Archive pour décembre, 2010

Le mystère de Noël * (1ère partie) (Édith Stein)

22 décembre, 2010

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http://www.spiritualite2000.com/page-688.php

MÉDITATION CHRÉTIENNE

Décembre 2002  

Le mystère de Noël * (1ère partie)

Édith Stein

Philosophe et religieuse allemande d’origine juive. Convertie au catholicisme en 1922, elle entre au carmel de Cologne (1933), puis doit fuir au carmel de Echt (Pays-Bas) en 1938. Elle est arrêtée par les nazis en 1942, déportée au camp d’Auschwitz-Birkenau où elle meure gazée. Béatifiée en 1987, canonisée en 1998, elle est proclamée co-patronne de l’Europe en 1999.

L’Avent et Noël

Quand les jours se font courts, quand les premiers flocons d’un véritable hiver se mettent à tomber, timidement, silencieusement montent en nous les premières pensées de Noël. De ce simple mot se dégage un tel charme que nul cœur ne peut lui résister. Même les fidèles d’une autre foi, les incroyants, ceux pour qui l’histoire de l’enfant de Bethléem ne signifie rien, se préparent à la fête et se demandent comment, ce jour-là, faire jaillir autour d’eux une étincelle de joie. C’est, déjà des semaines, des mois à l’avance, comme un chaud courant d’amour qui se répand sur la terre. La fête de l’amour et de la joie — c’est bien cela, l’étoile vers laquelle tous marchent en ce début d’hiver.
Mais pour le chrétien, surtout le chrétien catholique, Noël est encore autre chose. C’est à la crèche que l’étoile le conduit, à l’Enfant qui apporte la paix à la terre. C’est ce que l’art chrétien nous dépeint en tant d’images émouvantes, et que nous chantent de vieilles mélodies, toutes pleines de la magie de l’enfance.
Dans le cœur de celui qui vit avec l’Église, les cloches du Rorate et les chants de l’Avent réveillent une sainte nostalgie ; et celui à qui s’est ouverte l’inépuisable source de la liturgie entend jour après jour le grand prophète de l’Incarnation marteler ses exhortations et ses promesses : Cieux, répandez d’en haut votre rosée, et que les nuées fassent pleuvoir le Juste. Le Seigneur approche ! Adorons-le ! Viens Seigneur, ne tarde pas ! —Jérusalem, crie ta joie car ton Sauveur vient à toi !
Du 17 au 24 décembre, ce sont ensuite les grandes antiennes « 0 » du Magnificat : 0 Sagesse, 0 Adonaï, 0 Fils de la race de Jessé, 0 Clé de la Cité de David, 0 Orient, 0 Roi des Nations qui, avec une ardeur et une ferveur grandissantes, lancent leur appel : Viens pour nous sauver. Et, toujours plus pressante, retentit la promesse : Voyez, tout est accompli, et finalement : Sachez aujourd’hui que le Seigneur vient, et demain vous le verrez dans sa gloire.
Lors de la veillée, quand scintille l’arbre de lumière et que s’échangent les cadeaux, le désir inassouvi d’une autre lumière monte en nous, jusqu’à ce que sonnent les cloches de la messe de minuit et que se renouvelle, sur des autels parés de cierges et de fleurs, le miracle de Noël. Et le Verbe s’est fait chair. Nous voilà parvenus à l’instant bienheureux où notre attente est comblée.

Les fidèles du Fils de Dieu fait homme
Cette joie de Noël, chacun de nous a pu l’éprouver ; mais le ciel et la terre ne se sont pas encore unis. Aujourd’hui encore, l’étoile de Bethléem brille dans une nuit profonde. Déjà au lendemain de Noël, l’Église dépose ses ornements blancs pour revêtir la pourpre du sang et, au quatrième jour, le violet du deuil. Etienne, premier martyr à suivre le Seigneur dans la mort, et les saints Innocents, les nourrissons de Bethléem et de Juda impitoyablement massacrés, font cortège à l’Enfant dans la crèche. Qu’est-ce que cela signifie ? Où donc est l’allégresse des cohortes célestes, où est la tranquille félicité de la nuit sainte ? Où est la paix sur terre ?
Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. Mais tous ne sont pas de bonne volonté. Le Fils du Père éternel dut descendre de la gloire du ciel parce que le mystère du mal avait enveloppé le monde de ténèbres. La nuit couvrait la terre, et il vint comme la Lumière qui brille dans les ténèbres ; mais les ténèbres ne l’ont pas reçu. A ceux qui l’accueillirent, il apporta la lumière et la paix : la paix avec le Père céleste, la paix avec tous ceux qui, comme eux, sont des fils de lumière et des enfants du Père, et la profonde paix du cœur — mais non la paix avec les enfants des ténèbres. A eux, le Prince de la Paix n’apporte pas la paix mais le glaive. Pour eux il est la pierre d’achoppement contre laquelle ils s’élancent et se brisent. C’est là une vérité difficile et grave, que l’image poétique de l’Enfant dans la crèche ne doit pas nous masquer.
Le mystère de l’Incarnation et le mystère du mal sont étroitement liés. Sur la lumière descendue du ciel se détache, d’autant plus sombre et menaçante, la nuit du péché.
L’Enfant de la crèche tend les mains, et son sourire semble déjà exprimer ce que l’Homme dira plus tard : Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui ployez sous le fardeau. Les premiers à suivre son appel sont les pauvres bergers des champs de Bethléem, à qui l’éclat du ciel et la voix de l’ange annoncèrent la bonne nouvelle et qui, disant : Allons à Bethléem, se mirent en marche ; ce sont les rois, venus du lointain Orient, qui, avec la même foi simple, suivirent la merveilleuse étoile. Sur eux les mains de l’Enfant répandirent une rosée de grâces, et ils se réjouirent d’une grande joie.
Ces mains donnent et exigent à la fois : sages, déposez votre sagesse et devenez simples comme des enfants ; rois, donnez vos couronnes et vos trésors et rendez humblement hommage au Roi des rois ; prenez sans hésiter votre part des peines, des souffrances et des fatigues que son service exige. Et vous, enfants, qui n’avez encore rien à offrir, c’est votre tendre vie, avant même qu’elle ait vraiment commencé, que vous prennent les mains de l’Enfant — et à quelle meilleure fin pourrait-elle servir que d’être sacrifiée au Seigneur de la vie ?
Suis-moi, disent les mains de l’Enfant, comme plus tard la bouche de l’Homme. Ainsi a-t-il appelé le disciple que le Seigneur aimait, qui appartient lui aussi à la suite de l’Enfant. Saint Jean partit sans demander où ni pourquoi. Il abandonna la barque de son père et suivit le Seigneur sur tous ses chemins, jusqu’au Golgotha. Suis-moi. Cet appel, le jeune Etienne l’entendit à son tour. Il suivit le Seigneur dans son combat contre les puissances des ténèbres, contre l’aveuglement et le refus obstiné de croire. Il témoigna pour lui par sa parole et par son sang. Il le suivit aussi dans son esprit, l’Esprit d’amour qui combat le péché mais qui aime le pécheur, et qui devant Dieu plaide en faveur du meurtrier jusque dans la mort.
Ces silhouettes agenouillées autour de la crèche sont des figures de pure lumière : les frêles Innocents, les Bergers confiants, les humbles Rois-mages, Etienne, le disciple ardent, et Jean, l’apôtre de l’Amour ; tous ont répondu à l’appel du Seigneur. En face d’eux se dresse la nuit de l’inconcevable endurcissement, de l’aveuglement : celui des docteurs de la Loi, capables de prévoir l’heure et le lieu de la naissance du Sauveur du monde, mais incapables d’agir en conséquence et de dire : Allons à Bethléem, et celui du roi Hérode, qui veut tuer le Seigneur de la vie.
Devant l’Enfant de la crèche, les esprits se divisent. Il est le Roi des rois, celui qui règne sur la vie et la mort. Il dit : Suis-moi, et qui n’est pas pour lui est contre lui. Il le dit aussi pour nous, et nous place devant le choix entre lumière et ténèbres.

Édith Stein (Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix. 1891-1942)

*Conférence prononcée par Edith Stein le 31 janvier 1931 à Ludwigshafen, parue sous le titre « Das Weihnachtsgeheimnis ». Le Mystère de Noël fait pendant à quatre méditations sur la Croix, dont il constitue une véritable introduction et en est le thème dominant.
Edith Stein. La Crèche et la Croix, traduit de l’allemand par Genia Català et Philibert
Secretan, préface de Philibert Secretan, Editions Ad Solem, Genève, 1995.

Le custode de Terre Sainte invite à goûter l’éternelle nouveauté de Noël

22 décembre, 2010

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http://www.zenit.org/article-26472?l=french

Le custode de Terre Sainte invite à goûter l’éternelle nouveauté de Noël

ROME, Mercredi 22 décembre 2010 (ZENIT.org) – Goûter « l’éternelle nouveauté » de Noël et savoir la mettre à profit. C’est l’invitation que Fr. Pierbattista Pizzaballa, OFM, custode de Terre Sainte, lance dans son message de Noël, invitant les fidèles à ne pas rendre vain cet « énième mais toujours nouveau Noël ».
Le salut franciscain « La Paix soit avec vous ! » nous y aide, souligne le custode, « nous accompagnant vers la vérité, nous éloignant de tout ce qui avilit et rend ambiguë la signification de cette fête ».
Noël est « une fête qui semble avoir perdu son sens le plus intime et le plus vrai », explique-t-il, et nous porte donc « à nous interroger sur l’identité qu’a cet Enfant pour nous, à voir Dieu dans un enfant, à croire en un Dieu qui choisit de renfermer sa grandeur dans la petitesse de notre humanité ».
« Cette année encore, comme chaque jour depuis ce temps ancien, pour les hommes de son temps comme pour chacun d’entre nous aujourd’hui », Jésus « attend que nous lui fassions de la place, attend de naître dans notre cœur ».

