Archive pour le 27 novembre, 2010
Psaume 122. Pèlerinage vers Jérusalem (dimanche 28 novembre 2010)
27 novembre, 2010du site:
http://www.spiritualite2000.com/page-2266.php
Psaume 122. Pèlerinage vers Jérusalem
Hervé Tremblay
Finalement arrivé aux portes de Jérusalem après une longue marche, un pèlerin exprime sa joie d’entrer bientôt dans la cité de David et dans le temple de Dieu. Puis il exprime son admiration devant la ville magnifique, son attachement pour la cité, à la fois centre de la vie religieuse et de l’activité nationale. Finalement montent des prières pour la paix et la prospérité de la ville et de ses habitants, que le pèlerin étend à ses frères dispersés et au temple lui-même. Il faut se rappeler, en effet, que Jérusalem n’était pas seulement la capitale politique du royaume, mais qu’elle avait aussi une signification religieuse, tant les deux domaines étaient imbriqués pour les anciens. Le Ps 122 invite donc à une expérience de convivialité avec Dieu et avec d’autres croyants.
Selon le genre littéraire, le Ps 122 est généralement classifié dans les cantiques de Sion (on en compte cinq autres : Ps 46; 48; 76; 84; 87). Toutefois, à l’intérieur du psautier, il fait partie des 15 « chants des montées » ou « cantiques des degrés » (Ps 120–134), qui seraient des chants de pèlerinage chantés sans doute pendant la montée à Jérusalem (cf. Is 2,3; Jr 31,6; Ps 84). On a aussi suggéré qu’il s’agissait de chants de pèlerinage repris par des lévites placés sur les « quinze degrés » ou marches, de l’entrée du temple, ou encore d’une suite de chants pour couvrir « graduellement » l’ensemble des célébrations du pèlerinage.
Le texte du psaume comporte deux difficultés. Au v. 3b, on a littéralement : « qui est liée à elle ensemble ». On traduit habituellement : « ville où tout ensemble ne fait qu’un », « ville d’un seul tenant ». L’idée serait celle d’une ville bien construite où toutes les parties sont liées entre elles, qui associe tout en elle. On peut aussi comprendre, d’après les versions anciennes, qu’il s’agit de la cohésion des personnes (« où la communauté est une »). Au v. 6b, pour respecter le parallélisme avec le v. 7a (« Que la paix règne dans tes murs ») certains corrigent « paix à ceux qui t’aiment » par un mot semblable en hébreu « paix à tes tentes ».
La structure du poème, en trois strophes, est assez évidente. La première strophe (v. 1-2) oppose un hier (v. 1) à un aujourd’hui (v. 2). Quelqu’un, parti à Jérusalem avec un groupe de pèlerins après un cri de ralliement, exprime sa joie d’arriver enfin à destination. On y passe de la perception auditive (le cri) à la perception visuelle (la beauté de la ville). La deuxième strophe (v. 3-5) contient un approfondissement théologique sur Jérusalem symbole d’unité dans deux domaines : religieux d’abord, à cause du temple, lieu de rassemblement cultuel (v. 4) ; politique, ensuite, à cause du palais royal, lieu du pouvoir central (v. 5). La troisième strophe (v. 6-9) se répand en souhaits et prières pour le bonheur et la paix (v. 6-9).
Sur le plan littéraire, le psaume est un chef-d’œuvre. On note immédiatement la répétition de certains mots soulignant les thèmes centraux : « Jérusalem » (v. 2-3.6), l’adverbe « là » (v. 4-5), « à cause de » (v. 8-9), mais surtout la reprise des termes avec un complément différent : « tribus » (v. 4); « trônes » ou « sièges » (v. 5); « paix, prospérité » (v. 6-8). Aux v. 4-5 la séquence des formes est la même : adverbe, verbe, substantif redoublé pour l’emphase : « C’est là que montent les tribus, les tribus du Seigneur. C’est là le siège du droit, le siège de la maison de David ». Ce n’est pas tout. Dans l’hébreu, il y a également des allitérations et des jeux de sonorité plutôt uniques (v. 4c; v. 4d-5a), surtout la cascade de syllabes chuintantes du v. 6 : « demandez » (sha’alu), « la paix » (shalôm), « Jérusalem » (yerûshalaïm), « que la paix règne » (yishlayû).
