Archive pour le 7 octobre, 2010
par Mgr Georg Gänswein: cinq ans de pontificat (de Pape Benoît)
7 octobre, 2010du site:
http://www.zenit.org/article-25607?l=french
CINQ ANS DE PONTIFICAT, PAR LE SECRÉTAIRE PARTICULIER DE BENOÎT XVI
« Un Pape qui surprend »
ROME, Mardi 5 octobre 2010 (ZENIT.org) – « Cinq ans de pontificat à travers le regard du secrétaire particulier de Benoît XVI. Un Pape qui surprend » c’est le titre donné par l’Osservatore Romano à cette intervention de Mgr Gänswein
Le 27e Prix Capri San Michele pour la Section Images Verités – décerné à l’ouvrage « Benoît XVI urbi et orbi. Avec le Pape à Rome et sur les routes du monde » (Cité du Vatican, Librairie éditrice vaticane, 2010), sous la direction du secrétaire particulier du Souverain Pontife – a été remis dans l’après-midi du 25 septembre 2010 à Mgr Georg Gänswein à Anacapri (Italie). L’Osservatore Romano en français du 5 octobre 2010 publie son intervention à cette occasion.
Le style et le courage d’un homme qui parle de Dieu
Par Mgr Georg Gänswein
Un « lustre », c’est beaucoup ; un « lustre », ce n’est pas beaucoup; un arc de temps de cinq ans, c’est long, un arc de temps de cinq ans, ce n’est pas très long. On peut débattre longuement sur la question et trouver des arguments pour et contre. Le 19 avril dernier, cinq ans s’étaient écoulés depuis que le cardinal Joseph Ratzinger avait été élu Pape sous le nom de Benoît XVI. Le cinquième anniversaire de son élection a représenté l’occasion concrète pour cette publication. Mais la raison la plus profonde se trouve dans l’invitation, à suivre les traces du Saint-Père sur son siège épiscopal à Rome (urbi), dans ses voyages apostoliques en Italie et dans les différents pays et continents de la terre (orbi), et à en trouver le message derrière les discours, les homélies, les lettres, les catéchèses. C’est dans cette optique que le temps terrestre chrònos, peut et doit devenir pour tous un chairòs, un temps de la grâce. La réflexion sur la valeur temporelle du quinquennat s’ouvre alors à une dimension entièrement différente, qui échappe à la logique des calculs mathématiques.
Ceux qui étaient présents sur la place Saint-Pierre ou devant leur télévision, au moment où la fumée blanche de la chapelle Sixtine annonçait au monde le nouveau Pape, n’oublieront jamais l’émotion lorsque le Souverain Pontife, à peine élu, apparut à la Loge des Bénédictions et adressa aux fidèles, en improvisant, les inoubliables paroles: « Chers frères et sours, après le grand Pape Jean Paul II, Messieurs les Cardinaux m’ont élu moi, un simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur. Le fait que le Seigneur sache travailler et agir également avec des instruments insuffisants me console et surtout, je me remets à vos prières, dans la joie du Christ ressuscité, confiant en Son aide constante. Nous allons de l’avant, le Seigneur nous aidera et Marie, Sa Très Sainte Mère, est de notre côté. Merci! » (cf. ORLF n. 17 du 26 avril 2005).
Dans tous les lieux de la terre l’eau a toujours été la même: c’est toujours la même composition d’hydrogène et d’oxygène. Et pourtant, l’eau est différente partout. Pourquoi? Parce que l’eau prend à chaque fois des caractéristiques particulières selon le terrain qui la filtre. C’est ce qui se passe pour les Papes. Ils accomplissent la même mission et répondent au même appel de Jésus; mais chacun répond avec sa propre personnalité et avec sa propre sensibilité unique.
Tout cela est merveilleusement beau: c’est un signe de l’unité dans la diversité; c’est un miracle de nouveauté dans la continuité; c’est une manifestation suprême de ce qui se produit dans tout le corps de la sainte Eglise du Christ, où la nouveauté et la continuité coexistent et s’harmonisent sans relâche. Le Pape Benoît XVI n’est pas égal au Pape Jean-Paul II, Deo gratias: Dieu n’aime pas la répétition et les photocopies. Et Jean-Paul II n’était pas égal à Jean-Paul IER, Deo gratias, de même que Jean-Paul IER n’était pas égal à Paul VI, Deo gratias, et Paul VI n’était pas égal à Jean XXIII, Deo gratias. Et pourtant, tous ont aimé le Christ passionnément et ont servi fidèlement son Eglise: Deo gratias quam maximas!
