Archive pour le 20 décembre, 2010

Rm 8,37

20 décembre, 2010

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Deuxième prédication de l’Avent, par le P. Raniero Cantalamessa

20 décembre, 2010

du site:

http://www.zenit.org/article-26365?l=french

Deuxième prédication de l’Avent, par le P. Raniero Cantalamessa

En présence du pape Benoît XVI et de la curie romaine

ROME, Dimanche 12 décembre 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la deuxième prédication de l’Avent prononcée vendredi 10 décembre par le P. Raniero Cantalamessa O.F.M. Cap., prédicateur de la Maison pontificale, en présence du pape Benoît XVI et de la curie romaine, dans la chapelle Redemptoris Mater, au Vatican.

P. Raniero Cantalamessa, ofmcap.

Deuxième prédication de l’Avent

« NOUS VOUS ANNONÇONS CETTE VIE ETERNELLE » (1 Jn 1,2)

La réponse chrétienne au sécularisme

1. Sécularisation et sécularisme

Dans cette méditation nous réfléchirons sur le deuxième écueil auquel se heurte l’évangélisation dans le monde moderne occidental : la sécularisation. Dans le Motu proprio par lequel le pape a institué le Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, il est dit que celui-ci « est au service des Eglises particulières, en particulier dans les territoires de tradition chrétienne où se manifeste avec une plus grande évidence le phénomène de la sécularisation ».
La sécularisation est un phénomène complexe et ambivalent. Elle peut indiquer l’autonomie des réalités terrestres et la séparation entre le règne de Dieu et le règne de César et, dans ce sens, loin d’être contraire à l’Evangile, elle trouve en celui-ci une de ses racines profondes ; mais elle peut désigner aussi tout un ensemble d’attitudes contraires à la religion et à la foi et, dans ce cas, le terme de sécularisme est préférable. Le sécularisme est à la sécularisation ce que le scientisme est à la scientificité et le rationalisme à la rationalité.
En examinant les obstacles et les défis que la foi rencontre dans le monde moderne, nous nous réfèrerons exclusivement à l’acception négative de la sécularisation. Mais même délimitée ainsi, la sécularisation présente de nombreuses facettes selon les domaines dans lesquels elle se manifeste : la théologie, la science, l’éthique, l’herméneutique biblique, la culture en général, la vie quotidienne. Dans la présente méditation, je prends le terme dans son sens premier. Sécularisation, comme sécularisme, viennent en effet du mot « saeculum » qui, dans le langage courant, a fini par signifier le temps présent (« l’éon actuel », selon la Bible), en opposition à l’éternité (l’éon futur, ou « siècles des siècles », de la Bible). Dans ce sens, sécularisme est synonyme de temporalisme, de réduction du réel à la seule dimension terrestre.
Le rétrécissement de l’horizon de l’éternité, ou de la vie éternelle, produit sur la foi chrétienne l’effet du sable que l’on jette sur une flamme : il l’étouffe, l’éteint. La foi en la vie éternelle constitue une des conditions de possibilités d’évangélisation. « Si c’est pour cette vie seulement – s’exclame Paul – que nous avons mis notre espoir dans le Christ, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes  » (1 Co 15,19).

2. Ascension et déclin de l’idée d’éternité
Rappelons à grands traits l’histoire de la croyance en une vie après la mort ; elle nous aidera à mesurer la nouveauté introduite par l’Evangile dans ce domaine. Dans la religion juive de l’Ancien Testament, cette croyance s’affirme tardivement. Ce n’est qu’après l’exil, devant la faillite des attentes temporelles, que se fait jour l’idée de la résurrection de la chair et d’une récompense supraterrestre des justes et, mais tous ne partageaient pas cette croyance (les Sadducéens par exemple).
Ainsi se trouve démentie de manière éclatante la thèse de ceux (Feuerbach, Marx, Freud) qui expliquent la croyance en Dieu par le désir d’une récompense éternelle, une sorte de projection dans l’au-delà des attentes terrestres déçues. Israël a cru en Dieu, bien des siècles avant de croire en une récompense éternelle dans l’au-delà ! Ce n’est donc pas le désir d’une récompense éternelle qui a produit la foi en Dieu, mais c’est la foi en Dieu qui a produit la croyance dans une récompense supraterrestre.
La pleine révélation de la vie éternelle est achevée, dans le monde biblique, avec la venue du Christ. Jésus ne fonde pas la certitude de la vie éternelle sur la nature de l’homme, l’immortalité de l’âme, mais sur la « puissance de Dieu », qui n’est pas un « Dieu de morts, mais de vivants » (Lc 20,27-38). Après la Pâque, à ce fondement théologique, les apôtres ajouteront celui christologique : la résurrection du Christ d’entre les morts. C’est sur celle-ci que l’Apôtre fonde la foi en la résurrection de la chair et en la vie éternelle : « Si l’on prêche que le Christ est ressuscité des morts, comment certains parmi vous peuvent-ils dire qu’il n’y a pas de résurrection des morts ?…Mais non ; le Christ est ressuscité d’entre les morts, prémices de ceux qui se sont endormis » (1 Co 15, 12.20).
De même dans le monde gréco-romain, on assiste à une évolution dans la conception de l’au-delà. L’idée plus ancienne est que la vie véritable s’achève avec la mort ; après cette vie, il n’y a plus qu’une apparence de vie, dans un monde d’ombres. Une nouveauté est introduite avec l’apparition de la religion orphico-pythagorique. Selon celle-ci, le véritable moi de l’homme est l’âme qui, libérée de la prison (sema) du corps (soma), peut enfin vivre sa vraie vie. Platon va conférer à cette découverte une dignité philosophique, en la fondant sur la nature spirituelle, donc immortelle, de l’âme1.
Cette croyance restera, toutefois, largement minoritaire, réservée aux initiés aux mystères et aux disciples d’écoles philosophiques particulières. Auprès des masses persistera l’ancienne conviction que la vraie vie finit avec la mort. On connait les paroles que l’empereur Hadrien s’adresse à lui-même au moment de mourir :

