Le théologien Dietrich Bonhoeffer
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Le théologien Dietrich Bonhoeffer
Esprit & Vie n° 189 – Mars 2008 – 1re quinzaine, p. 17-18.
Le théologien Dietrich Bonhoeffer suscite un intérêt qui ne faiblit pas, ce que prouve l’actualité éditoriale récente. Les éditions Labor et Fides ont vaillamment entrepris une édition renouvelée, que ce soit au niveau de la traduction ou de l’appareil critique, des œuvres du théologien allemand. C’est aujourd’hui le volume n° 5 qui paraît, reprenant une des pièces maîtresses de l’auteur, alors que le n° 8, Résistance et Soumission, ensemble encore inédit en français de lettres et notes de captivité, était déjà sorti en 2006 (voir Esprit & Vie n° 160). On attend alors avec impatience la réédition, annoncée, du Prix de la grâce (Nachfolge) et de L’Éthique… Quelques années auparavant, le même éditeur avait aussi fait paraître le cours d’homilétique de Bonhoeffer à Finkelwalde, sous le titre La Parole de la prédication (Esprit & Vie n° 111). Et c’est à Bayard que l’on doit le récent petit volume, Création et Chute. Exégèse théologique de Genèse 1 à 3 (voir Esprit & Vie n° 170).
De la vie communautaire est un écrit de taille modeste que Bonhoeffer écrivit d’un trait à l’automne 1938, après avoir lui-même vécu avec les jeunes candidats au ministère pastoral dans le séminaire de Finkelwalde entre 1935 et 1937, période qu’il a dit être parmi les plus heureuses de sa vie. Ce livre est celui du théologien qui a connu le plus grand nombre de rééditions, il a été très souvent lu, conseillé, et médité par d’innombrables chrétiens, le plus souvent catholiques d’ailleurs, surtout ceux qui vivent en communauté, y compris des séminaristes (je peux en témoigner !). Il fut écrit à un moment où la montée du péril hitlérien rendait la vie vraiment difficile : ainsi, le 8 septembre 1938, la sœur jumelle de Bonhoeffer, chez qui se trouvait alors Dietrich pour écrire son livre, dut émigrer en Suisse et, de là, en Angleterre, avec son mari Gerhard Leibholz, ce dernier étant considéré par le régime nazi comme « non aryen » ; au même moment, un autre beau-frère de Bonhoeffer, Hans von Dohnanyi préparait un coup d’État contre le dictateur.
Cet ouvrage dit les choses à la fois avec simplicité et profondeur. Il commence, dans un premier chapitre, par des généralités sur la communauté elle-même, toute entière tournée vers le Christ et rassemblée autour de lui, avant de poursuivre dans les chapitres suivants sur de nombreux aspects concrets de la vie communautaire. Le cinquième et dernier chapitre est alors complètement consacré à la confession et à la sainte Cène, se terminant par un très beau développement sur « la communauté eucharistique » (p. 103-104), « accomplissement suprême de la communauté chrétienne » (p. 104). Comme une suite finalement assez logique, puisque la prière des psaumes occupe une place également importante dans la prière communautaire (p. 45-48), Labor et Fides a eu l’excellente idée de compléter le texte de Bonhoeffer par toute une série d’écrits, toujours de sa plume, sur les psaumes, soit une présentation générale, sous le titre « Le livre de prières de la Bible » (p. 105-133), une étude sur « Le Christ dans les psaumes » (p. 135-141) et, pour finir, une belle méditation sur le psaume 119 (p. 143-176). Signalons enfin la nourrissante postface des éditeurs allemands (p. 177-205).
D’un autre côté, quelques décennies après Eberhard Bethge, André Dumas ou René Marle, les ouvrages consacrés à Bonhoeffer sont de plus en plus nombreux depuis quelques années, écrits par Henry Mottu, Arnaud Corbic, Raymond Mengus ou Michel Seonnet. Sans oublier une superbe et épaisse biographie, qui restera longtemps une référence, sous la plume de son compatriote Ferdinand Schlingensiepen, un des fondateurs de la Société Bonhoeffer (Esprit & Vie n° 160), qui prend davantage de distance et dispose de plus d’informations que la seule dont on disposait jusqu’alors, écrite en 1967 par Bethge, neveu par alliance de Bonhoeffer.
Aujourd’hui, vient de paraître en co-édition un recueil des principales contributions à un colloque sur Bonhoeffer qui eut lieu, à l’occasion du centenaire de sa naissance, à la fin de l’été 2006, sous l’égide de l’Association francophone et œcuménique de théologiens pour l’étude de la morale (ATEM). Comme l’explique Denis Müller dans sa brève et lumineuse préface, pleine d’humour, ce colloque « a tenté d’esquisser et de baliser quelques idées nouvelles pour une reprise responsable et pertinente de nos interrogations actuelles sur les questions d’éthique fondamentale, de théologie systématique, de dogmatique et d’ecclésiologie. L’œuvre de Bonhoeffer, en effet, se tient au carrefour de plusieurs disciplines… » (p. 12.) Tous les articles sont intéressants et donnent à penser ; j’ai particulièrement apprécié ceux qui se rapportaient à la fameuse Nachfolge Christi de Bonhoeffer, qu’une traduction pas vraiment exacte rend parfois par le mot « obéissance » : « Nachfolge ou la pauvreté de la foi » par Hans-Christoph Askani (p. 27-46), « Suivre et faire : Structure de l’appel dans Nachfolge de D. Bonhoeffer » par Jean-Daniel Causse (p. 219-228) et « Suivre et faire au temps de l’épreuve » par Marie-Jo Thiel (p. 229-244). Sans surprise, la réflexion finale de Pierre Gisel, hélas ! seulement trop brève, portant sur la référence faite par Bonhoeffer à l’Église et, plus encore, au Christ lui-même, mérite amplement la lecture : « L’avant-dernier, lieu de l’Église et lieu du Christ – Entre sécularité du monde et réalité du religieux » (p. 245-252). Pareil thème avait d’ailleurs déjà été, au cours du colloque, développé plus longuement avec bonheur, dans une approche toutefois un peu différente, par le jeune et brillant théologien alsacien, enseignant aujourd’hui à Heidelberg, Fritz Lienhard : « L’éthique politique et la question des mandats » (p. 91-113). Enfin, signalons la réflexion intéressante d’Alberto Bondolfi : « Autour de la réception catholique de l’éthique politique de Bonhoeffer » (p. 115-125). Il conclut sans barguigner : « Sans les lettres et notes de captivité de [Bonhoeffer], et surtout sans son témoignage jusqu’au martyre, la théologie catholique n’aurait pas atteint ces résultats qui l’ont rendue capable d’un vrai dialogue interconfessionnel et interreligieux à la fin du siècle passé et au début de ce siècle. La convergence presque unanime des théologien(ne)s catholiques après les années 1960 dans l’affirmation du primat de la conscience et contre toute forme d’autoritarisme n’aurait pas été possible sans l’apport et le témoignage du dernier Bonhoeffer. Ses intuitions ont gagné toute la chrétienté, et sont même allées au-delà, portant ainsi des fruits dans les formulations propres à chaque tradition théologique. » (p. 124-125.)
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De la vie communautaire et Le livre de prières de la Bible – Collectif
P. David Roure
Genève, Labor et Fides, coll. « Œuvres de D. Bonhoeffer », 2007. – (14,5×22,5), 240 p., 22 €. Sous la direction d’Alberto Bondolfi, Denis Müller et Simone Romagnoli. Paris, Éd. du Cerf, coll. « Revue d’éthique et de théologie morale », 2007. -
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