par Sandro Magister: « Très Saint Père, à notre époque d’horreurs irrationnelles… »

du site:

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1340851?fr=y

« Très Saint Père, à notre époque d’horreurs irrationnelles… »

L’appel à Benoît XVI « pour le retour à un art sacré authentiquement catholique ». Premier signataire: le grand écrivain allemand Martin Mosebach. Alors que la rencontre entre le pape et les artistes à la Chapelle Sixtine approche

par Sandro Magister

ROME, le 5 novembre 2009 – A quelques jours de la rencontre entre le pape et les artistes, annoncée pour le 21 novembre à la Chapelle Sixtine, un appel qui est déjà sur le bureau de Benoît XVI en anticipe le principal motif.

C’est un appel « au retour d’un art sacré authentiquement catholique ». Il n’émane pas d’artistes mais de chercheurs et de gens passionnés à des titres divers par le destin de l’art chrétien. Entre tous : Nikos Salingaros, Steven J. Schloeder, Steen Heidemann, Duncan G. Stroik, Pietro De Marco, Martin Mosebach, Enrico Maria Radaelli.

Mosebach est un écrivain allemand confirmé que Joseph Ratzinger connaît bien. Son dernier ouvrage, « Eresia dell’informe. La liturgia romana e il suo nemico », a aussi été publié en Italie, cette année, aux éditions Cantagalli. C’est une étincelante apologie du grand art chrétien ou plutôt de la liturgie catholique elle-même en tant qu’art. Avec de piquantes invectives contre l’attitude iconoclaste qui règne aujourd’hui dans l’Eglise catholique elle-même.

Radaelli, disciple du grand philologue et philosophe catholique Romano Amerio, est un spécialiste raffiné de l’esthétique théologique. Son chef d’œuvre, « Ingresso alla bellezza », publié en 2008, est un magnifique parcours d’introduction au mystère de Dieu à travers cette « Imago » de Lui qu’est le Christ. La beauté comme manifestation de la vérité.

L’appel est né aussi de séminaires qui ont eu lieu ces mois derniers à la bibliothèque de la commission pontificale des biens culturels de l’Eglise, où les accueillait le vice-président de cette commission vaticane, l’abbé bénédictin Michael J. Zielinski. Les pères Nicola Bux et Uwe Michael Lang, consulteurs du bureau des célébrations liturgiques pontificales et, pour le second, membre de la congrégation pour le culte divin, y ont participé. Mais, parmi les promoteurs de l’appel, pas d’ecclésiastique ni de responsable du Vatican. Les signataires sont des laïcs aux compétences et professions diverses.

Après une brève introduction, le texte se présente en sept brefs chapitres consacrés aux causes de l’actuelle fracture entre l’Eglise et l’art, aux références théologiques, aux commanditaires, aux artistes, à l’espace sacré, à la musique sacrée, à la liturgie.

Il s’achève sur l’appel proprement dit, ainsi formulé :

« Pour toutes les raisons exposées ici, conscients de l’écoute paternelle de Votre Sainteté et de l’attention miséricordieuse du Vicaire du Christ, nous Vous supplions, Très Saint Père, de bien vouloir lire dans notre appel plein de tristesse la plus poignante préoccupation quant à la terrible situation actuelle de tous les arts qui ont toujours accompagné la liturgie sacrée, ainsi qu’une modeste et très humble demande d’aide à Votre Sainteté :

– pour que les arts et l’architecture sacrés puissent à nouveau être et se montrer vraiment et profondément catholiques ;

– pour qu’ensuite les foules de fidèles, même les plus simples et les moins savants, puissent à nouveau s’émerveiller et profiter de cette noble et multiforme beauté, encore et toujours présente de manière vivante dans la maison du Seigneur, et par elle recevoir à nouveau dans leur cœur les très hauts et toujours nouveaux enseignements ;

– pour qu’enfin l’Eglise puisse montrer qu’elle est, même à notre époque d’horreurs matérialistes, irrationnelles et anti-éducatives, la seule vraie, active et attentive promotrice et gardienne d’un art nouveau et vraiment ‘original’, c’est-à-dire capable même aujourd’hui de fleurir, comme il l’a toujours fait précédemment, à partir du passé, à partir de sa glorieuse et éternelle Origine, autrement dit à partir du sentiment le plus intime de la Beauté qui brille dans la Vérité du Christ ».

On peut lire le texte intégral en plusieurs langues, avec la liste des signataires, sur le site web créé à cet effet :

> Appel au Très Saint Père Benoît XVI pour un art sacré authentiquement catholique

Voici, à titre d’exemple, un chapitre :

VI. MUSIQUE SACRÉE ET CHANT LITURGIQUE

Saint-Père, l’Eglise a aujourd’hui l’occasion de se réapproprier son rôle « hautement » magistériel en matière de musique sacrée, principalement dans le domaine de la musique et du chant liturgiques, qui doivent nécessairement répondre aux catégories du « bon » et du « juste » par leur intime coïncidence – pas seulement par leur correspondance – avec la liturgie elle-même (Paul VI, discours aux chanteurs de la chapelle pontificale du 12 mars 1964).

Dans l’histoire millénaire du christianisme, le rapport dialectique entre musique sacrée et musique profane a amené plusieurs fois l’autorité ecclésiastique à intervenir pour « nettoyer le bâtiment de la liturgie romaine » (périphrase expressément utilisée par de nombreux papes) des intrusions séculières que la musique apportait justement dans les églises et qui, au fil des siècles et avec le développement technico-musical progressif, sont devenues de plus en plus graves et éloignées du bon usage liturgique, finissant souvent par s’arroger des rôles auto-référençants de nature profane.