L’attente
Noël, poursuit le custode, est donc un « engagement de conversion » et « fixe notre attention sur l’attente de Dieu : l’attente infinie que l’humanité Lui trouve une place dans l’histoire quotidienne, dans la vie de tous les jours, dans la solidarité simple que nous a demandée Jésus Lui-même ».
« Que Noël soit pour nous tous cette conversion du regard, cette prise de conscience que le Royaume avance, qu’il est présent, que moi, nous, tous, ensemble, nous pouvons le rendre présent ».
« L’Enfant Jésus nous libère de la peur de demeurer dans le flux quotidien de l’histoire, dans la solitude de celui qui ne sait pas donner aux autres, souligne le père Pizzaballa. Et il nous introduit dans un mouvement choral, où nous nous découvrons portés à l’amour et capables par grâce de porter ce petit bout d’histoire, unique et précieux, que le Seigneur a mis entre nos mains ».
« Répondons à l’attente de Dieu qui s’est fait Enfant afin que nous puissions aller à Lui comme si c’était Lui qui avait besoin de nous. Parce que le cœur de notre attente se trouve dans le fait de savoir que Dieu nous attend, patiemment, depuis longtemps ».

Terre Sainte
Dans son message de Noël, le custode de Terre Sainte souligne « la nécessité de regarder la création, de regarder le monde, de regarder le Moyen-Orient, « notre » Terre Sainte – Terre de Dieu et Terre des Hommes – « d’en haut », avec le regard de Dieu ».
Il demande, à ce propos, de faire nôtres, « avec trépidation et audace, avec humilité et force, avec le courage et la fantaisie du rêve qui devient réalité si nous sommes nombreux à rêver », les paroles de Benoît XVI à l’inauguration du Synode des Evêques du Moyen-Orient : « Regarder cette partie du monde dans la perspective de Dieu signifie reconnaître en elle le berceau d’un dessein universel de salut dans l’amour, un mystère de communion qui se réalise dans la liberté et demande par conséquent aux hommes une réponse ».
« A chacun la responsabilité d’accepter la proposition de Celui qui nous fait exister et renouvelle chaque jour en nous la soif d’être heureux », écrit encore le père Pizzaballa.
« Accueillis par son attente, renouvelés par son pardon et par sa grâce, hommes de la miséricorde et de la réconciliation, de la liberté et de la justice, nous serons alors capables d’écouter – parmi le bruit de notre réalité confuse – l’annonce des Anges : ‘Gloire à Dieu au plus haut des Cieux et paix sur la terre aux hommes qu’Il aime’ », conclut-il.

Marie Vierge enfanté

21 décembre, 2010

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http://cms.provincia.terni.it/on-line/Home/Areetematiche/Cultura/Storiediluoghitracced146incanto/IluoghidellApocalisse/ColeicheintercedeMariagravida.html

Maxime de Turin : Les beaux vêtements de Noël

21 décembre, 2010

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Maxime de Turin : Les beaux vêtements de Noël

Maxime († entre 408 et 423) a assumé la charge pastorale de Turin. Il considère la prédication comme une médecine capable de guérir les plaies de l’âme et de la conduire à la conversion. Le présent extrait de sa première homélie sur la Nativité du Seigneur illustre cette profonde conviction.

es frères, préparons-nous à accueillir le jour de la naissance du Seigneur en nous parant de vêtements éclatants de blancheur. Je parle de ceux qui habillent l’âme, non le corps. Le vêtement de la chair est une vile tunique. Mais c’est le corps, objet précieux, qui habille l’âme. Le vêtement de la première est tissé par des mains humaines, celui de la seconde est l’œuvre de Dieu. C’est pourquoi il faut veiller avec bien plus de sollicitude à préserver de toute tache l’œuvre de Dieu qu’à garder immaculés les tissus des hommes.

Si notre vêtement corporel est taché, un dégraisseur peut, moyennant finances, le remettre en état. Mais s’il s’agit du vêtement de notre âme, fut-il taché d’une seule souillure, il n’est blanchi que laborieusement et à force de soins appropriés. La main de l’artisan ne lui est alors d’aucun secours pas plus que le travail du foulon. L’eau n’a aucun pouvoir de purifier la conscience ; une fois souillée, elle ne parvient pas à la purifier.


Nativité  Bnf, ms. arménien 333, fol. 2v.

Troisième prédication de l’Avent, par le P. Raniero Cantalamessa: « TOUJOURS PRÊTS À RENDRE RAISON DE L’ESPRIT QUI EST EN NOUS »

21 décembre, 2010

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Troisième prédication de l’Avent, par le P. Raniero Cantalamessa

En présence du pape Benoît XVI et de la curie romaine

 ROME, Dimanche 19 décembre 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la troisième prédication de l’Avent prononcée vendredi 17 décembre par le P. Raniero Cantalamessa O.F.M. Cap., prédicateur de la Maison pontificale, en présence du pape Benoît XVI et de la curie romaine, dans la chapelle Redemptoris Mater, au Vatican.

P. Raniero Cantalamessa, ofmcap.

Troisième prédication de l’Avent

« TOUJOURS PRÊTS À RENDRE RAISON DE L’ESPRIT QUI EST EN NOUS »

(1 P 3,15)

La réponse chrétienne au rationalisme

1. La raison usurpatrice
Le troisième obstacle qui rend une si grande partie de la culture moderne « réfractaire » à l’Evangile, est le rationalisme. Nous l’aborderons dans cette dernière méditation de l’Avent.
Le cardinal, aujourd’hui bienheureux, John Henry Newman nous a laissé un discours mémorable, prononcé le 11 décembre 1831, à l’université d’Oxford, intitulé « Les usurpations de la raison », l’usurpation, ou la prévarication, de la raison. Ce titre contient déjà en soi la définition de ce qu’on entend par rationalisme1. Dans une note en commentaire de ce discours, écrite dans la préface à sa troisième édition de 1871, l’auteur explique ce qu’il entend par cette expression. Par usurpation de la raison – dit-il – on entend un « certain abus populaire de cette faculté, c’est-à-dire quand elle s’occupe de religion, sans une connaissance intime et adéquate du sujet, ou sans utiliser les principes premiers qui lui sont propres. Cette prétendue ‘raison’ est appelée dans l’Ecriture ‘la sagesse du monde’ ; autrement dit, le raisonnement sur la religion fondé sur des maximes séculières, qui lui sont intrinsèquement étrangères »2.
Dans un autre de ses Sermons universitaires, « Comparaison entre foi et raison », Newman illustre pourquoi la raison ne peut être l’ultime juge en matière de religion et de foi, en utilisant l’analogie avec la conscience.
« Personne ne dira que la conscience est opposée à la raison, ni que ses injonctions ne peuvent être faites sous forme d’argumentation ; toutefois, qui voudra à partir de là prétendre que la conscience n’est pas un principe originel, mais que pour agir elle doit dépendre de processus préalables de la Raison ? La Raison analyse les fondements et les motifs de l’action, mais elle ne constitue pas le motif en soi. De même que la conscience est un simple élément de notre nature, mais que ses opérations admettent d’être contrôlées et scrutées par la Raison, de même la foi peut être connaissable et ses actes peuvent être justifiés par la Raison, sans pour autant en dépendre vraiment [...].Quand on dit que l’Evangile exige une foi rationnelle, on veut simplement dire que la Foi est conforme à la Raison dans l’abstrait, non qu’elle en émane en réalité »3.
Une seconde comparaison, cette fois avec l’art. « Le critique d’art – écrit-il – évalue ce qu’il n’est pas capable lui-même de créer ; de même la raison peut donner son approbation à l’acte de foi, sans pour autant être la source d’où émane la foi »4.
L’analyse de Newman est à certains égards nouvelle et originale ; elle met en lumière la tendance, en quelque sorte impérialiste, de la raison à soumettre tous les aspects de la réalité à ses propres principes. Mais on peut considérer le rationalisme également d’un autre point de vue, étroitement lié au précédent. Pour rester dans la métaphore politique employée par Newman, on pourrait le définir comme l’attitude d’isolationnisme, d’enfermement sur soi de la raison. Celle-ci ne consiste pas tant à envahir les autres domaines, qu’à refuser d’admettre l’existence d’un autre domaine en dehors du sien. Autrement dit, dans le refus qu’il puisse exister une quelconque vérité en dehors de celle qui passe par la raison humaine.
Sous cet aspect, il rationalisme n’est pas né avec les Lumières, même si ce mouvement lui a imprimé une accélération dont les effets se font sentir encore. Il s’agit d’une tendance à laquelle la foi s’est heurtée depuis toujours. Non seulement la foi chrétienne, mais aussi la foi juive et islamique, du moins au Moyen-Age, ont connu ce défi.
Contre cette prétention d’absolutisme de la raison, à toutes les époques s’est élevée la voix non seulement d’hommes de foi, mais aussi de défenseurs actifs de la raison, philosophes et scientifiques. « La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la dépassent »5. A l’instant même où la raison reconnaît ses limites, elle les franchit et les dépasse. C’est par la raison que se produit cette reconnaissance, qui constitue donc un acte délicieusement rationnel. Elle est, littéralement, une « sage ignorance »6. Qui ignore « en connaissance de cause », qui sait qu’elle ignore.
On doit donc dire que celui qui ne reconnait pas cette capacité à se dépasser pose une limite à la raison et l’humilie. « Jusqu’ici – a écrit Kierkegaard – on a toujours parlé de la sorte : ‘Dire qu’on ne peut pas comprendre telle ou telle chose ne satisfait pas la science qui veut comprendre’. Là est l’erreur. On doit dire justement le contraire : si la science ne veut pas reconnaître qu’il y a quelque chose qu’elle ne peut pas comprendre, ou – de façon plus précise encore – quelque chose dont clairement elle peut comprendre qu’elle ne peut pas comprendre’, alors c’est le monde à l’envers. Il appartient donc à la connaissance humaine de comprendre qu’il y a une infinité de choses, et lesquelles, qu’elle ne peut pas comprendre »7.