Le v. 1 du psaume s’ouvre sur la joie. En communion avec tous ses prédécesseurs, le psalmiste fait sien l’enthousiasme qui soulevait les Israélites à la pensée de voir Jérusalem et son temple (Ps 16,9-11; 27,4; 42,3-7; 43,3-4; 48,12; 84,2-8; Dt 12,18; 14,26; 1 Ch 12,41; 15,16.25; 2 Ch 30,21-26; Is 30,29; Jr 31,12-13; So 3,14-15). À l’annonce du pèlerinage qu’il va entreprendre, il se remémore les paroles des prophètes « Levez-vous et montons à Sion, vers le Seigneur notre Dieu » (Jr 31,6; cf. Is 2,1; 30,29). Dès le v. 2 le psalmiste s’adresse directement à la ville (« tes portes »). Sa marche dans la poussière et sous un soleil de plomb a pris fin, ses pieds foulent maintenant la terre sacrée. Au v. 3 le pèlerin admire Jérusalem solidement reconstruite, avec ses douze portes monumentales, remplie d’une nombreuse population. Pour un provincial habitué aux villages aux petites maisons isolées et sans ordre, c’est un émerveillement de découvrir l’ordonnance harmonieuse des habitations en pierre et des palais. Nous avons parlé du problème textuel de ce verset. Le verbe est au passif, qui pourrait être interprété d’un passif divin au sens où c’est Dieu qui a réalisé l’unité du peuple autour de la ville sainte. Mais rapidement cet enthousiasme esthétique s’élève au niveau des valeurs nationales et religieuses qu’évoque la ville. Elle est le signe de la présence de Dieu au milieu de son peuple, le gage de sa prédilection, le centre des tribus où toutes viennent prendre conscience de leur solidarité et resserrer leur unité nationale. Le v. 4 évoque les tribus montant trois fois par année à Jérusalem, pour la Pâque, Pentecôte et la fête des Tentes (Ex 23,17; 34,23; Dt 12,4-14; 16,16). Le v. 5 parle des « sièges », une référence aux rois d’Israël qui jugeaient au nom du Seigneur tout citoyen faisant appel à eux (Dt 7,8; 1 R 3,7-11; 7,7; Pr 20,8; Ps 9; 43,1-3; 118,9-21; Is 11,3; 16,5; 26,1-3; Jr 21,12). C’est que, à côté du temple, résidence de Dieu, s’élevait le palais des rois, symbole de la dynastie davidique et représentation visible de la présence de Dieu sur terre. C’est pourquoi le psaume parle de la « maison de David », la dynastie choisie par le Seigneur qui a reçu les promesses divines (2 S 7; 1 R 12,28; 2 R 2,45; Ps 89,5.30.37; 132,11). Comme le psaume est probablement postexilique, les grandes traditions royales cèdent le pas à un messianisme plus spiritualisé. Depuis le retour d’exil, Jérusalem garde le trône vacant pour le nouveau David promis.
Dans un changement de tonalité assez net, la dernière étape (v. 6-9) se développe tout entière sous le mode volitif avec des prières et des souhaits. Le psalmiste s’adresse successivement aux autres pèlerins (v. 6a), puis encore à Jérusalem (v. 6b-9). D’autres ont supposé un dialogue entre un prêtre (v.6a.7a.8a) et les fidèles (v. 6b.7b.8b), terminé par la prière du prêtre (v. 9). Que rien ne vienne troubler le calme de la ville, de ses tentes, de ses palais et de ses murailles! En jouant sur l’étymologie populaire du nom de la ville (« cité / vision de paix »), le psalmiste souhaite paix et bonheur à la ville. La salutation s’exprime selon la formula bien connue: « Shalôm! Paix à toi! ». C’est un souhait non seulement d’absence de trouble et de malheur, mais encore d’obtention des biens les plus importants comme la santé et le bien-être (Gn 29,6; 43,7; 2 S 11,7; 2 R 20,9; Ps 84,5). En effet, la racine hébraïque signifie d’abord « intégrité » : que Jérusalem garde toujours son intégrité territoriale, morale, religieuse et politique. Il faut donc que la ville voit la réalisation intégrale de tout ce que signifie son nom, qu’elle demeure, à travers toutes les tragédies, la patrie de la paix où l’on vit en bonne entente dans l’amour du vrai Dieu. Une dernière considération achève de donner à ces vœux pour Jérusalem leur plénitude de sens, à savoir le rôle communautaire que la cité exerce à l’égard de ceux qui se recommandent d’elle. Jérusalem est la ville de tous. Le psalmiste étend ses prières à tous ses frères de race et de religion, à tous ceux qui participent au pèlerinage, à ceux qui ont dû rester chez eux, à ceux qui résident ailleurs dans le pays et même à ceux qui sont dispersés dans la diaspora.