Mais – voilà le fait vraiment singulier et édifiant – le Pape Benoît XVI s’est présenté au monde comme le premier fidèle de son prédécesseur; c’est un acte de grande humilité, qui étonne et suscite une admiration émue. Le 20 avril 2005, en s’adressant aux cardinaux dans la chapelle Sixtine, au lendemain de son élection au suprême pontificat, Benoît XVI s’exprimait ainsi: « En ces heures, deux sentiments contrastants habitent en moi. D’une part, un sentiment d’inadéquation et de trouble humain en raison de la responsabilité [...] D’autre part, je ressens en moi une profonde gratitude à l’égard de Dieu, qui n’abandonne pas son troupeau, mais le conduit à travers les temps, sous la direction de ceux qu’Il a lui-même élus vicaires de son Fils et qu’il a constitués ses pasteurs. Très chers amis, cette profonde reconnaissance pour un don de la divine miséricorde prévaut malgré tout dans mon cour. Et je considère ce fait comme une grâce spéciale qui a été obtenue pour moi par mon vénéré prédécesseur Jean-Paul II. Il me semble sentir sa main forte qui serre la mienne; il me semble voir ses yeux souriants et entendre ses paroles, qui s’adressent de manière particulière à moi en ce moment: « N’aie pas peur! »" (ibid.)
Comme ces paroles sont sincères et, dans le même temps, empreintes d’humilité! Le fait que le Pape attribue à l’intercession de son prédécesseur le premier don de son pontificat est vraiment merveilleux: la paix du cour au milieu de la tempête inattendue des émotions. Le Pape Benoît XVI a donné à l’Eglise et au monde une merveilleuse leçon de style pastoral: celui qui commence un service ecclésial – telle est sa leçon – ne doit pas effacer les traces de celui qui a travaillé auparavant, mais doit placer humblement ses propres pas dans les traces de celui qui a marché et travaillé avant lui. S’il en était toujours ainsi, un grand patrimoine de bien serait sauf, alors qu’il est souvent détruit et dilapidé. Le Pape a recueilli cet héritage et il l’élabore avec son style doux et réservé, avec ses parole modérées et profondes, avec ses gestes mesurés mais incisifs. Benoît XVI, dans son discours d’inauguration du ministère pétrinien, le 24 avril 2005, a utilisé des expressions très claires: « Mon véritable programme de gouvernement est de ne pas faire ma volonté, de ne pas poursuivre mes idées – a dit le Pape -, mais, avec toute l’Eglise, de me mettre à l’écoute de la parole et de la volonté du Seigneur, et de me laisser guider par lui, de manière que ce soit lui-même qui guide l’Eglise en cette heure de notre histoire » (ibid.). Depuis ce jour, cinq ans se sont écoulés. Pour un pontificat, il ne s’agit certainement pas d’une longue période, mais d’un laps de temps suffisant pour tracer un premier bilan. Pour quelle cause Benoît XVI se bat-il? Quel message veut-il apporter aux hommes, à Rome et au monde? Qu’est-ce qui l’anime et qu’a-t-il réussi lui-même à faire bouger?
Il faut tout d’abord souligner à quel point le Pape nous a tous surpris: tout d’abord par la sérénité avec laquelle il a assumé le devoir de son prédécesseur Jean-Paul II, en l’interprétant de manière nouvelle et toutefois dans le même temps pleine de vitalité. Jean-Paul II a été le Pape des grandes images, à la puissance immédiatement évocatrice; Benoît XVI est le Pape de la parole, de la force de la parole: c’est un théologien plus qu’un homme de grands gestes, un homme qui « parle » de Dieu.
Dans le même temps, nous avons été émerveillés que l’ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, avec sa chaleur et sa simplicité si spontanée et vraie, réussisse sans aucun effort à conquérir le cour des hommes. Le courage qui marque clairement le pontificat du Pape allemand est également apparu de manière inattendue. Benoît XVI ne craint pas les comparaisons et les débats. Il appelle par leur nom les manquements et les erreurs de l’occident, il critique la violence qui prétend avoir une justification religieuse. Il ne cesse jamais de nous rappeler que l’on tourne le dos à Dieu avec le relativisme et l’hédonisme, tout autant qu’avec l’imposition de la religion à travers la menace et la violence. Au centre de la pensée du Pape se trouve la question du rapport entre foi et raison; entre religion et renonciation à la violence.