2. Foi et sens du Sacré
Il faut s’attendre à ce que ce type de contestation réciproque entre foi et raison continue dans le futur. Inévitablement, chaque époque refera le chemin pour son propre compte, mais les rationalistes ne convertiront pas avec leurs arguments les croyants, ni les croyants les rationalistes. Il faut trouver une voie pour briser ce cercle et libérer la foi de cet asservissement. Dans tout ce débat entre raison et foi, c’est la raison qui impose son choix et contraint la foi, en quelque sorte, à jouer hors de son domaine et sur la défensive.
Le cardinal Newman en avait bien conscience, lui qui dans un autre de ses discours universitaires met en garde contre le risque d’une mondanisation de la foi dans son désir de courir derrière la raison. Il déclare comprendre, même s’il ne peut l’accepter fondamentalement, les arguments de ceux qui sont tentés de décrocher complètement la foi de l’étude rationnelle, quand « des antagonismes et des divisions sont suscitées par les argumentations et les controverses, l’orgueilleuse confiance en soi qui est favorisée par la force du pouvoir de raisonnement, le laxisme de l’opinion qui accompagne souvent l’étude des preuves, la froideur, le formalisme, l’esprit séculier et matérialiste  ; et quand, d’un autre côté, ils se remémorent que l’Ecriture parle de la religion comme d’une vie divine, enracinée dans les affections et qui se manifeste par des grâces spirituelles »8.
Dans toutes les interventions de Newman sur le rapport entre raison et foi, qui ne faisait alors pas moins l’objet de débats qu’aujourd’hui, on trouve cette mise en garde : on ne peut pas combattre le rationalisme par un autre rationalisme, même de marque contraire. Il faut donc trouver une autre voie qui ne cherche pas à remplacer celle de la défense rationnelle de la foi, mais du moins s’en rapproche, ne serait-ce que parce que les destinataires de l’annonce chrétienne ne sont pas seulement des intellectuels, capables de s’impliquer dans ce type de confrontation, mais également la masse des gens que celle-ci indiffère et qui se montrent plus sensibles à d’autres arguments.
Pascal proposait la voie du cœur : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connait point »9 ; les romantiques (par exemple Schleiermacher), celle du sentiment. Il nous reste, je pense, une voie à fouiller : celle de l’expérience et du témoignage. Je ne veux pas parler ici de l’expérience personnelle, subjective, de la foi, mais d’une expérience universelle et objective que nous puissions faire valoir vis-à-vis des personnes encore étrangères à la foi. Cette dernière ne nous conduit pas à la plénitude de la foi, celle qui sauve : la foi en Jésus-Christ mort et ressuscité, mais elle peut nous aider à créer les conditions préalables pour y parvenir, qui sont l’ouverture au mystère, la perception de quelque chose qui surpasse le monde et la raison.
L’apport le plus remarquable de la phénoménologie moderne de la religion à la foi, surtout dans la forme que celle-ci revêt dans l’ouvrage classique de Rudolph Otto « Le Sacré »10, est d’avoir montré que l’affirmation traditionnelle, à savoir qu’il y a quelque chose que la raison n’explique pas, n’est pas un postulat théorique ou de foi, mais une donnée primordiale.
Il existe un sentiment qui accompagne l’humanité depuis ses débuts et qui est présent dans toutes les religions et les cultures : l’auteur la dénomme le sentiment du numineux. Il s’agit d’un concept fondamental, irréductible à tout autre sentiment ou expérience humaine ; il fait frissonner l’homme quand, dans une circonstance extérieure ou intérieure, il se trouve face à la révélation du mystère à la fois « terrifiant et fascinant » du surnaturel.
Otto désigne l’objet de cette expérience par l’adjectif « irrationnel », ou non rationnel, (l’ouvrage porte en sous-titre « L’Élément non rationnel dans l’idée de divin et sa relation avec le rationnel ») ; mais toute l’œuvre démontre que le sens qu’il confère au terme « irrationnel » n’est pas celui de « contraire à la raison », mais de « hors de la religion », de non traduisible en termes rationnels. Le numineux se manifeste à des degrés divers de pureté : du stade le plus brut qui est la réaction inquiétante suscitée par les histoires d’esprits et de spectres, au stade le plus pur qui est la manifestation de la sainteté de Dieu – le Qadosh biblique -, comme dans la célèbre scène de la vocation d’Isaïe (Is 6, 1 ss).
S’il en est ainsi, la ré-évangélisation du monde sécularisé passe aussi par une récupération du sens du sacré. Le terrain de culture du rationalisme – sa cause et en même temps son effet – est la perte du sens du sacré, il faut donc que l’Eglise aide les hommes à remonter la pente et à redécouvrir la présence et la beauté du sacré dans le monde. L’effrayante pénurie du Sacré, a dit Charles Péguy, est la marque profonde du monde moderne. On le note dans tous les aspects de la vie, mais plus particulièrement dans l’art, dans la littérature et dans le langage de tous les jours. Pour de nombreux auteurs, être défini « désacralisant » n’est plus une offense, mais un compliment.
La Bible est accusée parfois d’avoir « désacralisé » le monde en ayant chassé nymphes et divinités des montagnes, des mers et des forêts, et d’en avoir fait de simples créatures au service de l’homme. C’est vrai, mais c’est justement en les dépouillant de cette fausse prétention d’être eux-mêmes des divinités, que l’Ecriture les a restitués à leur nature authentique de « signe » du divin. C’est l’idolâtrie des créatures que la Bible combat, non leur sacralité.
Ainsi « sécularisé », le créé a encore plus le pouvoir de provoquer l’expérience du numineux et du divin. A mon sens, la célèbre déclaration de Kant, représentant le plus illustre du rationalisme philosophique, porte la marque de ce genre d’expérience :
« Deux choses remplissent le cœur d’une admiration et d’une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes, à mesure que la réflexion s’y attache et s’y applique : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi. [...].La première commence à la place que j’occupe dans le monde extérieur des sens, et étend la connexion où je me trouve à l’espace immense, avec des mondes au-delà des mondes et des systèmes de systèmes, et, en outre, aux temps illimités de leur mouvement périodique, de leur commencement et de leur durée. »11.
Un scientifique toujours en vie, Francis Collins, nommé depuis peu à l’académie pontificale, dans son livre « The Language of God » (Le langage de Dieu), décrit ainsi le moment de son retour à la foi : « Par une belle journée d’automne, alors que je faisais une randonnée dans les ‘Cascade Mountains’ – ma première excursion à l’ouest du Mississippi – la majesté et la beauté de la création de Dieu ont fait céder ma résistance. Je savais que ma recherche était terminée. Le lendemain matin, je me suis agenouillé dans l’herbe recouverte de rosée au lever du soleil et je me suis abandonné entre les mains de Jésus Christ »12.
Les merveilleuses découvertes mêmes de la science et de la technique, plutôt que de porter au désenchantement, peuvent devenir des occasions d’émerveillement et d’expérience du divin. Le même Francis Collins, qui fut à la tête de l’équipe qui conduisit à cette découverte, a déclaré que, grâce à cette foi retrouvée, le moment de la découverte du génome humain fut, à la fois «  une expérience d’exaltation scientifique et d’adoration religieuse ». Parmi les merveilles de la création, rien n’est plus merveilleux que l’homme et, dans l’homme, son intelligence créée par Dieu.
La science désespère désormais d’atteindre une limite extrême dans l’exploration de l’infiniment grand qu’est l’univers et dans l’exploration de l’infiniment petit que sont les particules subatomiques. Certains font de ces « disproportions » un argument en faveur de l’inexistence d’un Créateur et de l’insignifiance de l’homme. Pour le croyant, elles sont le signe par excellence, non seulement de l’existence, mais aussi des attributs de Dieu : l’immensité de l’univers est signe de son infinie grandeur et transcendance, la petitesse de l’atome, de son immanence et de l’humilité de son incarnation, qui l’a conduit à se faire petit enfant dans le sein d’une mère et minuscule morceau de pain dans les mains du prêtre.
De même, dans la vie humaine de tous les jours, les occasions ne manquent pas de pouvoir faire l’expérience d’une  »autre » dimension : tomber amoureux, la naissance du premier enfant, une grande joie. Il faut aider les personnes à ouvrir les yeux et à retrouver la faculté de s’étonner. Selon un dicton attribué à Jésus en dehors des évangiles, « Celui qui s’étonne, règnera »13. Dans son roman « Les frères Karamazov », Dostoïevski rapporte les paroles que le starets Zosime, toujours officier de l’armée, adresse aux personnes présentes au moment où, foudroyé par la grâce, il renonce à se battre en duel avec son adversaire : « Messieurs, regardez les œuvres de Dieu : le ciel est clair, l’air pur, l’herbe tendre, les oiseaux chantent dans la nature magnifique et innocente ; seuls, nous autres, impies et stupides ne comprenons pas que la vie est un paradis, nous n’aurions qu’à vouloir le comprendre pour le voir apparaître dans toute sa beauté, et nous nous étreindrions alors en pleurant »14. Voici un sens authentique de la sacralité du monde et de la vie !

