Archive pour le 8 août, 2010
La vie de Edith Stein : Écrit par Randa Abi Aad ocds – Liban
8 août, 2010du site:
La vie de Edith Stein
Écrit par Randa Abi Aad ocds - Liban
« On ne peut acquérir une scientia crucis (une science de la Croix) que si l’on commence par souffrir vraiment du poids de la Croix. Dès le premier instant j’en ai eu la conviction intime et j’ai dit du fond du cœur : Ave Crux, spes unica. Salut Croix, mon unique espérance ! »
« Ce qui ne se trouvait pas dans mon projet était inscrit dans le projet de Dieu »
Edith Stein
Breslau, 1891
En ce soir du 12 octobre 1891, l’animation règne dans la maison de Siegfried Stein. Edith, septième enfant de la famille, vient de naître. C’est aussi la veille du Yom Kippour, jour du grand Pardon, fête de l’Expiation que l’on célèbre dans la tradition juive cette année-là justement à cette date. Sa mère, Augusta, née Courant, y verra un signe. C’est très probablement pour cette raison qu’elle aura toujours pour sa petite dernière une affection toute particulière.
Edith n’a pas deux ans lorsque son père meurt. C’est avec un grand courage que sa mère, dotée d’une force de caractère peu commune, reprend en main l’affaire familiale, un négoce de bois, et assume avec énergie la lourde charge de sa nombreuse progéniture. Vingt ans de galère avant de pouvoir enfin s’installer dans la grande maison, au 38 de la rue saint Michaelis et de connaître une aisance relative. Pendant de longues années, les temps sont difficiles pour les Stein. Les enfants ne manquent de rien certes, mais on mène une vie modeste, très simple, dans une ambiance profondément imprégnée de rigueur et de gravité, ponctuée par l’observance du cérémonial rabbinique. Car Mme Stein est profondément croyante et pratiquante. Et si elle respecte scrupuleusement le calendrier juif et fréquente régulièrement la synagogue, elle n’exerce néanmoins aucune pression sur ses enfants en matière de religion mais leur inculque un sens aigu du péché.
Edith est une enfant très douée. Ses frères et sœurs l’adorent. Tendre, passionnée, ardente, loyale, sensible, elle les étonnera, dès son jeune âge par son intelligence et sa prodigieuse mémoire. Mais la petite a aussi un caractère bien trempé. Elle pleure lorsqu’elle ne comprend pas. Elle pleure parce qu’à quatre ans elle veut aller à l’école comme ses aînés. Elle pleure parce qu’on l’envoie au jardin d’enfants et qu’elle veut être avec les grands. Sa mère sera contrainte de l’en retirer Elle pleure d’exaspération parce qu’elle veut avoir gain de cause. Et elle aura gain de cause. A six ans elle va à l’école des « grands ». Très tôt elle dépasse ses camarades de classe sans jamais toutefois afficher à leur égard la moindre suffisance. Elle sera toujours très aimée, très proche, très compréhensive. Ses matières préférées sont l’histoire et l’allemand et elle excelle dans l’apprentissage des langues, le français, l’anglais, l’espagnol, le grec, l’hebreu et le latin qu’elle maîtrisera avec brio. Plus tard, au cours de son exil en Hollande, elle n’aura aucune peine à apprendre en quelques mois le hollandais.
Dès sept ans, son profil psychologique se dessine déjà nettement. Réservée, discrète, silencieuse, profonde et comme déjà entièrement tournée vers le dedans, tout en intériorité, on ne lui connaît plus dès cet âge aucune explosion de colère. Edith a changé. Tout en elle semble désormais soumis à la raison. Pas d’excès, pas d’exubérance mais le calme et la maîtrise de soi. Sérieuse et déjà portée sur les grandes questions de la vie, elle intrigue ses proches qui la trouvent énigmatique, hermétique. A la maison, on la surnomme « le livre aux sept sceaux ».
Mais voilà qu’à quatorze ans et demi, le petit génie, en pleine crise d’adolescence, se braque et annonce l’interruption de ses études. On l’envoie chez sa sœur Else, mariée, installée à Hambourg, où, entre travaux ménagers et lectures, elle achèvera sous l’influence de sa sœur et de son beau-frère, athées tous les deux, de perdre la foi de son enfance. C’est donc en toute lucidité qu’elle décide d’abandonner la prière pour sombrer dans l’indifférence religieuse la plus totale. A son retour, métamorphosée, elle reprend ses études, passe brillamment le bac et s’inscrit à l’université. Elle est habitée par une soif brûlante de connaissance. Nous sommes en 1911. Edith a presque vingt ans. En ce temps-là, les jeunes filles sont encore rares à l’université. Chez les Stein, seules Edith et sa sœur Erna feront des études universitaires. Erna choisira la médecine. Edith, plus tard la philosophie. Mais elle n’en est pas encore là. C’est d’abord la psychologie qui l’intéresse. Elle ne tardera pas à déchanter. « J’étais en pleine attente dira-t-elle et la psychologie m’avait déçue. Cette science se trouvait encore dans ses langes et manquait de fondements objectifs ». On parle alors beaucoup de phénoménologie et d’un professeur du nom de Husserl qui veut décrire et non expliquer, revenir aux choses elles-mêmes, aller vers elles et leur demander ce qu’elles disent d’elles-mêmes. Un regard neuf sans les œillères des idées préconçues, des opinions reçues, des préjugés. Méthode réflexive en vue d’une pénétration qui dégage l’essentiel, la phénoménologie séduit. Ayant lu Les Recherches logiques de Husserl, Edith décide de partir. Cette décision attriste sa mère qui cependant ne la retient pas. C’est ainsi qu’elle quitte sa ville natale pour Göttingen où elle espère se faire admettre dans le cercle très fermé des « philosophes » proches du maître dont l’enseignement la fascine.