De son point de vue, la réévangélisation de l’Europe et du monde entier ne sera possible que lorsque les hommes comprendront que foi et raison ne sont pas en opposition, mais en relation entre elles. Une foi qui ne se mesure pas avec la raison devient elle-même sans raison et privée de sens. Et au contraire, une conception de la raison qui reconnaît uniquement ce qui est mesurable ne suffit pas pour comprendre toute la réalité. La raison doit laisser une place à la foi et la foi doit rendre témoignage à la raison, pour que toutes les deux ne s’affaiblissent pas sur l’horizon étroit de leur propre ontologie. Au fond, le Pape désire réaffirmer le noyau de la foi chrétienne: l’amour de Dieu pour l’homme, qui trouve dans la mort sur la croix de Jésus et dans sa résurrection son expression inégalable. Cet amour est le centre immuable sur lequel se fonde la confiance chrétienne dans le monde, mais également l’engagement à la miséricorde, à la charité, à la renonciation à la violence. Ce n’est pas un hasard si la première encyclique de Benoît XVI s’intitule Deus caritas est, « Dieu est amour ». C’est un signe évident; plus encore, une phrase programme de son pontificat. Benoît XVI veut faire resplendir le fascinosum du message chrétien. C’est cela qui, plus que tout autre chose, caractérise le pontificat du Pape théologien. Dans sa perspective se trouvent la force et également la possibilité d’un avenir pour la foi. Le message du Successeur de Pierre est aussi simple que profond: la foi n’est pas un problème à résoudre, c’est un don qui doit être redécouvert à nouveau, jour après jour. La foi apporte la joie et la plénitude.
Mais la foi a un visage humain – Jésus Christ. En lui, le Dieu caché est devenu visible, tangible. Dieu, dans sa grandeur incommensurable, s’offre à nous dans son Fils. Le Saint-Père tient à annoncer le Dieu fait chair, urbi et orbi, aux petits et aux grands, à ceux qui détiennent le pouvoir ou non, à l’intérieur et en dehors de l’Eglise, qu’on l’apprécie ou non. Et même si tous les yeux et les caméras sont tournés vers le Pape, il ne s’agit pas tellement de lui. Le Saint-Père ne se place pas lui-même au centre, il ne s’annonce pas lui-même, mais il annonce Jésus Christ, l’unique rédempteur du monde. Celui qui vit en paix avec Dieu, qui se laisse réconcilier avec lui, trouve également la paix avec lui-même, avec son prochain et avec la création qui l’entoure. La foi aide à vivre, la foi apporte la joie, la foi est un grand don: telle est la conviction la plus profonde du Pape Benoît XVI. C’est pour lui un devoir sacré de laisser des traces qui conduisent à ce don. A travers des paroles et des images, le livre primé en apporte le témoignage: il veut être une preuve de dévotion et d’affection à l’égard du Saint-Père, et un petit instrument – lui aussi humble, partiel mais évocateur grâce à la force des images – d’évangélisation et de documentation d’un témoignage qui s’exprime « dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 6).
L’Osservatore Romano, 5 octobre 2010
AUDIENCE GÉNÉRALE DU 6 OCTOBRE 2010 : SAINTE GERTRUDE LA GRANDE
7 octobre, 2010du site:
http://www.zenit.org/article-25617?l=french
AUDIENCE GÉNÉRALE DU 6 OCTOBRE 2010 : SAINTE GERTRUDE LA GRANDE
Texte intégral
ROME, Mercredi 6 octobre 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la catéchèse prononcée par le pape Benoît XVI, ce mercredi, au cours de l’audience générale, place Saint-Pierre.
* * *
Chers frères et sœurs,
Sainte Gertrude la Grande, dont je voudrais vous parler aujourd’hui, nous conduit cette semaine encore au monastère de Helfta, où sont nés certains des chefs-d’œuvre de la littérature religieuse féminine latino-allemande. C’est à ce monde que Gertrude appartient, l’une des plus célèbres mystiques, seule femme en Allemagne à recevoir l’épithète de « Grande », en raison de sa stature culturelle et évangélique : à travers sa vie et sa pensée, elle a influencé de manière singulière la spiritualité chrétienne. C’est une femme exceptionnelle, dotée de talents naturels particuliers et d’extraordinaires dons de grâce, d’une profonde humilité et d’un zèle ardent pour le salut du prochain, d’une intime communion avec Dieu dans la contemplation et disponible à venir au secours des plus nécessiteux.
