Archive pour le 2 août, 2010
Commentaire de Gn 18
2 août, 2010du site:
http://www.bible-service.net/site/506.html
(1er lecture du dimanche 25 juillet) le texte biblique sur:
http://www.bible-service.net/site/505.html
Commentaire de Gn 18
Les Églises d’Orient ont donné à Gn 18 le titre de »Philoxénie d’Abraham », autrement dit l’amour de l’étranger. C’est bien d’amour qu’il s’agit lorsqu’Abraham prend soin du corps de ses hôtes – Dieu sans qu’il le sache – et lorsque, presque au même moment, dans le corps de Sara s’annonce l’enfant inespéré…
Le récit de Gn 18, 1-15, disent les historiens, fut composé en plusieurs étapes. Dans une version ancienne, l’intrigue a du porter sur l’hospitalité du patriarche. Mais le texte actuel, mis en forme au 6e ou 5e av. J.-C., pendant ou après l’exil, est devenue une scène d’Annonciation.
Quand Dieu prend corps
» Je vais faire de toi une grande nation » (Gn 12, 2), la promesse du Seigneur à Abram devait se jouer d’un obstacle, une douleur : la stérilité de Saraï. Longuement, le récit a exploré diverses pistes : l’héritier sera-t-il Lot, Ismaël ou le fidèle intendant ? Il a navigué au milieu des dangers : Saraï chez Pharaon, Lot préférant la richesse de Sodome, Agar servante-maîtresse… Puis le Seigneur a scellé son alliance avec Abram : nouveaux noms (Abraham, Sara), nouveau rite (la circoncision). Alors seulement, quand ne reste plus que la longue attente, Dieu prend corps et apparaît.
Le corps donné à Dieu par les peintres d’icônes est celui… des anges ! Andreï Roublev, au début du 15e siècle, en a figuré trois, aux couleurs transparentes, évocation douce et lumineuse de la Trinité. Cette splendeur ne doit pas masquer la lettre du récit biblique où c’est incognito, comme de simples »hommes », que se présente le Seigneur. Seul le lecteur, dès le début, est informé de leur identité. L’un des ressorts de l’intrigue est donc la question : Abraham va-t-il reconnaître ses visiteurs et comment ? Or Dieu se contente d’acquiescer au vieillard qui se démène (d’après Gn 17, 24, il a 99 ans !). Il le laisse préparer un repas et – cas unique dans la Bible – il mange ce qui lui est offert avec tant d’humanité.
Le jour et la nuit
Lorsqu’enfin le Seigneur parle, c’est pour s’inquiéter de Sara. À moins que la question soit de pure forme, le lecteur s’étonne, habitué à considérer Dieu comme omniscient : d’ailleurs celui-ci n’ignore pas le nom et la stérilité de Sara ! Le ressort de l’intrigue se déplace : Abraham n’a pas reconnu Dieu, mais Sara, comment va-t-elle réagir devant ces gens qui la connaissent si bien et qui promettent l’inouï ? Peu à peu, un dialogue s’instaure, aux modalités complexes : rire intérieur de la femme, mais perçu à l’extérieur (!), question par Abraham interposé ( »Pourquoi ce rire de Sara ?… »), promesse réaffirmée, dialogue resserré du Seigneur et de Sara qui émerge enfin, tremblante, au statut de partenaire, dans une relation »je-tu » : »Si, tu as ri ». Elle est dans la tente, mais c’est comme si Dieu la tirait hors de l’ombre de son mari, en plein soleil. Elle existe. Elle va donner le jour.
Sans se faire reconnaître, le Seigneur a permis à Abraham de montrer beaucoup d’amour et Sara, qui se dit »usée », est rendue capable d’en déployer davantage. Le corps d’Isaac s’annonce, fruit de la promesse divine, fruit aussi d’un amour humain au-delà de l’acte d’amour.
L’histoire est belle. Trop ? Elle se détache sur fond d’effondrements : »un hurlement est monté de Sodome et de Gomorrhe » (Gn 18, 20) La »philoxénie » d’Abraham contre la »xénophobie » des villes où Lot a choisi de prospérer. Ici, sous l’arbre, en plein jour, on lave les pieds des voyageurs et on leur prépare un repas (18, 1-8). Là, dans la ville, la nuit, on cherche à les violer en fracassant les portes (19, 1-10) : la violence se retourne alors sur les violents, »pluie de soufre et de feu » et disparition de tout »jusqu’à la flore » ( 19, 24-25).
