Mystère de Pâques et traditions apocryphes

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Édouard Cothenet

Mystère de Pâques et traditions apocryphes

La proclamation de la résurrection du Christ est au centre de la foi chrétienne. De nombreuses études ont été consacrées à la recherche des plus anciennes formules kérygmatiques, en partant de la tradition citée par Paul en 1 Co 15, 3-5 et des discours des Actes des Apôtres. On trouvera dans le livre de V. Fusco un bilan récent de toutes ces recherches [1]. Comme l’écrit Paul aux Corinthiens, si le Christ n’est pas ressuscité, notre foi est vaine (1 Co 15, 17). On s’étonne alors de la sobriété des évangélistes quand ils nous relatent les apparitions du Christ à ses disciples. Marc, le plus ancien, termine curieusement son récit par la peur et le silence des femmes, après que l’ange leur eut proclamé que le Christ n’est plus ici, mais qu’il précède ses disciples en Galilée (Mc 16, 7).

Dans les autres Évangiles, on trouve des récits plus circonstanciés, mais dont il est difficile d’établir une totale cohérence du point de vue des lieux et de la datation des événements, ce qui préoccupait déjà Eusèbe et Augustin. Ainsi selon Luc, toutes les apparitions se déroulent à Jérusalem ou à Emmaüs le même jour, semble-t-il, à la différence de l’intervalle des quarante jours mentionnés dans les Actes des Apôtres entre Pâques et l’Ascension. Matthieu, hors une manifestation aux saintes femmes (Mt 28, 9 s.), ne connaît qu’une apparition de mission aux disciples en Galilée (Mt 28, 16-20). Le rédacteur final du quatrième Évangile a juxtaposé deux traditions : celle de Jérusalem avec Marie-Madeleine (Jn 20, 11-18) et les apparitions au Cénacle (Jn 20, 19-29) et la tradition galiléenne avec la manifestation du Christ au bord de la mer de Tibériade (Jn 21).

Les Pères de l’Église, au iie siècle, insistent contre les hérétiques sur la réalité de la résurrection, mais ne semblent pas avoir commenté en détail les récits évangéliques [2]. En revanche, on trouve des développements circonstanciés dans deux apocryphes, l’Évangile de Pierre et l’épître des apôtres, dont on trouve la traduction dans l’excellent recueil Écrits apocryphes chrétiens [3]. On peut y ajouter quelques fragments d’Évangiles d’origine judéo-chrétienne et des additions contenues dans quelques manuscrits. La plupart de ces textes sont signalés en traduction française dans la Synopse de la Bible de Jérusalem, et en grec ou latin dans la Synopse de K. Aland. À notre époque qui se passionne pour les apocryphes, il est important de préciser leur contenu ; la comparaison contribuera à mieux percevoir la valeur propre des récits canoniques.

Commençons par présenter les deux œuvres qui nous retiendront le plus.

L’Évangile de Pierre n’est connu que par un seul manuscrit grec fragmentaire, découvert en hiver 1886-87 à Akhmin, en Haute Égypte. Ce fragment commence par le procès de Jésus devant Pilate et Hérode et se clôt par l’apparition du Seigneur, au bord de la mer (de Tibériade). Selon Eusèbe de Césarée, Sérapion, évêque d’Antioche, composa un ouvrage Sur l’Évangile dit selon Pierre, dans lequel il réfuta les mensonges contenus dans cette œuvre à cause de certains fidèles de Rhossos, une ville de Syrie ou de Cilicie, qui l’utilisaient (H. E. VI, XII, 2). Cette notice nous permet de situer l’origine et la diffusion de l’apocryphe en Syrie, vers le milieu du iie siècle. On a accusé cet Évangile de docétisme. L’accusation semble exagérée et l’on trouvera une appréciation plus favorable dans l’édition de M.-G. Mara, publiée dans la collection Sources chrétiennes (n° 201, 1973).

? L’épître des apôtres a dû être composée en grec vers la seconde moitié du iie siècle. L’original est perdu. Nous avons une version éthiopienne et des fragments en copte et en latin. J.-N. Pérés l’a traduite dans le recueil Écrits apocryphes chrétiens, p. 359-392. À part le début, il s’agit non d’une épître, mais d’un dialogue où le Christ ressuscité donne un enseignement à ses apôtres sur sa préexistence, son Incarnation, sur la parousie et le jugement. L’écrit expose ainsi la doctrine des apôtres, en réaction contre les gnostiques.

Les objections

De tout temps, les objections contre la résurrection n’ont pas manqué. Déjà les évangélistes s’efforçaient d’y répondre ; à leur suite les Pères apostoliques et les auteurs d’apocryphes.

Pour les Grecs, la résurrection n’est pas croyable. On le constate dans le récit de la prédication de Paul à Athènes (Ac 17, 32), tout comme par les doutes des Corinthiens. Le point de vue grec est exprimé avec virulence par Celse. « Une chair, pleine de ce qu’on ne saurait décemment nommer, Dieu ne voudra ni ne pourra la rendre immortelle contre toute raison. Il est lui-même la raison de tout ce qui existe ; il ne peut donc rien faire ni contre la raison ni contre lui-même [4]. » On notera cet appel au logos : les allégations des chrétiens sont considérées comme fausses, parce qu’elles s’opposent à la Raison.

Dans le monde juif, le bruit courait, selon Mt 28, 11-15 que les disciples avaient volé le corps pour faire croire à la résurrection. Justin fait allusion à ce racontar (Dialogue avec Tryphon, 108, 2). Pour les Sadducéens, principaux responsables du procès contre Jésus, la résurrection d’un mort n’est pas pensable, comme on le constate lors du débat suscité habilement par Paul quand il comparut devant le Sanhédrin (Ac 23, 6 s.).

Les Pharisiens, en revanche, tenaient ferme à la résurrection des morts, sans lien nécessaire avec la personne du Messie. Acte de Dieu, maître de la vie et de la mort, la résurrection aura lieu à la fin des jours, à l’heure solennelle du grand jugement. Citons l’une des bénédictions de la grande prière du Shémoné Esré :

Béni es-tu, Seigneur, Bouclier d’Abraham ! Tu es puissant éternellement, Seigneur, tu fais revivre les morts, débordant de salut… Maintenant les vivants par amour et ressuscitant les morts par grande miséricorde, soutenant ceux qui tombent, [….] et maintenant ta fidélité à ceux qui dorment dans la poussière [5].

Le grand jugement inaugurera le monde à venir, ère de prospérité et de paix, telle que l’ont annoncée les prophètes, et notamment Isaïe. Or, pouvaient dire les Pharisiens, ces promesses de paix et de bonheur ne sont pas réalisées : comment croire à la résurrection de Jésus, le crucifié ? En réponse, Paul dira que le Christ est ressuscité à titre de prémices (aparkhè, 1 Co 15, 20), prémices annonçant la moisson future. Justin développera longuement la théorie des deux parousies, à savoir la première venue dans l’humilité et la seconde dans la gloire : les promesses des prophètes ne se réaliseront pleinement qu’au retour glorieux du Christ (Dialogue avec Tryphon 14, 8 ; 31…).

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