Göttingen, 1913
Dès son arrivée, elle est présentée à Edmund Husserl qui est conquis, et introduite dans la fameuse société philosophique où elle côtoie entre autres Adolf Reinach, Dietrich von Hildebrand, Max Scheler, Alexandre Koyré et Hedwig Conrad-Martius qui deviendra sa grande amie. A Göttingen, on discute, on pense, on fait de la philosophie jour et nuit. Edith est dans son élément. Elle s’impose très vite comme l’une des meilleures disciples de Husserl. « Elle se révèlera d’emblée phénoménologue-née. Son esprit sobre et son regard sans dissimulation la prédestinaient à cela » dira d’elle son amie Hedwig Conrad-Martius. Edith mène une vie simple d’étudiante. Repas dans un petit resto de la ville sympathique et bon marché. En week-end, longues promenades en groupe dans la nature, exploration des environs, marches en montagne. Habitée par une passion dévorante de recherche de la vérité et de la connaissance, elle ne sait pas encore que sa quête est prière. Ce n’est que bien plus tard qu’elle pourra dire « Dieu est Vérité, et qui cherche la vérité, cherche Dieu, qu’il le sache ou non ». Par un regard rétrospectif elle dira également, pour résumer ces années animées par un désir ardent de connaissance « La soif de vérité était ma seule prière » Et c’est précisément dans ce contexte académique que le monde de la foi commnence peu à peu à se révéler à elle car elle ne pouvait plus ignorer un « domaine de phénomènes » qui se donnaient à voir et qu’il lui fallait enfin consentir à regarder en face. Dieu effleure son âme par petites touches discrètes et y dépose déjà les germes de sa grâce. L’étude du Notre Père en vieil allemand ne la laisse pas indifférente et la prière commune des maîtres et des serviteurs à laquelle elle assiste à l’aube dans une ferme isolée où elle avait passé la nuit est un témoignage de foi qui l’impressionne profondément. De plus, nombre de ses camarades se convertissent soit au catholicisme soit au protestantisme : Hedwig Conrad-Martius, Adolf Reinach alors assistant de Husserl, Max Scheler qui fascine et enflamme son auditoire par ses exposés sur la sympathie et la perception intuitive. Il développe des questions qui ouvrent à Edith des horizons jusque là insoupçonnés : la personne, la relation avec autrui, l’amour. Edith, sous le charme, dira de lui que jamais chez personne elle n’a cru toucher d’aussi près le phénomène du génie.
1914. La guerre mondiale éclate. Mobilisation générale. Les hommes, dont ses camarades d’université, partent se battre sur le front. A son tour, Edith veut faire quelque chose. Son sens aigu du devoir politique, son patriotisme fervent et sa conscience du rôle que peut et doit jouer la femme dans les moments historiques la porteront à interrompre ses études pour suivre des cours d’aide- infirmière et se porter volontaire pour soigner le soldats blessés. Elle se retrouve donc en avril 1915 enrôlée dans la Croix Rouge à l’hôpital militaire de Mährisch-Weisskirchen en Autriche. On lui confie la salle des typhoïdes et celle des opérations. Elle se dépense sans compter et s’épuise même à la tâche. Cette expérience humaine forte et enrichissante durera cinq mois à l’issue desquels Melle Stein est décorée d’une médaille pour son dévouement. Elle rentre alors à Breslau et s’attelle à sa thèse de doctorat qu’elle prépare sous la direction de Husserl. Elle a choisi de travailler sur l’empathie. On y perçoit déjà l’intérêt qu’elle porte et portera toujours à la structure de la personne qui restera au cœur de son œuvre. C’est une période de travail intense, à la fois de fatigue et de joie. Le texte de sa dissertation remis à Husserl, entretemps transféré à Fribourg-en-Brisgau et titulaire de la chaire de philosophie à l’université de cette même ville, plonge la maître dans l’admiration. Nous sommes en 1916. Edith Stein se voit décerner la mention summa cum laude. Husserl ravi, propose au Dr Stein de devenir son assistante, ce qu’elle accepte avec joie, inaugurant par là deux années de collaboration étroite. C’est Heidegger qui lui succèdera à se poste. Edith est absorbée par son travail de secrétaire de Husserl son enseignement de la philosophie dans les classes préparatoires. Jamais, malgré ses compétences et ses mérites elle ne pourra percer dans les sacro-saintes sphères de l’enseignement supérieur alors strictement réservées à la gente masculine. Une femme professeur !
Impensable. Même l’intervention de Husserl qui recommande vivement son admission à l’habilitation n’y fera rien. Ce non accès sera vécu comme une frustration et il s’écoulera du temps avant qu’Edith ne renonce à une carrière universitaire. Mais la grâce continue de faire son œuvre dans son âme. La mort de Reinach sur le front en 1917 est marquante. En effet, sa femme Anna demande à Edith de classer les écrits de son époux. Edith accepte mais appréhende de trouver une femme brisée par l’épreuve, écrasée par le deuil. Elle rencontrera une femme transformée, rayonnante, forte de la force du Christ, unie à Lui, habitée par la grâce divine du baptême que le couple avait reçu peu de
temps auparavant. Edith confiera plus tard : « Ce fut ma première rencontre avec la Croix, avec cette force divine qu’elle confère à ceux qui la portent. Au moment même mon incrédulité céda ; le judaïsme pâlit à mes yeux, tandis que la lumière du Christ se levait en mon cœur. La lumière du Christ saisie dans le mystère de la Croix . C’est la raison pour laquelle, prenant l’Habit du Carmel, je voulus ajouter à mon nom celui de la Croix ».
Eté 1921.
