Homélie de la messe d’adieu du cardinal Danneels
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Homélie de la messe d’adieu du cardinal Danneels
A l’occasion de son départ à la retraite
ROME, Mardi 12 Janvier 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous l’homélie prononcée par le cardinal Godfried Danneels, archevêque de Malines-Bruxelles et Primat de Belgique, à l’occasion de son départ à la retraite. Agé de 76 ans, il occupait cette charge depuis 1979. Cette homélie a été prononcée en la collégiale Sainte-Gertrude de Nivelles, le vendredi 8 janvier au soir.
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‘Il y a un moment pour tout et un temps pour chaque chose sous le ciel’, dit l’Ecclésiaste dans la Bible (cfr Qo 3.2). Il y a un temps pour commencer et un temps pour finir, un temps pour arriver et un temps pour partir, un temps pour parler et un temps pour se taire. Les bergers viennent et partent, ils passent. Un seul reste : le Bon Berger, le Christ Jésus, ‘le grand Pasteur des brebis’ (He 13,20), comme le dit l’épître aux Hébreux.
Fixez vos regards sur Jésus
C’est donc de lui qu’il faut parler : de Jésus. En ce jour de mon départ, puis-je vous demander, frères et sœurs : ‘Regardez Jésus, l’apôtre et le grand prêtre de notre confession de foi’ (He 3,1). Regardez-le. Il y a tant de choses à regarder de nos jours: la crise économique, notre église en pleine tempête, son manque de personnel et de moyens, tant d’hommes et femmes vivant dans la pauvreté matérielle et plus encore tant d’autres dans le désarroi spirituel, tous les chercheurs de bonheur qui ne le trouvent guère. Oui, je le répète : fixez votre regard sur Jésus. Oui, peut-être semble-t-il dormir à l’arrière de la barque sur le coussin, au milieu de la tempête. Et nous crions comme les apôtres dans l’évangile : ‘Maître, cela ne te fait rien que nous périssions ? » (cfr Mc 4,38). Et que nous répond-Il, à nous, en pleine bourrasque : ‘Pourquoi avez-vous une telle peur ?’ C’est le seul reproche qu’Il nous fera. ‘Pourquoi avez-vous si peur ?’ (Mc 4,40). Non, il ne nous reprochera pas de ne pas travailler dur, de manquer de stratégie, d’organisation, de management, de projets. Non, il nous reprochera d’avoir eu peur et de ne pas avoir remarqué qu’Il était avec nous dans la barque.
Oui, Il est là, au milieu de nous, dans les pauvres et les petits ; Il nous regarde par leurs yeux. Il est là dans sa parole, dans la sainte écriture et la prédication de l’Eglise. Il est là présent dans la sainte liturgie, cette épiphanie de tous ses mystères. Il est là surtout dans le pain et le vin eucharistiques, son vrai Corps et son vrai Sang. Il est là dans l’eucharistie tout entier. Oui, fixez votre regard sur Jésus eucharistique. Devenez une église d’adoration comme je vous ai demandé à Bruxelles Toussaint 2006. Je le demande une nouvelle fois comme en guise de testament d’un archevêque partant.
Aimez l’Eglise
Aimez l’Eglise, et aimez-la telle qu’elle est, noire et belle comme la fiancée du Cantique des Cantiques. ‘Je suis noire, mais jolie, filles de Jérusalem…. Ne faites pas attention si je suis noiraude, si le soleil m’a basanée, mes frères m’ont fait surveiller les vignes…..’ (Ct 1,5). L’Eglise, je l’ai aimée tout au long de ma vie, comme on aime une épouse. Je porte au doigt l’anneau de ce long mariage. Aimez l’Eglise. Certes, elle porte ses rides – c’est compréhensible après deux milles ans. Mais elle est belle et fidèle.
Pour voir l’Eglise en vérité, il faut le regard de la foi qui rend visible ce qui est invisible, c’est-à-dire un mystère, divin et humain à la fois. Comme le disait saint Augustin : ‘Quand je parle d’elle, je ne puis m’arrêter d’en dire du bien’. Et chaque fois que je lui découvre un défaut, la foi le transforme en tache de beauté. Et puis, ce défaut est une ride de ma mère. Et toutes les mères ne portent-elles pas des rides. Mais c’est ma mère, la mienne. Et ses rides ? Si je regarde bien, ce sont aussi les miennes. Nous avons tout reçu de notre Mère, l’Eglise : l’écriture, les sacrements, la splendeur de sa liturgie, la tendresse pastorale qui nous entoure, et surtout nous recevons d’elle d’innombrables frères et sœurs dans la foi et plus encore tous les saints et les saintes.
