26 septembre 2010 – 26e dimanche du Temps Ordinaire – Homélie
25 septembre, 2010du site:
http://www.homelies.fr/homelie,26e.dimanche.du.temps.ordinaire,2917.html
26 septembre 2010 – 26e dimanche du Temps Ordinaire
Famille de saint Joseph
Homélie-Messe
La parabole que nous conte Jésus est classée par les exégètes parmi les « paraboles de crise ». Leur but est de nous faire prendre conscience de l’enjeu véritable de notre vie quotidienne : dans le clair-obscur de nos activités ordinaires, nous décidons, que nous le sachions ou non, de notre destinée éternelle.
Car le Royaume de Dieu est déjà advenu en la personne de Jésus : il ne tient qu’à nous d’y entrer par notre obéissance à sa Parole. Par contre l’éparpillement, l’amnésie spirituelle, l’appesantissement dans les œuvres de la chair, peuvent nous entraîner dans un aveuglement redoutable.
Les paraboles de crise veulent précisément nous avertir qu’après le temps de la miséricorde, vient inévitablement celui du jugement, qui fait toujours irruption trop tôt et de manière inattendue.
Fidèle au genre littéraire de la parabole, Jésus construit son intrigue à partir d’une situation tout à fait plausible. Il campe le décor et présente les personnages en quelques coups de plume précis. La trame se déploie de façon rectiligne, sans digression, et nous achemine vers une conclusion inattendue, qui impose le silence et invite à la réflexion.
La situation de « l’homme riche qui portait des vêtements de luxe et faisait chaque jour des festins somptueux » fait pressentir que cet homme ne possède pas la vertu de modération ; mais rien ne dit qu’il aurait acquis sa richesse malhonnêtement : il use – et sans doute abuse – des biens qu’une heureuse fortune a mis à sa disposition. C’est plutôt le contraste avec le verset qui suit immédiatement qui suscite une réaction de réprobation. Que le riche fasse bombance s’il en a les moyens, c’est son affaire ; mais qu’il ne remarque même pas le pauvre Lazare couché devant le portail, voilà qui est inadmissible.
La vie égoïste que mène le premier personnage l’a coupé de son prochain ; recentré sur lui-même, il s’est laissé enfermer dans l’indifférence. Prisonnier de sa prison dorée, il est devenu aveugle aux besoins de son frère en humanité, et sourd aux appels de Dieu à la compassion la plus élémentaire.
Brutalement, surgit l’événement imprévu : la mort les emporte tous deux, les soumettant simultanément à l’épreuve du jugement. Sobrement, Jésus indique l’orientation du verdict : le pauvre est emporté au ciel auprès d’Abraham, il rejoint le chœur des anges et des saints ; il entre dans la joie d’une vie relationnelle pleinement épanouie. Le riche est déposé en terre, sans autre commentaire. Chacun des personnages poursuit en quelque sorte le mouvement amorcé en cette vie : le pauvre que les privations ont détaché de ce monde, peut s’élever au ciel ; le riche découvre la vanité d’une vie tournée exclusivement vers les plaisirs terrestres.
L’effet de surprise est pleinement atteint par le retournement complet de la situation, confirmé par le dialogue entre Abraham et le riche : du fond de sa souffrance, celui-ci supplie le patriarche d’envoyer Lazare lui porter un peu de rafraîchissement. Il ne sert à rien de chercher à comprendre la nature ou le pourquoi de cet « abîme » qui rend ce geste de compassion impossible : les détails d’une parabole ne servent qu’à mettre en valeur le sens de l’ensemble ; ils n’ont pas en eux-mêmes de signification particulière. Dans notre récit, la présence de cet « abîme infranchissable » renvoie à l’urgence de la conversion : demain il sera trop tard. C’est aujourd’hui qu’il faut veiller à « nous faire des amis avec l’argent trompeur, afin que le jour où il ne sera plus là, ces amis nous accueillent dans les demeures éternelles » (Lc 16, 9).
La parabole aurait pu se terminer là : elle aurait été un rappel salutaire de la doctrine vétérotestamentaire sur la sécurité mensongère et illusoire des richesses que le prophète Amos dénonçait en des termes cinglants dans la première lecture. Mais Jésus fait rebondir le récit, proposant une actualisation tout à fait inattendue des événements, qui oblige ses auditeurs à se situer par rapport à lui.
Dans un élan de charité – qui devrait nous interdire de projeter sur le récit une quelconque description de l’enfer ! – le riche supplie Abraham, à défaut de pouvoir être personnellement soulagé de ses souffrances, d’avertir au moins ses frères pour qu’ils ne viennent pas partager son triste sort. La réponse du patriarche renvoyant à « Moïse et aux prophètes » provoque l’aveu du riche : le témoignage des Ecritures ne suffit pas à réveiller de leur torpeur les hommes prisonniers de la séduction de ce monde. Mais, insiste-t-il : « si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront ». Le démenti d’Abraham vient abruptement clôturer la parabole : « S’ils n’écoutent pas Moïse ni les prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus ».
En clair : si nous refusons d’entendre l’appel à la repentance que Dieu ne cesse de nous adresser dans les Ecritures, si nous nous enfermons dans notre égoïsme, nous serons incapables d’entrer dans la communauté fraternelle du salut, inaugurée par la Résurrection. La Pâques de Notre-Seigneur ne libère que celui qui s’est laissé convaincre de péché par la parole des prophètes, et qui consent au retournement salutaire suscité par l’Esprit de charité.
Faisons donc attention « à la manière dont nous écoutons. Car celui qui a recevra encore, et celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il paraît avoir » (Lc 8, 18). Aujourd’hui le Seigneur passe et nous invite à nous réveiller : ce n’est pas en nous abandonnant à la mollesse que nous accéderons au Royaume ; mais en « continuant à bien nous battre pour la foi que nous obtiendrons la vie éternelle » (2ème lect.). Car il s’agit de « demeurer irréprochable et droits jusqu’au moment où se manifestera notre Seigneur Jésus-Christ » (Ibid.). Or la foi témoigne de sa vie intérieure par les œuvres de charité qu’elle enfante bien plus que par ses œuvres de piété. Plus exactement, une compassion active plaide pour l’authenticité d’une vie intérieure qui est vraiment sous la motion de l’Esprit ; car l’homme spirituel se reconnaît à son attention aux plus démunis et son engagement à leur service.
Gardons donc les yeux fixés sur Jésus, qui est à l’origine et au terme de notre foi, et vivons « dans l’amour, la persévérance et la douceur ; gardant le commandement du Seigneur », c’est-à-dire : vivant dans une charité fraternelle qui se met en peine, afin qu’au jour où nous aurons à paraître devant lui, « le Souverain unique et bienheureux, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, le seul qui possède l’immortalité » nous accueille en sa demeure et nous donne part à sa Vie, conformément à son dessein bienveillant envers nous, manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur (Ep 1) « A lui, honneur et puissance éternelle. Amen ! »
Père Joseph-Marie