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LE PÈRE SERGE BULGAKOV PENSEUR CHRÉTIEN ET HOMME D’ÉGLISE
LUMIÈRE DU THABOR
Bulletin des Pages Orthodoxes La Transfiguration
BULLETIN NUMERO 38 – JUIN 2010
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Le père Serge Boulgakov est le théologien orthodoxe le plus important de la première moitie du XXe siècle. Fils de prêtre devenu philosophe marxiste, il est revenu à l’Église après s’être rendu compte de la faiblesse du marxisme à fournir une réponse adéquate à la nature et la quête spirituelles de l’homme et aux problèmes de la société. Sa pensée, à la fois profonde et étendue, continue à attirer et à fasciner les chrétiens des toutes dénominations, cela même si certains aspects de sa théologie, notamment ses enseignements sur la Sophia, la Sagesse de Dieu, demeurent controversés. En consacrant ce numéro du Bulletin Lumière du Thabor au père Serge Boulgakov, nous avons voulu souligner moins sa pensée théologique que son cheminement personnel et spirituel, ainsi que son ministère pastoral….
AUPRÈS DU CERCUEIL DE MON ENFANT
Extraits d’une « lettre intime » du père Serge Boulgakov
Ivan, le fils de Serge Boulgakov né en 1906, est décédé en 1909.
« … Je ne veux pas pardonner au ciel ses souffrances, sa crucifixion ! Comment pardonner ce que je ne puis com-prendre ? Et je ne dois pas pardonner : Dieu n’a-t-il pas condamné ses « avocats » qui entouraient Job, qui avaient tout expliqué et tranché ? Il me semblait (et il me semble encore, bien des années plus tard) que Dieu ne voulait pas de moi une résignation facile, car j’avais à recevoir un coup d’épée dans le cœur. Combien difficile, le sacrifice d’Abraham ! C’est d’une âme non pas réconfortée, mais déchirée que, devant la victime innocente, je criais Tu es juste, Seigneur, et justes sont tes voies ! Et j’y mettais tout mon cœur. Oh, je ne me révoltais pas ni ne récriminais, car la révolte aurait été dérisoire et pusillanime. Mais je ne voulais pas me résigner, car honteuse aurait été la résignation.
Le Père m’a répondu en silence : à son chevet s’est dressé le crucifix du Fils unique.
J’ai entendu cette réponse et je me suis incliné. Mais entre le crucifix et son corps, des souffrances innocentes et le sarcasme de quelqu’un formaient comme un brouillard épais, impénétrable. Et là, je le sais pour sûr, il y avait le mystère de ma propre existence. Dès lors, je savais qu’il est d’une grande facilité, d’une facilité tentatrice, d’essayer d’oublier ce nuage, de passer à côté. Il est après tout désagréable de porter en soi quelque chose d’entièrement incompréhensible et il est plus convenable de vivre dans le monde en compagnie de personnages importants… Autrement, ce n’est que par un exploit spirituel, par la croix de toute une vie que je pour-rais dissiper le nuage ; car il peut se dissoudre, je le savais aussi sans doute aucun : c’est l’ombre de mon propre péché, puisque je l’ai crucifié moi-même avec mes péchés. Il m’avait, lui, parlé de cela durant cette nuit golgothéenne : « Papa, porte-moi en haut ! Allons en haut tous les deux ! » Oui, allons, allons, mon enfant, mon guide, mon ange gardien !
Mais ici commence l’indicible…
Mon petit, mon clair, mon saint, auprès de ton corps pur, tes reliques, j’ai appris comment Dieu parle, j’ai compris ce que signifie : Dieu a dit ! Par une vision jamais encore connue du cœur, avec la douleur cruciale, une joie céleste descendait en lui et, dans la nuit de l’abandon par Dieu, Dieu s’instaurait dans l’âme. Mon cœur livra passage à la douleur, à la souffrance des hommes, il s’ouvrit devant des cœurs qui lui étaient jusqu’ici restés étrangers, donc clos, avec leur angoisse et leurs malheurs. Pour la première fois de ma vie, je comprenais ce que veut dire aimer, non d’un amour humain, égoïste et cupide, mais divin, ce-lui du Christ pour nous. Le rideau qui me séparait des autres s’écarta et je perçus dans leur cœur la nuit, l’amertume, l’offense, le ressentiment, la souffrance. Et c’est dans une sorte d’ineffable exaltation, d’extase, d’oubli de moi-même, que je disais alors, tu t’en sou-viens, mon tout blanc ! que je disais : Dieu m’a dit. Et tout aussi simplement, j’ajoutais : toi aussi tu m’as dit. Dieu me parlait alors, et tu me parlais !
Aujourd’hui, je vis de nouveau dans les ténèbres et dans le froid, je ne puis recourir qu’à ma mémoire.
Mais j’avais compris ce que signifie « Dieu a dit ». J’avais appris une fois pour toutes que Dieu parle en effet et que l’homme entend, et n’est pas réduit en cendres. Je sais maintenant comment Dieu parle aux prophètes. Ô, mon ange clair ! Cela peut sembler folie, aveuglement, blasphème et sacrilège, mais tu sais bien que non ; à toi je ne pourrais, mentir. Je sus alors en pleine certitude que Dieu m’avait parlé et qu’il avait ainsi parlé aux prophètes. Bien sûr, il leur avait dit autre chose et autrement, et eux-mêmes étaient tout autres. Je connaissais alors et je sen-tais l’abîmé entre eux et moi, et je le sais tout autant aujourd’hui. Mais il n’y a qu’un Dieu et sa condescendance sans mesure est la même. Qu’il y ait un grand abîme entre mon âme enténébrée, pécheresse et l’âme sainte d’un prophète, certes ! mais encore plus immense est l’abîme qui sépare Dieu de toute créature ; et en tant que créatures, les prophètes et moi-même, nous sommes la même chose ; et Il parle à la créature… Oublier cela et douter après cela, ce serait pour moi mourir spirituellement. L’on peut perdre son trésor, avoir peur de le défendre ; quand même il serait indûment abandonné et dilapidé, il reste un trésor…
« Je connais un homme en Christ, qui a été enlevé au troisième ciel »… Avez-vous lu ces paroles ? Avez-vous songé à ce qu’elles signifient ? Si ce n’est pas du délire ni de l’autosuggestion, si ce qui est écrit là est vrai et si cela s’est passé comme c’est écrit, qu’est-ce que cela veut dire pour celui qui a vu ? De quel regard allait-il contempler le monde après la vision, quand le ciel s’était ouvert ?…etc
Extrait de Serge Boulgakov, Lumière
sans déclin (1917), trad. Constantin Andronikof,
Lausanne, L’Âge d’homme, pp. 28-33.
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Paul Ladouceur Le Bulletin Lumière du Thabor Courrie
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Rédigé par l’équipe rédaction le 2 Juillet 2010 à 14:17