Archive pour le 8 juillet, 2010
Saint François Xavier : « Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups »
8 juillet, 2010du site:
http://www.levangileauquotidien.org/main.php?language=FR&module=commentary&localdate=20100709
Le vendredi de la 14e semaine du temps ordinaire : Mt 10,16-23
Commentaire du jour
Saint François Xavier (1506-1552), missionnaire jésuite
Lettre 131, 22 octobre 1552 (trad. La Colombe, 1953, p. 247-248)
« Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups »
Nous courons deux dangers, au dire des gens du pays. Le premier est que l’homme qui nous conduit, après avoir reçu notre argent, ne nous laisse dans quelque île déserte ou ne nous jette à la mer, afin d’échapper au gouverneur de Canton. Le second est que, s’il nous mène à Canton et que nous arrivions en présence du gouverneur, celui-ci ne nous inflige de mauvais traitements ou ne nous jette en prison. Car notre démarche est inouïe. De nombreux décrets interdisent à quiconque l’accès de la Chine, et, sans une autorisation du roi, il est strictement défendu aux étrangers d’y pénétrer. En dehors de ces deux périls, il y en a beaucoup d’autres, et plus grands, ignorés des gens du pays. Il serait bien long de les décrire ; je ne laisserai pas cependant d’en citer quelques-uns.
Le premier est de perdre espérance et confiance en la miséricorde de Dieu. C’est pour son amour et pour son service que nous allons faire connaître sa loi et Jésus Christ son Fils, notre Rédempteur et Seigneur. Il le sait bien, puisque c’est lui qui, dans sa sainte miséricorde, nous a communiqué ces désirs. Or, manquer de confiance en sa miséricorde et de son pouvoir au milieu des périls dans lesquels nous pouvons tomber pour son service est un danger incomparablement plus grand que les maux que peuvent nous susciter tous les ennemis de Dieu. En effet, si son plus grand service le demande, il nous gardera des dangers de cette vie, et sans la permission et autorisation de Dieu les démons et leurs ministres ne peuvent en rien nous nuire.
La première Pâque juive
8 juillet, 2010par Sandro Magister : Pour Benoît XVI, l’horrible année 2010 est une année de grâce
8 juillet, 2010du site:
http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1344000?fr=y
Pour Benoît XVI, l’horrible année 2010 est une année de grâce
Pénitence, pardon et nouvelle évangélisation. De la même manière et plus que pendant le Jubilé de l’An 2000. Une comparaison surprenante. Avec une interview du cardinal Ruini
par Sandro Magister
ROME, le 8 juillet 2010 – Le chemin de croix de l’Église d’aujourd’hui forme un contraste cruel avec les glorieuses réjouissances du jubilé de 2000, apogée du pontificat de Jean-Paul II.
Et pourtant, dès que l’on cherche à savoir ce que fut vraiment cette année de grâce, on découvre que l’Église de Benoît XVI en réalise simplement les annonces.
Le jubilé fut une année de repentir et de pardon. De pardon donné et demandé, pour les nombreux péchés des fils de l’Église au cours de l’Histoire. Le premier dimanche de Carême de cette année-là – c’était le 12 mars – le pape Karol Wojtyla célébra sous les yeux du monde entier une liturgie pénitentielle sans précédent. Sept fois, comme les sept péchés capitaux, il confessa les péchés commis par les chrétiens, siècle après siècle, et demanda pardon à Dieu pour tous ces péchés. Extermination des hérétiques, persécution des Juifs, guerres de religion, humiliation des femmes…
Le visage douloureux du pape, marqué par la maladie, était l’icône de ce geste de repentir. Le monde l’a regardé avec respect. Mais aussi avec satisfaction. Et parfois en augmentant ses exigences : le pape aurait dû faire beaucoup plus.
Et, en effet, dans les médias du monde entier, c’était le discours dominant. Jean-Paul II avait raison de s’humilier pour certaines pages noires de l’histoire chrétienne mais, à chaque fois, il y avait quelqu’un qui prétendait qu’il devait battre sa coulpe davantage et pour d’autres choses encore. La liste n’était jamais close. Quand on réexamine toutes les fois où le pape Wojtyla a demandé pardon pour quelque chose, avant et après le jubilé de l’an 2000, on voit qu’il l’a fait pour les croisades, les dictatures, les schismes, les hérésies, les femmes, les Juifs, Galilée, les guerres de religion, Luther, Calvin, les Indiens, les injustices, l’Inquisition, l’intégrisme, l’islam, la mafia, le racisme, le Rwanda, l’esclavagisme. Il manque peut-être une rubrique quelconque. Mais il est certain qu’il n’a jamais demandé pardon pour les abus sexuels commis sur des enfants. Et il n’apparaît pas que quiconque lui ait reproché ce silence et encore moins qu’il ait exigé que le pape ajoute la pédophilie à la liste.
