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Fête de la Conversion de saint Paul (2009)
La fête que nous célébrons aujourd’hui
a quelque chose de tout à fait inhabituel.
Elle évoque la figure d’un saint, mais dont ce n’est pas
la fête en ce jour, puisqu’elle est fixée au 29 juin
avec celle de l’apôtre Pierre.
Elle prend le pas, pour une fois, sur le dimanche,
ce qui ne se fait pratiquement jamais dans le cours du cycle liturgique.
Et elle ne fête ni la naissance ni la mort de celui dont on fait mémoire,
mais tout simplement : sa conversion.
La conversion de saint Paul apôtre
dont nous célébrons cette année,du 29 juin 2008 au 29 juin 2009,
le deuxième millénaire. D’où son exceptionnelle solennité, en ce 25 janvier.
C’est que cette conversion dont nous avons entendu,
une fois de plus, le récit bien connu, dans la 1e lecture,
a été et demeure d’une importance capitale
pour la mise en route et la propagation du christianisme.
Nous nous sentons toujours touchés et concernés
par une conversion, surtout quand elle est aussi spectaculaire,
aussi sincère et radicale que celle de Saul de Tarse.
Car l’Évangile, si nous le prenons au sérieux,
nous invite tous à une incessante conversion
puisque nous sommes appelés à monter, pas à pas, et tout du long,
sur un chemin de perfection.
Vous donc, vous serez parfaits
comme votre Père du ciel est parfait (Mt 5,48).
Mais la conversion de Paul a plus que quelque chose
de stimulant, d’exaltant ou même d’exemplaire.
Elle manifeste dans sa vie, une vie à nulle autre pareille,
la puissance de la grâce, capable de transformer un homme,
quand celui-ci se donne sans réserve à son action.
On comprend alors le poids de cet aveu de l’Apôtre :
C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis ;
et sa grâce à mon égard n’a pas été vaine (1 Co 15,10).
On passe dès lors de l’étonnement à l’admiration,
de la surprise à l’enthousiasme,
en voyant d’où est parti Paul, le jour où il a été renversé sur le chemin de Damas,
et à quoi il est parvenu au bout de sa course (Ph 3,14 ; 2 Tm 4,7).
Le labeur incomparable qu’il a pu accomplir
et la richesse sans pareille des écrits qu’il nous a laissés.
Sans même se douter un instant qu’ils allaient,
jetés comme des papyrus au vent de la Providence,
traverser les âges et retentir au long des jours
dans toutes les églises de la chrétienté et au plus profond du cœur des croyants !
Pour radicale et fracassante qu’elle soit,
la conversion de Paul n’a été cependant ni facile ni spontanée.
Il lui a fallu d’abord se plier à l’action patiente de la grâce
(car Dieu ne violente jamais une liberté).
Et cela, en acceptant loyalement, humblement, de s’interroger
sur le sens de cette parole tombée du ciel :
Je suis Jésus que tu persécutes ! Mais relève-toi,
entre dans la ville et on te dira ce que tu dois faire (Ac 9,5-6).
Il y a eu ensuite, ces deux ans au désert d’Arabie (Ga 1,17-18),
et le temps qui a suivi où il a dû, peu à peu, faire sienne
la lumière du mystère du Fils de Dieu fait homme.
Ce n’est pas d’emblée qu’il a pu passer
de son monothéisme juif si rigoureux,
à l’adhésion de son intelligence en un Dieu Trinité d’amour.
À un salut offert au monde par un Christ crucifié.
Ce n’a pas été non plus sans arrachement qu’une fois devenu apôtre,
il a dû choisir de porter, sans partage, l’Évangile aux nations païennes,
en passant de la pratique de la Loi de ses pères
au salut par la foi au Christ (Rm 4-5 ; Ga 3).
Et c’est tout son être, avec sa fougue, sa faiblesse,
son bouillant tempérament et sa fameuse écharde dans la chair (2Co 12,7),
qu’il a dû convertir, au jour le jour et au long des jours,
à l’humilité, la patience, la persévérance, la tendresse.
Mais au bout du compte on est bien amené à constater
que ce que Paul a pu entreprendre et mener à bien
sous la mouvance de la grâce de Dieu, tient du miracle.
Tant du point de vue humain que du point de vue spirituel,
ce que cet apôtre de Jésus-Christ, par la volonté de Dieu,
a fait et écrit, dépasse l’entendement !
Humainement, on est fasciné par son personnage.
On peut ne pas l’aimer
(et d’aucuns ne s’en privent pas, tant il est direct et entier),
mais on ne peut s’empêcher de l’admirer.
Certains traits de sa personnalité peuvent agacer,
certains aspects de sa pensée peuvent heurter
mais on doit reconnaître que l’homme est hors du commun.
Ainsi demeure-t-il un des êtres les plus marquants de l’humanité.
Quelqu’un qui, depuis vingt siècles,
a mis son empreinte sur l’histoire et la pensée
et va continuer de le faire au fil des âges,
tant son message et plein de force et de lumière.
Quand on fait le total de ce que Paul, à l’époque où il était,
dans les circonstances qu’il a connues,
à travers les épreuves qu’il a traversées,
en face de ce monde juif et païen qu’il affrontait
avec le seul glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la Parole de Dieu (Ep 6,17),
sans aucun moyen matériel, sans ressources financières, sans appareil intellectuel,
quand on songe à ce qu’il a pu vivre, subir, parcourir,
proclamer, enseigner, écrire, entreprendre,
ne sachant quelle suite cela pourrait avoir,
mais en allant toujours droit de l’avant,
tendu de tout son être en poursuivant sa course (1 Co 9,25-26 ; Ph 3,13-14),
on reste sans voix !