A Helfta, elle se mesure, pour ainsi dire, systématiquement à sa maîtresse Mathilde de Hackeborn, dont j’ai parlé à l’Audience de mercredi dernier ; elle noue des relations avec Mathilde de Magdebourg, une autre mystique médiévale ; elle grandit en recevant les soins maternels, doux et exigeants, de l’abbesse Gertrude. Chez ces trois consœurs, elle puise des trésors d’expérience et de sagesse ; elle les élabore dans sa propre synthèse, en parcourant son itinéraire religieux avec une confiance sans limite dans le Seigneur. Elle exprime la richesse de la spiritualité non seulement de son monde monastique, mais aussi et surtout biblique, liturgique, patristique et bénédictin, avec un timbre tout à fait personnel et de façon très communicative.
Elle naît le 6 janvier 1256, en la fête de l’Epiphanie, mais l’on ne sait rien ni de ses parents ni de son lieu de naissance. Gertrude écrit que le Seigneur lui-même lui révèle le sens de ce premier déracinement : « Je l’ai choisie pour ma demeure parce que je vois avec délices que tout ce que les hommes aiment dans cette Élue est mon œuvre propre [...] Aussi je l’ai exilée en quelque sorte loin de tous ses parents, afin que personne ne l’aimât à ce titre et que je fusse le seul motif de l’affection qu’on aurait pour elle » (Les Révélations, I, 16).
A l’âge de cinq ans, en 1261, elle entre au monastère, comme c’était souvent le cas à l’époque, pour la formation et l’étude. Elle y passe toute son existence, dont elle signale elle-même les étapes les plus significatives. Dans ses mémoires, elle rappelle que le Seigneur l’a prévenue avec une patience compatissante et une infinie miséricorde, en oubliant les années de l’enfance, de l’adolescence et de la jeunesse, passées – écrit-elle – « dans un tel aveuglement, que si vous ne m’aviez donné une horreur naturelle du mal, un attrait pour le bien avec les sages conseils de mon entourage, il me semble que je serais tombée dans toutes les occasions de faute, sans remords de conscience, absolument comme si j’avais été une païenne [...]. Cependant vous m’aviez choisie dès ma plus tendre enfance, afin de me faire grandir au milieu des vierges consacrées, dans le sanctuaire béni de la Religion » (Ibid., II, 23 ).
Gertrude est une étudiante extraordinaire, elle apprend tout ce que l’on peut apprendre des sciences du Trivium et du Quadrivium, la formation de cette époque ; elle est fascinée par le savoir et se donne tout entière à l’étude profane avec ardeur et ténacité, avec une réussite scolaire dépassant toutes les attentes. Si nous ne savons rien de ses origines, elle nous dit beaucoup de ses passions de jeunesse : littérature, musique et chant, art de la miniature la ravissent ; elle a un caractère fort, décidé, immédiat et impulsif ; elle dit souvent être négligente ; elle reconnaît ses défauts, elle en demande humblement pardon. Elle demande avec humilité conseil et prière pour sa conversion. Certains traits et défauts de son tempérament l’accompagneront jusqu’à la fin, au point de surprendre certaines personnes s’étonnant que le Seigneur lui donne une telle préférence.
En tant qu’étudiante, elle se consacre ensuite entièrement à Dieu dans la vie monastique et pendant vingt ans, rien d’exceptionnel n’a lieu : l’étude et la prière constituent son activité principale. En raison de ses qualités, elle excelle parmi ses consœurs ; elle fait preuve de ténacité pour consolider sa culture dans divers domaines. Mais, au cours de l’Avent 1280, elle commence à ressentir un dégoût pour tout cela, en perçoit la vanité, et le 27 janvier 1281, quelques jours seulement avant la fête de la purification de la Vierge, vers l’heure des Complies, le soir, le Seigneur illumine ses denses ténèbres. Avec délicatesse et douceur, il calme le trouble qui l’angoisse, trouble que Gertrude voit comme un don même de Dieu « pour renverser la tour de vaine gloire et de curiosité élevée par mon orgueil. Orgueil insensé car je ne méritais même pas de porter le nom et l’habit de la Religion. Toutefois c’était bien le chemin que vous choisissiez, ô mon Dieu, pour me révéler votre salut » (Ibid., II, 1, p. 87). La vision d’un jeune homme la guide pour démêler le nœud d’épines qui opprimait son âme, en la prenant par la main. Dans cette main, Gertrude reconnaît « les joyaux précieux des plaies sacrées qui ont annulé tous les titres qui pouvaient nous être opposés » (Ibid., II, 1, p. 89), et reconnaît Celui qui sur la Croix nous a sauvés par son sang, Jésus.