Au cours d’un de ses séjours familiers chez ses amis Hedwig Martius et Theodor Conrad son mari, après une journée de travail à la plantation que le couple exploite, Edith se retrouvant seule à la maison pendant la soirée, choisit au hasard un livre sur un rayon de la bibliothèque. C’est la Vie de sainte Thérèse d’Avila écrite par elle-même. Elle s’abîme dans une lecture qui se prolongera toute la nuit et ne s’arrêtera qu’au petit jour lorsque, tournant la
Je ne sais pas te décrire la musique que j’entends dans ma tête et dans mon cœur ici ; mais je peux te faire écouter des morceaux auxquels je pense. Tu verras si ça te plaît.
dernière page, elle refermera le livre en se disant « Ceci est la vérité ! »
Que se passa-t-il ce soir-là ? Nul ne le saura axactement. Interrogée sur sa conversion, Edith répondra simplement :« Secretum meum mihi. Mon secret est à moi ». Toujours est-il que les vingt années qui lui restent à vivre témoigneront, jusque dans la mort, de cette rencontre mystérieuse et ineffable avec l’Ami devenu l’Epoux, ce Dieu si proche et tendre et aimant. En ce soir de 1921, Dieu l’a saisie. Elle ne le lâchera plus. Désormais, elle fera siens ces mots de saint Paul : « Pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir m’est un gain ». Son unique désir sera alors de tout donner, de se donner et de suivre le Christ. Le lendemain de sa nuit de Pâques, au matin de sa résurrection, Edith s’achète un bréviaire et un catéchisme. Elle priera le bréviaire fidèlement depuis ce jour tous les jours de sa vie. Quant au catéchisme, elle l’étudie et s’en laisse imprégner tant et si bien que lorsqu’elle se rend à l’église de Bergzabern pour assister à la messe, rien ne lui est étranger. Après l’office, elle rejoint le prêtre à la sacristie pour demander le baptême. Le brave homme lui demande depuis combien de temps elle est instruite dans la foi catholique. Elle lui demande de la soumettre à un examen. Prenant conscience du travail de la grâce dans son âme, le prêtre accède à son désir. Le 1er janvier 1922, au seuil de la nouvelle année et après une nuit entière passée en prière devant le tabernacle, Edith Stein reçoit le baptême. Par une autorisation spéciale, Hedwig Conrad-Martius, protestante, sera sa marraine. Son amie notera par-dessus tout sa joie radieuse, sa joie d’enfant. Aussitôt après le baptême, Edith fait sa première communion. Le 2 février 1922, fête de la Présentation de Jésus au Temple, Edith reçoit le sacrement de confirmation dans la chapelle de l’évêché de Spire de la main de l’évêque. A Spire, elle rencontre également le chanoine Schwind qui deviendra son directeur de conscience jusqu’en 1927, année de sa mort. « Sa direction était sûre, tout ensoleillée… Il ne considérait les choses que sous leur aspect éternel ».
Comment dire à présent sa conversion à sa mère ? La chose s’annonçait douloureuse. Edith si entière, si vraie, ne se dérobe pas et n’envisage même pas d’écrire une lettre qui aurait fait l’économie de bien des émotions et des drames. Non. Elle fait le voyage jusqu’à Breslau, s’agenouille aux pieds de sa mère et la regardant dans les yeux, lui dit d’une voix à la fois douce et ferme :« Maman, je suis devenue catholique ». Mme Stein, ébranlée, pleure. C’est la première fois qu’Edith voit sa maman pleurer. Elles pleurent toutes les deux. A chacune désormais son chemin, sa foi, son courage, son sacrifice. La conversion d’Edith fait impression sur son entourage. Mais personne ne comprend. Au cours des six mois qu’elle passe dans sa famille, elle ne change rien à ses rapports avec les siens. A la synagogue où elle continue d’accompagner sa mère, elle prie le bréviaire. Et à son retour à Fribourg, elle aspire déjà autre chose. Elle rêve du Carmel et fait part de son désir de vie monastique à son directeur qui ne veut rien entendre. Au contraire, il lui dit qu’elle peut être très efficace dans le monde en mettant ses compétences au service des autres et il lui trouve une place de professeur à l’Institut Sainte Madeleine des dominicaines de Spire.
Spire, 1923-1931.
Huit années de vie pauvre et retirée faite de prière, de réflexion et d’apostolat
dans l’enseignement. Chargée des cours d’allemand, d’histoire et de littérature au lycée des jeunes filles et des conférences destinées à la formation des religieuses, Edith consacre à Dieu tout le temps qui n’est pas dû à son enseignement. Nous sont parvenus de cette période beaucoup de témoignages de religieuses, d’élèves, de collègues.
« Nous devinions en elle quelque chose de très rare : la totale harmonie entre l’enseignement et la vie personnelle ; Aux heures de récréation elle devenait notre amie. Je me rappelle encore comment nous nous précipitions dès le signal chaque fois qu’il s’agissait de monter dans sa chambre passer la veillée… le plus souvent nous nous asseyions par terre autour d’elle… »
« Vraiment elle nous donnait tout. Nous étions encore très jeunes, mais aucune d’entre nous n’a oublié le charme de sa personnalité. Pour nous qui étions à un âge critique, son comportement déjà était un modèle. Quand il lui arrivait de nous corriger, elle savait faire preuve à la fois de bonté et de justice. Jamais nous ne l’avons vue autrement que paisible, délicate et silencieuse »
« Elle nous prodiguait une tendresse exquise, toute maternelle, cependant personne n’aurait songé à lui désobéir même en pensée. Elle avait un si grand cœur : ouvert à tout ce qui est beau et noble mais secrètement réservé à Dieu seul »
« …ses leçons et ses remarques, tout ce qu’elle nous disait, nous arrivait enveloppé de bonté et nous était une grâce »
« De sa personne émanait une force retenue, et son comportement intérieur irradiait, comme c’est le cas chez les rares personnes qui mènent une vie intérieure d’une rare intensité spirituelle »
«Elle nous dépassait toutes par l’acuité de son esprit et l’étendue de sa culture. Ses exposés étaient admirablement ordonnés. Enfin, elle se tenait à un autre plan que nous et la lumière de la sainteté transparaissait dans sa personne »
« Malgré son travail et ses occupations, on sentait bien que rien n’était trop pour elle. Un échange avec elle devenait un événement unique en son genre. Elle allait seule son chemin mais elle aidait quiconque venait à elle, se faisant pour lui compagnon de route ; aucun obstacle n’avait de poids à ses yeux, elle balayait toutes les différences sociales ou autres, tout ce qu’elle faisait c’était seulement en vue de l’éternité »
« Sa seule présence était une invitation à monter. Elle nous entraî nait à sa suite sans beaucoup de paroles, par le seul rayonnement de son cœur pur, noble et donné »
Les années passées à Spire consomment son apprentissage du dépouillement Dans l’effacement et le silence Edith travaille et prie. Educatrice-née, comme Thérèse d’Avila, devenue son maître et son modèle, elle excelle dans son approche des jeunes. Elle lit et s’approprie l’enseignement de la Madre . Les dominicaines de Spire lui ont donné une cellule hors clôture qui ressemble en tous points à celles des religieuses. Au dessus de la table qui lui sert de bureau, un simple crucifix qu’elle regarde avec amour. Elle porte les cheveux tirés en
arrière. Pas de bijoux. Des vêtements pauvres. Aucune coquetterie. Peu de dépenses personnelles. Mais des témoins racontent que, pendant la période des fêtes, sa chambre est pleine de petits paquets préparés avec amour pour ses amis et pour les nécessiteux de la ville qu’elle allait en toute discrétion visiter personnellement pour s’informer de leurs besoins et leur faire des cadeaux. Le dimanche elle décharge les religieuses qui ont de la visite des corvées ménagères. Edith mène une vie humble et laborieuse qu’elle souhaite déjà aussi proche que possible de l’idéal monastique. Tous les jours elle récite son bréviaire et communie. Elle jeûne et s’abstient de viande. Et surtout, elle prie. Car Edith est une orante. Immobile sur son prie-Dieu à la chapelle, elle reste pendant des heures tendue en Dieu. « Comme le soulignait son maintien extérieur évoquant une statue, son âme demeurait là, devant Dieu, dans le repos d’une simple et sereine contemplation »
« La liturgie muette est mon partage. On y peut recevoir autant que l’on a besoin, je l’expérimente chaque jour . Mais lorsque je puis participer de nouveau à l’office liturgique en sa plénitude, alors je constate combien c’est une prière aride »
Il n’est pas rare qu’elle passe des nuits entières en prière et que les religieuses de la communauté la retrouvent pour laudes à la même place où elles l’avaient laissée la veille, tout abîmée dans l’adoration.