C’était il y a dix ans seulement. Mais c’était, au-dedans et au dehors de l’Église, l’esprit de l’époque. Un esprit peu attentif au scandale de jeunes enfants victimes d’abus sexuels, bien qu’aient déjà explosé en Autriche l’affaire de Mgr Groër, l’archevêque de Vienne atteint par des accusations jamais prouvées, aux États-Unis l’affaire de Mgr Bernardin, l’archevêque de Chicago accusé à tort et qui a pardonné à son accusateur, et partout l’affaire du père Maciel, fondateur des Légionnaires du Christ, dont la culpabilité a été prouvée par la suite.
Mais il y avait à Rome un cardinal qui voyait loin. Il s’appelait Joseph Ratzinger.
Plus qu’aux péchés des chrétiens du passé, sur lesquels le jugement de l’Histoire est toujours problématique, il s’occupait des péchés actuels. Et, parmi ceux-ci, il en voyait qui salissaient plus que les autres le visage de l’Église « sainte » et ce d’autant plus qu’ils avaient été commis par des clercs.
En 2001, en tant que préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, il a rendu plus contraignantes les procédures de traitement des affaires de pédophilie imputables au clergé.
Quand, en 2002, le scandale a éclaté de manière très grave aux États-Unis, il a adopté la ligne de la rigueur.
Le vendredi saint de 2005, rédigeant le texte du dernier chemin de croix du pontificat de Jean-Paul II, il a critiqué la « saleté » de l’Église avec les accents d’une protestation prophétique.
Quelques semaines plus tard, il était élu pape et cinq ans après, au cours de la décennie du jubilé de l’an 2000, le scandale de la pédophilie frappait l’Église et le pape avec une violence sans précédent.
Et bien, face à la vague puissante des accusations, Benoît XVI a fait pour les péchés des chrétiens d’aujourd’hui ce que le jubilé de l’an 2000 avait fait pour les péchés des chrétiens du passé.
Il a prêché que la plus grande épreuve pour l’Église ne vient pas de l’extérieur mais des péchés qui sont commis en son sein.
Il a mis l’Église en état de pénitence, il a demandé à tous les chrétiens de purifier la « mémoire », certes, mais plus encore leur vie actuelle.
Aux catholiques d’Irlande, concernés plus que les autres par le scandale, il a ordonné de faire un nettoyage complet, de se confesser souvent, de faire pénitence tous les vendredis pendant une année entière, et à leurs évêques et prêtres d’effectuer des exercices spirituels spéciaux.
Il s’est occupé des prêtres avec un soin tout particulier. Avant même que les polémiques n’atteignent leur sommet, Benoît XVI avait décidé une Année sacerdotale pour raviver chez les clercs l’amour de leur mission et la fidélité à leurs engagements, chasteté comprise. Il leur a proposé comme modèle de vie l’exemple du saint curé d’Ars, humble curé de campagne de la France anticléricale du XIXe siècle, qui passait toutes ses journées dans son confessionnal pour y recevoir les pécheurs et leur donner le pardon.
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Mais le pardon n’a pas été le seul élément qui ait caractérisé le jubilé de l’an 2000. Jean-Paul II avait voulu cette Année Sainte surtout pour redonner de l’élan à l’évangélisation du monde.
Et là encore, le pontificat de Benoît XVI n’est rien d’autre que la mise en œuvre systématique de ce projet.
La « priorité » que le pape Ratzinger a choisie en tant que successeur de Pierre, on la connaît. Il l’a reformulée lui-même en ces termes dans la lettre qu’il a adressée le 10 mars 2009 aux évêques du monde entier :
« À notre époque où, dans de vastes régions de la terre, la foi risque de s’éteindre comme une flamme qui ne trouve plus à s’alimenter, la priorité qui prédomine est de rendre Dieu présent dans ce monde et d’ouvrir aux hommes l’accès à Dieu. Non pas à un dieu quelconque, mais à ce Dieu qui a parlé sur le Sinaï, à ce Dieu dont nous reconnaissons le visage dans l’amour poussé jusqu’au bout, en Jésus-Christ crucifié et ressuscité ».
