Tout proche du Royaume de Dieu
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Tout proche du Royaume de Dieu
Fr. Philippe Jaillot, o.p.
Dt 6, 2-6 – Ps 118 – He 7, 23-28 – Mc 12, 28-34
Esprit et Vie n°157 – octobre 2006 – 1e quinzaine, p. 35-36.
Dieu est un. Dieu est l’Unique. L’homme est complexe et souvent compliqué. Des aspects multiples marquent sa personnalité : cœur, âme, esprit et force. L’homme est en tension. Il est dans le partage des relations : Dieu d’un côté, le prochain de l’autre. Parfois même il distingue au point d’opposer : élan du cœur et mouvement de l’intelligence. Affection et raison. L’homme croyant est exposé à la multiplicité des sources de sagesses et des traditions. La diversité des écrits bibliques qu’on ne sait plus très bien aborder sans les mettre en concurrence. Ce dialogue entre Jésus et le scribe ne fait-il pas apparaître de manière réaliste les traits de l’homme qui cherche à trouver la cohérence de son existence croyante ? Tout signale la complexité de l’homme. Non qu’elle serait une tare ou un péché. Elle est simplement assumée comme une réalité. L’homme habité du sérieux de la foi, que représente ici le scribe, n’ignore pas sa complexité, mais cherche la cohérence et l’unité. Jésus ne peut que rappeler ce que l’homme sait déjà, ou ce qu’il perçoit intuitivement : Dieu est un et il unifie.
Sortir des oppositions
La question du scribe, chez l’évangéliste Marc, met bien en scène un homme habité par le sérieux de la foi. Un homme en recherche authentique, prêt à avancer dans un véritable dialogue. Le parallèle chez saint Matthieu (Mt 22, 34-40) n’est pas dans le même registre : la controverse y est le ressort de la question posée à Jésus par les pharisiens. Il est interrogé » pour être mis à l’épreuve « , et de débat, il n’y en a pas. C’est le combat d’idées qui est premier : c’est à qui gagnera… à qui cultivera le mieux l’opposition. Comparer les deux Évangiles nous montre la sérénité qui préside à la rencontre entre Jésus et le scribe chez saint Marc. Cela ne doit pas nous faire perdre de vue les différents statuts de toute question. Une même question peut chercher à diviser dans un élan de perversité ou à rapprocher dans une recherche de dialogue. En tout état de cause, la réponse de Jésus veut faire avancer dans l’unité sans chercher à tout confondre. Car Dieu est un, mais il n’est pas confusion.
Aller à l’essentiel
La question que pose le scribe est bien celle que se pose tout croyant sérieux : comment respecter la tradition, la loi reçue, tout en s’en remettant à quelque chose de simple qui permet d’aller à l’essentiel ? Un exercice classique stimulait la réflexion des spécialistes de la loi. On demandait aux rabbis les plus distingués à quoi pouvaient se résumer les six cent treize commandements qui étaient recensés dans la Torah. Y aurait-il un commandement qui serait le plus grand de tous, le plus fondamental ? Cette approche des choses complexes est aussi la nôtre. À tous égards, nos sociétés européennes ne sont guère versées dans » l’intégralisme « , ce souci d’observer intégralement quelque réglementation que ce soit. Le discernement entre la lettre et l’esprit anime véritablement le rapport de Jésus à la loi, mais ce n’est pas au mépris du plus petit commandement ou de ce moindre iota qui ne saurait être ôté de la loi. Car là encore, les êtres humains, les citoyens d’un même pays, les croyants d’une même foi, se partageront entre ceux qui se pensent libérés de la lettre et ceux qui ne le seraient pas.