« Il importe juste que l’on puisse disposer effectivement d’un coin tranquille où pouvoir fréquenter Dieu, comme si vraiment rien d’autre
« Mes méditations ne sont pas de hautes envolées spirituelles, elles sont le plus souvent fort simples et modestes. L’essentiel en est l’action de grâces pour la place qui m’est offerte dans la patrie terrestre, étape en vue de la patrie céleste » n’existait, et ce, quotidiennement. Dieu conduit par sa grâce. Je ne suis qu’un instrument dans la main du Seigneur. Celui qui vient à moi je voudrais le conduire à Lui. Il est un état de repos en Dieu, de totale suspension de l’activité de l’esprit, dans lequel on ne peut plus dresser de plans, ni prendre de décisions, ni même rien faire, mais où, ayant remis tout l’avenir au vouloir divin, on s’abandonne entièrement à son destin.
Plus je l’expérimente, plus vive se fait en moi cette conviction dictée par la foi
que, dans la perspective de Dieu, il n’est pas de hasard.
Dieu sait ce qu’Il attend de moi, je n’ai nul besoin de m’en préoccuper »
Cette attitude d’abandon confiant est caractéristique d’Edith Stein.
« Etre enfant de Dieu signifie marcher la main dans la main de Dieu, faire sa volonté et non la nôtre, nous en remettre à Lui de nos soucis et de nos espoirs, ne plus nous inquiéter de notre propre avenir. Ainsi trouve-t-on la liberté et la joie. »
Sur ce point, Edith est profondémént marquée par Thérèse de Lisieux. A une amie, elle écrit, parlant de la « petite » Thérèse :« il s’agit là avant tout d’une vie humaine transformée de part en part par le seul amour de Dieu. Pour moi il n’est rien de plus grand, et j’aimerais autant que possible, en nourrir ma vie et celle de tout mes proches »
« L’enfance spirituelle consiste à devenir petit, et en même temps à devenir grand. La vie eucharistique consiste à sortir totalement de l’étroitesse de sa propre existence pour naître à l’immensité de la vie du Christ. Dans l’enfance spirituelle, quand nous avons juste commencé à nous laisser conduire par Dieu, nous sentons, forte et ferme, sa main qui nous guide : nous voyons de façon évidente ce que nous devons faire et ce que nous devons laisser. Celui qui appartient au Christ doit vivre toute la vie du Christ. Il doit mûrir jusqu’à atteindre l’âge adulte du Christ, et un jour entamer son chemin de croix, vers Gethsémani et vers le Golgotha »
Edith ne cherche plus la vérité. Elle en fait l’expérience. Elle vit de foi, de cette « lumière obscure » dont le chemin aride n’est plus le chemin de la connaissance philosophique mais qui lui fait dire : « dans mon être je découvre un autre être qui n’est pas le mien mais qui est soutien et fond de mon être, lequel ne trouve en lui-même ni fond ni soutien. Au fond de mon être, là où je me rencontre moi-même, je puis par la foi reconnaître l’Etre éternel »
Ce Dieu Amour qu’elle découvre en elle-même elle a voulu dès sa conversion lui appartenir totalement.
On peut se demander si, comme toute jeune femme, Edith n’a pas connu de grand amour humain, eu une relation sérieuse, nourri l’espoir d’un mariage heureux. Bien qu’on ne lui connaisse aucune idylle, nous savons qu’au cours de ses années d’études,elle n’était pas restée insensible au charme de Hans Lipps. « parmi les jeunes gens que je fréquentais, l’un d’eux me plaisait beaucoup. Je voyais en lui le futur compagnon de ma vie ; mais c’est à peine si quelqu’un s’en apercevait… » Des années plus tard, devenu veuf, Hans propose à Edith de l’épouser. Mais elle a déjà rencontré le Christ.
« Trop tard maintenant.. Quelqu’un d’autre est entré dans ma vie »
Ou encore Roman Ingarden avec qui elle échange une correspondance nourrie. Dans une de ses lettres elle s’autorise des accents tendres voire amoureux. Ingarden ne réagit pas. Il n’y aura pas de suite .
Les huit années passées à Spire, sont, outre l’enseignement, une période d’intense activité apostolique et intellectuelle.
