Archive pour le 19 août, 2010
20 août – Saint Bernard de Clairvaux: Le dernier Pére du Moyen Âge
19 août, 2010du site:
http://www.medio-evo.org/bernardof.htm
20 août – Saint Bernard de Clairvaux
Le dernier Pére du Moyen Âge
Il est impossible de ne pas se joindre à tous ceux qui ont écrit et commenté sur la figure de Saint Bernard de Clairvaux.. Ce fils de nobles bourguignons est le dernier des « Pères » du monachisme bénédictin, et avec lui la vocation monastique parvient à un des degrés les plus élevés de son histoire. Né en 1090, à proximité de Dijon, dans le château paternel, fils de nobles chevaliers, il eut une éducation typiquement féodale, et incarna en soi cet esprit des moines et chevaliers médiévaux, fait de prière et de combat, d’ascétisme et de discipline, une discipline spirituelle qui ressemble beaucoup à celle chevaleresque. Très jeune, il entre à l’école des chanoines de Châtillon, une des plus importantes de la Bourgogne, où il étudie les écrivains latins et les Pères de l’Église. En 1107, après la mort de sa mère avec laquelle il était très lié, il entra dans une crise qui le fit se sentir bien éloigné de ce monde de « femmes, chevaliers, armes et amour » qui était le propre de sa famille, et bien proche, au contraire, du désir ardent de rechercher Dieu dans la paix et la quiétude du monastère, loin du fracas et de la violence du monde. Ainsi, à vingt-deux ans, en 1112, il se retire à Citeaux, dans le monastère dirigé par Stéphane Harding et ses trente compagnons. Cette arrivée marquera un tournant, non seulement pour le monastère, mais aussi dans l’histoire de l’Église et de l’Europe occidentale. Quoique différents par leur tempérament, Bernard fit sienne l’idée qui avait inspiré Saint Robert de Moleste, Albéric et Stéphane. Ces derniers s’étaient éloignés de Moleste en 1098 pour se rendre en un lieu solitaire à 20 km de Dijon, en un lieu appelé Cistercium, pour y suivre un style de vie plus simple et plus stricte, en reprenant à l’esprit et à la lettre l’ancienne règle bénédictine, désormais entachée par le grand pouvoir temporel acquis par les monastères clunisiens. Le lieu originel, dans lequel Bernard partagea les premières années de sa vocation rigoureuse, lui convenait très bien, car il était en quête de solitude, mais aussi de lieux ouverts et plaisants pour entretenir un contact plus étroit avec Dieu. Il abandonna donc Citeaux. Ce nouveau lieu sera encore plus éloigné de l’assemblée civile et s’appellera Clairvaux (chiaravalle en italien). Il y devint abbé et y resta jusqu’à sa mort, en 1156, malgré de nombreux voyages, disputes (très célèbre celle avec Abélard), la prêche de la seconde Croisade et l’administration spirituelle d’un ordre qui, à sa mort, comptait plus de 300 monastères.
Nous pouvons dire que les quatre Pères de l’ordre cistercien fondèrent une authentique école de spiritualité, dont Saint Bernard forme le maître incontesté et le point de référence pour des générations futures de moines. Sa dévotion pour la Vierge Marie et pour l’Enfant Jésus reste une caractéristique de sa spiritualité. La tradition de clore la journée de prière par le Salve Regina dérive justement d’une idée à lui. Il avait une prédilection pour les lieux ouverts et agréables, les vallées lumineuses et proches des cours d’eau. De là cette habitude, toute cistercienne, de fonder des monastères dans les vallées. Il y a bien trois villes en Italie qui nous rappellent, donc en raison de leur nom, celui de Clairvaux (Chiaravalle), leur fondation par les moines de Saint Bernard. Humilité, amour vers Dieu, avec un cheminement d’union du coeur, dur travail dans les champs et profonde dévotion mariale sont quelques-uns des traits de la spiritualité de Saint Bernard. Un esprit qui se répand aussi dans les structures architectoniques des monastères et des églises abbatiales, presque quasiment privées de décorations et toutes élancées vers le ciel. Sa réforme spirituelle marque donc le passage de l’art roman à l’art gothique. Comme toute la spiritualité monastique, il voit la vie spirituelle comme un cheminement fait de degrés de perfection, pour être toujours plus uni à l’amour de Dieu. Un amour qui se déverse ensuite sur le prochain, parce qu’on a conscience d’être tous des pêcheurs. Il fut aussi un auteur très prolifique: traités, lettres, prêches, poèmes, un « corpus » d’écrits qui occupe une place très importante dans l’histoire médiévale, et qui le place comme le troisième « Père » médiéval, après Saint Grégoire le Grand et Saint Benoît de Nursie.Parmi les oeuvres les plus importantes, on peut rappeler « De gradibus humilitatis et superbiae », « De gratia et libero arbitrio », « De diligendo Deo ». EIl fut donc un phare de lumière spirituelle qui allait illuminé toute l’Europe occidentale au douzième siècle. Il fut en effet capable de reprendre de manière originale et géniale toute la pensée chrétienne qui le précédait, pourtant dans une perspective monastique et bénédictine. À la différence des Clunisiens, lui ne voit pas simplement l’homme comme un pêcheur, mais aussi comme une créature bonne, à savoir, capable de retrouver toujours la dimension d’amour vers Dieu et vers son prochain. L’être humain, par le péché, a déformé cette image, mais c’est justement au travers de l’incarnation du Fils de Dieu et la disponibilité de Marie Très Sainte, que Dieu peut reformer l’homme à son image. L’homme est appelé à prendre part à cette oeuvre, par la conversion et l’ascèse de l’âme vers Dieu, qui est décrite dans le traité De diligendo Deo. L’incarnation occupe donc une place centrale dans la spiritualité cistercienne. Cette expérience appelle l’homme à la séquelle du Christ, faite dans l’obscurité de la foi, elle se réalise dans la charité.