3. Besoin de témoignages
Quand l’expérience du sacré et du divin vous tombe dessus à l’improviste, de façon inattendue, qu’elle est accueillie et cultivée, elle devient une expérience subjective vécue. On a ainsi les « témoins » de Dieu que sont les saints et, d’une façon toute particulière, une catégorie d’entre eux, les mystiques.
Les mystiques, selon une célèbre définition de Denys l’Aréopagite, sont ceux qui ont « souffert Dieu »15, c’est-à-dire qui ont expérimenté et vécu le divin. Ils sont, pour le reste de l’humanité, comme les explorateurs qui entrèrent les premiers, en cachette, dans la Terre promise et revinrent sur leurs pas pour raconter ce qu’ils avaient vu – « une terre ruisselante de lait et de miel » -, exhortant tout le peuple à traverser le Jourdain (Nb 14,6-9). C’est par eux que parviennent jusqu’à nous, dans cette vie, les premières lueurs de la vie éternelle.
Quand on lit leurs écrits, comme elles nous apparaissent lointaines et même naïves les plus subtiles argumentations des athées et des rationalistes ! Vis-à-vis de ces derniers, surgit en nous un sentiment d’étonnement et même de peine, comme devant quelqu’un qui parle de choses que manifestement il ne connait pas. Comme celui qui croit découvrir des erreurs continuelles de grammaire chez un interlocuteur, sans se rendre compte que celui-ci est tout simplement en train de parler une langue que, lui, ne connait pas. Mais on ne perçoit aucune envie de commencer à les réfuter, tant même les paroles dites pour la défense de Dieu apparaissent, à ce moment-là, vides et hors de propos.
Les mystiques sont, par excellence, ceux qui ont découvert que Dieu « existe » ; ou plutôt, que Lui seul existe vraiment et qu’Il est infiniment plus réel que ce qu’ils ont coutume de nommer réalité. C’est précisément lors d’une de ces rencontres qu’une disciple du philosophe Husserl, juive et athée convaincue, découvrit une nuit le Dieu vivant. Je veux parler d’Edith Stein, aujourd’hui sainte Thérèse Bénédicte de la Croix. Elle était l’hôte d’amis chrétiens et un soir où ils avaient dû s’absenter, restée seule à la maison et ne sachant que faire, elle choisit au hasard un livre sur un rayon de la bibliothèque et se mit à lire. C’était une autobiographie de sainte Thérèse d’Avila. Elle prolongea sa lecture toute la nuit. Parvenue à la fin, elle s’exclama simplement : « Ceci est la vérité ! ». Au petit jour, elle alla en ville acheter un catéchisme catholique et un bréviaire et, après les avoir étudiés, elle se rendit dans une église proche et demanda le baptême au prêtre.
J’ai fait, moi aussi, une petite expérience du pouvoir qu’ont les mystiques à vous faire toucher du doigt le surnaturel. C’était l’année où on discutait beaucoup sur le livre d’un théologien intitulé « Dieu existe-t-il ? » (« Existiert Gott ? ») ; mais, parvenus à la fin de la lecture, bien peu étaient prêts à changer le point d’interrogation par un point d’exclamation. En me rendant à un congrès j’ai pris avec moi le livre des écrits de la Bienheureuse Angela da Foligno que je ne connaissais pas encore. J’en restai littéralement ébloui ; je l’ai emporté aux conférences, je le rouvrais à tout moment et, pour finir, je l’ai refermé, en me disant : « Si Dieu existe ? Non seulement il existe, mais il est réellement un feu dévorant ! »
Une certaine mode littéraire a, hélas, réussi à neutraliser jusqu’à la « preuve » vivante de l’existence de Dieu que sont les mystiques. Pour cela, elle a employé une méthode très curieuse : en n’en réduisant pas le nombre, mais en l’augmentant, en ne restreignant pas le phénomène, mais en le dilatant démesurément. Je veux parler de ceux qui, passant en revue les mystiques, dans des anthologies de leurs écrits, ou dans une histoire de la mystique, les placent côte à côte, comme relevant d’un même genre de phénomènes  : saint Jean de la Croix et Nostradamus, saints et personnages excentriques, mystique chrétienne et Kabbale médiévale, hermétisme, théosophisme, formes de panthéisme et même l’alchimie. Les véritables mystiques sont autre chose et l’Eglise a raison de se montrer aussi rigoureuse dans son jugement sur eux.
Le théologien Karl Rahner, reprenant, semble-t-il, une phrase de Raimondo Pannikar, a affirmé : « Le chrétien de demain sera un mystique, ou ne sera pas ». Il voulait dire par là que, dans le futur, ce qui maintiendra vivante la foi sera le témoignage de personnes ayant une profonde expérience de Dieu, plus que la démonstration de sa plausibilité rationnelle. Paul VI, fondamentalement, ne disait pas autre chose quand il affirmait dans Evangelii nuntiandi (nr.41) : «  L’homme moderne écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, ou s’il écoute les maîtres, il le fait parce que ce sont des témoins ».
Quand l’apôtre Pierre recommandait aux chrétiens d’être prêts à « donner raison de l’espérance qui est en eux » (1 P 3,15), assurément, d’après le contexte, il ne voulait pas parler des raisons spéculatives ou dialectiques, mais des raisons pratiques, autrement dit de leur expérience du Christ, associée au témoignage apostolique qui la garantissait. Dans un commentaire de ce texte, le cardinal Newman parle de « raisons implicites », qui sont, pour le croyant, plus intimement convaincantes que les raisons explicites ou argumentatives16.

4. Un sursaut de foi à Noël
Nous arrivons ainsi à la conclusion pratique, qui est ce qui nous intéresse le plus dans une méditation comme celle-ci. Il n’y a pas que les non croyants et les rationalistes qui ont besoin d’irruptions spontanées du surnaturel dans leur vie, pour découvrir la foi ; nous en avons besoin nous aussi, les croyants, pour raviver notre foi. Le risque majeur que courent les personnes religieuses est celui de réduire la foi à une séquence de rites et de formules, répétées peut-être de manière scrupuleuse, mais mécanique et sans une participation profonde de tout leur être. « Ce peuple est près de moi en paroles et me glorifie de ses lèvres, mais son coeur est loin de moi et sa crainte n’est qu’un commandement humain, une leçon apprise » (cf. Is 29, 13).
Noël peut être une occasion privilégiée pour avoir ce sursaut de foi. C’est la suprême « théophanie » de Dieu, la plus haute « manifestation du Sacré ». Le phénomène de la sécularisation est malheureusement en train de dépouiller cette fête de son caractère de « grand mystère » – c’est-à-dire qui conduit à la crainte et à l’adoration – pour le réduire à son seul aspect de « mystère fascinant ». Fascinant, qui plus est, au sens uniquement naturel, et non surnaturel : une fête des valeurs familiales, de l’hiver, de l’arbre, des rennes et du Père Noël. Dans certains pays on essaie même de remplacer le nom de Noël par « fête de la lumière ». Il y a peu d’occasions où la sécularisation est aussi visible qu’à Noël. Pour moi, le caractère « numineux » de Noël est lié à un souvenir. J’assistais un jour à la Messe de minuit présidée par Jean-Paul II à Saint-Pierre. Vint le moment du chant de Calendes, c’est-à-dire la proclamation solennelle de la naissance du Sauveur, présent dans l’antique Martyrologe et réintroduit dans la liturgie de Noël après Vatican II :

« Plusieurs siècles après la création du monde…
Treize siècles après la sortie d’Egypte…
En l’an 752 de la fondation de Rome…
En la quarante-deuxième année de l’empire de César Auguste,

Le Christ Jésus, Dieu éternel et Fils du Père éternel, ayant été conçu par l’œuvre du Saint Esprit, naît, neuf mois plus tard, à Bethléem de Judée de la Vierge Marie, fait homme  ».
A ces derniers mots, j’éprouvai ce que l’on appelle « l’onction de la foi » : une soudaine clarté intérieure, qui – je me souviens – me faisait penser au fond de moi-même : « C’est vrai ! Tout ce qui a été chanté est vrai ! Ce ne sont pas seulement des mots. L’éternel entre dans le temps. Le dernier événement de la série a rompu la série ; il a créé un « avant » et un « après » irréversible ; ce qui s’était accompli dans le temps et qui avant se produisait en relation avec différents événements (telles olympiades, le règne d’un tel), se produit désormais en relation avec un événement unique ». L’émotion me saisit soudain tout entier et je fus incapable de dire autre chose que : « Merci, Très Sainte Trinité, et merci aussi à toi, Sainte Mère de Dieu ! ».
Trouver des espaces de silence aide beaucoup pour faire de Noël l’occasion d’un sursaut de foi. La liturgie enveloppe la naissance de Jésus dans le silence : « Dum medium silentium tenerent omnia », alors qu’autour, tout était silencieux. « Stille Nacht », nuit de silence : c’est ainsi qu’est appelé Noël dans le chant de Noël le plus diffusé et le plus apprécié. A Noël nous devrions faire comme si l’invitation du Psaume nous était adressée à nous personnellement : « Arrêtez, sachez que je suis Dieu » (cf. Ps 46, 10).
La Mère de Dieu est le modèle parfait de ce silence de Noël : « Quant à Marie, elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son coeur » (Lc 2, 19). Le silence de Marie à Noël est plus que le simple fait de ne pas parler ; c’est un émerveillement, une adoration ; c’est un « silence religieux », être submergé par la réalité. L’interprétation la plus exacte du silence de Marie est celle des antiques icônes byzantines où la Mère de Dieu nous apparaît immobile, le regard fixe, les yeux grand ouverts, comme celui qui a vu des choses qu’on ne peut exprimer avec des mots. Marie a été la première à élever vers Dieu ce que saint Grégoire de Naziance appelle un « hymne de silence »17.
Celui qui vit vraiment Noël, c’est celui qui est capable, aujourd’hui, plusieurs siècles après, de faire ce qu’il aurait fait s’il avait été présent ce jour-là. Celui qui fait ce que Marie nous a enseigné : qui s’agenouille, adore et se tait !

Traduit de l’italien par Zenit
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1 J.H. Newman, Oxford University Sermons, London 1900, pp.54-74 ; trad. Ital. di L. Chitarin, Bologna, Edizioni Studio Domenicano, 2004, pp. 465-481.
2 Ib.p. XV (trad. ital. Cit. p.726).
3 Ib., p. 183 (trad. ital. Cit. p.575).
4 Ibidem.
5 B.Pascal, Pensieri 267 Br.
6 S. Augustino, Epist. 130,28 (PL 33, 505).
7 S. Kierkegaard, JournalVIII A 11.
8 Newman, op. cit., p. 262 (trad. ital. cit., p. 640 s).
9 B. Pascal, Pensées, n.146 (ed. Br. N. 277).
10 R. Otto, Das Heilige. Über das Irrationale in der Idee des Göttlichen und seine Verhältnis zum Rationalem, 1917. ( Trad. ital. di E. Bonaiuti, Il Sacro, Milano, Feltrinelli 1966).
11 I. Kant, Critica della ragion pratica, Laterza, Bari, 1974, p. 197.
12 F. Collins, The Language of God. A Scientist Presents Evidence for Belief, Free Press 2006, pp. 219 e 255.
13 In Clemente Alessandrino, Stromati, 2, 9).
14 F. Dostoïeski, Les frères Karamazov
15 Dionigi Areopagita, Nomi divini II,9 (PG 3, 648) (« pati divina »).
16 Cf. Newman, « Implicit and Explicit Reason », in University Sermons, XIII, cit., pp. 251-277
17 S. Gregorio Nazianzeno, Carmi, XXIX (PG 37, 507).