« A l’époque qui précéda immédiatement ma conversion, et durant quelque temps encore ensuite, j’ai pensé que mener la vie religieuse signifiait faire abstraction de tout ce qui est terrestre pour ne vivre qu’en m’occupant des choses de Dieu ; mais j’ai compris peu à peu qu’il nous est demandé autre chose en ce monde et que, même dans la vie contemplative, tout lien extérieur ne doit pas être tranché ; je crois même que, plus forte est l’attraction qui nous conduit en Dieu, plus grand est le devoir de sortir de soi, en ce sens aussi, c’est-à-dire en direction du monde, pour y porter la vie divine »
La voici qui collabore avec des intellectuels catholiques. Parmi eux, le jésuite Erich Przywara qui lui demande de traduire Newman et les Questiones disputatae de veritate de Thomas d’Aquin. Elle y mettra tout son savoir, sa maîtrise du latin et tout son cœur. L’occasion pour elle de découvrir le thomisme dans lequel elle puisera en abondance dans ses écrits ultérieurs. Les traductions allemandes paraissent repectivement en 1926 puis en 31-32 dans une langue sobre, pure, limpide qui lui attire des éloges.
Edith est également sollicitée de toutes parts pour donner des conférences dans les grandes villes d’Allemagne, en Suisse et en Autriche. Ce seront les fameuses conférences sur la femme qui analysent l’essence du féminin, l’être-femme, la vocation essentiellement mariale de la femme, les défis et la portée de son engagement professionnel et religieux, son rôle dans la formation de la jeunesse et dans la nation ainsi que les problèmes pédagogiques liés à sa formation. Invitée par des associations catholiques, face à un auditoire averti qui fait souvent salle comble, Edith Stein si modeste et réservée qu’elle en passerait presque inaperçue, captive par la clarté de son discours et la seule force de sa pensée. Et pendant que la presse, à chaque fois, ne tarit pas d’éloges sur les talents oratoires du Dr Stein, Edith, de retour à Spire, reprend son travail quotidien, indifférente aux bruits du monde, le cœur fixé en Dieu.
« Si je ne me sentais pas tenue de parler des choses surnaturelles, rien ne me déciderait à monter à la tribune. Mais c’est au fond toujours une petite vérité très simple que j’ai à dire : comment on peut commencer à vivre en mettant sa main dans celle du Seigneur »
A partir de 1927, après la mort du chanoine Schwind, on retrouve Edith chaque année pendant le Carême et le temps pascal à l’abbaye bénédictine de Beuron. Là, dans le silence et la paix de cette « antichambre du ciel » comme elle se plaît à l’appeler, elle se ressource. Ayant, depuis longtemps, fait sienne la devise des moines, « ora et labora », elle vient ici pour s’unir davantage dans l’oraison avec Celui qu’elle aime. Elle se délecte aussi de la somptueuse et magnifique liturgie bénédictine qui lui manquera cruellement lorsque, par la suite, dans l’enceinte austère de son cloître, elle devra se contenter des offices récités et psalmodiés dans la plus pure tradition carmélitaine, sobre et dépouillée. Elle en fera mention.
Mais Beuron c’est surtout l’abbé Raphaël Walzer qui la dirige désormais et qui, connaissant les aspirations secrètes de son âme, insiste encore pour qu’elle continue de servir l’amour et défendre les valeurs chrétiennes dans le monde, ce à quoi elle obéit et répond avec générosité.
« J’ai rarement rencontré une âme douée de qualités plus hautes et diverses. Avec cela, la simplicité même. D’une capacité intellectuelle très virile, elle était demeurée extrêmement féminine en son comportement. Elle possédait une vive sensibilité, une délicatesse de cœur toute maternelle, sans chercher pour autant à satisfaire cette tendresse, ni à l’imposer. Elle reçut des grâces mystiques authentiques, mais son attitude n’avait rien d’exalté. Elle était humble auprès des simples, sage avec les savants, mais sans ombre de pédanterie… Elle était exceptionnellement simple, une âme toute limpide et transparente, très souple à suivre les motions de la grâce. Elle aurait été la première à sourire des pieuses exagérations de ses admirateurs. Elle passait des heures en oraison, comme absorbée en Dieu, mais elle éprouvait rarement le besoin de revenir sur les grâces reçues ni d’en parler, même à son directeur. Rien ne trahissait au dehors les profondeurs de sa vie spirituelle, sinon le parfait équilibre entre les dons du cœur et ceux de l’intelligence, la gravité devant les problèmes de son temps, la vraie compassion. Mais ce qui dominait, c’était son calme, sa paix. Elle était passée de l’autre côté des choses. Je lui appliquerai volontiers l’expression par laquelle le bréviaire monastique souligne la paix d’une âme sanctifiée.
1931. Edith quitte définitivement Spire et rentre à Breslau. Elle se concentre sur ses travaux sur Thomas d’Aquin.
1932. On lui propose une chaire à l’Institut Allemand de Pédagogie Scientifique de Münster. Elle s’installe au Collège Marianum partageant à nouveau la vie simple des étudiants. Attirée par la présence eucharistique à la chapelle, elle passe de longs moments devant le Saint Sacrement. Cette même année, elle est la seule femme à participer aux Journées de Juvisy organisées par la Société thomiste où elle se fait remarquer par une brillante intervention.
1933. Hitler devient chancelier du Troisième Reich. Le ciel d’Allemagne s’obscurcit. De lourdes menaces pèsent sur les non-aryens. Les Juifs sont les plus visés. Edith est interdite d’enseignement à Münster. Pour la fête de Pâques, elle est à Beuron, comme d’habitude. Pour la dernière fois.
Agenouillée à l’église, Edith, le jour de la fête du Bon Pasteur, se dit : « Je ne partirai pas d’ici avant de savoir clairement si c’est l’heure, oui ou non, d’entrer au Carmel. Je parlais avec le Sauveur et je lui disais que je savais que c’était sa Croix à Lui qui serait posée maintenant sur le peuple juif. La plupart des gens ne le comprenaient pas, mais ceux qui comprenaient devaient assumer cette croix avec générosité, au nom de tous. J’étais prête. Il n’avait qu’à montrer ce qu’il fallait faire. Lorsque l’Heure Sainte s’acheva, j’avais la certitude d’être exaucée. »
C’est l’heure d’entrer au Carmel.
Le Carmel. Enfin.
Douze ans qu’Edith attend, avec patience .