Benoît XVI est tellement convaincu que conduire les hommes à Dieu est « la priorité suprême et fondamentale » de l’Église et du successeur de Pierre qu’il en a non seulement fait le centre de sa prédication mais qu’il en a tiré la décision de créer au sein de la curie romaine un dicastère expressément chargé de la « nouvelle évangélisation » des pays où la moderne éclipse de Dieu est la plus marquée.
Il a institué ce nouveau service le 30 juin dernier. Le même jour, il appelait à Rome, pour le charger du choix des futurs évêques dans le monde entier, le cardinal Marc Ouellet, théologien aux idées très proches des siennes mais qui a surtout une connaissance directe du Québec, l’une des régions de l’Occident dans lesquelles la déchristianisation s’est manifestée de la manière la plus forte et la plus soudaine.
L’automne dernier, revenant d’un voyage dans une autre des régions les plus déchristianisées, Prague et la Bohême, Benoît XVI a eu une autre idée : la création d’une « cour des Gentils » symbolique, sur le modèle de la cour ouverte aux païens dans l’ancien temple de Jérusalem, pour permettre l’ouverture d’un dialogue avec les hommes qui sont les plus éloignés de Dieu.
Ce projet est également en train de prendre forme. Le pape l’a confié à son ministre de la Culture, l’archevêque Gianfranco Ravasi. La « cour des Gentils » sera inaugurée à Paris, en mars 2011, en trois lieux volontairement choisis pour leur absence de connotation religieuse : la Sorbonne, l’Unesco et l’Académie française. D’importantes personnalités agnostiques et non-croyantes ont déjà exprimé leur intérêt pour ce projet, à commencer par la psychanalyste et sémiologue Julia Kristeva.
En ce qui concerne les jeunes générations, si aimées de Jean-Paul II qui créa pour elles les Journées Mondiales de la Jeunesse dont la plus grandiose édition fut justement celle du jubilé, Benoît XVI sait bien que c’est sur elles que repose en grande partie l’avenir de la foi en Occident.
Même en Italie, pays d’Europe où l’Église a encore une présence solide et étendue, on perçoit déjà des signes d’effondrement. Une enquête réalisée pour « Il Regno » par le professeur Paolo Segatti, de l’université de Milan, a mis en évidence le très net éloignement des gens nés après 1981 envers la pratique religieuse, la prière, la foi en Dieu et la confiance en l’Église.
Quand ces jeunes auront eux aussi des enfants, la transmission de la foi catholique aux futures générations connaîtra une coupure dramatique. La « cour des Gentils » devra leur faire place à eux aussi.
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« UN RETOUR AUX ORIGINES DU CHRISTIANISME »
Interview de Camillo Ruini
En l’an 2000, Camillo Ruini, cardinal-vicaire de Jean-Paul II, était son premier collaborateur à Rome et en Italie. Rien, dit-il, n’a été perdu de cette Année Sainte : « Le conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation créé ces jours-ci par Benoît XVI en est la dernière grande relance ».
Q. – Éminence, qu’a été pour l’Église le jubilé de l’an 2000 ?
R. – Pour l’Église catholique, un moment d’une extraordinaire intensité, fortement voulu et soigneusement préparé par Jean-Paul II, en particulier à travers la lettre apostolique « Tertio millennio adveniente » qui a précisé le sens du jubilé et marqué les étapes de sa préparation. Dans l’esprit du concile Vatican II, il s’est agi d’un retour aux origines – c’est-à-dire d’un recentrage sur Jésus-Christ, cœur et source permanente de la foi et de la vie chrétienne, afin de proposer le même Christ aux hommes de notre temps – et donc de cette nouvelle évangélisation qui est l’âme du pontificat de Jean-Paul II comme de celui de Paul VI et avant tout du concile Vatican II. Par exemple, l’événement dans lequel j’ai été le plus impliqué, c’est-à-dire la Journée mondiale de la jeunesse à Tor Vergata, a été le sommet de la tentative d’évangéliser et de rapprocher du Christ les jeunes, qui sont le nouveau monde en train de naître. Mais beaucoup d’autres évènements qui ont caractérisé le grand jubilé – de la demande de pardon pour les péchés commis par des membres de l’Église à l’évocation des martyrs du XXe siècle – s’inscrivent dans la même perspective d’évangélisation à travers le retour aux sources du christianisme.