Mais Saint Bernard ne fut pas seulement un mystique enfermé dans un monastère, éloigné du monde et tendu vers la recherche spirituelle de la communion avec Dieu. Esprit farouche et combattant, vrai chevalier de l’Esprit Saint, il participa activement aux vicissitudes turbulentes de l’Église et de l’Europe occidentale de son temps. En effet, il prêcha la seconde croisade sous les ordres du Pape Eugène III, celle de Louis VII, Richard Coeur de Lion et Frédéric Barbe Rousse (1148-1151). Il aida le Pape Innocent II, réfugié à Cluny après l’élection de l’antipape Anaclet. Au Concile d’Étampes, grâce à son intervention, le roi Louis VI reconnut Innocent comme le Pape légitime. Il intervint aussi au fameux Concile de Troyes (1128) qui marque la fondation de l’Ordre des Chevaliers du Temple (Templiers), un mythe encore aujourd’hui impérissable. Pour la première fois, en effet, les deux ordres, bellatores et oratores, à savoir chevaliers et moines, séparés dans la société féodale, furent fondus en un seul, avec l’objectif de défendre les pèlerins en Terre Sainte et les lieux de la vie du Christ. Il fut aussi engagé dans la dispute avec Abélard, et avec les nouveaux maîtres de philosophie qui prétendaient, à ses yeux, expliquer la foi par la raison, et finalement il en obtint la condamnation au Concile de Sains (1140). Ces deux là étaient deux fortes personnalités et ils exprimaient, chacun dans son optique, deux manières de voir le rôle de la foi et de la raison qui sont encore présentes aujourd’hui en terre de France.
En effet, Saint Bernard adressa des paroles d’exhortation et de reproche, d’encouragement et d’aide, de lumière spirituelle et de foi à toutes les catégories de la société de son temps, en devenant un point de référence pour son époque. Sans lui, le douzième siècle et la civilisation féodale qu’il représente, n’aurait pas été ce qu’ils ont été. Mais fondamentalement, il fut d’abord avant tout un homme de prière dans un temps de guerre, de croisades, de haines et de violences privées. Une phrase de son De Diligendo Deo m’a beaucoup frappé quand il dit au commencement:
“En Dieu je veux vivre et en Dieu je veux mourir: pour moi ce sont prières et non questions ”
(Domino vivere et in Domino mori. Orationes a me et non quaestiones)
Un homme qui privilégiait donc la prière aux disputes philosophiques (dites justement quaestiones) et qui préféra la quiétude du monastère au noble art de la chevalerie et de la guerre. Un choix on ne peut plus actuel.
20 août – saint Bernard de Clairvaux (pape Benoît – 2009)
19 août, 2010du site:
BENOÎT XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 21 octobre 2009
Saint Bernard
Chers frères et sœurs,
Aujourd’hui je voudrais parler de saint Bernard de Clairvaux, appelé le dernier des Pères de l’Eglise, car au XII siècle, il a encore une fois souligné et rendue présente la grande théologie des pères. Nous ne connaissons pas en détail les années de son enfance; nous savons cependant qu’il naquit en 1090 à Fontaines en France, dans une famille nombreuse et assez aisée. Dans son adolescence, il se consacra à l’étude de ce que l’on appelle les arts libéraux – en particulier de la grammaire, de la rhétorique et de la dialectique – à l’école des chanoines de l’église de Saint-Vorles, à Châtillon-sur-Seine et il mûrit lentement la décision d’entrer dans la vie religieuse. Vers vingt ans, il entra à Cîteaux, une fondation monastique nouvelle, plus souple par rapport aux anciens et vénérables monastères de l’époque et, dans le même temps, plus rigoureuse dans la pratique des conseils évangéliques. Quelques années plus tard, en 1115, Bernard fut envoyé par saint Etienne Harding, troisième abbé de Cîteaux, pour fonder le monastère de Clairvaux. C’est là que le jeune abbé (il n’avait que vingt-cinq ans) put affiner sa propre conception de la vie monastique, et s’engager à la traduire dans la pratique. En regardant la discipline des autres monastères, Bernard rappela avec fermeté la nécessité d’une vie sobre et mesurée, à table comme dans l’habillement et dans les édifices monastiques, recommandant de soutenir et de prendre soin des pauvres. Entre temps, la communauté de Clairvaux devenait toujours plus nombreuse et multipliait ses fondations.