Son conseiller spirituel ne peut plus la retenir dans le monde. Elle s’élance, sacrifiant joyeusement tout.
Des contacts sont faits par une amie avec le Carmel de Cologne. Un entretien.Une entrevue de présentation et d’examen devant les soeurs du chapitre, au parloir. La prieure a des scrupules. Elle hésite à priver la société d’une personnalité de ce calibre. Le vote du chapitre est positif. Grüß Karmel !
« Celui qui entre au Carmel n’est pas perdu pour les siens ; au contraire, il leur est gagné de manière spéciale, car c’est bien notre tâche de nous tenir devant Dieu pour tous.
Unie au Seigneur, tu es comme lui, présente à tous . Si tu ne peux être ici ou là pour aider, comme le médecin, l’infirmière, le prêtre, tu peux, en revanche , par la puissance de la Croix, te trouver sur tous les fronts et dans tous les lieux où l’on souffre : partout te porte ton amour miséricordieux, l’amour qui a sa source dans le Cœur divin.
Il est une vocation qui consiste à souffrir avec le Christ et par là, à agir avec Lui, dans son œuvre rédemptrice. Les souffrances assumées en union avec le Seigneur sont sa souffrance, inscrites dans son œuvre rédemptrice où elles portent leurs fruits. C’est une des pensées fondamentales de toute vie religieuse, c’est surtout celle de la vie carmélitaine : intercéder pour les pécheurs par une souffrance librement consentie et joyeuse, et participer ainsi à la rédemption de l’humanité.
Nous sommes nous aussi in via, car le Carmel est une haute montagne que l’on doit gravir à partir du bas. Aidez-moi à devenir digne de vivre dans le sanctuaire le plus intime de l’Eglise, et d’y prier pour ceux qui sont obligés d’œuvrer au-dehors »
Pour commencer, Edith passe un mois au « tour » du Carmel de Cologne. Un premier contact, un premier partage. Une période heureuse. Jamais l’idée d’entrer en religion ailleurs qu’au Carmel ne l’avait effleurée. «Toujours il m’avait semblé que le Seigneur me réservait une part au Carmel, une part que je ne pourrais trouver ailleurs ».
Une fois encore, Edith fait le trajet jusqu’à Breslau. Là, elle se heurte, comme prévu à l’incompréhension totale de sa famille, voire à l’hostilité. On l’accuse même de trahir les siens en ces temps difficiles et de se détourner de son peuple pour sauver sa peau. Mais Edith sait parfaitement que le Carmel n’est pas un refuge et qu’il ne la met pas à l’abri des foudres du nazisme. Elle le dira plus tard qu’elle savait qu’un jour viendrait où l’on irait la chercher au fond de son carmel…
Les adieux avec sa mère sont déchirants.
« -Que vas-tu faire au juste près des sœurs de Cologne ?
-Partager leur vie.
Et, sur le chemin du retour de la synagogue :
-Le sermon n’était-il pas beau ?
-Mais si.
-On peut donc être pieux tout en restant juif ?
-Certainement. Si l’on ne connaît pas autre chose.
-Pourquoi donc l’as-tu connu ? Je n’ai rien contre lui. Il se peut qu’il ait été un homme très bon. Mais pourquoi s’est-il fait Dieu ?
Plus tard en début de soirée.
Elle s’assit, sa tête entre ses mains et commença à pleurer. Je me glissai derrière sa chaise et, prenant cette tête précieuse aux cheveux blancs entre mes mains, je la serrai contre mon cœur… Nous sommes restées ainsi, longtemps, jusqu’à ce que sonnât l’heure du coucher. Je conduisis maman à sa chambre et, pour le première fois de ma vie, je l’aidai à se déshabiller. Ensuite je m’assis sur son lit… enfin, elle m’envoya me reposer. Ni l’une ni l’autre nous n’avons dormi cette nuit-là »
Le lendemain, très tôt, après la messe de 5h30 et après le petit-déjeuner où elle voit sa mère pour la dernière fois, Edith prend le train pour Cologne. Ses deux sœurs, Rosa et Else l’accompagnent à la gare. La première qui recevra le baptême quelque temps après et l’accompagnera dans l’exil et la mort, est déjà dans la paix du cloître. La deuxième est effondrée.
14 octobre 1933. Après les premières vêpres de la fête de sainte Thérèse d’Avila, la porte de la clôture s’ouvre et Edith Stein entre au Carmel de Cologne. « Dans une paix profonde je franchis le seuil de la maison du Seigneur »
Si Edith est préparée à la vie cachée en Dieu, à la vie du Carmel, depuis longtemps, elle doit à présent s’adapter à la vie de la communauté, à la nouvelle direction spirituelle et aux menus détails de la vie quotidienne. Et ce n’est pas chose facile. Elle a quarante-deux ans .
Avec la générosité ardente de sa nature et avec beaucoup d’humour, elle se présente elle-même comme « une petite novice très incompétente » mais qui espère devenir « une religieuse quelque peu utilisisable ».
Tous ceux, parmi ses amis et ses connaissances, qui auront la chance par suite de la voir au parloir dans les premiers temps, ou un peu plus tard, sous son voile blanc, sont unanimes pour dire qu’ils la trouvent gaie, épanouie. Une collègue, très impressionnée, écrit : « Son bonheur me bouleversa… » Teresa Renata de Spirito Sancto, sa prieure, et, par suite, sa première biographe, témoigne : « C’était plaisir de voir comment Edith, après les premières semaines d’apprivoisement, s’épanouissait et rajeunissait à vue d’œil. Elle semblait avoir oublié son passé, sa science, ses talents. Que de fois, elle a ri jusqu’au larmes. Elle disait que toute sa vie elle n’avait pas ri autant. »
La plupart des sœurs n’avaient jamais entendu parler du Dr Edith Stein. Presque toutes n’entendaient rien à la philosophie. Edith, elle, n’était pas douée pour les tâches ménagères. Elle y mettra pourtant son coeur et sa volonté. Idem pour les récréations où Thérèse d’Avila recommande que ses filles s’occupent à un travail manuel. Edith se verra confier des travaux de couture au point de croix faciles et à sa portée.