Petite âme, âme tendre et flottante,
compagne de mon corps, qui fut ton hôte,
tu vas descendre dans ces lieux
pâles, durs et nus,
où tu devras renoncer aux jeux d’autrefois.
Un instant encore
Regardons ensemble les rives familières,
les objets que sans doute nous ne reverrons plus…2.

On comprend alors, compte tenu de ce contexte, l’impact que devait avoir l’annonce chrétienne d’une vie après la mort infiniment plus comblée et plus joyeuse que celle terrestre ; on comprend aussi pourquoi l’idée et les symboles de la vie éternelle sont aussi fréquents dans les sépultures chrétiennes des catacombes.
Mais qu’est-il advenu de l’idée chrétienne d’une vie éternelle pour l’âme et pour le corps, une fois qu’elle avait triomphé de l’idée païenne de l’« obscurité après la mort » ? A la différence de l’époque actuelle, dans laquelle l’athéisme s’exprime surtout dans la négation de l’existence d’un Créateur, au XIXe siècle il s’est manifesté plutôt dans la négation d’un au-delà. Reprenant la déclaration de Hegel, selon laquelle « les chrétiens gaspillent au ciel les énergies destinées à la terre », Feuerbach et surtout Marx ont combattu la croyance en une vie après la mort, sous prétexte que celle-ci écarte de l’engagement terrestre. On substitue l’idée d’une survie dans l’espèce et dans la société du futur à l’idée d’une survie personnelle en Dieu.
Peu à peu, avec la suspicion, le mot éternité est tombé dans l’oubli et le silence. Le matérialisme et le consumérisme ont fait le reste dans les sociétés opulentes, allant jusqu’à faire paraître inconvenant le fait même de parler encore d’éternité entre personnes cultivées et vivant avec leur temps. Tout cela a eu des conséquences manifestes sur la foi des croyants, qui est devenue sur ce point timide et réticente. Quand avons-nous entendu la dernière prédication sur la vie éternelle ? Nous continuons à réciter dans le Credo : « Et expecto resurrectionem mortuorum et vitam venturi saeculi » : « J’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir », mais sans trop attacher d’importance à ces paroles. Kierkegaard avait raison quand il écrivait : « L’au-delà est devenu une plaisanterie, une exigence tellement incertaine que plus personne ne la respecte, plus encore ne l’envisage, si bien que la pensée même qu’il a existé un temps où cette idée transformait l’existence tout entière, fait sourire »3.
Quelle est la conséquence pratique de cette éclipse de l’idée d’éternité ? Saint Paul parle de l’objectif de ceux qui ne croient pas en la résurrection des morts : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons » (l Co 15,32). Le désir naturel de vivre toujours, déformé, devient désir, ou frénésie, de vivre bien, c’est-à-dire agréablement, serait-ce au détriment des autres. La terre tout entière devient ce que Dante disait de l’Italie de son époque : « l’arpent de terre qui nous fait si féroces ». Avec la disparition de l’horizon de l’éternité, la souffrance humaine apparait doublement et irrémédiablement absurde.