L’Eglise nous donne surtout la liturgie. C’est là, dans le mystère de la sainte liturgie, que réside la force et le charme de l’Eglise. Lorsque cette liturgie est célébrée dans la ferveur et la beauté, l’Eglise s’y manifeste telle qu’elle est en profondeur. Sobre et grandiose à la fois. C’est la liturgie qui contient sa plus grande force d’évangélisation. Personne n’échappe au charme mystérieux de la divine liturgie. Il se pourrait d’ailleurs que la liturgie deviendra-t-elle le moyen par excellence pour évangéliser dans une culture païenne, indifférente, si pas franchement hostile.
Dans le monde, mais pas du monde
Beaucoup de nos contemporains ne connaissent plus le message de l’évangile. Même son vocabulaire n’est plus compris. Sommes-nous revenus aux premiers temps de l’Eglise où il n’y avait qu’une poignée de chrétiens dans un monde païen et indifférent ? Et aujourd’hui un monde simplement ignorant. Que faire ?
Commençons par développer en nous une saine prise de conscience de notre identité chrétienne. Ce n’est pas de la prétention ni de l’orgueil ; c’est être vrai tout simplement. Comment en effet suivre quelqu’un, s’il n’est qu’une ombre fugitive ? Montrons-nous tout simplement tels que nous sommes : disciples du Christ et porteurs de l’évangile. Sans complexes et sans arrogance. Soyons nous-mêmes. C’est permis, c’est même obligatoire. Car ‘Si la trompette ne rend pas un son clair, qui se préparera à la bataille ?’ (1 Co 14,8), dit saint Paul. Annoncer et pratiquer l’évangile dans toute sa radicalité. Et surtout ne pas en faire un secret.
Mais il faut plus. Prenons part sans aucune réticence à la culture de notre époque : à sa science, ses progrès, son fabuleux développement techniques, sa philosophie, son art, sa sensibilité. Sans doute faudra-t-il aussi et tout autant le don de discernement – tout ce qui est proposé sur le marché de notre culture n’est en effet pas également valable. Mais comment discerner, si l’on se tient à l’écart ?
Les chrétiens vivent dans ce paradoxe : ils sont dans le monde, mais pas du monde. C’est crucifiant par moments. Comme cela l’était pour Jésus : on l’a mis en croix, entre ciel et terre. ‘Il est venu parmi les siens, mais les siens ne l’ont pas accepté’. Il a aimé le monde, mais le monde ne l’a pas aimé. C’est aussi notre croix à nous : être suspendus entre ciel et terre. Mais c’est dans cette position de crucifiés que nous apportons au monde une fore de résurrection.
Jamais un homme n’a parlé comme Celui-là, disait-on de Jésus. Puisse-t-on le dire également de nous, chrétiens, à notre époque. Faut-il crier pour autant? De temps en temps oui, certainement. Mais reste que le prophète Isaïe dit du Serviteur : ‘Il ne criera pas, il n’élèvera pas le ton, il ne fera pas entendre dans la rue sa clameur… (Is 42,2). Il nous faudra le don de parler à notre époque : fermement et sans compromis, mais jamais sur un ton de supériorité ou de mépris; il nous faut le don de parler comme Jésus. ‘Il fut pris de pitié pour les foules, parce qu’elles étaient harassées et prostrées comme des brebis qui n’avaient pas de berger’ (Mt 9,36). Parler à nos contemporains pour servir et non pour dominer.
La grâce du pardon et de la réconciliation
Peut-être encore ceci. Nous chrétiens, nous avons beaucoup à faire pour ce monde : nous engager pour la justice, pour la solidarité, combattre la faim et la violence, sauver notre planète. C’est ce que nous faisons. Mais peut-être le monde a-t-il besoin d’autre chose encore de notre part : la réconciliation et le pardon. Chez nous et ailleurs. Rapprochement et réconciliation entre tant de couleurs, de races et de langues qui vivent ensemble. Peut-être notre pays est-il un laboratoire pour réaliser cette convivialité dans les différences, cette cohésion dans la diversité. Il y a peu d’endroits dans le monde où tant de gens différents cherchent à vivre ensemble. Certes, à la base il faudra toujours le respect du droit et de la justice. Mais le monde ne sera viable que lorsque sur l’humus de la justice et de l’équité, fleurira la plante médicinale qui s’appelle réconciliation et pardon. Que celui qui donne son droit à l’autre, engendre l’autre à la vie ; mais celui qui pardonne ressuscite un mort.
En jetant un regard en arrière sur ma vie d’évêque, je vois ce que j’ai pu réaliser et ce que je n’ai pas pu faire, je vois les succès et les échecs, les occasions que j’ai mises au profit et celles que j’ai manquées, je vois mes dons et mes défauts. Que dire ? Avec le jeune curé dans le roman de Georges Bernanos, Journal d’un curé de campagne, j’ai envie de dire : ‘Tout est grâce’. Est-ce par hasard que s’est aussi une parole de sainte Thérèse de Lisieux : ‘Tout est grâce ‘. Oui, tout est grâce. Merci Seigneur !
+ Godfried Cardinal DANNEELS,
Archevêque de Malines-Bruxelles
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