Souvent j’ai été à la mort.
Cinq fois j’ai reçu des Juifs les trente-neuf coups de fouet ;
trois fois j’ai été flagellé ; une fois lapidé ;
trois fois j’ai fait naufrage.
Il m’est arrivé de passer un jour et une nuit dans l’abîme.
Et il énumère pour nous : Voyages sans nombre,
dangers des rivières, dangers des brigands,
dangers de mes compatriotes, dangers des païens,
dangers de la ville, dangers du désert
dangers de la mer, dangers des faux frères !
Labeur et fatigue, veilles fréquentes,
faim et soif, jeûnes répétés, froid et nudité !
Et sans parler du reste, mon obsession quotidienne,
le souci de toutes les Églises ! (2 Co 11,24-29).
Avouons-le, cet itinéraire de vie
a quelque chose d’aussi ahurissant que de profondément touchant.
On pourrait en effet le regarder comme un héros
accumulant épreuves et exploits.
Il ne s’agit en fait que d’un fol en Christ plein de sagesse,
d’un saint passionné par l’annonce de la Bonne Nouvelle du salut (Ep 1,13),
se redisant sans cesse : Malheur à moi si je ne prêche pas l’Évangile (1 Co 9,16),
et pour qui seule compte la foi s’exerçant dans la charité (Ga 5,6).
Jamais sans doute, dans l’histoire des hommes,
un parcours n’a été aussi contrasté puisque la vie de Paul de Tarse
part du crime le plus froidement organisé,
pour parvenir à la sainteté la plus pure.
Sachant comment il est parvenu
à travers toutes ces épreuves et difficultés,
à semer les germes de l’Évangile de Jérusalem à Rome,
en passant par toutes les viles que l’on sait,
pour venir périr par le glaive au cœur de la capitale de l’Empire,
on peut se dire : qui a jamais fait humainement ce que Paul a fait ?
D’un point de vue spirituel, notre étonnement et notre admiration
sont tout aussi grands.
L’apôtre Paul demeure celui qui a mis en forme,
enraciné, structuré le christianisme.
Celui qui, sans rien renier de la source à laquelle il puise
et qu’il sert dans une fidélité absolue,
a révélé l’abîme de la richesse,
de la sagesse et de la science de Dieu (Rm 11,33).
Il est bien en ce sens
le révélateur et le dispensateur d’un mystère (Rm 16,25 ; Col 1,25-29),
le metteur en lumière de cette sagesse de Dieu,
mystérieuse, demeurée cachée, celle que dès avant les siècles
Dieu a par avance destinée pour notre gloire (1 Co 2,7).
Et Paul n’hésite pas à dire :
Car c’est à nous que Dieu l’a révélé par l’Esprit ! (1 Co 2,10).
Aussi peut-il aller jusqu’à proclamer,
avec autant de fierté que d’humilité :
C’est bien pour cette cause que je me fatigue à lutter,
avec l’énergie du Christ qui agit en moi avec puissance (Col 1,29).
Et il nous avoue, dans le feu de son zèle pour cet Évangile de Dieu (2 Co 11,7)
qui n’est autre que l’Évangile du Christ (2 Co 10,14),
pourquoi il agit ainsi, libre à l’égard de tous,
en se faisant l’esclave de tous afin d’en gagner le plus grand nombre (1 Co 9,19) :
pour que tous parviennent au plein épanouissement de l’intelligence
qui leur fera pénétrer le mystère de Dieu
dans lequel se trouvent cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance (Col 2,3).
La grande richesse de Paul, à ce stade,
est de se situer parfaitement, au carrefour du Premier et du Second Testaments.
Tout nourri des Écritures qu’il possède à la perfection,
il est en même temps le ministre de l’Évangile de la paix (Ep 6,15)
dont il n’hésite plus à dire que c’est son Évangile (Rm 16,25),
tellement ce n’est plus lui qui vit mais le Christ qui vit en lui.
Nul ne pouvait être mieux placé que lui,
Pharisien et irréprochable observateur de la Loi (Ph 3,5-6)
pour établir le lien
entre les valeurs de la loi ancienne et les richesses de l’Évangile,
en montrant combien la vétusté de la lettre
débouche sur la nouveauté de l’Esprit.
Mais le plus admirable ici, c’est de voir combien,
sans avoir connu le Christ selon la chair,
ni vécu durablement avec ses apôtres,
tout ce qu’il a pu dire, écrire, enseigner, développer
est en parfaite concordance avec les quatre évangiles.
En parfaite conformité avec l’Évangile de Jean.
C’est là où l’on voit combien l’Esprit de Dieu
peut conduire la marche de l’Évangile du salut,
et construire l’Église du Christ
dans sa quête inlassable de vérité, d’unité et de paix !
À l’évidence, l’instrument inutile
est devenu un instrument de choix !
Il est bien clair qu’en tout cela, ce n’est pas seulement
le zèle, le talent, le savoir-faire de Saul de Tarse
que l’on peut louer et admirer,
mais bien plus encore la puissance de la grâce de Dieu.
Et c’est cela qui permet de parler, à son égard,
de vivant miracle.
Cela n’enlève d’ailleurs rien à la sainteté de Paul
qui fait de lui le plus accompli des saints et le plus grand des apôtres.
Qu’il intercède pour nous en ce jour béni !