A propos du dimanche de « Gaudete »

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A propos du dimanche de « Gaudete »

Au VIII° siècle, et encore au XII° siècle, lorsque les quatre dimanches de l’Avent étaient considérés comme les étapes d’un temps d’allégresse, tout à la joie de la venue prochaine du Rédempteur, le troisième dimanche était le point culminant de cette montée joyeuse vers Bethléem. Il porte le nom de « Gaudete » (ce qui signifie : « soyez joyeux ») en raison du premier mot de l’Introït[1]. Certes, parce qu’il est par excellence l’hymne de Noël, le « Gloria in excelsis Deo » ne réapparaît pas encore ; la liturgie romaine qui suspend les exercices pénitentiels le dimanche mais y célèbre cependant, depuis le début de l’Avent, en ornements violets et sans fleurs, tempère aujourd’hui ses rappels pénitentiels en prenant les ornements roses. « Par sa couleur, le symbole de la joie de l’Eglise, dont l’odeur figure les bonnes œuvres de la personne à honorer, alors que la rose elle-même, produite de la racine de Jessé, est mystiquement la fleur des champs et le lys de vallées dont parle l’Ecriture, c’est-à-dire Jésus né de Marie. »

Jadis, la station se faisait à Saint-Pierre de Rome où, pour l’occasion, le pape séjournait, y célébrait solennellement et y octroyait une gratification. Au milieu de la nuit, le pape et toute sa cour venaient à Saint-Léon pour se rendre à Saint-Grégoire où l’on encensait le maître-autel ainsi que les autels dédiés à saint Sébastien, à saint Tiburce et aux saints apôtres Simon et Jude, puis on se rendait vénérer le linge de sainte Véronique où, sur le chemin de la Croix, le Seigneur daigna imprimer sa face, et on encensait l’autel dédié à Marie. On montait ensuite, près de l’arc triomphal au Saint-Pasteur que l’on encensait, avant que de descendre encenser le tombeau de saint Pierre.

Les fiançailles de ceux qui se devaient marier après Noël étaient bénies au dimanche de Gaudete ainsi que les oriflammes et les bannières. Enfin, quand l’occasion se présentait, on sacrait ou couronnait les princes chrétiens.

Il ne reste souvent dans nos célébrations que l’emploi de la couleur rose. Les premiers chrétiens avaient boudé cette couleur parce que la fleur qu’elle rappelle avait une place de choix dans les cultes païens. Plus tard, le rose finit par entrer dans les symboles chrétiens, comme une image du martyr (saint Cyprien de Carthage, saint Jérôme) et de la pudeur (saint Jérôme). Si Tertullien et Clément d’Alexandrie avaient condamné les roses, saint Basile et saint Ambroise les montrèrent sans épines dans le paradis terrestre. Si Prudence loue sainte Eulalie d’avoir toujours méprisé les couronnes de roses, les ornements d’ambre et les colliers d’or, il affirme que, au ciel, les vierges cueillent « l’une des violettes et l’autre des roses » ; cette idée se trouve déjà dans la passion de sainte Perpétue : « dans la patrie des justes, la terre est toute embaumée de rosiers aux fleurs empourprées qui la couvrent, et, arrosée par des sources vives, elle y produit de brillants soucis, de molles violettes et le tendre safran ». Fortunat de Poitiers, montrant le jardin de la reine Ultrogothe, veuve de Childebert, parle « du parfum des roses du Paradis[2] » ; il félicite sainte Radegonde et l’abbesse Agnès de réserver les roses pour orner les églises. Charlemagne fit mettre des roses dans tous les jardins de ses résidences et métairies, tandis qu’Alcuin les cultivait dans le jardinet de sa cellule, peu avant que Walafrid Strabon la déclarât « fleur des fleurs[3]. »

Utilisée au troisième dimanche de l’Avent (Gaudete) et au quatrième dimanche du Carême (Lætare), la couleur rose, couleur de l’aurore, marque, au milieu des temps de pénitence, une pause où l’Eglise vise à mieux faire entrevoir la joie qu’elle prépare (Noël ou Pâques), à donner courage pour les dernières étapes à parcourir,  et à rendre grâce pour les œuvres déjà accomplies :  « Aux armes des religieuses l’ont met une couronne composée de branches de rosier blanc avec ses feuilles, ses roses et ses épines, qui dénote la chasteté qu’elles ont conservée parmi les épines et les mortifications de la vie[4]. »

Jadis, où l’on était plus attentif qu’aujourd’hui à conformer l’environnement du culte à l’esprit de la liturgie célébrée, on pouvait, les dimanches roses (Gaudete etLætare), contrairement aux autres dimanches de l’Avent et du Carême, parer l’autel de fleurs, sonner toutes les cloches et toucher les orgues alors que les diacres et les sous-diacres prenaient la tunique et dalmatique qu’ils avaient abandonnées au début de l’Avent ou du Carême.