La relecture chrétienne permet, pour une rare fois, une application littérale du psaume. En effet, la coutume des pèlerinages semble plus vivante que jamais : Rome, la terre sainte, Compostelle, Fatima, Lourdes, etc. Depuis des siècles, des milliers de pèlerins ont marché de grandes distances afin d’aller vers ces lieux significatifs où Dieu s’est manifesté au monde, signifiant du coup leur cheminement intérieur vers lui. Même s’il est vrai que « les vrais adorateurs adorent le Père en esprit et en vérité » (Jn 4,21), il reste que les hommes ont besoin de ces signes visibles qui pointent vers une autre cité et donnent un sens à leur marche vers elle.
Certains auteurs ont imaginé Jésus récitant ce psaume lors de ses montées à Jérusalem (Lc 2,41; Jn 2,23; 5,1; 7,2-10). Il faut noter spécialement Lc 19,41-44 qui joue aussi sur « Jérusalem » et « paix » (cf. Hé 7,2). À un autre niveau, le Ps 122 pointent vers l’Église, nouvelle fondation de paix. De même que Jérusalem signifiait l’unité de tout Israël, ainsi l’Église fait l’unité de tous les croyants en Jésus Christ. « Il a voulu tout réconcilier [...] en faisant la paix par le sang de sa croix » (Col 1,20). C’est pourquoi tous les cantiques de Sion sont généralement interprétés de l’Église, Jérusalem nouvelle (Ap 21,2-27), que toutes les nations de la terre sont appelées à construire (Ép 2,20-22; Hb 12,22-24), où tout se tient uni par le lien de la charité (Col 3,14) et de la paix (Ép 4,3; Ph 4,7). On a aussi développer l’image de Jésus temple nouveau (Jn 2,19-22) ainsi que les textes apostoliques sur le temple vivant de Dieu composé des fidèles (1 Co 3,11-17; 1 P 2,5). Ainsi donc, si la motivation politique du Ps 122 est d’une application plus délicate dans le monde d’aujourd’hui, sa motivation religieuse, au service de l’unité, reste toujours valide.
Fr. Hervé Tremblay o.p.
Collège universitaire dominicain
Ottawa
Homélie : 1er dimanche de l’Avent – 28 novembre 2010
27 novembre, 2010du site:
http://www.homelies.fr/homelie,1er.dimanche.de.l/.avent,2978.html
1er dimanche de l’Avent – 28 novembre 2010
Famille de saint Joseph
HOMÉLIE
L’automne, et bientôt l’hiver, étendent leur manteau de brouillard et de bruines sur la terre. Les arbres se sont dépouillés de leurs feuilles ; la sève se retire des branches : la nature s’intériorise, se recueille. Le chant des oiseaux se fait plus discret comme pour ne pas interrompre le silence de la nuit qui se prolonge. Tout nous porte à entrer nous aussi en « retraite », comme nous y invite le temps liturgique de l’Avent. Le mot « retraite » est à prendre au sens étymologique : il s’agit de nous retirer autant que faire se peut de l’éparpillement dans nos activités débordantes, pour nous tourner vers l’intérieur, et nous mettre à l’écoute du silence.
La première lecture peut nous aider à orienter notre effort : « Venez, famille de Jacob, marchons à la lumière du Seigneur ». Quelle est la lumière qui nous guide dans notre vie quotidienne ? Celle des spots publicitaires ? des flash-infos ? des bandes annonces du dernier film ? des devantures ruisselantes des magasins ? Réussissons-nous à prendre de la distance par rapport à ces multiples sollicitations extérieures ? Gardons-nous notre liberté intérieure ou sommes-nous prisonniers de notre société de consommation qui érige le bien-être et la jouissance en valeurs suprêmes ?
Paradoxalement, saint Paul dans la seconde lecture compare l’agitation de cette vie trépidante à un « sommeil » dont il nous presse de sortir. L’insistance de l’apôtre nous laisse présager que la démarche ne sera pas aisée : il s’agit d’une véritable conversion, qui exige un « combat » contre la partie obscure de nous-mêmes – celle qui est complice des « activités des ténèbres » : ripailles, beuveries, orgies, débauches, disputes, jalousies – entendons : toutes les œuvres qui ne procèdent pas d’une conscience droite, c’est-à-dire d’une conscience éclairée par la lumière de l’Esprit, et qui par conséquent sont ténébreuses.
Nous ne sommes pas invités à nous soustraire au monde, mais à redécouvrir notre intériorité spirituelle, afin de nous conduire comme « des fils de la lumière, des fils du jour » ; car « nous n’appartenons pas à la nuit et aux ténèbres. Dès lors – insiste à nouveau saint Paul – ne restons pas endormis comme les autres, mais soyons vigilants et restons sobres » (1 Th 5, 5-6).
Le message est clair : « Veillez » ; tel est le mot d’ordre de tout ce temps béni de l’Avent. La sobriété – signifiée par la couleur liturgique violette – a pour but de nous soustraire à la fascination des sollicitations extérieures ; la vigilance doit nous garder attentifs aux motions intérieures de l’Esprit.