Au cours de ces mêmes années, avant 1130, Bernard commença une longue correspondance avec de nombreuses personnes, aussi bien importantes que de conditions sociales modestes. Aux multiples Lettres de cette période, il faut ajouter les nombreux Sermons, ainsi que les Sentences et les Traités. C’est toujours à cette époque que remonte la grande amitié de Bernard avec Guillaume, abbé de Saint-Thierry, et avec Guillaume de Champeaux, des figures parmi les plus importantes du xii siècle. A partir de 1130, il commença à s’occuper de nombreuses et graves questions du Saint-Siège et de l’Eglise. C’est pour cette raison qu’il dut sortir toujours plus souvent de son monastère, et parfois hors de France. Il fonda également quelques monastères féminins, et engagea une vive correspondance avec Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, dont j’ai parlé mercredi dernier. Il dirigea surtout ses écrits polémiques contre Abélard, le grand penseur qui a lancé une nouvelle manière de faire de la théologie en introduisant en particulier la méthode dialectique-philosophique dans la construction de la pensée théologique. Un autre front sur lequel Bernard a lutté était l’hérésie des Cathares, qui méprisaient la matière et le corps humain, méprisant en conséquence le Créateur. En revanche, il sentit le devoir de prendre la défense des juifs, en condamnant les vagues d’antisémitisme toujours plus diffuses. C’est pour ce dernier aspect de son action apostolique que, quelques dizaines d’années plus tard, Ephraïm, rabbin de Bonn, adressa un vibrant hommage à Bernard. Au cours de cette même période, le saint abbé rédigea ses œuvres les plus fameuses, comme les très célèbres Sermons sur le Cantique des Cantiques. Au cours des dernières années de sa vie – sa mort survint en 1153 – Bernard dut limiter les voyages, sans pourtant les interrompre complètement. Il en profita pour revoir définitivement l’ensemble des Lettres, des Sermons, et des Traités. Un ouvrage assez singulier, qu’il termina précisément en cette période, en 1145, quand un de ses élèves Bernardo Pignatelli, fut élu Pape sous le nom d’Eugène III, mérite d’être mentionné. En cette circonstance, Bernard, en qualité de Père spirituel, écrivit à son fils spirituel le texte De Consideratione, qui contient un enseignement en vue d’être un bon Pape. Dans ce livre, qui demeure une lecture intéressante pour les Papes de tous les temps, Bernard n’indique pas seulement comment bien faire le Pape, mais présente également une profonde vision des mystères de l’Eglise et du mystère du Christ, qui se résout, à la fin, dans la contemplation du mystère de Dieu un et trine: « On devrait encore poursuivre la recherche de ce Dieu, qui n’est pas encore assez recherché », écrit le saint abbé: « mais on peut peut-être mieux le chercher et le trouver plus facilement avec la prière qu’avec la discussion. Nous mettons alors ici un terme au livre, mais non à la recherche » (xiv, 32: PL 182, 808), à être en chemin vers Dieu.
