Epiphanie, 3 janvier 2010, Homélie

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Epiphanie

dimanche 3 janvier 2010

Homélie – Messe 

 Les premiers adorateurs de ce mystérieux Enfant, né dans la lignée du Roi David, étaient pour le moins surprenants : des bergers – population mal famée en Israël. Nous pourrions penser que les choses rentrent dans l’ordre avec l’Evangile de ce jour : les Mages représentent une caste sacerdotale – voire royale – chez les Perses ; venus du lointain Orient, ils viennent présenter comme il se doit leurs hommages au Messie.
En fait, le scandale ne fait que croître ! Les bergers de mauvaise réputation appartenaient au moins au peuple élu, alors que ces princes étrangers sont franchement des païens. On comprend l’émoi que suscite leur quête auprès du roi Hérode et des sages de Jérusalem : « En quel lieu devait naître le Christ ? »
En choisissant de rapporter en détail cet événement, l’évangéliste veut annoncer dès les premières pages de son récit, que la Bonne Nouvelle est offert à l’humanité entière. Le caractère universel du salut, qui fait l’émerveillement du juif Matthieu, bouleversera également un autre juif, du nom de Paul : « Le Mystère du Christ, c’est que les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus par l’annonce de l’Evangile » (2ème lect.). Cette révélation ne rend pas pour autant obsolète la première Alliance : c’est bien à Jérusalem que se rendent les Mages car « le salut vient des Juifs » (Jn 4, 22) ; et c’est de la bouche de gardiens de la Loi qu’ils apprennent le lieu où était né le Messie.
Et pourtant la seule Parole prophétique ne suffit pas : il faut le ministère de l’étoile pour que nos sages découvrent l’objet de leur recherche. La précision de la « très grande joie » éprouvée par les Mages à la découverte de l’étoile, est une allusion explicite à l’action de l’Esprit Saint. On voit mal en effet comment du haut du firmament un astre éloigné de plusieurs années-lumière, pourrait désigner une maison particulière parmi toutes celles de la bourgade de Bethléem ? A travers le langage symbolique de l’étoile, le récit nous révèle en fait un mystérieux Acteur céleste. Saint Matthieu avait déjà évoqué les Anges – c’est-à-dire les messagers de Dieu. Cette fois il oriente nos regards vers l’Esprit Saint, discrètement à l’œuvre dans tous les cœurs de bonne volonté. « Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire vers moi » (Jn 6, 44), proclamera bientôt Jésus, et cette attraction que le Père exerce par l’Esprit, commence dès les premiers instants de l’Incarnation. Car « la volonté du Père, c’est que tout homme qui voit le Fils et croit en lui obtienne la vie éternelle » (Jn 6, 40).
Curieusement, les Mages semblent bien être les seuls à avoir vu se lever cette étoile. Certes Hérode ne risquait pas de la voir, lui qui préférait le faste bruyant de sa cour au silence de la méditation sous un ciel étoilé. Quant aux « chefs des prêtres et scribes d’Israël », ils étaient sans doute trop convaincus de détenir la plénitude de la vérité dans leurs Ecritures pour demeurer disponibles aux signes de leur accomplissement. Ils n’étaient plus disponibles à l’imprévu de Dieu, alors qu’ils étaient précisément chargés de veiller, afin de pouvoir interpréter les interventions divines au cœur de l’histoire. Mais pour discerner une étoile, il faut s’enfoncer dans la nuit ; pour se laisser instruire par l’Esprit, il faut au préalable reconnaître son ignorance. Le récit de ce jour révèle que cette humilité a cruellement fait défaut aux chefs religieux de l’époque.
Et nous-mêmes, ne péchons-nous pas de la même manière ? Qui d’entre nous n’a pas été ébranlé par des questions troublantes nous interpellant sur le cœur même de notre foi : « Croyez-vous vraiment que Celui que l’univers ne peut contenir, se soit fait homme ? Que l’Ineffable se soit exprimé dans notre langage humain ? Que l’Eternel soit entré dans le temps ?… » Si nous tentons de répondre à ces interpellations comme on essaie de résoudre un problème de mathématique, voire de philosophie, nous découvrons avec angoisse que nous pouvons certes argumenter, mais guère démontrer le bien-fondé de nos convictions. Car seule l’étoile peut nous conduire là où les apparentes contradictions sont dépassées. L’étoile est ici la lumière surnaturelle de la foi, qui est d’une autre nature que celle de notre intelligence naturelle. Seul celui qui reconnaît les limites de la raison humaine et confesse humblement son ignorance des mystérieux desseins de Dieu, peut recevoir l’illumination de l’Esprit et se laisser guider par lui au lieu où Dieu se donne dans un Enfant.
« Mille questions ne font pas un doute » (Saint Vincent de Paul) : mille questions qui demeurent sans réponse pour notre intelligence ne devraient pas ébranler notre foi, mais nous inviter tout au contraire à soumettre notre raison naturelle à la lumière de la Révélation surnaturelle. Comme les Mages, c’est de nuit que nous nous approchons de l’Enfant, guidés par les prophètes de la première Alliance dont nous avons fait la lecture, et illuminé par l’Esprit Saint que nous avons invoqué sur nous.
Curieusement, les Mages semblent accueillis uniquement par « l’enfant et sa mère » : le père n’est pas nommé, alors que sa présence ne fait aucun doute. Ce silence est d’autant plus surprenant que Matthieu est l’évangéliste qui insiste le plus sur la place de St Joseph – l’épisode que nous lisons suit immédiatement le songe au cours duquel l’Ange lui a révélé sa mission propre dans le mystère de l’Incarnation. L’absence de mention de St Joseph doit être comprise comme une discrétion sur l’origine davidique de l’Enfant. Celui-ci en effet n’est pas venu sauver le seul peuple d’Israël, mais il « associe les païens au même héritage, au partage de la même promesse par l’annonce de l’Evangile » (2nd lect.), pour constituer un corps nouveau, où « il n’y a plus ni juif, ni païen » (Ga 3, 28).
Après avoir déposé leurs trésors au pied de l’Enfant, les Mages rentrent chez eux, tout comme l’ont fait les sages de Jérusalem. Les Ecritures ont joué leur rôle ; l’étoile aussi : elles ont désigné comme lieu de l’épiphanie du mystère tenu caché aux générations passées, un Enfant qui ne diffère en rien de tous les autres enfants dont il est venu assumer l’humanité. Désormais c’est sur lui que doit se concentrer notre regard, car il est « la vraie lumière qui éclaire tout homme en venant dans ce monde » (Jn 1, 9) ; c’est lui que nous devons écouter, car il est la Parole du Dieu vivant.
Préparons-nous à l’accueillir sous les humbles espèces du Pain et du Vin consacrés ; puis, après l’avoir adoré et nous être unis à lui par la communion eucharistique, nous regagnerons nos pays respectifs « par un autre chemin » : celui de l’Evangile. Car nous serons devenus les disciples de Celui en qui nous reconnaissons le roi, le prêtre et le prophète des temps nouveaux, Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui nous offrons l’or de notre adoration, l’encens de notre louange et la myrrhe de notre reconnaissance.

« Père très saint, Dieu éternel et tout-puissant, aujourd’hui tu as dévoilé dans le Christ le mystère de notre salut pour que tous les peuples en soient illuminés. Donne-nous d’être assez humbles pour nous prosterner devant lui afin d’être renouvelés dans la foi, l’espérance et l’amour. Nous serons alors à notre tour des foyers de lumière brûlant du Feu de l’Esprit, au cœur de ce monde encore plongé dans la nuit. »

Père Joseph-Marie 

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