3. L’éternité : une espérance et une présence
S’agissant du sécularisme, comme du scientisme, la réponse la plus efficace ne consiste pas à combattre l’erreur contraire, mais à faire resplendir à nouveau devant les hommes la certitude de la vie éternelle, en jouant sur la force intrinsèque que possède la vérité quand elle est accompagnée par le témoignage de la vie. « A une idée, écrivait un ancien Père, on peut toujours opposer une autre idée et à une opinion une autre opinion ; mais que pourra-ton opposer à une vie ? »
Nous devrions jouer aussi sur la correspondance d’une telle vérité avec le désir le plus profond, même réprimé, du cœur humain. A un ami qui lui reprochait sa soif d’éternité comme étant quasiment une forme d’orgueil et de présomption, Miguel de Unamuno, qui n’était certes pas un apologète, répondit dans une lettre :
« Je ne dis pas que nous méritons un au-delà, ni que la logique nous le prouve ; je dis que j’en ai besoin, que je le mérite ou pas, rien de plus. Je dis que ce qui passe ne me satisfait pas, que j’ai soif d’éternité et que, sans elle, tout m’indiffère. J’en ai besoin, j’en ai besoin ! Sans elle, il n’y a pas de joie de vivre et la joie de vivre ne signifie rien. Il est trop commode de dire : ‘Il faut vivre, il faut se contenter de la vie’. Et ceux qui ne s’en contentent pas ? »4.
Ce n’est pas celui qui désire l’éternité, ajoutait-il en cette même occasion, qui méprise le monde et la vie ici-bas, mais au contraire celui qui ne la désire pas : « J’aime tant la vie que la perdre me parait le pire des maux. Ceux qui jouissent de la vie, au jour le jour, sans se soucier de savoir s’ils devront la perdre à jamais ou pas, ceux-là ne l’aiment pas ». Saint Augustin ne disait pas autre chose : « Cui non datur semper vivere, quid prodest bene vivere ? », « A quoi sert la bonne vie si elle n’aboutit à la vie éternelle ? »5. « Tout au monde, excepté l’éternité, est vain », a chanté un de nos poètes 6.
Aux hommes de notre temps qui cultivent au fond de leur cœur ce besoin d’éternité, sans peut-être avoir le courage de l’avouer aux autres, ni se l’avouer à eux-mêmes, nous pouvons redire ce que Paul disait aux Athéniens : « Ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l’annoncer » (Ac 17,23).
La réponse chrétienne au sécularisme, au sens où nous l’entendons ici, ne se fonde pas, comme pour Platon, sur une idée philosophique – l’immortalité de l’âme -, mais sur un fait. Le siècle des lumières avait posé le célèbre problème de savoir comment atteindre l’éternité, alors qu’on est dans le temps, et comment donner un point de départ historique pour une conscience éternelle7. Autrement dit : comment peut-on justifier la prétention de la foi chrétienne de promettre une vie éternelle et de menacer d’un châtiment également éternel, pour des actes commis dans le temps.
L’unique réponse valable à ce problème est celle qui se fonde sur la foi en l’incarnation de Dieu. En Jésus Christ, l’éternel est entré dans le temps, s’est manifesté dans la chair ; devant lui il est possible de prendre une décision pour l’éternité. C’est ainsi que l’évangéliste Jean parle de la vie éternelle : « Nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue » (1 Jn 1, 2).
Pour le croyant, l’éternité n’est pas, comme on le voit, uniquement une espérance, elle est aussi une présence. Nous en faisons l’expérience chaque fois que nous faisons un véritable acte de foi en Jésus Christ, car celui qui croit en lui « a la vie éternelle « (1 Jn 5,13) ; chaque fois que nous recevons la communion, dans laquelle « nous est donné le gage de la gloire future » (futurae gloriae nobis pignus datur) ; chaque fois que nous entendons les paroles de l’Evangile qui sont « paroles de vie éternelle » (Jn 6, 68). Saint Thomas, lui aussi dit que « la grâce est le commencement de la gloire »8.
Cette présence de l’éternité dans le temps s’appelle l’Esprit Saint, dont il est dit qu’il est « les arrhes de notre héritage » (Ep 1, 14 ; 2 Co 5, 5), et il nous a été donné pour que, ayant reçu les prémices, nous aspirions à la plénitude. « Le Christ – écrit saint Augustin – nous a donné les arrhes de l’Esprit Saint par lesquelles Lui, qui ne pouvait pas nous tromper, a voulu nous assurer l’accomplissement de sa promesse. Qu’a-t-il promis ? Il a promis la vie éternelle, dont l’Esprit Saint qu’il nous a donné est les arrhes »9.

4. Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?
Entre la vie de foi dans le temps et la vie éternelle, il existe un rapport comparable à celui qui existe entre la vie de l’embryon dans le sein maternel et celle de l’enfant à sa naissance. Cabasilas écrit :
« Ce monde enfante le nouvel homme intérieur, celui qui a été créé par Dieu, et celui-ci façonné et conformé ici-bas, est enfanté parfait pour un monde parfait et éternellement jeune. De même que la nature prépare l’embryon, tant qu’il est dans une vie obscure, pour une vie dans la lumière, de même en est-il des saints [...]. Toutefois, pour l’embryon, la vie future est absolument future : il ne lui parvient aucun rayon de lumière, rien de cette vie. Il n’en est pas de même pour nous, puisque le siècle futur a été comme renversé et mêlé au temps [...] C’est pourquoi dès maintenant, il est accordé aux saints non seulement de disposer de la vie, mais de vivre et d’agir dans celle-ci »10.
Voici une petite histoire pour illustrer cette comparaison. Il y avait une fois deux jumeaux, un de sexe masculin et une autre de sexe féminin, tellement intelligents et précoces que, encore dans le sein maternel, ils parlaient entre eux. La petite fille demandait à son frère : « D’après toi, y a-t-il une vie après la naissance ? ». Il répondait : « Ne sois pas ridicule. Qu’est-ce qui te fait penser qu’il y a quelque chose en dehors de cet espace exigu et obscur où nous nous trouvons ? La petite fille, s’armant de courage, insistait : « Qui sait, peut-être existe-t-il une mère, bref quelqu’un qui nous a mis ici et qui prendra soin de nous ». Et lui : « Vois-tu une mère quelque part ? Ce que tu vois est tout ce qu’il y a ». Elle, à nouveau : « Ne sens-tu pas parfois, toi aussi, comme une pression sur la poitrine qui augmente de jour en jour et nous pousse en avant ? ». « A bien y réfléchir, répondait-il, c’est vrai ; je la sens tout le temps ». « Tu vois, concluait, triomphante, la petite soeur, cette douleur ne peut pas être pour rien. Je pense qu’elle nous prépare à quelque chose de plus grand que ce petit espace ».
Nous pouvons utiliser cette charmante historiette quand il nous faut annoncer la vie éternelle à des personnes qui ont perdu la foi en celle-ci, mais en conservent la nostalgie et attendent peut-être que l’Eglise, comme la petite fille, les aide à y croire.
Il y a des questions que les hommes ne cessent de se poser depuis que le monde est monde, et les hommes d’aujourd’hui ne font pas exception : « Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?  ». Dans son Historia ecclesiastica Anglorum (Histoire ecclésiastique du peuple anglais), Bède le Vénérable relate comment la foi chrétienne a fait son entrée dans le nord de l’Angleterre. Quand les missionnaires venus de Rome arrivèrent dans le Northumberland, le roi Edwin convoqua un conseil des dignitaires pour décider s’il les autoriserait, ou pas, à diffuser le nouveau message. L’un d’eux se leva et déclara :
« Imagine, oh roi, cette scène. Tu es assis en train de dîner avec tes ministres et dignitaires : c’est l’hiver, le feu brûle et réchauffe la pièce tandis que, au-dehors, mugit la tempête et que la neige tombe. Un petit oiseau entre par une ouverture dans le mur et ressort aussitôt par l’autre. Tant qu’il est à l’intérieur, il est protégé de la tempête hivernale ; mais, ayant goûté une courte tiédeur, il disparait de la vue, se perdant dans l’obscurité de l’hiver d’où il est venu. Telle nous apparait la vie des hommes sur la terre : nous ignorons totalement ce qui la suit et ce qui la précède. Si cette doctrine nouvelle nous apporte quelque chose de plus sûr sur ceci, je dis qu’il faut l’accueillir  »11.
Qui sait ! Peut-être la foi chrétienne reviendra-t-elle en Angleterre et sur le continent européen pour la même raison pour laquelle elle y a fait son entrée : comme l’unique foi qui a une réponse sûre à apporter aux grandes interrogations de la vie terrestre. L’occasion la plus propice pour faire parvenir ce message est les funérailles. A cette occasion, les gens sont moins distraits que dans d’autres rites de passage (baptême, mariage), et s’interrogent sur leur propre destin. Quand on pleure sur un être cher, on pleure aussi sur soi-même.
J’ai écouté un jour un programme intéressant de la BBC anglaise sur les « funérailles laïques », avec l’enregistrement en direct d’une cérémonie. A un moment donné, le célébrant a dit à l’assistance : « Nous ne devons pas être tristes. Vivre une bonne vie, satisfaisante, durant soixante-dix ans (l’âge de la défunte) est quelque chose pour laquelle nous devons être reconnaissants ». Reconnaissants à qui ? me suis-je demandé. Ce genre de funérailles ne peut que rendre plus manifeste la défaite totale de l’homme face à la mort.
Sociologues et hommes de culture, appelés à expliquer le phénomène des funérailles laïques ou « humanistes », voyaient la cause de la diffusion de cette pratique dans certains pays du nord de l’Europe, dans le fait que les funérailles religieuses impliquent chez les personnes présentes une foi qu’elles ne partagent pas forcément. La proposition qu’ils avançaient était celle-ci : l’Eglise, lors de funérailles, devrait éviter toute allusion à Dieu, à la vie éternelle, à Jésus-Christ mort et ressuscité, et limiter son rôle à celui d’ « organisateur naturel et expérimenté des rites de passage » ! En d’autres termes, qu’elle se résigne à la sécularisation même de la mort !