Férie de l’Avent : semaine avant Noël (21 déc.) : Lc 1,39-45: « Le Puissant fit pour moi des merveilles » (Lc 1,49)

21 décembre, 2010

du site:

http://www.levangileauquotidien.org/main.php?language=FR&module=commentary&localdate=20101221

Férie de l’Avent : semaine avant Noël (21 déc.) : Lc 1,39-45

Commentaire du jour

Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus (1873-1897), carmélite, docteur de l’Église
Poésie « Pourquoi je t’aime, ô Marie », strophes 4-7 (OC, Cerf DDB 1992, p. 751)

« Le Puissant fit pour moi des merveilles » (Lc 1,49)

Oh ! Je t’aime, Marie, te disant la servante
Du Dieu que tu ravis par ton humilité (Lc 1,38)
Cette vertu cachée te rend toute-puissante
Elle attire en ton cœur la Sainte Trinité
Alors l’Esprit d’Amour te couvrant de son ombre (Lc 1,35)
Le Fils égal au Père en toi s’est incarné
De ses frères pécheurs bien grand sera le nombre
Puisqu’on doit l’appeler : Jésus, ton premier-né ! (Lc 2,7)

O Mère bien-aimée, malgré ma petitesse
Comme toi je possède en moi le Tout-Puissant
Mais je ne tremble pas en voyant ma faiblesse :
Le trésor de la mère appartient à l’enfant
Et je suis ton enfant, ô ma Mère chérie.
Tes vertus, ton amour, ne sont-ils pas à moi ?
Aussi lorsqu’en mon cœur descend la blanche hostie
Jésus, ton Doux Agneau, croit reposer en toi !

Tu me le fais sentir, ce n’est pas impossible
De marcher sur tes pas, ô Reine des élus.
L’étroit chemin du Ciel, tu l’as rendu visible
En pratiquant toujours les plus humbles vertus.
Auprès de toi, Marie, j’aime à rester petite,
Des grandeurs d’ici-bas je vois la vanité,
Chez sainte Élisabeth, recevant ta visite,
J’apprends à pratiquer l’ardente charité.

Là j’écoute ravie, douce Reine des anges,
Le cantique sacré qui jaillit de ton cœur (Lc 1,46s)
Tu m’apprends à chanter les divines louanges
A me glorifier en Jésus mon Sauveur.
Tes paroles d’amour sont de mystiques roses
Qui doivent embaumer les siècles à venir.
En toi le Tout-Puissant a fait de grandes choses
Je veux les méditer, afin de l’en bénir.

Rm 8,37

20 décembre, 2010

Rm 8,37 dans image belle wall003
http://www.siguiendosuspisadas.com.ar/tapices.htm

Deuxième prédication de l’Avent, par le P. Raniero Cantalamessa

20 décembre, 2010

du site:

http://www.zenit.org/article-26365?l=french

Deuxième prédication de l’Avent, par le P. Raniero Cantalamessa

En présence du pape Benoît XVI et de la curie romaine

ROME, Dimanche 12 décembre 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la deuxième prédication de l’Avent prononcée vendredi 10 décembre par le P. Raniero Cantalamessa O.F.M. Cap., prédicateur de la Maison pontificale, en présence du pape Benoît XVI et de la curie romaine, dans la chapelle Redemptoris Mater, au Vatican.

P. Raniero Cantalamessa, ofmcap.

Deuxième prédication de l’Avent

« NOUS VOUS ANNONÇONS CETTE VIE ETERNELLE » (1 Jn 1,2)

La réponse chrétienne au sécularisme

1. Sécularisation et sécularisme

Dans cette méditation nous réfléchirons sur le deuxième écueil auquel se heurte l’évangélisation dans le monde moderne occidental : la sécularisation. Dans le Motu proprio par lequel le pape a institué le Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, il est dit que celui-ci « est au service des Eglises particulières, en particulier dans les territoires de tradition chrétienne où se manifeste avec une plus grande évidence le phénomène de la sécularisation ».
La sécularisation est un phénomène complexe et ambivalent. Elle peut indiquer l’autonomie des réalités terrestres et la séparation entre le règne de Dieu et le règne de César et, dans ce sens, loin d’être contraire à l’Evangile, elle trouve en celui-ci une de ses racines profondes ; mais elle peut désigner aussi tout un ensemble d’attitudes contraires à la religion et à la foi et, dans ce cas, le terme de sécularisme est préférable. Le sécularisme est à la sécularisation ce que le scientisme est à la scientificité et le rationalisme à la rationalité.
En examinant les obstacles et les défis que la foi rencontre dans le monde moderne, nous nous réfèrerons exclusivement à l’acception négative de la sécularisation. Mais même délimitée ainsi, la sécularisation présente de nombreuses facettes selon les domaines dans lesquels elle se manifeste : la théologie, la science, l’éthique, l’herméneutique biblique, la culture en général, la vie quotidienne. Dans la présente méditation, je prends le terme dans son sens premier. Sécularisation, comme sécularisme, viennent en effet du mot « saeculum » qui, dans le langage courant, a fini par signifier le temps présent (« l’éon actuel », selon la Bible), en opposition à l’éternité (l’éon futur, ou « siècles des siècles », de la Bible). Dans ce sens, sécularisme est synonyme de temporalisme, de réduction du réel à la seule dimension terrestre.
Le rétrécissement de l’horizon de l’éternité, ou de la vie éternelle, produit sur la foi chrétienne l’effet du sable que l’on jette sur une flamme : il l’étouffe, l’éteint. La foi en la vie éternelle constitue une des conditions de possibilités d’évangélisation. « Si c’est pour cette vie seulement – s’exclame Paul – que nous avons mis notre espoir dans le Christ, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes  » (1 Co 15,19).

2. Ascension et déclin de l’idée d’éternité
Rappelons à grands traits l’histoire de la croyance en une vie après la mort ; elle nous aidera à mesurer la nouveauté introduite par l’Evangile dans ce domaine. Dans la religion juive de l’Ancien Testament, cette croyance s’affirme tardivement. Ce n’est qu’après l’exil, devant la faillite des attentes temporelles, que se fait jour l’idée de la résurrection de la chair et d’une récompense supraterrestre des justes et, mais tous ne partageaient pas cette croyance (les Sadducéens par exemple).
Ainsi se trouve démentie de manière éclatante la thèse de ceux (Feuerbach, Marx, Freud) qui expliquent la croyance en Dieu par le désir d’une récompense éternelle, une sorte de projection dans l’au-delà des attentes terrestres déçues. Israël a cru en Dieu, bien des siècles avant de croire en une récompense éternelle dans l’au-delà ! Ce n’est donc pas le désir d’une récompense éternelle qui a produit la foi en Dieu, mais c’est la foi en Dieu qui a produit la croyance dans une récompense supraterrestre.
La pleine révélation de la vie éternelle est achevée, dans le monde biblique, avec la venue du Christ. Jésus ne fonde pas la certitude de la vie éternelle sur la nature de l’homme, l’immortalité de l’âme, mais sur la « puissance de Dieu », qui n’est pas un « Dieu de morts, mais de vivants » (Lc 20,27-38). Après la Pâque, à ce fondement théologique, les apôtres ajouteront celui christologique : la résurrection du Christ d’entre les morts. C’est sur celle-ci que l’Apôtre fonde la foi en la résurrection de la chair et en la vie éternelle : « Si l’on prêche que le Christ est ressuscité des morts, comment certains parmi vous peuvent-ils dire qu’il n’y a pas de résurrection des morts ?…Mais non ; le Christ est ressuscité d’entre les morts, prémices de ceux qui se sont endormis » (1 Co 15, 12.20).
De même dans le monde gréco-romain, on assiste à une évolution dans la conception de l’au-delà. L’idée plus ancienne est que la vie véritable s’achève avec la mort ; après cette vie, il n’y a plus qu’une apparence de vie, dans un monde d’ombres. Une nouveauté est introduite avec l’apparition de la religion orphico-pythagorique. Selon celle-ci, le véritable moi de l’homme est l’âme qui, libérée de la prison (sema) du corps (soma), peut enfin vivre sa vraie vie. Platon va conférer à cette découverte une dignité philosophique, en la fondant sur la nature spirituelle, donc immortelle, de l’âme1.
Cette croyance restera, toutefois, largement minoritaire, réservée aux initiés aux mystères et aux disciples d’écoles philosophiques particulières. Auprès des masses persistera l’ancienne conviction que la vraie vie finit avec la mort. On connait les paroles que l’empereur Hadrien s’adresse à lui-même au moment de mourir :

Petite âme, âme tendre et flottante,
compagne de mon corps, qui fut ton hôte,
tu vas descendre dans ces lieux
pâles, durs et nus,
où tu devras renoncer aux jeux d’autrefois.
Un instant encore
Regardons ensemble les rives familières,
les objets que sans doute nous ne reverrons plus…2.

On comprend alors, compte tenu de ce contexte, l’impact que devait avoir l’annonce chrétienne d’une vie après la mort infiniment plus comblée et plus joyeuse que celle terrestre ; on comprend aussi pourquoi l’idée et les symboles de la vie éternelle sont aussi fréquents dans les sépultures chrétiennes des catacombes.
Mais qu’est-il advenu de l’idée chrétienne d’une vie éternelle pour l’âme et pour le corps, une fois qu’elle avait triomphé de l’idée païenne de l’« obscurité après la mort » ? A la différence de l’époque actuelle, dans laquelle l’athéisme s’exprime surtout dans la négation de l’existence d’un Créateur, au XIXe siècle il s’est manifesté plutôt dans la négation d’un au-delà. Reprenant la déclaration de Hegel, selon laquelle « les chrétiens gaspillent au ciel les énergies destinées à la terre », Feuerbach et surtout Marx ont combattu la croyance en une vie après la mort, sous prétexte que celle-ci écarte de l’engagement terrestre. On substitue l’idée d’une survie dans l’espèce et dans la société du futur à l’idée d’une survie personnelle en Dieu.
Peu à peu, avec la suspicion, le mot éternité est tombé dans l’oubli et le silence. Le matérialisme et le consumérisme ont fait le reste dans les sociétés opulentes, allant jusqu’à faire paraître inconvenant le fait même de parler encore d’éternité entre personnes cultivées et vivant avec leur temps. Tout cela a eu des conséquences manifestes sur la foi des croyants, qui est devenue sur ce point timide et réticente. Quand avons-nous entendu la dernière prédication sur la vie éternelle ? Nous continuons à réciter dans le Credo : « Et expecto resurrectionem mortuorum et vitam venturi saeculi » : « J’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir », mais sans trop attacher d’importance à ces paroles. Kierkegaard avait raison quand il écrivait : « L’au-delà est devenu une plaisanterie, une exigence tellement incertaine que plus personne ne la respecte, plus encore ne l’envisage, si bien que la pensée même qu’il a existé un temps où cette idée transformait l’existence tout entière, fait sourire »3.
Quelle est la conséquence pratique de cette éclipse de l’idée d’éternité ? Saint Paul parle de l’objectif de ceux qui ne croient pas en la résurrection des morts : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons » (l Co 15,32). Le désir naturel de vivre toujours, déformé, devient désir, ou frénésie, de vivre bien, c’est-à-dire agréablement, serait-ce au détriment des autres. La terre tout entière devient ce que Dante disait de l’Italie de son époque : « l’arpent de terre qui nous fait si féroces ». Avec la disparition de l’horizon de l’éternité, la souffrance humaine apparait doublement et irrémédiablement absurde.