Pour qu’une telle attitude devienne habituelle, il faut bien sûr s’y exercer en des temps privilégiés durant lesquels nous nous efforçons de nous recueillir, de nous intérioriser, de revenir à nous-mêmes.
La difficulté est que nous avons perdu la clé de notre chambre intérieure ; lorsque nous essayons de faire silence, nous sommes bientôt submergés par le bruit de nos pensées en cavale et par le tintamarre de nos émotions débridées. Aussi risquons-nous de nous décourager : comment pourrions-nous revenir à nous-mêmes alors que nous ne savons plus qui nous sommes ?
C’est bien pourquoi saint Paul nous invite à « revêtir le Seigneur Jésus Christ pour le combat de la lumière ». N’est-il pas le vrai visage de l’homme réconcilié avec Dieu et rétabli dans la lumière de la grâce ? N’est-il pas le chemin qui nous conduit à notre vérité profonde et à la source de la vie ?
Revêtir le Seigneur Jésus Christ signifie épouser sa manière de voir les personnes, les événements ; évaluer les situations à la lumière de ses critères ; pour agir conformément à ce qu’il attend de nous.
Autrement dit : pas d’oraison chrétienne qui ne soit enracinée dans la lectio divina, c’est-à-dire dans une « lecture savoureuse de la Parole », qui nous fasse entrer dans l’intimité du Seigneur Jésus, et nous donne de le connaître « en Esprit et vérité » (Jn 4, 23) – comme nous y invite le Saint Père dans sa récente Exhortation apostolique post-synodale Dei Verbum.
Tel est bien le cœur de la conversion à laquelle nous sommes invités en ce temps béni de l’Avent : nous laisser conduire jour après jour par les textes de la liturgie, afin de retrouver l’attitude de vigilance intérieure qui convient à un disciple en attente du retour de son Maître. Comme Noé, il nous faut « entrer dans l’arche » de l’Église – de notre « église intérieure », c’est-à-dire de notre cœur – pour nous y tenir prêts à « l’avènement du Fils de l’Homme ».
Veiller intérieurement pour demeurer en présence du Seigneur, afin de le reconnaître quand il viendra, mais aussi afin de le découvrir dans le visage de ceux qui nous entourent et qui sont confiés à notre vigilance. Nous avons à veiller sur eux comme le Seigneur veille sur nous. Plus exactement : le Seigneur veut se servir de notre vigilance pour les entourer la sienne.
Le discernement des signes du Royaume qui vient implique que nous acceptions de devenir nous-mêmes ces signes, en nous laissant conduire par l’Esprit de charité.
« Deux hommes seront aux champs : l’un est pris, l’autre laissé. Deux femmes seront au moulin : l’une est prise, l’autre laissée ». Risquons une interprétation de ce verset mystérieux. Nous suggérons que les hommes représentent la dimension extérieure de notre humanité – l’être « charnel » dont parle saint Paul ; et que les femmes symbolisent notre intériorité psychique, c’est-à-dire notre dimension affective et nos facultés. Chacune de ces polarités – masculine et féminine – est présentée en binôme, pour signifier que nous sommes « doubles » : notre être psychique et notre être charnel sont en partie autonomes, et en partie soumis à l’être spirituel, c’est-à-dire à l’homme nouveau, au Christ intérieur. « L’un(e) est pris(e), l’autre laissé(e) » : l’être naturel en nous ne subsistera que dans la mesure où il se sera soumis à l’Esprit, c’est-à-dire dans la mesure où il aura accueilli la grâce du salut.
Peut-être pouvons-nous deviner, en filigrane des personnages masculins et féminins qui « sont pris », Joseph et Marie chez qui l’être charnel et psychique sont pleinement intégrés dans l’être spirituel, et mis au service du dessein de Dieu. Tous deux vivent dans le monde, mais ne sont pas du monde : leurs pensées, leurs paroles, leurs actions sont entièrement finalisées sur l’accueil du Sauveur. Qui mieux que Marie et Joseph pourrait nous introduire dans ce temps de conversion à l’unique nécessaire ?
« Vierge Marie, apprends-nous à tourner nos regards vers l’intérieur et à cultiver la vigilance du cœur. Saint Joseph, enseigne-nous comment travailler dans le monde sans nous disperser ou nous laisser accaparer par nos activités. De sorte que « tout ce que nous disons, tout ce que nous faisons, soit toujours accompli au nom du Seigneur Jésus Christ, en offrant par lui notre action de grâce à Dieu le Père » (Col 3, 17). »
Père Joseph-Marie