Depuis la constitution apostolique « Docta sanctorum » du pape Jean XXII (1324), le magistère a toujours indiqué les façons correctes de mettre la musique au service du culte, en approuvant au fur et à mesure les nouveautés techniques compatibles avec la liturgie, mais en indiquant toujours et constamment jusqu’à nos jours (y compris le magistère du concile Vatican II et de tout l’après-concile) que le chant grégorien était la racine originelle, la source d’inspiration constante, la plus haute – justement parce qu’elle est simplement « très noble » – forme de musique qui puisse incarner l’idéal liturgique catholique de la manière la plus parfaite, y compris en vertu de son anonymat métahistorique objectivant et de sa véritable universalité esthétique, verbale, sensible.

Aujourd’hui nous ne pouvons sûrement pas mettre en place des styles ou des formes de musique préconçus, mais le retour du chant grégorien, de la polyphonie et de la musique pour orgue de qualité (inspirées elles aussi par le chant grégorien) anciennes, modernes ou contemporaines, aiderait sûrement, après des décennies de bouleversement total et de probabilisme musical, à retrouver des « mots » liturgiques que la Tradition artistique et musicale catholique nous a offerts pendant des siècles : ils ont fonctionné – pour utiliser une expression imagée du pape Paul VI dans l’encyclique « Mysterium fidei » – comme de véritables « mots de passe de la foi » catholique, qui s’est toujours appuyée sur des données sensibles, dotées de vérité et de beauté mais éloignées des intellectualismes stériles et maniérés ou des archéologismes à éviter avec soin (comme l’a indiqué le pape Pie XII dans l’encyclique « Mediator Dei », dont est sortie la réforme liturgique de la seconde moitié du XXe siècle).

Parmi les arts mis au service du culte, la musique est peut-être le plus fort, du fait de ce sens « catéchétique » constant que le magistère lui a toujours reconnu, mais c’est aussi le plus délicat dans la mesure où, par nature et contrairement aux autres arts, elle suppose un « tertium medium » entre l’auteur et le bénéficiaire : l’interprète. La sollicitude de l’Eglise doit donc, comme par le passé, porter sur la formation des auteurs et des interprètes : certes l’effort en ce sens est infiniment plus lourd qu’à la fin du Moyen Age, à l’époque baroque ou au XIXe siècle, puisqu’il s’agit aujourd’hui de forces issues d’une société qui, contrairement à ce qui a existé dans le passé, est bien peu chrétienne ; pour en tenir compte, la catéchèse devrait repartir des « fondamentaux » où les musiciens – quand ils ont le professionnalisme voulu – retrouvent le « sensus ecclesiæ » et même le « sensus fidei ».

__________

Et à propos de la rencontre entre le pape et les artistes…

La rencontre annoncée entre Benoît XVI et les artistes aura lieu le matin du samedi 21 novembre 2009, à la Chapelle Sixtine.

Voici le programme de la rencontre. Après un prélude musical, l’archevêque Gianfranco Ravasi, président du conseil pontifical pour la culture, saluera le pape au nom des personnes présentes. Puis quelques passages de la « Lettre aux artistes » de Jean-Paul II, du 4 avril 1999, seront lus. Enfin le pape prononcera un discours. Un second moment musical conclura la rencontre.

La Chapelle Sixtine n’étant pas très grande, il y aura au maximum 500 artistes présents, venus du monde entier et appartenant à toutes les disciplines : peintres et sculpteurs, architectes, écrivains et poètes, musiciens et chanteurs, hommes de cinéma, de théâtre, danseurs, photographes. C’est le conseil pontifical pour la culture qui s’est occupé des invitations.

En plus de la lettre écrite par Jean-Paul II en 1999, il existe un autre précédent important, datant de 45 ans : la rencontre entre Paul VI et les artistes, le 7 mai 1964, toujours à la Chapelle Sixtine.

Le motif de cette nouvelle rencontre, c’est que « depuis longtemps l’alliance entre la foi chrétienne et l’art s’est rompue ». C’est ce qu’a déclaré Mgr Ravasi, le 10 septembre, en annonçant l’évènement.

L’alliance entre la foi et l’art fait partie de l’identité de l’Eglise. Le judaïsme interdisait les images sacrées. Mais la foi en Dieu incarné a vite amené l’Eglise à s’approprier l’art grec et romain comme langage figuré.

Cette géniale alliance de l’Eglise avec l’art est périodiquement en butte à des contestations iconoclastes. Au cours du premier millénaire en Orient. Au cours du second en Occident, d’abord avec le protestantisme puis, aujourd’hui, avec la tendance générale anti-figurative manifestée non seulement par l’art mais aussi par les commanditaires ecclésiastiques.

En rencontrant les artistes dans ce haut lieu de l’art chrétien qu’est la Chapelle Sixtine, Benoît XVI se propose précisément d’arrêter cette décadence et de renouer un dialogue, dans l’espoir que renaisse une alliance féconde entre l’art et l’Eglise.

En un temps « où, dans de vastes régions de la terre, la foi est en danger de s’éteindre comme une flamme qui ne trouve plus d’aliment », le pape pense peut-être à ce que disait saint Jean Damascène au plus fort de la tempête iconoclaste :

« Si un païen vient à toi et te dit : Montre-moi ta foi ! Conduis-le à l’église, montre-lui le décor dont elle est ornée et explique-lui la série des tableaux sacrés ».

Laisser un commentaire