15 avril 1934. Edith Stein prend l’Habit du Carmel. Jamais la petite chapelle du Carmel Marie Reine de la Paix n’a grouillé de tant de monde et embaumé de tant de fleurs. Ils sont venus de partout. Amis, connaissances, collègues, élèves. Raphaël Walzer est là. Le provincial des Carmes dirige la cérémonie. Lorsque, après s’être étendue sur le sol, les bras en croix, tandis que l’on chante le Veni Creator et le psaume 132, Edith Stein se relève, elle est désormais sœur Thérèse Bénédicte de la Croix, dans l’Ordre de Notre Dame du Mont Carmel.
Le 21 avril 1935, elle prononce ses vœux temporaires et, le 21 avril 1938, ses vœux perpétuels. Son désir s’accomplit. Sa vie appartient à Dieu pour toujours. Elle est épouse du Christ.
L’épouse du Christ « se tient debout à ses côtés, comme l’Eglise et comme la Mère de Dieu, qui est l’Eglise dans sa forme parfaite. Elle se tient là pour aider aux travaux de la Rédemption. Le don total de sa vie et de son être la font entrer dans la vie et les travaux du Christ, lui permettant de compatir et de mourir avec Lui, de cette mort terrible qui fut pour l’humanité la source de la vie »
En 1936, le 14 septembre, date à laquelle les carmélites renouvellent leurs vœux, Augusta Stein, sa mère, meurt, dans la foi de ses ancêtres.
Deux ans plus tard, Husserl, son maître aimé, meurt à son tour, en Christ.
Rosa, soeur d’Edith et plus âgée qu’elle, depuis longtemps convertie de cœur, attendait la mort de leur mère pour rejoindre Edith. Le 24 décembre 1936, elle reçoit le baptême auquel Sœur Thérèse Bénédicte, par un concours providentiel de circonstances, peut assister. Devenue par suite carmélite tertiaire, Rosa vivra toujours à l’ombre du monastère. Elle sera avec Edith dans l’exil et la mort.
Quelque temps après son entrée au Carmel, Edith Stein, est autorisée à reprendre son travail intellectuel, à la demande du Provincial et par autorisation spéciale. Par obéissance donc, elle se remet à écrire.
Jusque là, son œuvre, riche et puissante, compte principalement sa thèse sur l’empathie, un essai sur l’Etat, les conférences sur la femme, ses écrits pédagogiques, ses traductions de Newman et de Thomas d’Aquin, ses cours sur la structure de la personne et de grands articles sur la phénoménologie et sur Thomas d’Aquin.
Un important essai philosophique à l’état de projet, attend d’être élaboré. Sœur Thérèse Bénédicte travaille à « Etre fini et être éternel », son ouvrage majeur , forme revue et achevée de « Acte et puissance » commencé avant l’entrée au carmel. « Etre fini et être éternel » ne sera jamais publié de son vivant en raison des difficultés que posaient ses origines juives.
Au Carmel, sœur Bénédicte écrit beaucoup. D’abord, une correspondance nourrie avec des hommes, des femmes, religieux et laïcs, qu’elle accompagne et conseille. La lecture de ses lettres reflète la profondeur de son regard et la justesse de son jugement. Ensuite, une floraison d’écrits spitituels puisés à la Source Cachée qu’est la vie en Dieu, allant des petites brochures rédigées à l’occasion d’événements carmélitains, des présentations de saints et de figures spirituelles, aux dialogues spirituels, aux poèmes et surtout à ces textes sublimes comme « La prière de l’Eglise » et « Le mystère de Noël ». Ces textes sont des joyaux de la littérature spirituelle en général et carmélitaine en particulier. Ils offrent matière à méditation sur la communion à l’Eglise universelle, le sens de l’engagement religieux, de l’offrande de soi, de la souffrance, de l’adhésion au Christ, de l’imitation de Marie, de la prière. Elle poursuit également la rédaction des Souvenirs d’une famille juive…
Mais les rumeurs grondantes du monde en ébullition n’épargnent pas le petit Carmel tranquille. Les nouvelles alarmantes parviennent aux sœurs par-delà la grille du monastère. Sœur Thérèse Bénédicte, bien qu’enfouie dans le silence de Dieu, ne cache pas sa douleur et son inquiétude pour les siens, pour son pays, pour le monde.
La « nuit de cristal » du 9 au 10 novembre 1938 est une explosion de violence et de folie meurtrière. Les synagogues sont brûlées dans toute l’Allemagne, les commerces juifs pillés, rasés. 30 000 Juifs sont arrêtés en une seule nuit.
Avec une admirable lucidité, sœur Thérèse Bénédicte sait que sa présence dans son Carmel risque d’exposer la communauté à des périls. La Gestapo n’ignore pas qu’elle est juive et c’est en tant que non aryenne qu’elle l’a interdite de vote.
Il faut partir.
L’unique issue qui se présente est la Hollande.
31 décembre 1938. dans le plus grand secret, Sœur Thérèse Bénédicte fait ses adieux à son Carmel et, conduite par un médecin ami de l’Ordre, se rend à Echt, où elle est attendue et chaleureusement accueillie par les carmélites. Avant de traverser la frontière, elle a le temps, en cours de route, de faire une halte au sanctuaire de Siebenburgen aux pieds de la Vierge miraculeuse, la Vierge de la Paix .
Sœur Thérèse Bénédicte vivra au Carmel d’Echt tout le temps qu’il lui reste à vivre c’est-à-dire trois ans et demi.
Toujours davantage dans l’abandon à la volonté divine.
« Il n’est ici bas aucune demeure permanente. Je ne désire rien sinon que s’accomplisse en moi et par moi la volonté de Dieu. Mais il importe de beaucoup prier afin de rester fidèle en toutes circonstances »
26 mars 1939. Dimanche de la Passion. Sœur Thérèse Bénédicte s’offre « au Cœur de Jésus comme victime de réconciliation pour la véritable paix »
« Lorsque je serai dans cette paix profonde – mais tout un abîme m’en sépare encore – je sais fort bien que j’aurai alors une fonction sacrée pour tous ceux qui doivent rester dehors. »
Septembre 1940. La prieure du Carmel d’Echt lui demande d’écrire quelque chose pour le quatrième centenaire de la naissance de saint Jean de la Croix. Ce sera son dernier grand ouvrage, La Science de la Croix, dont elle n’a pas le temps de terminer la rédaction mais qu’elle achèvera dans sa chair et dans la consommation totale de son offrande.