Q. – Et que reste-t-il de tout cela, dix ans après ?
Il reste le fond tout entier : rester ancrés au Christ et annoncer la foi en lui à tous les hommes, en la proposant intégralement, sans crainte et sans omissions. Bien sûr, on a l’impression qu’aujourd’hui la situation est moins favorable ; effectivement, à cette époque-là, certaines grandes difficultés ne nous apparaissaient pas encore ou en tout cas elles ne nous semblaient pas centrales comme c’est le cas aujourd’hui. Il suffit de penser au 11 septembre 2001 ou à l’irruption de ce que j’aime appeler la nouvelle question anthropologique, c’est-à-dire la grande question, le grand défi, de savoir ce qu’est l’homme : un simple épiphénomène de la nature ou l’être qui, tout en appartenant à la nature, la dépasse infiniment, avec toutes les conséquences qui découlent de l’une et l’autre alternatives ? Il est normal, du reste, que l’avenir soit imprévisible : par définition il nous est caché, mais il est également toujours ouvert ; il est le champ de la liberté de l’homme et, encore avant cela, celui de la liberté de Dieu, au-delà de tous les déterminismes qui existent pourtant dans la nature et dans l’histoire. Voilà pourquoi, dans les moments difficiles, le chrétien ne peut pas céder au désespoir ou à la résignation ; il doit plutôt approfondir sa conversion à Dieu et en tirer l’énergie nécessaire à un engagement plus fort.
Q. - Jean-Paul II a demandé pardon à Dieu et au monde pour toute une série de fautes commises par les chrétiens dans le passé. Mais aujourd’hui les accusations contre les chrétiens sont encore plus violentes et plus ciblées. Que fait Benoît XVI ?
R. – Avec son initiative, Jean-Paul II a surpris même le monde ecclésial. Beaucoup de gens y ont vu un geste gratuit, pas nécessaire et potentiellement dangereux. Mais, par la suite, on a compris qu’il n’en était pas ainsi. Dans tous les cas, il a demandé pardon pour des fautes commises par les chrétiens dans le passé. Aujourd’hui, c’est différent. L’attention est focalisée sur des fautes qui ne sont pas d’hier mais d’aujourd’hui. Benoît XVI reconnaît les péchés commis actuellement et il en demande pardon d’abord à Dieu et ensuite à ses frères de l’Église et de l’humanité. Le pardon implique la volonté de réparer le mal causé aux victimes, il nécessite la foi et la conversion du cœur. Ce qui est différent, c’est l’attitude de ceux qui accusent l’Église pour la frapper, pas parce qu’ils ont une volonté positive de construire. Face à ces attaques, il faut de la force spirituelle, pas de la faiblesse. Maritain affirmait à juste titre que l’Église ne doit pas se mettre à genoux devant le monde.
Q. – Le jubilé a été un grand appel à la conversion des cœurs et à une auto-réforme de l’Église. En voit-on les fruits aujourd’hui ? Quelle réforme de l’Église Benoît XVI a-t-il en tête ?
R. – La réforme de l’Église que veut Benoît XVI n’est pas en premier lieu une réforme de structures extérieures, d’appareils. La vraie réforme concerne avant tout l’âme profonde de l’Église, sa relation avec Dieu. D’autre part le mot « auto-réforme » n’est pas le plus exact : l’Église ne peut agir toute seule. Elle doit se laisser modeler et réformer d’en haut, en prenant vie et forme grâce à l’Esprit de Dieu.
Q. – L’année jubilaire a aussi été celle de « Dominus Jesus », de la réaffirmation de Jésus comme unique sauveur du monde, d’un document qui a été très contesté. Était-il nécessaire ?
R. – Bien sûr. Il était nécessaire alors et il l’est encore aujourd’hui. À la rigueur, on pourrait dire que ce document est arrivé en retard parce que cela faisait déjà plusieurs décennies que des gens, y compris dans l’Église, mettaient en doute une vérité, à savoir que le Christ est l’unique sauveur, vérité qui est, pour ceux qui croient au Christ, fondamentale et je dirais même évidente, étant donné qu’elle fait partie du message chrétien originel. Le Nouveau Testament est tout entier centré sur ceci : en dehors de Jésus-Christ, il n’y a pas sous le ciel d’autre nom par lequel les hommes puissent être sauvés.
