Les espaces infinis et le silence de Dieu : science et religion XVIe-XIXe siècle

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Les espaces infinis et le silence de Dieu : science et religion XVIe-XIXe siècle

Fr. Jean-Michel Maldamé, o.p .

Paris, Éd. Aubier, coll. « Historique », 2003. – Esprit et Vie n°94 – novembre 2003 – 2e quinzaine, p. 25-26.

C’est en historien que Louis Châtellier présente ce thème où se rencontrent science, philosophie et foi chrétienne. Il s’agit de l’évolution de la vision du monde en lien avec l’astronomie classique. Le titre de l’ouvrage, Les espaces infinis et le silence de Dieu, évoque une phrase célèbre de Pascal dont la démarche est présentée dans l’ouvrage qui, comme l’indique le sous-titre, traite de science et religion du xvie au xixe siècle. Le parcours montre l’inexorable mouvement de sécularisation de la pensée dans la culture marquée par l’essor de la science classique, comme pour démontrer la citation de Chateaubriand qui ouvre la préface : « Les âges irréligieux conduisent nécessairement aux sciences, et les sciences amènent nécessairement les âges irréligieux » (p. 9). Cette phrase atteste le changement de mentalité, puisqu’elle va à l’encontre de la tradition qui disait que la connaissance de la nature menait à la connaissance de Dieu.

La méthode suivie par Louis Châtellier est celle d’un historien. Il est attentif aux personnes et aux situations et pas seulement à des concepts.

La première partie (« Le temps de Galilée ») est consacrée à la naissance de la science classique au xviie siècle. L’exposé est centré sur la personne du P. Mersenne, oratorien, dont la correspondance permet d’entrer dans la vie de ce qui constitue alors une vraie communauté scientifique et que l’auteur appelle un « réseau » (chap. I : « Le Père Mersenne et son groupe »). En son sein se réalise un projet ici qualifié d’apologétique (chap. II : « Le projet apologétique ») en donnant de la science une vision purifiée, articulée à une métaphysique qui libère de tout ésotérisme ou superstition. Le statut de la science est peu à peu précisé. La condamnation de Galilée ayant précipité le mouvement de clarification des relations entre science et foi et leur séparation (chap. III : « La science seule »), désormais la science ne dépend plus d’une vision religieuse du monde, celle dont l’Église aurait le monopole. Le chapitre suivant (chap. IV : « La religion à l’épreuve de la science ») précise comment cette indépendance est vécue. À la mort de Mersenne (1648) une nouvelle situation est donc présente, celle dont témoigne Pascal : la science n’ouvre plus sur une vision religieuse du cosmos, mais seulement sur l’exigence d’une expérience spirituelle.

La deuxième partie (« Le temps de Newton et de Leibniz ») commence par une étude des moyens de production et de communication du savoir (Académies des sciences, rayonnement personnel des grands savants, journaux, etc.). Elle fait un inventaire des grands domaines des nouvelles découvertes où Newton et Leibniz jouent un rôle essentiel. Puis les questions plus philosophiques sont abordées, en particulier ce qui concerne l’espace (chap. VIII), le temps (chap. IX) pour présenter le thème où religion et science se rencontrent : la question de l’infini (chap. X : « L’infini et la religion »). La situation est paradoxale, puisque certains voient dans la nouvelle notion d’infini un soutien pour la foi et d’autres un obstacle. Louis Châtellier montre que, pour surmonter cette contradiction, le monde chrétien s’oriente vers une religion où l’affectivité tient une place de plus en plus grande.

La troisième partie (« De l’Encyclopédie au transformisme ») commence par relever que si Leibniz et Newton croyaient fermement en Dieu et qu’ils le signalent dans leurs œuvres, il n’en va plus de même à la fin du xviiie siècle où les convictions personnelles des savants n’entrent plus dans la conduite de leurs travaux. La méthode suivie par Louis Châtellier reste la même. Il relève les moyens de communication qui font la communauté scientifique et, en particulier, tout ce qui a contribué à la diffusion des idées de Newton et de son déisme (chap. XII : « Après Newton, le Newtonisme »). La situation devient conflictuelle puisque les résultats de la science contredisent la lecture obvie du texte biblique. Cette situation mène à des oppositions où l’autorité ecclésiastique joue le mauvais rôle, comme l’a éprouvé Buffon lorsqu’il a timidement contredit la chronologie reçue jusqu’alors (chap. XIII). Peu à peu s’instaure un divorce entre science et foi. Louis Châtellier le montre à partir de figures exemplaires comme celle de Linné (chap. XIV) et Laplace (chap. XV). Ainsi s’effondre l’idéal de sagesse qui fut celui des grands théologiens.

Au terme de ce parcours, mais ce n’est pas une conclusion, Louis Châtellier cite l’attitude d’Ampère, chrétien fervent après une conversion exemplaire. Celui-ci vit sa foi dans la ferveur, mais il lui donne le statut de dévotion privée.

Cet ouvrage historique donne des éléments précieux pour une histoire de la pensée et des attitudes religieuses. Il donne des éléments à une réflexion théologique, mais il n’entre pas dans le fond des questions métaphysiques ou de vie spirituelle qui sont clairement posées au détour de l’exposé.

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