Sœur Thérèse Bénédicte se plonge donc de plus en plus dans Jean de la Croix Elle accède par la voie étroite au chemin de crête qui mène vers la cime.
« Je suis encore au bas de la montagne… »
Le bois de la croix prend feu et devient Vive Flamme d’Amour. L’âme transformée, pacifiée, simplifiée, sœur Thérèse Bénédicte se laisse consumer par la Vive Flamme d’Amour.
Au Carmel on craint le pire pour les deux sœurs.
Des contacts discrets sont entrepris avec les autorités suisses et le Carmel du Pâquier . Mais il est trop tard.
2 août 1942. La cloche sonne pour l’oraison. Sœur Thérèse Bénédicte se prépare à lire le point d’oraison. La Gestapo s’engouffre dans le petit parloir.
Edith a quelques minutes pour sortir de son cloître auquel elle est pratiquement arrachée. La communauté est bouleversée. Les carmélites s’affairent pour lui préparer des affaires. Elle ne prend rien, s’agenouille devant la supérieure pour recevoir sa bénédiction et, prenant la main de Rosa « Viens, nous allons pour notre peuple » elle suit les officiers dans la rue.
Ce jour-là, dans toute la Hollande, ils sont des dizaines, voire des centaines de chrétiens d’origine juive, à subir le même sort, en représailles à la lettre pastorale de l’épiscopat catholique hollandais publiée en plein accord avec le Synode de l’Eglise Réformée, appelant à protester contre la politique discriminatoire de l’occupant allemand à l’égard des Juifs.
5 août 1942. Sœur Thérèse Bénédicte est détenue au camp de transit de Westerbork. Des témoins oculaires ne peuvent oublier cette religieuse si calme mais au visage si douloureux de toute la douleur de l’humanité qu’elle porte et qui va de baraque en baraque, soulageant les uns, prodiguant des soins aux autres, s’occupant des enfants dont les mères sont en plein désarroi. Une « Pietà sans Christ »
La possibilité d’envoyer encore au carmel deux ou trois messages furtifs, griffonnés à la hâte, pour dire l’urgence de l’envoi de linge, d’une brosse à dents pour Rosa, d’un volume du bréviaire… pour rendre grâces toujours, dire qu’elle porte encore le saint habit du Carmel, qu’elle prie « magnifiquement »…
Dans la nuit du 6 au 7 aoùt, un convoi s’ébranle en direction d’Auschwitz.
Puis, plus rien.
9 août 1942. Auschwitz.
Nous savons que tous les détenus de ce convoi sont conduits dans les chambres à gaz très probablement dès leur arrivée.
« Dès à présent j’accepte la mort que Dieu m’a destinée, avec joie et dans une totale soumission à sa très sainte volonté. Je prie le Seigneur de bien vouloir agréer ma vie et ma mort pour sa gloire et glorification, pour toutes les intentions des très saints Cœurs de Jésus et de Marie, et celles de la sainte Eglise, en particulier pour la conservation de notre saint Ordre, notamment des carmels de Cologne et d’Echt ; en expiation pour le refus de foi du peuple juif, afin que le Seigneur soit reçu par les siens, et que son règne vienne dans la gloire ; pour le salut de l’Allemagne et pour la paix dans le monde, enfin pour mes proches, vivants et morts, et pour tous ceux que Dieu m’a confiés : pour qu’aucun ne se perde »
Le 1er mai 1987, Edith Stein est béatifiée à Cologne par le pape Jean-Paul II.
Le 11 octobre 1998, elle est canonisée à Rome.
Le 1er octobre 1999, elle est déclarée, aux côtés de sainte Brigitte de Suède et sainte Catherine de Sienne, co-patronne de l’Europe.
Randa Abi Aad ocds LIBAN
bonne dimanche, pour le commentaire a demain, je ne me porte pas bien, pour le chaud a Rome
8 août, 2010Saint Cyprien : « Tenez-vous prêts »
8 août, 2010du site:
http://www.levangileauquotidien.org/main.php?language=FR&module=commentary&localdate=20100808
Dix-neuvième dimanche du temps ordinaire : Lc 12,32-48
Commentaire du jour
Saint Cyprien (v. 200-258), évêque de Carthage et martyr
De l’unité, 26-27 (trad. cf DDB 1979, p. 49 et AELF)
« Tenez-vous prêts »
C’est à notre temps que songeait le Seigneur quand il a dit : « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » (Lc 18,8) Nous voyons cette prophétie se réaliser. La crainte de Dieu, la loi de la justice, la charité, les bonnes œuvres, on n’y croit plus… Tout ce que craindrait notre conscience, si elle y croyait, elle ne le craint pas, parce qu’elle n’y croit pas. Car si elle y croyait, elle serait vigilante ; et si elle était vigilante, elle se sauverait.
Réveillons-nous donc, frères très chers, autant que nous en sommes capables. Secouons le sommeil de notre inertie. Veillons à observer et à pratiquer les préceptes du Seigneur. Soyons tels qu’il nous a prescrit d’être, quand il a dit : « Restez en tenue de service et gardez vos lampes allumées. Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte. Heureux les serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller ».
Oui, restons en tenue de service, de peur que, quand viendra le jour du départ, il ne nous trouve embarrassés et empêtrés. Que notre lumière brille et rayonne de bonnes œuvres, qu’elle nous achemine de la nuit de ce monde à la lumière et à la charité éternelles. Attendons avec soin et prudence l’arrivée soudaine du Seigneur, afin que, lorsqu’il frappera à la porte, notre foi soit en éveil pour recevoir du Seigneur la récompense de sa vigilance. Si nous observons ces commandements, si nous retenons ces avertissements et ces préceptes, les ruses trompeuses de l’Accusateur ne pourront pas nous accabler pendant notre sommeil. Mais reconnus serviteurs vigilants, nous régnerons avec le Christ triomphant.