Je voudrais à présent m’arrêter sur deux aspects centraux de la riche doctrine de Bernard: elles concernent Jésus Christ et la Très Sainte Vierge Marie, sa Mère. Sa sollicitude à l’égard de la participation intime et vitale du chrétien à l’amour de Dieu en Jésus Christ n’apporte pas d’orientations nouvelles dans le statut scientifique de la théologie. Mais, de manière plus décidée que jamais, l’abbé de Clairvaux configure le théologien au contemplatif et au mystique. Seul Jésus – insiste Bernard face aux raisonnements dialectiques complexes de son temps – seul Jésus est « miel à la bouche, cantique à l’oreille, joie dans le cœur (mel in ore, in aure melos, in corde iubilum) ». C’est précisément de là que vient le titre, que lui attribue la tradition, de Doctor mellifluus: sa louange de Jésus Christ, en effet, « coule comme le miel ». Dans les batailles exténuantes entre nominalistes et réalistes – deux courants philosophiques de l’époque – dans ces batailles, l’Abbé de Clairvaux ne se lasse pas de répéter qu’il n’y a qu’un nom qui compte, celui de Jésus le Nazaréen. « Aride est toute nourriture de l’âme », confesse-t-il, « si elle n’est pas baignée de cette huile; insipide, si elle n’est pas agrémentée de ce sel. Ce que tu écris n’a aucun goût pour moi, si je n’y ai pas lu Jésus ». Et il conclut: « Lorsque tu discutes ou que tu parles, rien n’a de saveur pour moi, si je n’ai pas entendu résonner le nom de Jésus » (Sermones in Cantica Canticorum xv, 6: PL 183, 847). En effet, pour Bernard, la véritable connaissance de Dieu consiste dans l’expérience personnelle et profonde de Jésus Christ et de son amour. Et cela, chers frères et sœurs, vaut pour chaque chrétien: la foi est avant tout une rencontre personnelle, intime avec Jésus, et doit faire l’expérience de sa proximité, de son amitié, de son amour, et ce n’est qu’ainsi que l’on apprend à le connaître toujours plus, à l’aimer et le suivre toujours plus. Que cela puisse advenir pour chacun de nous!
Dans un autre célèbre Sermon le dimanche entre l’octave de l’Assomption, le saint Abbé décrit en termes passionnés l’intime participation de Marie au sacrifice rédempteur du Fils. « O sainte Mère, – s’exclame-t-il – vraiment, une épée a transpercé ton âme!… La violence de la douleur a transpercé à tel point ton âme que nous pouvons t’appeler à juste titre plus que martyr, car en toi, la participation à la passion du Fils dépassa de loin dans l’intensité les souffrances physiques du martyre » (14: PL 183-437-438). Bernard n’a aucun doute: « per Mariam ad Iesum », à travers Marie, nous sommes conduits à Jésus. Il atteste avec clarté l’obéissance de Marie à Jésus, selon les fondements de la mariologie traditionnelle. Mais le corps du Sermon documente également la place privilégiée de la Vierge dans l’économie de salut, à la suite de la participation très particulière de la Mère (compassio) au sacrifice du Fils. Ce n’est pas par hasard qu’un siècle et demi après la mort de Bernard, Dante Alighieri, dans le dernier cantique de la Divine Comédie, placera sur les lèvres du « Doctor mellifluus » la sublime prière à Marie: « Vierge Mère, fille de ton Fils, / humble et élevée plus qu’aucune autre créature / terme fixe d’un éternel conseil,… » (Paradis 33, vv. 1ss).
Ces réflexions, caractéristiques d’un amoureux de Jésus et de Marie comme saint Bernard, interpellent aujourd’hui encore de façon salutaire non seulement les théologiens, mais tous les croyants. On prétend parfois résoudre les questions fondamentales sur Dieu, sur l’homme et sur le monde à travers les seules forces de la raison. Saint Bernard, au contraire, solidement ancré dans la Bible, et dans les Pères de l’Eglise, nous rappelle que sans une profonde foi en Dieu alimentée par la prière et par la contemplation, par un rapport intime avec le Seigneur, nos réflexions sur les mystères divins risquent de devenir un vain exercice intellectuel, et perdent leur crédibilité. La théologie renvoie à la « science des saints », à leur intuition des mystères du Dieu vivant, à leur sagesse, don de l’Esprit Saint, qui deviennent un point de référence de la pensée théologique. Avec Bernard de Clairvaux, nous aussi nous devons reconnaître que l’homme cherche mieux et trouve plus facilement Dieu « avec la prière qu’avec la discussion ». A la fin, la figure la plus authentique du théologien et de toute évangélisation demeure celle de l’apôtre Jean, qui a appuyé sa tête sur le cœur du Maître.
Je voudrais conclure ces réflexions sur saint Bernard par les invocations à Marie, que nous lisons dans une belle homélie. « Dans les dangers, les difficultés, les incertitudes – dit-il – pense à Marie, invoque Marie. Qu’elle ne se détache jamais de tes lèvres, qu’elle ne se détache jamais de ton cœur; et afin que tu puisses obtenir l’aide de sa prière, n’oublie jamais l’exemple de sa vie. Si tu la suis, tu ne te tromperas pas de chemin; si tu la pries, tu ne désespéreras pas; si tu penses à elle, tu ne peux pas te tromper. Si elle te soutient, tu ne tombes pas; si elle te protège, tu n’as rien à craindre; si elle te guide, tu ne te fatigues pas; si elle t’est propice, tu arriveras à destination… » (Hom. II super « Missus est », 17: PL 183, 70-71).