5. Allons à la maison du Seigneur
Nous avons besoin d’une foi renouvelée dans l’éternité, non seulement pour l’évangélisation, c’est-à-dire pour l’annonce à faire aux autres, mais avant tout pour donner un nouvel élan à notre cheminement vers la sainteté. L’effritement de l’idée d’éternité agit aussi sur les croyants en diminuant leur capacité d’affronter avec courage la souffrance et les épreuves de la vie.
Prenons l’exemple d’un homme qui tient une balance à la main, ces balances qui se tiennent d’une seule main et qui ont d’un côté un plateau sur lequel on place les choses à peser et de l’autre une barre graduée qui soutient le poids ou la mesure. Si elle tombe à terre ou si la mesure est perdue, tout ce que l’on place sur le plateau fait se soulever la barre et s’incliner la balance vers le bas. N’importe quoi l’emporte, même une poignée de plumes.
C’est ce qui nous arrive quand nous perdons le contre-poids, la mesure de tout, qui est l’éternité : les choses et les souffrances terrestres jettent facilement notre âme à terre. Tout nous semble trop lourd, excessif. Jésus disait : « Si ta main ou ton pied sont pour toi une occasion de péché, coupe-les et jette-les loin de toi : mieux vaut pour toi entrer dans la Vie manchot ou estropié que d’être jeté avec tes deux mains ou tes deux pieds dans le feu éternel » (cf. Mt 18, 9-9). Mais nous qui avons perdu de vue l’éternité, nous trouvons déjà excessif qu’on nous demande de fermer les yeux devant un spectacle immoral.
Saint Paul ose écrire : « Car la légère tribulation d’un instant nous prépare, jusqu’à l’excès, une masse éternelle de gloire, à nous qui ne regardons pas aux choses visibles, mais aux invisibles ; les choses visibles en effet n’ont qu’un temps, les invisibles sont éternelles » (2 Co 4, 17-18). Le poids de la tribulation est léger justement parce qu’il est momentané, celui de la gloire est sans mesure justement parce qu’il est éternel. C’est pour cela que l’Apôtre lui-même peut affirmer : « J’estime en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous » (Rm 8, 18).
Le cardinal Newman, que nous avons choisi comme maître spécial pendant cet Avent, nous oblige à ajouter une vérité qui manque aux réflexions faites jusqu’à présent sur l’éternité. Il le fait avec le petit poème « Le songe de Gerontius » mis en musique par le grand compositeur anglais Edgar Elgar. Un véritable chef-d’oeuvre pour ce qui est de la profondeur de la pensée, l’inspiration lyrique et l’intensité dramatique générale.
Il décrit le songe d’un ancien (c’est ce que signifie le nom Gerontius) qui sent que sa fin est proche. A ses pensées sur le sens de la vie, de la mort, sur l’abîme du néant dans lequel il est en train de tomber, se superposent les commentaires des assistants, la voix priante de l’Eglise : « Pars de ce monde, âme chrétienne » (proficiscere, anima christiana), les voix contradictoires des anges et des démons qui soupèsent sa vie et réclament son âme. La description du moment de la mort et du réveil dans un autre monde est particulièrement belle et profonde :

« J’ai dormi ; et maintenant je suis rafraîchi,
Un étrange rafraîchissement ; car je sens en moi
Une inexprimable légèreté et un sentiment
De liberté, comme si j’étais enfin moi-même,
Et jamais ne l’avais été auparavant. Comme c’est calme !
Je n’entends plus le battement agité du temps,
Ni mon souffle haletant, ni mes pulsations violentes,
Et un moment ne diffère pas de celui qui le fuit12.

Les dernières paroles que l’âme prononce dans le poème sont celles avec lesquelles est s’achemine, sereine et presque impatiente, vers le Purgatoire :

« Là, je chanterai mon Seigneur absent et mon Amour :
Enlevez-moi,
Afin que plus tôt je puisse me lever et monter,
Et le voir dans la vérité du jour sans fin ! »13

Pour l’empereur Hadrien, la mort était le passage de la réalité aux ombres, pour le chrétien John Newman c’était le passage des ombres à la réalité, ex umbris et imaginibus in veritatem comme il voulut que l’on écrive sur sa tombe.
Quelle est donc la vérité manquante que Newman nous empêche de taire ? Que le passage du temps vers l’éternité n’est pas rectiligne et égal pour tous. Il y a un jugement à affronter, un jugement qui peut avoir deux issues très différentes, l’enfer ou le paradis. La spiritualité de Newman est une spiritualité austère, qui a même une dimension rigoriste, comme celle du Dies irae, mais combien salutaire à une époque qui tendait à tout prendre à la légère et à plaisanter, comme disait Kierkegaard, avec la pensée de l’éternité !
Tournons donc avec un nouvel élan nos pensées vers l’éternité et répétons intérieurement, en reprenant les paroles du poète : « Tout au monde, excepté l’éternité, est vain ». Dans le psautier juif il y a un groupe de psaumes dis « psaumes des ascensions », ou « cantiques de Sion ». C’étaient les psaumes que chantaient les pèlerins israélites quand ils « montaient » en pèlerinage vers la cité sainte, Jérusalem. L’un d’eux commence ainsi : « Quelle joie quand on m’a dit : ‘Allons à la maison du Seigneur’ » (Ps 122, 1). Ces psaumes des ascensions sont désormais devenus les psaumes de ceux qui, dans l’Eglise, sont en chemin vers la Jérusalem céleste ; ce sont nos psaumes. Commentant les paroles initiales du psaume, saint Augustin disait à ses fidèles :
« Nous courrons parce que nous irons à la maison du Seigneur ; nous courrons parce que cette course ne fatigue pas ; parce que nous arriverons à un but où la fatigue n’existe pas. Nous courrons vers la maison du Seigneur et que notre âme se réjouisse pour ceux qui nous répètent ces paroles. Ceux-ci ont vu la patrie avant nous. Les apôtres l’ont vue et nous ont dit : Courrez, hâtez-vous, suivez-nous ! « Allons à la maison du Seigneur ! »14.
Nous avons devant nous, dans cette chapelle, une splendide représentation en mosaïque de la Jérusalem céleste, avec Marie, les apôtres et un long cortège de saints orientaux et occidentaux. Ils nous répètent en silence cette invitation. Accueillons-la et gardons-la en ce jour et durant toute notre vie.