3. L’éternité : une espérance et une présence
S’agissant du sécularisme, comme du scientisme, la réponse la plus efficace ne consiste pas à combattre l’erreur contraire, mais à faire resplendir à nouveau devant les hommes la certitude de la vie éternelle, en jouant sur la force intrinsèque que possède la vérité quand elle est accompagnée par le témoignage de la vie. « A une idée, écrivait un ancien Père, on peut toujours opposer une autre idée et à une opinion une autre opinion ; mais que pourra-ton opposer à une vie ? »
Nous devrions jouer aussi sur la correspondance d’une telle vérité avec le désir le plus profond, même réprimé, du cœur humain. A un ami qui lui reprochait sa soif d’éternité comme étant quasiment une forme d’orgueil et de présomption, Miguel de Unamuno, qui n’était certes pas un apologète, répondit dans une lettre :
« Je ne dis pas que nous méritons un au-delà, ni que la logique nous le prouve ; je dis que j’en ai besoin, que je le mérite ou pas, rien de plus. Je dis que ce qui passe ne me satisfait pas, que j’ai soif d’éternité et que, sans elle, tout m’indiffère. J’en ai besoin, j’en ai besoin ! Sans elle, il n’y a pas de joie de vivre et la joie de vivre ne signifie rien. Il est trop commode de dire : ‘Il faut vivre, il faut se contenter de la vie’. Et ceux qui ne s’en contentent pas ? »4.
Ce n’est pas celui qui désire l’éternité, ajoutait-il en cette même occasion, qui méprise le monde et la vie ici-bas, mais au contraire celui qui ne la désire pas : « J’aime tant la vie que la perdre me parait le pire des maux. Ceux qui jouissent de la vie, au jour le jour, sans se soucier de savoir s’ils devront la perdre à jamais ou pas, ceux-là ne l’aiment pas ». Saint Augustin ne disait pas autre chose : « Cui non datur semper vivere, quid prodest bene vivere ? », « A quoi sert la bonne vie si elle n’aboutit à la vie éternelle ? »5. « Tout au monde, excepté l’éternité, est vain », a chanté un de nos poètes 6.
Aux hommes de notre temps qui cultivent au fond de leur cœur ce besoin d’éternité, sans peut-être avoir le courage de l’avouer aux autres, ni se l’avouer à eux-mêmes, nous pouvons redire ce que Paul disait aux Athéniens : « Ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l’annoncer » (Ac 17,23).
La réponse chrétienne au sécularisme, au sens où nous l’entendons ici, ne se fonde pas, comme pour Platon, sur une idée philosophique – l’immortalité de l’âme -, mais sur un fait. Le siècle des lumières avait posé le célèbre problème de savoir comment atteindre l’éternité, alors qu’on est dans le temps, et comment donner un point de départ historique pour une conscience éternelle7. Autrement dit : comment peut-on justifier la prétention de la foi chrétienne de promettre une vie éternelle et de menacer d’un châtiment également éternel, pour des actes commis dans le temps.
L’unique réponse valable à ce problème est celle qui se fonde sur la foi en l’incarnation de Dieu. En Jésus Christ, l’éternel est entré dans le temps, s’est manifesté dans la chair ; devant lui il est possible de prendre une décision pour l’éternité. C’est ainsi que l’évangéliste Jean parle de la vie éternelle : « Nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue » (1 Jn 1, 2).
Pour le croyant, l’éternité n’est pas, comme on le voit, uniquement une espérance, elle est aussi une présence. Nous en faisons l’expérience chaque fois que nous faisons un véritable acte de foi en Jésus Christ, car celui qui croit en lui « a la vie éternelle « (1 Jn 5,13) ; chaque fois que nous recevons la communion, dans laquelle « nous est donné le gage de la gloire future » (futurae gloriae nobis pignus datur) ; chaque fois que nous entendons les paroles de l’Evangile qui sont « paroles de vie éternelle » (Jn 6, 68). Saint Thomas, lui aussi dit que « la grâce est le commencement de la gloire »8.
Cette présence de l’éternité dans le temps s’appelle l’Esprit Saint, dont il est dit qu’il est « les arrhes de notre héritage » (Ep 1, 14 ; 2 Co 5, 5), et il nous a été donné pour que, ayant reçu les prémices, nous aspirions à la plénitude. « Le Christ – écrit saint Augustin – nous a donné les arrhes de l’Esprit Saint par lesquelles Lui, qui ne pouvait pas nous tromper, a voulu nous assurer l’accomplissement de sa promesse. Qu’a-t-il promis ? Il a promis la vie éternelle, dont l’Esprit Saint qu’il nous a donné est les arrhes »9.

4. Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?
Entre la vie de foi dans le temps et la vie éternelle, il existe un rapport comparable à celui qui existe entre la vie de l’embryon dans le sein maternel et celle de l’enfant à sa naissance. Cabasilas écrit :
« Ce monde enfante le nouvel homme intérieur, celui qui a été créé par Dieu, et celui-ci façonné et conformé ici-bas, est enfanté parfait pour un monde parfait et éternellement jeune. De même que la nature prépare l’embryon, tant qu’il est dans une vie obscure, pour une vie dans la lumière, de même en est-il des saints [...]. Toutefois, pour l’embryon, la vie future est absolument future : il ne lui parvient aucun rayon de lumière, rien de cette vie. Il n’en est pas de même pour nous, puisque le siècle futur a été comme renversé et mêlé au temps [...] C’est pourquoi dès maintenant, il est accordé aux saints non seulement de disposer de la vie, mais de vivre et d’agir dans celle-ci »10.
Voici une petite histoire pour illustrer cette comparaison. Il y avait une fois deux jumeaux, un de sexe masculin et une autre de sexe féminin, tellement intelligents et précoces que, encore dans le sein maternel, ils parlaient entre eux. La petite fille demandait à son frère : « D’après toi, y a-t-il une vie après la naissance ? ». Il répondait : « Ne sois pas ridicule. Qu’est-ce qui te fait penser qu’il y a quelque chose en dehors de cet espace exigu et obscur où nous nous trouvons ? La petite fille, s’armant de courage, insistait : « Qui sait, peut-être existe-t-il une mère, bref quelqu’un qui nous a mis ici et qui prendra soin de nous ». Et lui : « Vois-tu une mère quelque part ? Ce que tu vois est tout ce qu’il y a ». Elle, à nouveau : « Ne sens-tu pas parfois, toi aussi, comme une pression sur la poitrine qui augmente de jour en jour et nous pousse en avant ? ». « A bien y réfléchir, répondait-il, c’est vrai ; je la sens tout le temps ». « Tu vois, concluait, triomphante, la petite soeur, cette douleur ne peut pas être pour rien. Je pense qu’elle nous prépare à quelque chose de plus grand que ce petit espace ».
Nous pouvons utiliser cette charmante historiette quand il nous faut annoncer la vie éternelle à des personnes qui ont perdu la foi en celle-ci, mais en conservent la nostalgie et attendent peut-être que l’Eglise, comme la petite fille, les aide à y croire.
Il y a des questions que les hommes ne cessent de se poser depuis que le monde est monde, et les hommes d’aujourd’hui ne font pas exception : « Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?  ». Dans son Historia ecclesiastica Anglorum (Histoire ecclésiastique du peuple anglais), Bède le Vénérable relate comment la foi chrétienne a fait son entrée dans le nord de l’Angleterre. Quand les missionnaires venus de Rome arrivèrent dans le Northumberland, le roi Edwin convoqua un conseil des dignitaires pour décider s’il les autoriserait, ou pas, à diffuser le nouveau message. L’un d’eux se leva et déclara :
« Imagine, oh roi, cette scène. Tu es assis en train de dîner avec tes ministres et dignitaires : c’est l’hiver, le feu brûle et réchauffe la pièce tandis que, au-dehors, mugit la tempête et que la neige tombe. Un petit oiseau entre par une ouverture dans le mur et ressort aussitôt par l’autre. Tant qu’il est à l’intérieur, il est protégé de la tempête hivernale ; mais, ayant goûté une courte tiédeur, il disparait de la vue, se perdant dans l’obscurité de l’hiver d’où il est venu. Telle nous apparait la vie des hommes sur la terre : nous ignorons totalement ce qui la suit et ce qui la précède. Si cette doctrine nouvelle nous apporte quelque chose de plus sûr sur ceci, je dis qu’il faut l’accueillir  »11.
Qui sait ! Peut-être la foi chrétienne reviendra-t-elle en Angleterre et sur le continent européen pour la même raison pour laquelle elle y a fait son entrée : comme l’unique foi qui a une réponse sûre à apporter aux grandes interrogations de la vie terrestre. L’occasion la plus propice pour faire parvenir ce message est les funérailles. A cette occasion, les gens sont moins distraits que dans d’autres rites de passage (baptême, mariage), et s’interrogent sur leur propre destin. Quand on pleure sur un être cher, on pleure aussi sur soi-même.
J’ai écouté un jour un programme intéressant de la BBC anglaise sur les « funérailles laïques », avec l’enregistrement en direct d’une cérémonie. A un moment donné, le célébrant a dit à l’assistance : « Nous ne devons pas être tristes. Vivre une bonne vie, satisfaisante, durant soixante-dix ans (l’âge de la défunte) est quelque chose pour laquelle nous devons être reconnaissants ». Reconnaissants à qui ? me suis-je demandé. Ce genre de funérailles ne peut que rendre plus manifeste la défaite totale de l’homme face à la mort.
Sociologues et hommes de culture, appelés à expliquer le phénomène des funérailles laïques ou « humanistes », voyaient la cause de la diffusion de cette pratique dans certains pays du nord de l’Europe, dans le fait que les funérailles religieuses impliquent chez les personnes présentes une foi qu’elles ne partagent pas forcément. La proposition qu’ils avançaient était celle-ci : l’Eglise, lors de funérailles, devrait éviter toute allusion à Dieu, à la vie éternelle, à Jésus-Christ mort et ressuscité, et limiter son rôle à celui d’ « organisateur naturel et expérimenté des rites de passage » ! En d’autres termes, qu’elle se résigne à la sécularisation même de la mort !