Pour vivre
La question du scribe, chez saint Marc, n’est pas une controverse. Mais elle semble aussi au-delà du simple exercice entre rabbins, même si le fait qu’il la pose à Jésus manifeste la pertinence et l’autorité de celui-ci pour aborder les questions de la loi de Dieu. Chez ce scribe, la question n’est pas non plus une attitude de moindre effort, une sorte de paresse intellectuelle. Car la question semble tout sauf intellectuelle, si l’on peut dire ainsi les choses. S’il recherche un principe cohérent, ce n’est pas par curiosité, mais véritablement pour en vivre. Il cherche ce qui est juste, ce qu’il lui faut privilégier. Ainsi peut-il entrer autrement dans la perspective du prophète Osée : offrandes et sacrifices n’ont pas leur sens en eux-mêmes. L’homme cherche et réfléchit à ce qui est de l’ordre de la pratique. Dans la complexité de l’existence croyante, comment la loi fait-elle vivre et comment vivre la loi ?
Unir
Pour faire œuvre d’unité, Jésus rappelle que tous écoutent la même voix, la même Parole. Tous, différents, sont appelés au même acte d’écoute. Shema, Israël. Le Dieu unique parle. La diversité des croyants peut écouter. Par ailleurs, et ceci est fondamental, Dieu et l’homme sont bien distincts. C’est ainsi que Jésus à qui le scribe a demandé un commandement, en donnera deux. Deux, c’est le vis-à-vis. S’il y a quelque chose d’essentiel, c’est donc dans la relation. Qui plus est, ses deux commandements, Jésus les tire de deux livres. En Dieu, la diversité des messages n’en est pas moins une unique Parole. C’est une manière de lire, que Jésus peut nous inviter à recevoir, à distance d’une attitude intégriste qui empêche d’honorer les différences, ou d’une position libéraliste qui décrédibilise ce qui semble contradictoire. L’amour de Dieu et l’amour du prochain étaient en deux livres différents, le Deutéronome et le Lévitique. Jésus les met en relation. Il unit deux livres, et symboliquement, il unit tout un corpus, notre Bible. Il s’appuie sur la tradition, part de ce qui est ancien et éprouvé pour faire œuvre nouvelle. Or, du point de vue du contenu, cette unité et cette mise en relation sont le fait d’une réalité fondamentale, aimer. Aimer Dieu et aimer le prochain. Ce sont là deux commandements bien distincts, dit Jésus, mais aussi grands l’un que l’autre. Le fanatisme est impossible à qui prend l’amour de Dieu au sérieux, et y répond par l’amour pour Dieu et pour le prochain. Et cela le place tout proche du Royaume de Dieu. Le fanatique ne sort pas de son fantasme : ce règne de l’homme contre l’homme, de l’homme contre Dieu ou de Dieu contre l’homme.
L’amour est promesse
» Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu… » Le ton est à l’espérance, à la patience d’une découverte, à la perspective d’un chemin que l’on n’a pas fini de parcourir. Dieu est un. L’unité de l’homme, elle, est à faire. La relation de l’homme à Dieu et celle de l’homme à son prochain, sont à convertir. Dire que l’amour est un commandement ne peut conduire à distinguer ceux qui sont dans la loi et ceux qui sont hors-la-loi. Le Psaume 118 décline la loi du Seigneur. Ses commandements sont voie (chemin), volonté (désir), promesse, ordre (ordonnancement), parole… Dire que l’amour de Dieu est commandement, c’est d’abord un appel. Lorsque Jésus redit, sur la base de la Torah : » Tu aimeras « , le futur évoque autant une dynamique à laquelle nous sommes appelés, qu’une promesse à recevoir avec sérieux. Le Royaume de Dieu, dont le scribe est déjà proche, sera ce règne de l’amour. Autant parce qu’il s’y engage lui-même que parce qu’il le reçoit de Dieu. C’est encore un acte d’unité qui est posé, ici-même où l’homme opposerait son volontarisme et la grâce de Dieu.
» Personne n’osait plus interroger Jésus » : en effet, il n’y avait plus qu’à faire… Il n’y avait plus qu’à recevoir… Alors, écoute.
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