Traduit de l’italien par Zenit

1 Cf. M. Pohlenz, L’uomo greco, Firenze 1967, p. 173ss.
2 Animula vagula, blandula, traduction de Marguerite Yourcenar.
3 S. Kierkegaard, Postilla conclusiva, 4, in Opere, a cura di C. Fabro, Firenze 1972, p. 458.
4 Miguel de Unamuno, « Cartas inéditas de Miguel de Unamuno y Pedro Jiménez Ilundain, » ed. Hernán Benítez, Revista de la Universidad de Buenos Aires, vol. 3, no. 9 (janvier-mars 1949), pp. 135. 150.
5 S. Augustin, Trattati sul Vangelo di Giovanni, 45, 2 (PL, 35, 1720).
6 Antonio Fogazzaro, « A Sera, » in Le poesie, Milano, Mondadori, 1935, pp. 194-197.
7 G.E. Lessing, Über den Beweis des Geistes und der Kraft, ed. Lachmann, X, p.36.
8 S. Thomas d’Aquin, Somma teologica, II-IIae, q. 24, art.3, ad 2.
9 S. Augustin, Sermo 378,1 (PL, 39, 1673).
10 N. Cabasilas, Vita in Cristo, I,1-2, ed. a cura di U. Neri, Torino, UTET, 1971, pp.65-67.,
11 Bède le Vénérable, Historia ecclesiastica Anglorum, II, 13.
12 Le Songe de Gerontius, John Henry Newman, Traduction française publiée par l’éditeur d’Eugénie de Guérin
13 Ibid.
14 Saint Augustin, Enarrationes in Psalmos 121,2 (CCL, 40, p. 1802).

Ps 104 (103) : le soleil des eaux

20 décembre, 2010

du site:

http://www.bible-service.net/site/549.html

Ps 104 (103) : le soleil des eaux

Ps 104,1 Bénis le Seigneur, ô mon âme !
Seigneur mon Dieu, tu es si grand !
Vêtu de splendeur et d’éclat,
2 drapé de lumière comme d’un manteau,
tu déploies les cieux comme une tenture.

3 Il étage ses demeures au-dessus des eaux
des nuages il fait son char ;
il marche sur les ailes du vent.
4 Des vents il fait ses messagers,
et des flammes, ses ministres.

5 Il a fondé la terre sur ses bases,
elle est à tout jamais inébranlable.
6 Tu l’as couverte de l’Océan comme d’un habit ;
les eaux restaient sur les montagnes.
7 A ta menace elles ont fui,
affolées par tes coups de tonnerre :
8 escaladant les montagnes, descendant les vallées
vers le lieu que tu leur avais fixé.
9 Tu leur as imposé une limite à ne pas franchir ;
elles ne reviendront plus couvrir la terre.

10 Il envoie l’eau des sources dans les ravins :
elle s’en va entre les montagnes ;
11 elle abreuve toutes les bêtes des champs,
les ânes sauvages étanchent leur soif.
12 Près d’elle s’abritent les oiseaux du ciel
qui chantent dans le feuillage.

13 Depuis ses demeures il abreuve les montagnes,
la terre se rassasie du fruit de ton travail :
14 tu fais pousser l’herbe pour le bétail,
les plantes que cultive l’homme,
tirant son pain de la terre.
15 Le vin réjouit le coeur des humains
en faisant briller les visages plus que l’huile.
Le pain réconforte le coeur des humains.

16 Les arbres du Seigneur se rassasient,
et les cèdres du Liban qu’il a plantés.
17 C’est là que nichent les oiseaux,
la cigogne a son logis dans les cyprès.
18 Les hautes montagnes sont pour les bouquetins,
les rochers sont le refuge des damans.

19 Il a fait la lune pour fixer les fêtes,
et le soleil qui sait l’heure de son coucher.
20 Tu poses les ténèbres, et c’est la nuit
où remuent toutes les bêtes des bois.
21 Les lions rugissent après leur proie
et réclament à Dieu leur nourriture.
22 Au lever du soleil ils se retirent,
se couchent dans leurs tanières,
23 et l’homme s’en va à son travail,
à ses cultures jusqu’au soir.