5. Allons à la maison du Seigneur
Nous avons besoin d’une foi renouvelée dans l’éternité, non seulement pour l’évangélisation, c’est-à-dire pour l’annonce à faire aux autres, mais avant tout pour donner un nouvel élan à notre cheminement vers la sainteté. L’effritement de l’idée d’éternité agit aussi sur les croyants en diminuant leur capacité d’affronter avec courage la souffrance et les épreuves de la vie.
Prenons l’exemple d’un homme qui tient une balance à la main, ces balances qui se tiennent d’une seule main et qui ont d’un côté un plateau sur lequel on place les choses à peser et de l’autre une barre graduée qui soutient le poids ou la mesure. Si elle tombe à terre ou si la mesure est perdue, tout ce que l’on place sur le plateau fait se soulever la barre et s’incliner la balance vers le bas. N’importe quoi l’emporte, même une poignée de plumes.
C’est ce qui nous arrive quand nous perdons le contre-poids, la mesure de tout, qui est l’éternité : les choses et les souffrances terrestres jettent facilement notre âme à terre. Tout nous semble trop lourd, excessif. Jésus disait : « Si ta main ou ton pied sont pour toi une occasion de péché, coupe-les et jette-les loin de toi : mieux vaut pour toi entrer dans la Vie manchot ou estropié que d’être jeté avec tes deux mains ou tes deux pieds dans le feu éternel » (cf. Mt 18, 9-9). Mais nous qui avons perdu de vue l’éternité, nous trouvons déjà excessif qu’on nous demande de fermer les yeux devant un spectacle immoral.
Saint Paul ose écrire : « Car la légère tribulation d’un instant nous prépare, jusqu’à l’excès, une masse éternelle de gloire, à nous qui ne regardons pas aux choses visibles, mais aux invisibles ; les choses visibles en effet n’ont qu’un temps, les invisibles sont éternelles » (2 Co 4, 17-18). Le poids de la tribulation est léger justement parce qu’il est momentané, celui de la gloire est sans mesure justement parce qu’il est éternel. C’est pour cela que l’Apôtre lui-même peut affirmer : « J’estime en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous » (Rm 8, 18).
Le cardinal Newman, que nous avons choisi comme maître spécial pendant cet Avent, nous oblige à ajouter une vérité qui manque aux réflexions faites jusqu’à présent sur l’éternité. Il le fait avec le petit poème « Le songe de Gerontius » mis en musique par le grand compositeur anglais Edgar Elgar. Un véritable chef-d’oeuvre pour ce qui est de la profondeur de la pensée, l’inspiration lyrique et l’intensité dramatique générale.
Il décrit le songe d’un ancien (c’est ce que signifie le nom Gerontius) qui sent que sa fin est proche. A ses pensées sur le sens de la vie, de la mort, sur l’abîme du néant dans lequel il est en train de tomber, se superposent les commentaires des assistants, la voix priante de l’Eglise : « Pars de ce monde, âme chrétienne » (proficiscere, anima christiana), les voix contradictoires des anges et des démons qui soupèsent sa vie et réclament son âme. La description du moment de la mort et du réveil dans un autre monde est particulièrement belle et profonde :

« J’ai dormi ; et maintenant je suis rafraîchi,
Un étrange rafraîchissement ; car je sens en moi
Une inexprimable légèreté et un sentiment
De liberté, comme si j’étais enfin moi-même,
Et jamais ne l’avais été auparavant. Comme c’est calme !
Je n’entends plus le battement agité du temps,
Ni mon souffle haletant, ni mes pulsations violentes,
Et un moment ne diffère pas de celui qui le fuit12.

Les dernières paroles que l’âme prononce dans le poème sont celles avec lesquelles est s’achemine, sereine et presque impatiente, vers le Purgatoire :

« Là, je chanterai mon Seigneur absent et mon Amour :
Enlevez-moi,
Afin que plus tôt je puisse me lever et monter,
Et le voir dans la vérité du jour sans fin ! »13

Pour l’empereur Hadrien, la mort était le passage de la réalité aux ombres, pour le chrétien John Newman c’était le passage des ombres à la réalité, ex umbris et imaginibus in veritatem comme il voulut que l’on écrive sur sa tombe.
Quelle est donc la vérité manquante que Newman nous empêche de taire ? Que le passage du temps vers l’éternité n’est pas rectiligne et égal pour tous. Il y a un jugement à affronter, un jugement qui peut avoir deux issues très différentes, l’enfer ou le paradis. La spiritualité de Newman est une spiritualité austère, qui a même une dimension rigoriste, comme celle du Dies irae, mais combien salutaire à une époque qui tendait à tout prendre à la légère et à plaisanter, comme disait Kierkegaard, avec la pensée de l’éternité !
Tournons donc avec un nouvel élan nos pensées vers l’éternité et répétons intérieurement, en reprenant les paroles du poète : « Tout au monde, excepté l’éternité, est vain ». Dans le psautier juif il y a un groupe de psaumes dis « psaumes des ascensions », ou « cantiques de Sion ». C’étaient les psaumes que chantaient les pèlerins israélites quand ils « montaient » en pèlerinage vers la cité sainte, Jérusalem. L’un d’eux commence ainsi : « Quelle joie quand on m’a dit : ‘Allons à la maison du Seigneur’ » (Ps 122, 1). Ces psaumes des ascensions sont désormais devenus les psaumes de ceux qui, dans l’Eglise, sont en chemin vers la Jérusalem céleste ; ce sont nos psaumes. Commentant les paroles initiales du psaume, saint Augustin disait à ses fidèles :
« Nous courrons parce que nous irons à la maison du Seigneur ; nous courrons parce que cette course ne fatigue pas ; parce que nous arriverons à un but où la fatigue n’existe pas. Nous courrons vers la maison du Seigneur et que notre âme se réjouisse pour ceux qui nous répètent ces paroles. Ceux-ci ont vu la patrie avant nous. Les apôtres l’ont vue et nous ont dit : Courrez, hâtez-vous, suivez-nous ! « Allons à la maison du Seigneur ! »14.
Nous avons devant nous, dans cette chapelle, une splendide représentation en mosaïque de la Jérusalem céleste, avec Marie, les apôtres et un long cortège de saints orientaux et occidentaux. Ils nous répètent en silence cette invitation. Accueillons-la et gardons-la en ce jour et durant toute notre vie.

Traduit de l’italien par Zenit

1 Cf. M. Pohlenz, L’uomo greco, Firenze 1967, p. 173ss.
2 Animula vagula, blandula, traduction de Marguerite Yourcenar.
3 S. Kierkegaard, Postilla conclusiva, 4, in Opere, a cura di C. Fabro, Firenze 1972, p. 458.
4 Miguel de Unamuno, « Cartas inéditas de Miguel de Unamuno y Pedro Jiménez Ilundain, » ed. Hernán Benítez, Revista de la Universidad de Buenos Aires, vol. 3, no. 9 (janvier-mars 1949), pp. 135. 150.
5 S. Augustin, Trattati sul Vangelo di Giovanni, 45, 2 (PL, 35, 1720).
6 Antonio Fogazzaro, « A Sera, » in Le poesie, Milano, Mondadori, 1935, pp. 194-197.
7 G.E. Lessing, Über den Beweis des Geistes und der Kraft, ed. Lachmann, X, p.36.
8 S. Thomas d’Aquin, Somma teologica, II-IIae, q. 24, art.3, ad 2.
9 S. Augustin, Sermo 378,1 (PL, 39, 1673).
10 N. Cabasilas, Vita in Cristo, I,1-2, ed. a cura di U. Neri, Torino, UTET, 1971, pp.65-67.,
11 Bède le Vénérable, Historia ecclesiastica Anglorum, II, 13.
12 Le Songe de Gerontius, John Henry Newman, Traduction française publiée par l’éditeur d’Eugénie de Guérin
13 Ibid.
14 Saint Augustin, Enarrationes in Psalmos 121,2 (CCL, 40, p. 1802).

Ps 104 (103) : le soleil des eaux

20 décembre, 2010

du site:

http://www.bible-service.net/site/549.html

Ps 104 (103) : le soleil des eaux

Ps 104,1 Bénis le Seigneur, ô mon âme !
Seigneur mon Dieu, tu es si grand !
Vêtu de splendeur et d’éclat,
2 drapé de lumière comme d’un manteau,
tu déploies les cieux comme une tenture.

3 Il étage ses demeures au-dessus des eaux
des nuages il fait son char ;
il marche sur les ailes du vent.
4 Des vents il fait ses messagers,
et des flammes, ses ministres.

5 Il a fondé la terre sur ses bases,
elle est à tout jamais inébranlable.
6 Tu l’as couverte de l’Océan comme d’un habit ;
les eaux restaient sur les montagnes.
7 A ta menace elles ont fui,
affolées par tes coups de tonnerre :
8 escaladant les montagnes, descendant les vallées
vers le lieu que tu leur avais fixé.
9 Tu leur as imposé une limite à ne pas franchir ;
elles ne reviendront plus couvrir la terre.

10 Il envoie l’eau des sources dans les ravins :
elle s’en va entre les montagnes ;
11 elle abreuve toutes les bêtes des champs,
les ânes sauvages étanchent leur soif.
12 Près d’elle s’abritent les oiseaux du ciel
qui chantent dans le feuillage.

13 Depuis ses demeures il abreuve les montagnes,
la terre se rassasie du fruit de ton travail :
14 tu fais pousser l’herbe pour le bétail,
les plantes que cultive l’homme,
tirant son pain de la terre.
15 Le vin réjouit le coeur des humains
en faisant briller les visages plus que l’huile.
Le pain réconforte le coeur des humains.