Q. – Mais le christianisme n’est pas crédible si les chrétiens se présentent au monde désunis. Qu’en est-il aujourd’hui de la démarche œcuménique de réconciliation entre les Églises ?
R. – En dix ans, beaucoup d’avancées ont été réalisées, en particulier avec les Églises orthodoxes et avec les Églises préchalcédoniennes d’Orient, toutes d’origine apostolique. Le bilan est moins positif avec les Églises issues de la réforme protestante. De ce côté-là, il y a deux difficultés principales. La première est que ces Églises s’éloignent progressivement du modèle apostolique quant à la façon de concevoir et de mettre en œuvre les ministères ecclésiastiques. La seconde concerne l’anthropologie, les questions sur la nature de l’homme, sur la bioéthique, sur la famille. Sur ces deux aspects, plusieurs communautés protestantes se sont lancées dans une démarche de modernisation apparente qui, en réalité, les éloigne de plus en plus du centre du christianisme.
Q. – Et avec les Juifs ? Et avec l’islam ? Jean-Paul II rêvait d’une rencontre des trois religions sur le Sinaï…
R. – Avec les Juifs, il y a certainement eu des progrès sur le fond, même si à certains moments ceux-ci ont été perturbés par des incompréhensions, des erreurs de procédure et des malentendus. Avec l’islam, par rapport au jubilé d’il y a dix ans, le contexte a été marqué par le 11 septembre 2001. Mais l’Église et certaines composantes de l’islam ont cherché et cherchent encore à surmonter cette fracture et à parvenir à une meilleure compréhension réciproque. La conviction commune est que nous avons tous le devoir de servir l’unité du genre humain, dans un monde qui devient de plus en plus petit et interdépendant, dans lequel nous avons de plus en plus besoin les uns des autres.
Audience générale du 7 juillet : Duns Scot
8 juillet, 2010du site:
http://www.zenit.org/article-24928?l=french
Audience générale du 7 juillet : Duns Scot
Texte intégral
ROME, Mercredi 7 juillet 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la catéchèse prononcée par le pape Benoît XVI, ce mercredi, au cours de l’audience générale, salle Paul VI.
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Chers frères et sœurs,
Ce matin – après plusieurs catéchèses sur plusieurs grands théologiens – je veux vous présenter une autre figure importante dans l’histoire de la théologie : il s’agit du bienheureux Jean Duns Scot, qui vécut à la fin du XIIIe siècle. Une antique inscription sur sa tombe résume les points de référence géographiques de sa biographie : « L’Angleterre l’accueillit ; la France l’instruisit ; Cologne, en Allemagne, en conserve la dépouille ; c’est en Ecosse qu’il naquit ». Nous ne pouvons pas négliger ces informations, notamment parce que nous possédons très peu d’éléments sur la vie de Duns Scot. Il naquit probablement en 1266 dans un village qui s’appelait précisément Duns, non loin d’Edimbourg. Attiré par la charisme de saint François d’Assise, il entra dans la Famille des Frères mineurs, et en 1291, il fut ordonné prêtre. Doué d’une intelligence brillante et porté à la spéculation – cette intelligence qui lui valut de la tradition le titre de Doctor subtilis, « Docteur subtil » – Duns Scot fut dirigé vers des études de philosophie et de théologie auprès des célèbres universités d’Oxford et de Paris. Après avoir conclu avec succès sa formation, il entreprit l’enseignement de la théologie dans les universités d’Oxford et de Cambridge, puis de Paris, en commençant à commenter, comme tous les Maîtres de ce temps, les Sentences de Pierre Lombard. Les principales œuvres de Duns Scot représentent précisément le fruit mûr de ces leçons, et prennent le titre des lieux où il les professa : Opus Oxoniense (Oxford), Reportatio Cambrigensis (Cambridge), Reportata Parisiensia (Paris). Lorsqu’un grave conflit éclata entre le roi Philippe IV le Bel et le Pape Boniface VIII, Duns Scot s’éloigna de Paris et préféra l’exil volontaire, plutôt que de signer un document hostile au Souverain Pontife, ainsi que le roi l’avait imposé à tous les religieux. De cette manière – par amour pour le Siège de Pierre -, avec les Frères franciscains, il quitta le pays.