24 Que tes oeuvres sont nombreuses, Seigneur !
Tu les a toutes faites avec sagesse,
la terre est remplie de tes créatures.

25 Voici la mer, grande et vaste de tous côtés,
où remuent, innombrables, des animaux petits et grands.
26 Là, vont et viennent les bateaux,
et le Léviatan que tu as formé pour jouer avec lui.

27 Tous comptent sur toi
pour leur donner en temps voulu la nourriture :
28 tu donnes, ils ramassent ;
tu ouvres ta main, ils se rassasient.
29 Tu caches ta face, ils sont épouvantés ;
tu leur reprends le souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
30 Tu envoies ton souffle, ils sont créés,
et tu renouvelles la surface du sol.

31 Que la gloire du Seigneur dure toujours,
que le Seigneur se réjouisse de ses œuvres !
32 Il regarde la terre, et elle tremble ;
il touche les montagnes, et elles fument.

33 Toute ma vie je chanterai le Seigneur,
le reste de mes jours je jouerai pour mon Dieu.
34 Que mon poème lui soit agréable !
Et que le Seigneur fasse ma joie !
35 Que les pécheurs disparaissent de la terre,
et que les infidèles n’existent plus !
Bénis le Seigneur, ô mon âme !

Alléluia !

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Ps 104 : Harmonie du monde, splendeur de Dieu
 »Béni le Seigneur, ô mon âme ! » L’exclamation encadre le psaume 104, l’un des plus somptueux de la Bible, description de l’harmonie du monde. Comme dans certains hymnes égyptiens, l’eau y ruisselle pour le bonheur des êtres vivants.
Les amoureux de l’Ancien Orient ont parfois rapproché le psaume 104 de l’hymne composé par le pharaon Aménophis IV, dit Akhenaton, en l’honneur du disque solaire Aton (vers 1350 av. J.-C.). Il n’est pas sûr que l’œuvre égyptienne ait inspiré l’hébraïque. La parenté du langage poétique est néanmoins une chance pour saisir la différence des théologies.
 
Splendeur de Dieu
Ainsi les deux poèmes commencent par s’adresser à la divinité :  »Tu apparais, parfait, à l’horizon du ciel / Disque vivant qui est à l’origine de la vie… / Tu es beau, grand, étincelant… » (hymne à Aton) ou  »Seigneur mon Dieu, tu es si grand, revêtu de splendeur et d’éclat, / drapé de lumière comme d’un manteau… » (Ps 104, v. 1-2).
Même admiration pour un dieu unique, mais éclat inégal : dans le premier cas, le dieu-soleil est origine de tout et agit par ses rayons, alors que dans le second, la lumière (distincte du soleil, cf. v. 19-22) n’est qu’un magnifique vêtement, annonciateur de bien d’autres merveilles.
 
Mouvement incessant 
Le Seigneur est drapé de lumière mais la terre, elle, est – ou plutôt a été – vêtue de  »l’abîme des mers ». La première page de la Genèse raconte la séparation des eaux  »d’en haut » et des eaux  »d’en bas » (deuxième jour, Gn 1, 6-8) puis l’émergence de la terre hors des eaux d’en bas, et l’apparition des végétaux (troisième jour, Gn 1, 9-13). Il y a ici un écho de l’origine, mais d’une origine toujours recommencée, effet d’une parole divine toujours neuve et formidable :  »les eaux recouvraient les montagnes / à ta menace, elles prennent la fuite, à la voix de ton tonnerre elles se précipitent » (v. 6-7).
Toute une partie du poème vibre et frémit de ce mouvement des eaux auprès desquelles et vers lesquelles vont et viennent les êtres vivants, hommes ou bêtes (v. 8-14). L’œil du poète embrasse les sommets et les ravins, saisit ici le jaillissement des sources, s’attarde là sur la lenteur des rivières (l’eau  »chemine », v. 10), et prend le temps de voir les animaux s’abreuver, à commencer par les plus farouches, ceux que l’on n’observe qu’avec patience : âne sauvage ou volatiles (v. 11-12). Selon la cosmologie d’alors, les  »eaux d’en haut » – si près des demeures de la divinité –, orages et pluies, dévalent des monts et, de là, irriguent prairies et champs (v. 13-14).
Rien, dans le psaume, n’est particulier à Israël. Tout est universel. L’hymne à Aton est plus ethnocentrique. La partie consacrée au fleuve de l’Égypte y distingue un Nil  »dans le ciel » (autre manière d’évoquer orages et pluies) et un autre sur la terre. Celui du ciel a certes été placé par le Disque solaire pour faire vivre tous les pays :  »le Nil qui est dans le ciel, c’est le don que tu as fait aux peuples étrangers / et à toutes les bêtes du désert ». Mais  »le vrai Nil, il vient du monde inférieur pour l’Égypte » ! Et c’est autour de celui-ci, que, fécondés par les rayons du soleil, s’étendent les champs et passent les saisons.
 