A partir de ce moment, sa vie de communion intime avec le Seigneur s’intensifie, en particulier au cours des temps liturgiques les plus significatifs – l’Avent et Noël, Carême et Pâques, la fête de la Vierge – même lorsque, malade, elle ne pouvait se rendre au chœur. C’est le même humus liturgique que Mathilde, sa maîtresse, que Gertrude décrit toutefois à travers des images, des symboles et des termes plus simples et linéaires, plus réalistes, avec des références plus directes à la Bible, aux Pères, au monde bénédictin.
Sa biographe indique deux directions de ce que nous pourrions définir sa « conversion » particulière : dans les études, avec le passage radical des études humanistes profanes à celles théologiques, et dans l’observance monastique, avec le passage de la vie qu’elle qualifie de négligente à la vie de prière intense, mystique, avec une exceptionnelle ardeur missionnaire. Le Seigneur, qui l’avait choisie dès le sein maternel et qui l’avait fait participer, dès son enfance, au banquet de la vie monastique, la ramène par sa grâce « des choses extérieures à la contemplation intérieure, des occupations terrestres au soin des choses célestes ». Gertrude comprend alors qu’elle était restée loin de Lui dans une région de dissemblance, comme elle dit avec saint Augustin ; de s’être consacrée avec trop d’ardeur aux études libérales, à la sagesse humaine, en négligeant la science spirituelle, se privant du goût de la véritable sagesse ; elle est conduite à présent à la montagne de la contemplation, où elle se dépouille du vieil homme pour se revêtir de l’homme nouveau. « C’est ainsi que de grammairienne elle devint théologienne, relisant sans cesse les pages divines qu’elle pouvait se procurer, et remplissant son cœur des plus utiles et des plus douces sentences de la Sainte Ecriture. Aussi avait-elle toujours à sa disposition la Parole de Dieu afin de satisfaire ceux qui venaient la consulter et de réfuter toute idée fausse par des témoignages de la sainte Ecriture employés si à propos, qu’on n’y trouvait rien à objecter » (Ibid., I, 1, p. 25).
Getrude transforme tout cela en apostolat : elle se consacre à écrire et à divulguer la vérité de la foi avec clarté et simplicité, grâce et persuasion, servant avec amour et fidélité l’Eglise, au point d’être utile et appréciée par les théologiens et les personnes pieuses. Il nous reste peu de son intense activité, notamment en raison des événements qui conduisirent à la destruction du monastère d’Helfta. Outre « Le Héraut de l’Amour Divin » ou « Les révélations », il nous reste les « Exercices spirituels », un rare joyau de la littérature mystique spirituelle.
En ce qui concerne l’observance religieuse, notre sainte est « donc une très forte colonne de la Religion, un défenseur si zélé de la justice et de la vérité » (Ibid., I, 1, ) dit sa biographe. A travers les mots et l’exemple, elle suscite chez les autres une grande ferveur. Aux prières et à la pénitence de la règle monastique, elle en ajoute d’autres avec une telle dévotion et un tel abandon confiant en Dieu, qu’elle suscite chez qui la rencontre la conscience d’être en présence du Seigneur. Et de fait, Dieu lui-même lui fait comprendre qu’il l’a appelée à être un instrument de sa grâce. Gertrude se sent indigne de cet immense trésor divin, elle confesse qu’elle ne l’a pas conservé et valorisé. Elle s’exclame : « Je vous offre la douleur que j’éprouve [...] de ne m’être pas servi avec soin et révérence des dons que j’avais reçus. Ne m’eussiez-vous donné, en souvenir de vous, à moi si indigne, qu’un léger fil de lin, j’aurais dû le recevoir avec un respect infini » (ibid., I, 5). Mais, reconnaissant sa pauvreté et son indignité, elle adhère à la volonté de Dieu. « J’ai dû combattre mon goût personnel -affirme-t-elle -, et considérer qu’ayant si peu profité de vos grâces, elles ne pouvaient m’avoir été accordées pour moi seule, puisque votre sagesse éternelle ne se trompe en rien. O Dispensateur de tous les biens, qui m’avez comblée gratuitement de tant de grâces, faites au moins qu’en lisant cet écrit, le cœur d’un de vos amis soit ému par votre condescendance, et vous remercie de ce que, pour l’amour des âmes, vous avez conservé si longtemps au milieu des souillures de mon cœur une pierre précieuse d’un tel prix » (ibid., II, 5).