Chers frères et sœurs, ce fait nous invite à rappeler combien de fois, dans l’histoire de l’Eglise, les croyants ont rencontré l’hostilité et même subi des persécutions à cause de leur fidélité et de leur dévotion à l’égard du Christ, de l’Eglise et du Pape. Nous tous regardons avec admiration ces chrétiens qui nous enseignent à conserver comme un bien précieux la foi dans le Christ et la communion avec le Successeur de Pierre et, ainsi, avec l’Eglise universelle.
Toutefois, les rapports entre le roi de France et le successeur de Boniface VIII redevinrent rapidement des rapports d’amitié, et en 1305 Duns Scot put rentrer à Paris pour y enseigner la théologie sous le titre de Magister regens, nous dirions aujourd’hui professeur titulaire. Par la suite, ses supérieurs l’envoyèrent à Cologne comme professeur du Studium de théologie franciscain, mais il mourut le 8 novembre 1308, à 43 ans à peine, laissant toutefois un nombre d’œuvres important.
En raison de la renommée de sainteté dont il jouissait, son culte se diffusa rapidement dans l’Ordre franciscain et le vénérable Pape Jean-Paul II voulut le confirmer solennellement bienheureux le 20 mars 1993, en le définissant « Chantre du Verbe incarné et défenseur de l’Immaculée Conception ». Dans cette expression se trouve synthétisée la grande contribution que Duns Scot a offerte à l’histoire de la théologie.
Il a avant tout médité sur le Mystère de l’Incarnation et, à la différence de beaucoup de penseurs chrétiens de l’époque, il a soutenu que le Fils de Dieu se serait fait homme même si l’humanité n’avait pas péché. Il affirme dans la « Reportata Parisiensa » : « Penser que Dieu aurait renoncé à une telle œuvre si Adam n’avait pas péché ne serait absolument pas raisonnable ! Je dis donc que la chute n’a pas été la cause de la prédestination du Christ et que – même si personne n’avait chuté, ni l’ange ni l’homme – dans cette hypothèse le Christ aurait été encore prédestiné de la même manière » (in III Sent., d. 7, 4). Cette pensée, peut-être un peu surprenante, naît parce que pour Duns Scot, l’Incarnation du Fils de Dieu, projetée depuis l’éternité par Dieu le Père dans son plan d’amour, est l’accomplissement de la création, et rend possible à toute créature, dans le Christ et par son intermédiaire, d’être comblée de grâce, et de rendre grâce et gloire à Dieu dans l’éternité. Même s’il est conscient qu’en réalité, à cause du péché originel, le Christ nous a rachetés à travers sa Passion, sa Mort et sa Résurrection, Duns Scot réaffirme que l’Incarnation est l’œuvre la plus grande et la plus belle de toute l’histoire du salut, et qu’elle n’est conditionnée par aucun fait contingent, mais qu’elle est l’idée originelle de Dieu d’unir en fin de compte toute la création à lui-même dans la personne et dans la chair du Fils.
Fidèle disciple de saint François, Duns Scot aimait contempler et prêcher le Mystère de la Passion salvifique du Christ, expression de l’amour immense de Dieu, qui communique avec une très grande générosité en dehors de lui les rayons de sa bonté et de son amour (cf. Tractatus de primo principio, c. 4). Et cet amour ne se révèle pas seulement sur le Calvaire, mais également dans la Très Sainte Eucharistie, dont Duns Scot était très dévot et qu’il voyait comme le sacrement de la présence réelle de Jésus et comme le sacrement de l’unité et de la communion qui conduit à nous aimer les uns les autres et à aimer Dieu comme le Bien commun suprême (cf. Reportata Parisiensa, in IV Sent., d. 8, q. 1, n. 3).
Chers frères et sœurs, cette vision théologique, fortement « christocentrique », nous ouvre à la contemplation, à l’émerveillement et à la gratitude : le Christ est le centre de l’histoire et de l’univers, il est Celui qui donne un sens, une dignité et une valeur à notre vie ! Comme le Pape Paul VI à Manille, je voudrais moi aussi aujourd’hui crier au monde : « [Le Christ] est celui qui nous a révélés le Dieu invisible, il est le premier né de toute créature, il est le fondement de toute chose ; Il est le Maître de l’humanité et le rédempteur ; Il est né, il est mort, il est ressuscité pour nous ; Il est le centre de l’histoire et du monde ; Il est Celui qui nous connaît et qui nous aime ; Il est le compagnon et l’ami de notre vie… Je n’en finirais plus de parler de Lui » (Homélie, 29 novembre 1970).