16 Les arbres du Seigneur se rassasient,
et les cèdres du Liban qu’il a plantés.
17 C’est là que nichent les oiseaux,
la cigogne a son logis dans les cyprès.
18 Les hautes montagnes sont pour les bouquetins,
les rochers sont le refuge des damans.

19 Il a fait la lune pour fixer les fêtes,
et le soleil qui sait l’heure de son coucher.
20 Tu poses les ténèbres, et c’est la nuit
où remuent toutes les bêtes des bois.
21 Les lions rugissent après leur proie
et réclament à Dieu leur nourriture.
22 Au lever du soleil ils se retirent,
se couchent dans leurs tanières,
23 et l’homme s’en va à son travail,
à ses cultures jusqu’au soir.

24 Que tes oeuvres sont nombreuses, Seigneur !
Tu les a toutes faites avec sagesse,
la terre est remplie de tes créatures.

25 Voici la mer, grande et vaste de tous côtés,
où remuent, innombrables, des animaux petits et grands.
26 Là, vont et viennent les bateaux,
et le Léviatan que tu as formé pour jouer avec lui.

27 Tous comptent sur toi
pour leur donner en temps voulu la nourriture :
28 tu donnes, ils ramassent ;
tu ouvres ta main, ils se rassasient.
29 Tu caches ta face, ils sont épouvantés ;
tu leur reprends le souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
30 Tu envoies ton souffle, ils sont créés,
et tu renouvelles la surface du sol.

31 Que la gloire du Seigneur dure toujours,
que le Seigneur se réjouisse de ses œuvres !
32 Il regarde la terre, et elle tremble ;
il touche les montagnes, et elles fument.

33 Toute ma vie je chanterai le Seigneur,
le reste de mes jours je jouerai pour mon Dieu.
34 Que mon poème lui soit agréable !
Et que le Seigneur fasse ma joie !
35 Que les pécheurs disparaissent de la terre,
et que les infidèles n’existent plus !
Bénis le Seigneur, ô mon âme !

Alléluia !

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Ps 104 : Harmonie du monde, splendeur de Dieu
 »Béni le Seigneur, ô mon âme ! » L’exclamation encadre le psaume 104, l’un des plus somptueux de la Bible, description de l’harmonie du monde. Comme dans certains hymnes égyptiens, l’eau y ruisselle pour le bonheur des êtres vivants.
Les amoureux de l’Ancien Orient ont parfois rapproché le psaume 104 de l’hymne composé par le pharaon Aménophis IV, dit Akhenaton, en l’honneur du disque solaire Aton (vers 1350 av. J.-C.). Il n’est pas sûr que l’œuvre égyptienne ait inspiré l’hébraïque. La parenté du langage poétique est néanmoins une chance pour saisir la différence des théologies.
 
Splendeur de Dieu
Ainsi les deux poèmes commencent par s’adresser à la divinité :  »Tu apparais, parfait, à l’horizon du ciel / Disque vivant qui est à l’origine de la vie… / Tu es beau, grand, étincelant… » (hymne à Aton) ou  »Seigneur mon Dieu, tu es si grand, revêtu de splendeur et d’éclat, / drapé de lumière comme d’un manteau… » (Ps 104, v. 1-2).
Même admiration pour un dieu unique, mais éclat inégal : dans le premier cas, le dieu-soleil est origine de tout et agit par ses rayons, alors que dans le second, la lumière (distincte du soleil, cf. v. 19-22) n’est qu’un magnifique vêtement, annonciateur de bien d’autres merveilles.
 
Mouvement incessant 
Le Seigneur est drapé de lumière mais la terre, elle, est – ou plutôt a été – vêtue de  »l’abîme des mers ». La première page de la Genèse raconte la séparation des eaux  »d’en haut » et des eaux  »d’en bas » (deuxième jour, Gn 1, 6-8) puis l’émergence de la terre hors des eaux d’en bas, et l’apparition des végétaux (troisième jour, Gn 1, 9-13). Il y a ici un écho de l’origine, mais d’une origine toujours recommencée, effet d’une parole divine toujours neuve et formidable :  »les eaux recouvraient les montagnes / à ta menace, elles prennent la fuite, à la voix de ton tonnerre elles se précipitent » (v. 6-7).
Toute une partie du poème vibre et frémit de ce mouvement des eaux auprès desquelles et vers lesquelles vont et viennent les êtres vivants, hommes ou bêtes (v. 8-14). L’œil du poète embrasse les sommets et les ravins, saisit ici le jaillissement des sources, s’attarde là sur la lenteur des rivières (l’eau  »chemine », v. 10), et prend le temps de voir les animaux s’abreuver, à commencer par les plus farouches, ceux que l’on n’observe qu’avec patience : âne sauvage ou volatiles (v. 11-12). Selon la cosmologie d’alors, les  »eaux d’en haut » – si près des demeures de la divinité –, orages et pluies, dévalent des monts et, de là, irriguent prairies et champs (v. 13-14).
Rien, dans le psaume, n’est particulier à Israël. Tout est universel. L’hymne à Aton est plus ethnocentrique. La partie consacrée au fleuve de l’Égypte y distingue un Nil  »dans le ciel » (autre manière d’évoquer orages et pluies) et un autre sur la terre. Celui du ciel a certes été placé par le Disque solaire pour faire vivre tous les pays :  »le Nil qui est dans le ciel, c’est le don que tu as fait aux peuples étrangers / et à toutes les bêtes du désert ». Mais  »le vrai Nil, il vient du monde inférieur pour l’Égypte » ! Et c’est autour de celui-ci, que, fécondés par les rayons du soleil, s’étendent les champs et passent les saisons.
 
Dissonance 
Le psaume 104, sauf en ses derniers versets, n’évoque particulièrement ni le pays ni le destin d’Israël. La vie de tous s’y organise après la domestication des eaux par la Parole divine. La suite du poème, la plus longue, s’attache aux activités humaines, dans l’alternance des nuits et des jours. Elle donnerait à penser que le mal n’existe pas, que toute violence est évitée (les fauves gagnent leurs repaires quand les hommes sortent travailler, v. 22-23) si la conclusion ne mentionnait les  »pécheurs » et les  »impies » comme une atteinte à l’harmonie du monde (v. 35), une harmonie à laquelle participent même les monstres marins, fugitivement aperçus sur la mer à côté des bateaux (v. 25-26) !
Une ombre ternit ce qui était jusqu’alors lumière, mouvement et vie.  »Alleluia » (=  »Gloire à Dieu ») a beau s’élancer en finale du psaume 104, revenir dans le psaume 105 et encadrer le psaume 106, l’ombre grandira : après les splendeurs de la création (Ps 104), après les hauts-faits de l’alliance (Ps 105), seront énumérées les fautes d’Israël (Ps 106). Chanter le psaume en vérité, c’est donc affronter la dissonance finale et reprendre à son compte le souhait de la disparition du péché. L’aujourd’hui touche ici l’origine (la beauté) et la fin (victoire sur le mal), à Dieu remises. L’hymne à Aton ne parle d’aucun combat. Le psaume serait-il plus réaliste ? Et plus ouvert à l’espérance ? Car, à le suivre, nous apprenons que la Parole divine,  »menace » et  »tonnerre », peut canaliser et transformer les eaux dangereuses. Cette puissance, comment ne pas l’invoquer pour d’autres dangers ?
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Gérard BILLON. Article paru dans Le Monde la Bible n° 138  »Le Nil, fleuve sacré d’Egypte » (Bayard-Presse, nov. 2001), p. 80
Nota Bene : Une traduction complète de l’hymne égyptien d’Akhénaton par André Baruch est donnée dans  »Prières de l’Ancien Orient », Supplément au Cahier Évangile n°27 (Éd. SBEV-Le Cerf, 1979) p. 68-72.

Bienheureux Guerric d’Igny : « Le Seigneur lui-même vous donnera un signe : voici que la jeune femme est enceinte »

20 décembre, 2010

du site: 

http://www.levangileauquotidien.org/main.php?language=FR&module=commentary&localdate=20101220

Férie de l’Avent : semaine avant Noël (20 déc.) : Lc 1,26-38

Commentaire du jour
Bienheureux Guerric d’Igny (v. 1080-1157), abbé cistercien
Sermon 3 pour l’Annonciation, 2-4 (trad. Sr Isabelle de la Source, Lire la Bible, t. 6, p. 38)

« Le Seigneur lui-même vous donnera un signe : voici que la jeune femme est enceinte »

      « Le Seigneur s’adressa à Acaz et lui dit : ‘ Demande pour toi un signe. ‘ Acaz répondit : ‘ Non, je n’en demanderai pas, je ne mettrai pas le Seigneur à l’épreuve ‘ » (Is 7,10-12)… Eh bien, ce signe refusé…nous l’accueillons, nous, avec une foi entière et un respect plein d’amour. Nous reconnaissons que le Fils conçu par la Vierge est pour nous, « dans les profondeurs » de l’enfer, signe de pardon et de liberté, et qu’il est pour nous, « dans les hauteurs des cieux », signe et espérance d’exultation et de gloire… Ce signe, désormais, le Seigneur l’a élevé, d’abord sur le gibet de la croix, puis sur son trône royal…

      Oui, c’est un signe pour nous que cette mère vierge qui conçoit et enfante : signe qu’il est Dieu, cet homme conçu et enfanté. Ce Fils qui accomplit des œuvres divines et endure des souffrances humaines est pour nous le signe qu’il mènera jusqu’à Dieu ces hommes pour lesquels il est conçu et enfanté, pour lesquels aussi il souffre.

      Et de toutes les infirmités et disgrâces humaines que ce Dieu a daigné endurer pour nous, la première dans le temps, comme la plus grande dans l’abaissement, je le crois, a été sans doute que cette Majesté infinie ait supporté d’être conçue dans le sein d’une femme et d’y être enfermée pendant neuf mois. Où a-t-elle été jamais si totalement anéantie ? Quand l’a-t-on vue se dépouiller d’elle-même à ce point ? Durant un si long temps, cette Sagesse ne dit rien, cette Puissance n’opère rien de visible, cette Majesté cachée ne se révèle par aucun signe. Sur la croix même, le Christ n’a point paru aussi faible… Dans le sein, au contraire, il est comme s’il n’était pas ; sa toute-puissance est inopérante, comme si elle ne pouvait rien ; et le Verbe éternel s’enfouit sous le silence.

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