En particulier, deux faveurs lui sont plus chères que toutes les autres, comme Gertrude l’écrit elle-même : « La première est l’empreinte que vous avez formée sur mon cœur, par les splendides joyaux de vos plaies sacrées. La seconde est cette blessure d’amour si profonde et si efficace que, (dussé-je vivre mille ans dans le plus complet délaissement), je goûterais sans cesse un bonheur ineffable au souvenir de ces deux bienfaits. Ils me seraient à chaque heure une source suffisante de consolation, de lumière et de gratitude. Pour ajouter à ces faveurs, vous m’avez encore admise à l’incomparable familiarité de votre tendresse, en m’offrant l’arche très noble de votre divinité, c’est-à-dire votre Cœur sacré, pour que j’y trouve mes délices [...]. Enfin vous m’avez donné pour avocate votre très douce Mère la bienheureuse Vierge Marie, me recommandant plusieurs fois à elle avec autant de tendresse qu’en mettrait un époux à confier à sa propre mère l’épouse qu’il s’est choisie » (Ibid., II, 23).
Tendue vers la communion sans fin, elle conclut sa vie terrestre le 17 novembre 1301 ou 1302 à l’âge d’environ 46 ans. Dans le septième Exercice, celui de la préparation à la mort, sainte Gertrude écrit : « O Jésus, toi qui m’es immensément cher, sois toujours avec moi, pour que mon cœur demeure avec toi et que ton amour persévère avec moi sans possibilité de division et que mon trépas soi béni par toi, de manière à ce que mon esprit, libéré des liens de la chair, puisse immédiatement trouver le repos en toi. Amen » (Exercices, Milan 2006, p. 148).
Il me semble évident que ces choses ne sont pas seulement des choses du passé, historiques, mais l’existence de sainte Gertrude reste une école de vie chrétienne, de voie droite, et nous montre que le coeur d’une vie heureuse, d’une vie véritable, est l’amitié avec Jésus, le Seigneur. Et cette amitié s’apprend dans l’amour pour l’Ecriture Sainte, dans l’amour pour la liturgie, dans la foi profonde, dans l’amour pour Marie, de manière à connaître toujours plus réellement Dieu et le bonheur véritable, but de notre vie. Merci.
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A l’issue de l’audience générale, le pape s’est adressé aux pèlerins en différentes langues. Voici ce qu’il a dit en français :
Chers frères et sœurs,
Née au milieu du treizième siècle, sainte Gertrude fut une disciple de sainte Mathilde de Hackeborn dont j’ai parlé mercredi dernier. Elle était dotée de grands talents naturels et de dons spirituels extraordinaires. D’une humilité profonde et d’un zèle ardent pour le salut du prochain, Gertrude vivait dans une intime communion avec Dieu, toujours disponible à secourir les nécessiteux. Elle réalisa une double « conversion » : passant des études humanistes profanes aux études théologiques et, dans l’observance monastique, passant d’une vie qu’elle qualifie de négligente à une vie de prière intense, mystique, avec une ardeur missionnaire exceptionnelle. Elle se consacra à écrire et à répandre les vérités de la foi avec clarté et simplicité, servant l’Église avec amour et fidélité. Ceux qui la rencontraient, se sentaient en présence du Seigneur. Reconnaissant sa pauvreté et son indignité, elle voulait adhérer pleinement à la volonté de Dieu. Chers amis, puissions-nous apprendre de sainte Gertrude la Grande à aimer le Christ et son Église avec humilité et foi. À son école puissions-nous aussi cultiver la prière personnelle, participer fidèlement à la Messe, vivre intensément la liturgie et connaître toujours plus profondément les Saintes Écritures.
J’accueille avec joie les pèlerins francophones présents ce matin, en particulier les jeunes du Centre Madeleine Daniélou de Blois, ainsi que les Paroisses de Saint-Raphaël et de Pamataii. N’ayez pas peur de vous laisser guider par l’exemple de sainte Gertrude ! Fructueux pèlerinage à tous !
Traduction : Zenit