Non seulement le rôle du Christ dans l’histoire du salut, mais également celui de Marie, est l’objet de la réflexion du Doctor subtilis. A l’époque de Duns Scot, la majorité des théologiens opposait une objection, qui semblait insurmontable, à la doctrine selon laquelle la très Sainte Vierge Marie fut préservée du péché originel dès le premier instant de sa conception : en effet, l’universalité de la Rédemption opérée par le Christ, à première vue, pouvait apparaître compromise par une telle affirmation, comme si Marie n’avait pas eu besoin du Christ et de sa rédemption. C’est pourquoi les théologiens s’opposaient à cette thèse. Alors, Duns Scot, pour faire comprendre cette préservation du péché originel, développa un argument qui sera ensuite adopté également par le Pape Pie IX en 1854, lorsqu’il définit solennellement le dogme de l’Immaculée Conception de Marie. Et cet argument est celui de la « Rédemption préventive », selon laquelle l’Immaculée Conception représente le chef d’œuvre de la Rédemption opérée par le Christ, parce que précisément la puissance de son amour et de sa médiation a fait que sa Mère soit préservée du péché originel. Marie est donc totalement rachetée par le Christ, mais avant même sa conception. Les Franciscains, ses confrères, accueillirent et diffusèrent avec enthousiasme cette doctrine, et d’autres théologiens – souvent à travers un serment solennel – s’engagèrent à la défendre et à la perfectionner.
A cet égard, je voudrais mettre en évidence un fait qui me paraît très important. Des théologiens de grande valeur, comme Duns Scot en ce qui concerne la doctrine sur l’Immaculée Conception, ont enrichi de la contribution spécifique de leur pensée ce que le Peuple de Dieu croyait déjà spontanément sur la Bienheureuse Vierge, et manifestait dans les actes de piété, dans les expressions artistiques et, en général, dans le vécu chrétien. Ainsi, la foi tant dans l’Immaculée Conception que dans l’Assomption corporelle de la Vierge, était déjà présente dans le Peuple de Dieu, tandis que la théologie n’avait pas encore trouvé la clé pour l’interpréter dans la totalité de la doctrine de la foi. Le Peuple de Dieu précède donc les théologiens, et tout cela grâce au sensus fidei surnaturel, c’est-à-dire à la capacité dispensée par l’Esprit Saint, qui permet d’embrasser la réalité de la foi, avec l’humilité du cœur et de l’esprit. Dans ce sens, le Peuple de Dieu est un « magistère qui précède », et qui doit être ensuite approfondi et accueilli intellectuellement par la théologie. Puissent les théologiens se placer toujours à l’écoute de cette source de la foi et conserver l’humilité et la simplicité des petits ! Je l’avais rappelé il y a quelques mois en disant : « Il y a de grands sages, de grands spécialistes, de grands théologiens, des maîtres de la foi, qui nous ont enseigné de nombreuses choses. Ils ont pénétré dans les détails de l’Ecriture Sainte, [...] mais ils n’ont pas pu voir le mystère lui-même, le véritable noyau [...] L’essentiel est resté caché ! [...] En revanche, il y a aussi à notre époque des petits qui ont connu ce mystère. Nous pensons à sainte Bernadette Soubirous ; à sainte Thérèse de Lisieux, avec sa nouvelle lecture de la Bible « non scientifique », mais qui entre dans le cœur de l’Ecriture Sainte » (Homélie lors de la Messe avec les membres de la Commission théologique internationale, 1er décembre 2009).
Enfin, Duns Scot a développé un point à l’égard duquel la modernité est très sensible. Il s’agit du thème de la liberté et de son rapport avec la volonté et avec l’intellect. Notre auteur souligne la liberté comme qualité fondamentale de la volonté, en commençant par un raisonnement à tendance volontariste, qui se développa en opposition avec ce qu’on appelle l’intellectualisme augustinien et thomiste. Pour saint Thomas d’Aquin, qui suit saint Augustin, la liberté ne peut pas être considérée comme une qualité innée de la volonté, mais comme le fruit de la collaboration de la volonté et de l’intellect. Une idée de la liberté innée et absolue située dans la volonté qui précède l’intellect, que ce soit en Dieu ou dans l’homme, risque en effet de conduire à l’idée d’un Dieu qui ne ne serait même pas lié à la vérité et au bien. Le désir de sauver la transcendance absolue et la différence de Dieu par une accentuation aussi radicale et impénétrable de sa volonté ne tient pas compte du fait que le Dieu qui s’est révélé en Christ est le Dieu « logos », qui a agi et qui agit, rempli d’amour envers nous. Assurément, comme l’affirme Duns Scot dans le sillage de la théologie franciscaine, l’amour dépasse la connaissance et est toujours en mesure de percevoir davantage que la pensée, mais c’est toujours l’amour du Dieu « logos » (cf. Benoît XVI, Discours à Ratisbonne, Insegnamenti di Benedetto XVI, II [2006], p. 261). Dans l’homme aussi, l’idée de liberté absolue, située dans sa volonté, en oubliant le lien avec la vérité, ignore que la liberté elle-même doit être libérée des limites qui lui viennent du péché.