Dissonance 
Le psaume 104, sauf en ses derniers versets, n’évoque particulièrement ni le pays ni le destin d’Israël. La vie de tous s’y organise après la domestication des eaux par la Parole divine. La suite du poème, la plus longue, s’attache aux activités humaines, dans l’alternance des nuits et des jours. Elle donnerait à penser que le mal n’existe pas, que toute violence est évitée (les fauves gagnent leurs repaires quand les hommes sortent travailler, v. 22-23) si la conclusion ne mentionnait les  »pécheurs » et les  »impies » comme une atteinte à l’harmonie du monde (v. 35), une harmonie à laquelle participent même les monstres marins, fugitivement aperçus sur la mer à côté des bateaux (v. 25-26) !
Une ombre ternit ce qui était jusqu’alors lumière, mouvement et vie.  »Alleluia » (=  »Gloire à Dieu ») a beau s’élancer en finale du psaume 104, revenir dans le psaume 105 et encadrer le psaume 106, l’ombre grandira : après les splendeurs de la création (Ps 104), après les hauts-faits de l’alliance (Ps 105), seront énumérées les fautes d’Israël (Ps 106). Chanter le psaume en vérité, c’est donc affronter la dissonance finale et reprendre à son compte le souhait de la disparition du péché. L’aujourd’hui touche ici l’origine (la beauté) et la fin (victoire sur le mal), à Dieu remises. L’hymne à Aton ne parle d’aucun combat. Le psaume serait-il plus réaliste ? Et plus ouvert à l’espérance ? Car, à le suivre, nous apprenons que la Parole divine,  »menace » et  »tonnerre », peut canaliser et transformer les eaux dangereuses. Cette puissance, comment ne pas l’invoquer pour d’autres dangers ?
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Gérard BILLON. Article paru dans Le Monde la Bible n° 138  »Le Nil, fleuve sacré d’Egypte » (Bayard-Presse, nov. 2001), p. 80
Nota Bene : Une traduction complète de l’hymne égyptien d’Akhénaton par André Baruch est donnée dans  »Prières de l’Ancien Orient », Supplément au Cahier Évangile n°27 (Éd. SBEV-Le Cerf, 1979) p. 68-72.

Bienheureux Guerric d’Igny : « Le Seigneur lui-même vous donnera un signe : voici que la jeune femme est enceinte »

20 décembre, 2010

du site: 

http://www.levangileauquotidien.org/main.php?language=FR&module=commentary&localdate=20101220

Férie de l’Avent : semaine avant Noël (20 déc.) : Lc 1,26-38

Commentaire du jour
Bienheureux Guerric d’Igny (v. 1080-1157), abbé cistercien
Sermon 3 pour l’Annonciation, 2-4 (trad. Sr Isabelle de la Source, Lire la Bible, t. 6, p. 38)

« Le Seigneur lui-même vous donnera un signe : voici que la jeune femme est enceinte »

      « Le Seigneur s’adressa à Acaz et lui dit : ‘ Demande pour toi un signe. ‘ Acaz répondit : ‘ Non, je n’en demanderai pas, je ne mettrai pas le Seigneur à l’épreuve ‘ » (Is 7,10-12)… Eh bien, ce signe refusé…nous l’accueillons, nous, avec une foi entière et un respect plein d’amour. Nous reconnaissons que le Fils conçu par la Vierge est pour nous, « dans les profondeurs » de l’enfer, signe de pardon et de liberté, et qu’il est pour nous, « dans les hauteurs des cieux », signe et espérance d’exultation et de gloire… Ce signe, désormais, le Seigneur l’a élevé, d’abord sur le gibet de la croix, puis sur son trône royal…

      Oui, c’est un signe pour nous que cette mère vierge qui conçoit et enfante : signe qu’il est Dieu, cet homme conçu et enfanté. Ce Fils qui accomplit des œuvres divines et endure des souffrances humaines est pour nous le signe qu’il mènera jusqu’à Dieu ces hommes pour lesquels il est conçu et enfanté, pour lesquels aussi il souffre.

      Et de toutes les infirmités et disgrâces humaines que ce Dieu a daigné endurer pour nous, la première dans le temps, comme la plus grande dans l’abaissement, je le crois, a été sans doute que cette Majesté infinie ait supporté d’être conçue dans le sein d’une femme et d’y être enfermée pendant neuf mois. Où a-t-elle été jamais si totalement anéantie ? Quand l’a-t-on vue se dépouiller d’elle-même à ce point ? Durant un si long temps, cette Sagesse ne dit rien, cette Puissance n’opère rien de visible, cette Majesté cachée ne se révèle par aucun signe. Sur la croix même, le Christ n’a point paru aussi faible… Dans le sein, au contraire, il est comme s’il n’était pas ; sa toute-puissance est inopérante, comme si elle ne pouvait rien ; et le Verbe éternel s’enfouit sous le silence.