, comme tu veux, comme tu sais, aie pitié ».
Un Ancien : « Fils de Dieu, secours-moi ».`
Sérapion: « Seigneur, apprends-moi à faire ta volonté ».
Vous me direz que dans ces invocations il est bien peu question du nom de Jésus. En fait, Dom Régnault démontre très savamment que « Seigneur » désigne généralement le Christ. N’oublions pas, en effet, que nous sommes en pleine hérésie arienne.
Toutes ces expressions de prières ont la même structure générale, à savoir :
. C’est une formule courte et simple,
. qui est une prière, au moins implicitement sinon dans sa forme classique,
. qui est répétée fréquemment, sinon continuellement.

Marc l’Ermite lui donne le nom de monologistos parce qu’elle exclut la multiplicité des paroles et surtout la multiplicité et la variété des pensées. Cette « monologie » de la prière vocale est ordonnée à l’unification et à la purification de l’esprit en vue de la prière du coeur qui est, pour les anciens, une « vraie prière ».
Ainsi, peu à peu, la pratique des Vieillards va s’unifier, et de cela va jaillir une pratique particulière, recommandée par plusieurs Anciens et qui va se répandre de plus en plus; c’est ce que l’on va appeler « la triple formule », à savoir :

« Jésus, aie pitié de moi,
Jésus, secours-moi,
Je te bénis mon Dieu ».

Au Ve siècle, Barsanuphe dira « Kyrie eleison, je te bénis mon Dieu »; Dorothée avait appris à Dosithée, son jeune disciple de Gaza, à garder toujours le souvenir de Dieu en disant sans cesse : « Seigneur Jésus, aie pitié de moi ». Mais déjà pour Diadoque de Photicée (milieu du Ve siècle) et pour Nil (qui est sans doute Evagre, comme vous le savez), cette prière monologiste est l’invocation constante du Nom de Jésus, laquelle est la meilleure arme à employer nuit et jour contre les démons, le moyen excellent pour purifier son coeur, pour y entretenir un fervent souvenir de Dieu et l’élever à la contemplation.
Saint Augustin affirme, dans sa Lettre 20 , que les moines d’Egypte font des prières fréquentes mais brèves, pareilles à des jets « quodammodos iaculas » (d’où l’expression « prière jaculatoire »). Cassien, pour sa part, rapporte qu’il a reçu de l’Abba Isaac cette prière monologiste comme un secret transmis depuis la première génération des moines des Kellia et de Scété.
Comme l’écrit le Père Régnault, ce n’est pas un hasard si cette prière monologiste est apparue dans le monde monastique d’Egypte et si elle s’est ensuite propagée partout où les Paroles des Vieillards étaient à l’honneur (par exemple et très spécialement à Gaza au VIe siècle). Les Vieillards en effet, s’expriment avec la même concision pour s’adresser à Dieu et pour parler aux hommes. Leurs conditions de vie les y portent : dans la solitude et le silence du désert ces pionniers du monachisme sont parvenus à une merveilleuse simplicité de coeur qui se reflète dans le peu de mots de leurs frères et de leurs sentences.
Plus profondément encore, cette prière monologiste se rattache à l’esprit évangélique des pères du désert : « Quand vous priez,….. ne multipliez pas vos paroles… car votre Père sait ce dont vous avez besoin… »(Mt. 6,7-8). Ainsi une formulation brève exprime la confiance filiale du moine qui sait qu’il peut compter sur son Père et n’a pas à se tracasser, à multiplier les demandes, ni à les détailler : « Ne vous faites pas de soucis… Cherchez d’abord le Royaume de Dieu… » Cela devient l’unique nécessaire auquel aspirent ces hommes épris d’absolu. Dans leur prière simple et courte, inlassablement répétée, ils ne demandent que le salut procuré au monde par le Seigneur Jésus.
Vous vous souvenez qu’Evagre a mis par écrit l’enseignement et la pratique des pères du désert d’Egypte, c’est donc à lui que nous devons d’avoir reçu la Prière de Jésus dont il vivait lui-même. L’influence d’Evagre sur le développement ultérieur de la spiritualité monastique – et donc sur la pratique de la prière de Jésus est indéniable. Mais pour bien saisir la floraison hésychaste il conviendrait d’évoquer, avec l’influence d’Evagre, celle du pseudo-Denys, celle du pseudo-Macaire et de toute sa descendance spirituelle jusqu’à Syméon le Nouveau théologien, puis, plus tard, Grégoire Palamas. Mais cela sort du cadre de notre cours.

Etudes sur l’Orthodoxie Copte en France

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