Salve d’avenir
Dans la Bible, récits de vocation et récits d’annonciation sont des formes littéraires apparentées : dans une situation grave, le Seigneur – ou son messager – apparaît à son élu(e) et l’interpelle : celui-ci (celle-ci) prend peur ou résiste, puis, devant l’insistance divine, accepte la mission. La »vocation » d’Abram, en Gn 12, 1-5, ne correspond qu’imparfaitement à ce schéma tant est concise la narration. Avec l’accueil, par Abraham, de l’autre-étranger et, par Sara, de l’autre-enfant (dépositaire de la mission de bénédiction universelle), elle se déploie. Et Isaïe, pendant l’exil, va souligner que c’est bien d’un homme et d’une femme, ensemble, que le peuple de Dieu est issu : »regardez le rocher où je vous ai sculptés et le creux dans le puits dont je vous ai extraits, regardez Abraham votre père, Sara qui accoucha de vous… » (Is 51, 1-2). »Devant l’effondrement des preuves, le poète répond par une salve d’avenir » disait René Char. L’histoire d’Abraham et de Sara est une salve d’avenir.
© Gérard BILLON. Article paru dans Le Monde la Bible n° 140 »Abraham, patriarche de trois religions » (Bayard-Presse, janv.-fév. 2002), p. 72
N.B. : sur ce récit célèbre, on méditera l’icône de Roublev. On relira aussi les 3 pages que Paul Beauchamp a consacrées à “ Abraham : la vie, la mort ” dans son ouvrage Cinquante Portraits Bibliques, Le Seuil 2000, p. 25-27
La communion des chrétiens du Maroc, un témoignage pour le peuple musulman
2 août, 2010du site:
http://www.zenit.org/article-25108?l=french
La communion des chrétiens du Maroc, un témoignage pour le peuple musulman
Homélie de l’archevêque de Rabat au pèlerinage des Sept Dormants (Côtes d’Armor)
ROME, Vendredi 30 juillet 2010 (ZENIT.org) – Les catholiques du Maroc sont tous étrangers et viennent de 90 pays différents. « La cathédrale, toujours ouverte, est le centre de la ville de Rabat ! Cette communion de tous les chrétiens, quelle que soient leur culture ou leur origine géographique est un témoignage pour ce peuple musulman qui nous accueille », affirme l’archevêque de Rabat, Mgr Vincent Landel, dans cette homélie prononcée le 24 juillet au pèlerinage des Sept Dormants d’Ephèse, dans les Côtes d’Armor, en France.
Nous publions ci-dessous le texte intégral de son homélie.
Samedi soir 24 Juillet 2010
Vous avez dû être étonnés de prier aujourd’hui avec les textes de Saint Abraham ; l’idée m’en est venue car ce pèlerinage des sept dormants n’est-il pas un lieu de rencontre entre chrétiens et musulmans, rencontre non seulement humaine, mais aussi spirituelle ; et au Maroc nous avons dans notre propre liturgique cette messe spéciale de Saint Abraham. Et puis en même temps d’ici quelques jours, nos frères musulmans vont commencer le Ramadan qui se terminera par l’immolation d’un mouton, comme Abraham, par chaque famille.
Ainsi c’est Jésus Christ qui nous rassemble, mais aussi Abraham car comme nous l’a rappelé Saint Paul « les vrais fils d’Abraham, ce sont les croyants » ; et à Abraham fut annoncé cette bonne nouvelle « en toi seront bénies toutes les nations »…… « il n’y a plus ni juif, ni païen, il n’y a plus ni esclave ni homme libre…car tous vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus ». En entendant cela, rêvons-nous, ou bien recevons-nous l’invitation de participer à la création d’un monde nouveau !
En Jésus Christ, en Abraham, nous sommes invités à faire la communion, à nous rencontrer, à nous estimer, à nous connaître, à nous aimer chrétiens et musulmans ; n’est-ce pas ce que le Concile nous invitait à comprendre, et à vivre ?
C’est tout le sens de notre Eglise au Maroc qui se veut être une Eglise de la communion, une église de la rencontre, une Eglise de la gratuité.
Une Eglise de la communion, car sur une population de 38 Millions d’habitants, nous sommes 25 mille chrétiens, tous étrangers venant de 90 pays différents. Chrétiens venant d’Europe, d’Amérique, d’Asie, mais surtout d’Afrique subsaharienne, nous sommes invités à faire la communion autour de Jésus Christ et du Maroc. Nous ne sommes pas là pour reproduire les habitudes de tel ou tel pays, mais de par notre travail, nous sommes là pour être ensemble les témoins de l’Amour miséricordieux de Dieu pour tous les hommes ; c’est une responsabilité passionnante à vivre, car elle nous invite à être créatifs et à rentrer sur des chemins de conversion que nous n’avions pas prévu, et de nous enrichir de la différence des autres.. Déjà dans un diocèse, en Europe, je suppose, il n’est pas facile tous les jours de vivre la communion, mais imaginez la dose d’imagination qu’il faut pour faire qu’un français, un polonais, un camerounais, un ivoirien, un palestinien, un américain ou un colombien et tant d’autres, ne veuillent rien imposer, mais accepte de reconnaître tout simplement cette richesse que nous avons à construire tous les jours dans cette catholicité de l’Eglise. Cette richesse ne peut venir que de Jésus Christ et du Maroc qui nous rassemblent pour prier. Et nous avons la chance, catholiques étrangers, d’avoir une liberté de culte. La cathédrale, toujours ouverte, est le centre de la ville de Rabat ! Cette communion de tous les chrétiens quelle que soient leur culture ou leur origine géographique est un témoignage pour ce peuple musulman qui nous accueille.
