Quand Dieu sera tout en tous…

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Quand Dieu sera tout en tous…

Fr. Gilles-Hervé Masson, o.p.

(Ez 34, 11-12.15-17 – Ps 22 – 1 Co 15, 20-26.28 – Mt 25, 31-46)

Esprit et Vie n°136 – octobre 2005 – 2e quinzaine, p. 33-34.

À chaque fois que nous célébrons l’eucharistie, aux abords des rites de communion, nous reformulons notre espérance : « Nous attendons le bonheur que tu promets et l’avènement de Jésus-Christ notre Seigneur. » Ce sont là deux choses distinctes et étroitement liées : le bonheur promis, d’une part, la venue du Seigneur de l’autre.

Quant au bonheur : on sait aussi que la version chrétienne du « bonheur » passe par l’apprentissage d’une réalité singulière dont le nom est « béatitude ». Bonheur encore donc, si l’on veut, mais revu et corrigé à la lumière de la Pâque – d’abord celle du Christ – et de tous les creusets que recèle une vie humaine. Tous ces passages inévidents de la vie – autant de pâques – où le bonheur, perpétuellement recherché et désiré, peut sembler impossible, voire passer pour une promesse illusoire ; promesse à laquelle cependant on ne saurait renoncer car on sait qu’illusoire, elle ne l’est certes pas.

Quant à l’avènement du Seigneur, il faut commencer par redire que le Christ est précisément venu (déjà !) pour assurer et rassurer le cœur de l’homme sur ce point précis. C’est l’objet même de son passage dans l’histoire des hommes, et dans l’histoire de chacun.

À chaque moment, il vient, il passe, il dit l’amour de Dieu. Il réactive l’espérance. Il donne tout et il se donne lui-même pour attester que le Dieu mystérieux que la foi confesse se donne à découvrir dans son engagement à nos côtés, sur nos chemins les plus malaisés et les plus incertains.

Il faut le regarder, le Christ, l’écouter. Il faut le suivre dans ses faits et gestes. Il faut lire et relire sa vie. Elle est elle-même comme une parabole à méditer sans cesse pour apprendre « l’espérance qui ne déçoit pas », celle dont la dynamique profonde est celle de l’amour. Et cette dynamique du don s’avère devoir aller jusqu’à affronter la mort, la pâtir pour la vaincre et faire resplendir la vie.

Il se peut pourtant qu’à force de pâtir l’échec, de faire l’expérience de ses propres limites, on éprouve quelque fatigue… Une hymne du bréviaire ne le dit-elle pas : « La chair nous tient, le temps nous dure » ? Et le Salve Regina ne fait-il pas mention, chaque soir, de la « vallée de larmes » que nous traversons ?

Mais justement ce temps qui nous est donné est celui d’une visitation continuée. Celle du Seigneur qui déjà est venu mais encore et sans cesse vient. Et, à la fin des temps, reviendra.

De bout en bout de notre histoire, la Parole de Dieu nous distille le secret de ce que, faute de mieux, nous appellerons ici la « réussite » de l’existence, à savoir : le désir que tout soit selon Dieu, c’est-à-dire que tout soit selon l’amour.

L’épître de Paul ne dit pas autre chose. Dès le premier verset, il rappelle la puissance de vie qui est contenue dans la résurrection du Christ – ou peut-être plus précisément dans la personne du Ressuscité. Mais on ne saurait oublier la mort par laquelle il a dû passer d’abord. C’est-à-dire le signe sous lequel a été placée toute sa vie depuis ses tout premiers commencements jusqu’à son plus extrême achèvement : le signe du don et du don jusqu’au bout.

Ce signe sous lequel est placée la vie du Seigneur est celui sous lequel est appelée à se placer la vie du disciple. La dynamique qui fut celle du Seigneur, doit être mêmement celle de la vie du disciple. Le lavement des pieds, signe du service mutuel comme le simple verre d’eau offert au nom du Christ, signe de la compassion, sont les références qui dotent la vie de sa véritable unité de mesure.

Au fond il est bien clair qu’il n’y a nullement à craindre le retour du juste juge miséricordieux qu’est le Christ. Il est venu pour que nous ayons la vie, qui plus est, en abondance – selon ses propres mots. Là où il y a urgence, c’est à se gagner à la loi de l’Évangile. Elle-même fait la part de ce qui sert le dessein du Roi de l’univers et la part de ce qui s’y oppose. En d’autres termes, pour le redire avec les mots si simples et si sensés de Jean de la Croix : « Au soir de ta vie tu seras jugé sur l’amour. »

L’amour, unique loi du Royaume des cieux, s’instaure en ce monde à la mesure des racines qu’il pousse dans le cœur des disciples. Et le chapitre 25 de l’Évangile selon saint Matthieu ne laisse aucun doute sur les points où il y a urgence à se gagner à l’Évangile : puisque le Verbe s’est fait chair et a manifesté sa Royauté en se faisant serviteur et prochain de tout homme, les disciples doivent en passer par le même chemin. Même si cela exige d’eux le dépassement de leurs propres étroitesses ou égoïsmes. L’avènement du Royaume, la préparation du retour du Seigneur, c’est équivalemment le travail de conversion intérieure et de service fraternel.

Ailleurs saint Paul dit que « la création tout entière aspire à voir la révélation des fils de Dieu… » Il n’est pas indifférent de prendre sa part de cette aspiration et de cultiver le désir de voir ce jour. C’est le programme d’une vie que de s’y gagner « au jour le jour » et de faire en sorte que, dans le temps qui nous est donné, l’amour éternel trouve son chemin et trouve aussi des témoins.

Au bout du chemin : la victoire de la sollicitude de Dieu et la douceur de vivre dans un monde réconcilié où Dieu soit vraiment « tout en tous ». Ce jour sans doute viendra et dans la foi nous l’attendons de cœur ferme. On ne saurait toutefois le préparer dans la crainte. Mieux vaut donc mettre la fin dans les moyens et remplir d’amour, autant que nous le pouvons, le jour d’hui et tous les jours pour ne pas gaspiller le temps et pour pouvoir dire en vérité : « Que ton règne vienne. »

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