En m’adressant aux séminaristes romains – l’année dernière – je rappelais que « la liberté, à toutes les époques, a été le grand rêve de l’humanité, mais en particulier à l’époque moderne » (Discours au séminaire pontifical romain, 20 février 2009). Mais c’est précisément l’histoire moderne, outre notre expérience quotidienne, qui nous enseigne que la liberté n’est authentique et n’aide à la construction d’une civilisation vraiment humaine que lorsqu’elle est vraiment réconciliée avec la vérité. Si elle est détachée de la vérité, la liberté devient tragiquement un principe de destruction de l’harmonie intérieure de la personne humaine, source de la prévarication des plus forts et des violents, et cause de souffrance et de deuils. La liberté, comme toutes les facultés dont l’homme est doté, croît et se perfectionne, affirme Duns Scot, lorsque l’homme s’ouvre à Dieu, en valorisant cette disposition à l’écoute de sa voix, qu’il appelle potentia oboedientialis : quand nous nous mettons à l’écoute de la Révélation divine, de la Parole de Dieu, pour l’accueillir, alors nous sommes atteints par un message qui remplit notre vie de lumière et d’espérance et nous sommes vraiment libres.
Chers frères et sœurs, le bienheureux Duns Scot nous enseigne que dans notre vie, l’essentiel est de croire que Dieu est proche de nous et nous aime en Jésus Christ, et donc de cultiver un profond amour pour lui et son Eglise. Nous sommes les témoins de cet amour sur cette terre. Que la Très Sainte Vierge Marie nous aide à recevoir cet amour infini de Dieu dont nous jouirons pleinement pour l’éternité dans le Ciel, lorsque finalement notre âme sera unie pour toujours à Dieu, dans la communion des saints.
Puis le pape s’est adressé aux pèlerins dans différentes langues. Voici ce qu’il a dit en français :
Né vers 1266 en Ecosse, le Bienheureux Jean Duns Scot, chers pèlerins francophones, embrassa le charisme franciscain. « Chantre du Verbe incarné », celui qui sera appelé le Docteur subtile, soutient que l’Incarnation du Logos est l’œuvre la plus grande et la plus belle de toute l’histoire du salut. Elle est la révélation de l’éternel amour divin qui se manifeste aussi dans le Mystère de la Passion salvifique et dans le Saint Sacrement. Centre de l’histoire et du cosmos, le Christ donne sens, dignité et valeur à notre vie. Par sa doctrine de la « Rédemption préventive », Duns Scot affirme que l’Immaculée Conception, dont il est le « défenseur », est le chef-d’œuvre de la Rédemption opérée par le Christ. Il nous interpelle aussi, aujourd’hui, sur le sens de la liberté. Détachée de la vérité, la liberté détruit l’harmonie intérieure de la personne humaine et engendre la souffrance. Elle se perfectionne quand l’homme s’ouvre à Dieu, accueille sa Parole et se met à l’écoute de la Révélation. Chers frères et sœurs, la profondeur de la pensée de Duns Scot provient de son humilité et de la contemplation des saints mystères. Puissions-nous considérer la communion avec Dieu, avec le Successeur de Pierre et avec l’Eglise universelle comme un bien précieux. Que la Vierge Immaculée nous y aide !
J’accueille avec joie les pèlerins francophones, surtout les jeunes. Je vous exhorte, chers collégiens, lycéens et servants d’autel, à faire croître votre amour pour le Saint Sacrement et pour la Vierge Immaculée. Puissiez-vous aussi vous laisser guider par l’Esprit Saint pour témoigner joyeusement et librement des vérités de la foi chrétienne ! N’ayez pas honte de votre foi et soyez fiers d’être catholiques ! Bon pèlerinage et bonnes vacances !