Une Eglise de la rencontre ; c’est l’un des points de conversion que nous avons à vivre, chrétiens arrivant dans ce pays. Car les chrétiens viennent au Maroc pour des raisons professionnelles ou des études universitaires et ne restent que quelques années. En ce laps de temps, ils ont à comprendre qu’ils sont en première ligne dans un dialogue islamo chrétien, non pas par de grandes conférences, mais par leur vie ; leur vie de travail, leur vie sociale, leur vie d’étudiants se fait presqu’exclusivement avec des musulmans. Il leur faut du temps pour arriver à comprendre que c’est par eux que des musulmans connaîtront des chrétiens ; c’est par eux que les musulmans découvriront que le christianisme n’est pas une séquelle du colonialisme…nous avons même des prêtres et des religieuses africaines. Il leur faut une grande conversion à ces chrétiens, car l’Islam tel qu’il est vécu en Europe ou tel qu’il est vécu au sud du Sahara, n’est pas la même réalité que l’Islam qui est vécu au Maroc, même s’il s’agit de la même religion !
Il leur faut du temps pour accueillir l’autre différent, mais si riche en tellement de domaines. Il nous faut un peu d’humilité, à nous qui sommes chrétiens, pour accepter de croire que notre religion donne tout un sens à notre vie, mais n’est pas le centre du monde. Et cette rencontre enrichit notre foi ; rappelez-vous que Charles de Foucauld a retrouvé le Jésus de son enfance en voyant prier des musulmans sur les routes du Maroc. Et c’est avec joie que j’ai reçu, durant le synode africain du mois d’octobre dernier cette réflexion d’un frère évêque sub saharien « Merci à l’Eglise au Maroc qui a transformé nos jeunes qui reviennent au pays humainement et spirituellement transformés et plus mûrs ». Oui l’Eglise au Maroc a aidé ces étudiants à s’enrichir au contact de la religion de l’autre.
Une Eglise de la gratuité, en effet, nous sommes là comme des témoins aimants, manifestant l’amour de Dieu pour tous les hommes ; nous essayons d’être là comme Abraham, des croyants et des priants ; mais il est hors de question pour nous de convertir, de baptiser, de célébrer le sacrement de mariage, de faire de la catéchèse. Nous avons à redécouvrir l’essentiel de notre foi, l’amour gratuit de Dieu pour tous les hommes quelle que soit leur culture ou leur religion. Nous n’avons pas à remplir des registres de catholicité, mais cela ne nous empêche pas de vivre à fond notre foi en contemplant le Royaume de Dieu qui grandit chaque foi que l’amour est promu, chaque fois que des gestes de pardon, de solidarité, de paix, de vérité, de vie sont effectués. Cette gratuité la plus totale permet des amitiés inébranlables où chacun se respecte dans ce qu’il est. Dans un monde qui recherche l’efficacité à tout prix, même sur le plan spirituel, vivre la gratuité la plus totale n’est pas facile….mais le plus grand amour de Dieu pour tous les hommes, n’est-il pas gratuit ?
Nous ne perdons pas notre temps en vivant ainsi, mais nous retrouvons l’essentiel de notre foi, et nous rentrons dans le temps de Dieu que nous avons à ne pas confisquer pour une quelconque stratégie !
En ce temps de pèlerinage, auprès des sept dormants, en tant qu’évêque je voudrais rendre grâce à Dieu de mieux me faire comprendre que je ne suis pas évêque pour 25 mille chrétiens….mais je suis évêque de ces 38 Millions d’hommes et de femmes qui habitent ce Maroc.
En ce temps de pèlerinage, auprès des sept dormants, que chacun et chacune d’entre nous, nous prenions davantage conscience que tout musulman est mon frère, et que c’est avec lui que, comme nous y a invité le Synode pour l’Afrique, nous serons des acteurs de la paix, de la justice et de la réconciliation dans le monde ; non pas chacun de notre côté, mais ensemble !
AMEN
+ Vincent LANDEL s.c.j. Archevêque de Rabat
le 24 Juillet 2010