La couleur rose emprunte sa signification au rouge, symbole de l’amour divin, et au blanc, symbole de la sagesse divine, dont la combinaison signifie l’amour de l’homme régénéré par la pénitence pour la sagesse divine reçue dans la Révélation ; « couleur agréable, odeur réconfortante, aspect qui donne la joie[5]. »

De fait, c’est moins la fleur qui inspire ici le symboliste que la rosée, l’eau tombée du ciel, que les juifs regardaient comme un signe de bénédiction. Sans doute faut-il rappeler que les vents de la mer, soufflant de l’Ouest, apportent vers la Palestine un air humide qui, les nuits d’août à octobre où il ne pleut pas, permet la croissance des végétaux ; la rosée est donc un symbole de prospérité et signe de bénédiction, ainsi qu’en témoigne souvent l’Ancien Testament : « Que Dieu te donne avec la rosée du ciel et de gras terroirs, abondance de froment et de vin nouveau[6] » ; « Béni de Yahvé, son Pays ! A lui le don exquis du ciel en haut (la rosée) et de l’abîme qui s’étale en bas (les sources[7]) »; « C’est comme le rosée de l’Hermon qui descend sur les montagnes de Sion, car c’est là que Yahvé a établi la bénédiction, la vie à jamais[8] »; « Je serai comme la rosée pour Israël, il fleurira comme le lys, il enfoncera ses racines comme le peuplier.[9] »

En revanche, l’absence de rosée est un signe de châtiment comme on peut le voir, par exemple, chez le prophète Agée : « Réfléchissez sur votre sort : vous attendiez beaucoup et il n’y a eu que peu. Et ce que vous avez ramené à la maison, j’ai soufflé dessus ! A cause de quoi ? – oracle de Yahvé des armées – à cause de ma maison qui, elle, est en ruine, alors que vous courez chacun pour sa maison. Voilà pourquoi le ciel a retenu la rosée, et la terre a retenu sa récolte[10]. » La rosée est aussi le symbole de la Parole divine reçue par les fidèles  qui, s’ils s’y conforment, leur communique la sagesse et leur ouvre le salut par les voies de la justice, ainsi que le note le Deutéronome : Que ma parole s’épande comme la rosée[11]. » Pendant tout le temps de l’Avent, nous chantons : « Rorate cæli de super et nubes pluant justum ! » (Cieux, versez votre rosée et que les nuées fassent pleuvoir le juste !)

Le chevalier Morini qui, au temps de Grégoire XVI (1831-1846), fut un des officiers de la cour pontificale, écrivait[12] que la couleur rose est considérée comme tenant le milieu entre le pourpre et le violet ; figurant la joie que l’Eglise ressent aux approches de Noël et de Pâques, parce que la rose a trois propriétés : l’odeur, la couleur et le goût, que l’on peut considérer comme représentant la charité, la joie et la satiété spirituelle qui sont la figure du Christ, ainsi, saint Bède le Vénérable dit[13] qu’au VII° siècle, le tombeau du Christ était peint d’une couleur mélangée de blanc et de rouge.

Les habitués des Litanies de Lorette qui se souviendront que la Vierge Marie y est honorée et priée comme la Rose mystique pourront la prier ainsi : « O Rose parfumée, vermeille et pudique, qui avez toujours été épanouie  et  ornée  de couleurs  plus belles que l’arc-en-ciel, ô Rose bénie entre toutes les fleurs qui embaument la jardin mystique de l’Eglise, ô Rose, délice et ornement de la cour céleste, force et secours des faibles mortels qui sont attirés par l’odeur de votre piété à vous aimer et à vous invoquer comme leur protectrice spéciale dans tous leurs besoins, fortifiez, je vous en supplie, la vertu chancelante de mon cœur languissant par vos parfums, par la douce vivacité de vos couleurs et par l’abondante rosée des grâces dont vous êtes remplie, afin qu’animé par le désir de bénéficier de vos mérites, je m’efforce d’imiter vos vertus.

O Rose mystique, ô Mère et Vierge d’une chaste et incomparable fécondité, inspirez-moi un ardent amour pour la pureté de cœur, pour la mortification de mes passions pour la garde de mes sens intérieurs et extérieurs, afin que je puisse vous ressembler et vous plaire. Donnez-moi des mœurs pures et une volonté forte pour remplir mes devoirs envers Dieu, envers le prochain et envers moi-même. Que, par votre toute-puissante intercession, je plaise aux regards purs de Dieu et que j’en sois béni. J’obtiendrai infailliblement cette grâce si vous m’attirez fortement par la suave odeur de vos vertus et si vous m’animez par l’efficacité de votre puissant secours. O Vierge et Mère, candide et vermeille Rose de Dieu, priez pour moi qui ai recours à vous. »

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[1] « Gaudete in Domino semper : iterum dico, gaudete » (soyez toujours joyeux dans le Seigneur ; encore une fois, soyez toujours joyeux).
[2] Saint Fortunat : « Carmina » (VI 6), « De horto Ultrogothonis reginæ ».
[3] Walafrid Strabon : « Hortulus ad Grimaldum. »
[4] Le « Palais de l’Honneur ».
[5] « Ordo Romanus », XIV 81.
[6] Livre de la Genèse, XXVII 28.
[7] Livre du Deutéronome, XXXIII 13.
[8] Psaume CXXXIII 3.
[9] Livre du prophète Osée, XIV 6.
[10] Livre du prophète Agée, I 8-10.
[11] Livre du Deutéronome, XXII 2.
[12] Morini : « Dizionario di erudizione storico-ecclesiastica ».
[13] Saint Bède le Vénérable : « Histoire de l’Angleterre »,  V 16.

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