Archive pour le 5 novembre, 2009
LA SOLITUDE, MALEDICTION OU GRACE ?
5 novembre, 2009du site:
http://www.orthodoxa.org/FR/orthodoxie/societe/solitude.htm
LA SOLITUDE, MALEDICTION OU GRACE ?
par le Père Boris BOBRINSKOY
La méditation qui suit en forme d’Acathiste « pour ceux qui sont seuls » m’a interpellé et j’ai pensé bon de la communiquer aux lecteurs du Bulletin.
L’homme est un être de communion et de partage et le besoin d’aimer et d’être aimé est gravé au cœur même de l’existence. Le démon est ce «diviseur» (diabolos) qui contrecarre l’œuvre permanente de «réunion», de rassemblement de Dieu, car Jésus est venu «pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés» (Jn 1 1,52). Le lien de l’Esprit sera ce ciment qui nous reliera les uns aux autres comme les pierres précieuses de la Cité céleste, la Nouvelle Jérusalem. Eloignés du Père et orphelins sur une terre hostile, nous devenons étrangers les uns aux autres, frères ennemis, Caïn en puissance. C’est ainsi que nous nous immergeons dans la solitude qui pèse comme une malédiction, comme une fatalité insupportable, l’enfer ici sur terre.
Et pourtant, du fond de l’abîme, du puits de perdition, je crie vers Toi, Seigneur, j’appelle mes frères les hommes. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-Tu abandonné ? ». Le solitaire fait sien ce cri du Crucifié, et son cri atteint le marchepied du Trône du Père. Et Dieu essuiera toute larme de son visage.
Mais il y a une autre forme de solitude, celle de la destinée acceptée, du choix conscient et volontaire, issu d’une soif d’absolu, de face à face avec l’Unique, avec le Bien-Aimé. « Aussi, Je vais la séduire, la conduire au désert, et parler à son cœur » (Os 2, 16), dit le Seigneur à Israël. Toute vie chrétienne comporte, de manière souvent cachée et même ignorée, cette dimension de seul à seul, car pour devenir un être de communion et s’éveiller à l’amour, il faut non moins être unique, irréductible à la multitude. Tel est le secret de la personne qui ne peut se réduire ni se fondre dans la foule, mais qui, dans le silence de la nuit se laisse envahir par la Présence du Tout-Autre, de Celui qui vient d’ailleurs et qui nous arrache à notre finitude. La solitude devient alors un chemin de croix et de lumière, pour que mon « moi » meure et que ce ne soit plus moi qui vive, mais le Christ en moi. Alors la puissance de l’amour me pousse en dehors de mon enclos, à la rencontre de l’autre, surtout du pauvre et du solitaire. Et celui-ci devient proche, l’ennemi ami, l’étranger hôte à notre table. Notre cœur se dilate, nos bras s’étendent, à l’image de Celui qui, les bras étendus sur la Croix, a attiré tous les hommes à Lui.
Père BORIS
ACATHISTE POUR CEUX QUI SONT SEULS
Kondakion 1: 0 Jésus-Christ, chef vainqueur dans la guerre contre Satan, ressuscité hors du tombeau, viens Toi-même au secours de ceux qui T’invoquent avec larmes, courbés sous le joug de la solitude, et qui pourtant ne cessent de Te chanter: Alléluia
Ikos 1 : Toi qui diriges la cohorte des anges, pour les envoyer au service des hommes, pour en faire les messagers de la paix et de la joie ; Toi qui, du sein du ciel, suis le déroulement de toutes choses, souviens-Toi de ceux que le sort a placés dans la solitude et qui, dans la nuit qu’est leur vie, T’appellent avec leur âme Jésus, bannière de ceux qui espèrent, cuirasse de ceux qui croient ; Jésus, abri de ceux qui fuient Jésus ; bouclier de ceux qui craignent, aie pitié, Jésus, pour les solitaires.
Kondakion 2 : Agar autrefois chassée par le patriarche, pleurait avec son fils, ne trouvant point de puits. Tu envoyas ton ange et lui donnas à boire, et elle Te chantait : Alléluia.
lkos 2 : La raison est près de sombrer quand elle veut comprendre pourquoi il faut subir certaines destinées. Voici d’abord l’enfant privé de père. Toi qui as dit : je ne vous laisserai point orphelins, Jésus, n’oublie pas celui qui sentira toute sa longue vie le vide dans son cœur. C’est ainsi qu’il s’adresse à Toi : Jésus, remède des malades ; Jésus, force des faibles ; Jésus, pacificateur des tempêtes ; Jésus, défenseur des esclaves ; aie pitié, Jésus, pour les solitaires.
Kondakion 3 : Job, le puissant et riche seigneur, est dévasté par le souffle du diable. Cependant il demeure ferme et dit à l’Eternel malgré tout : Alléluia.
lkos 3 : Le plus triste spectacle que nous offre le monde, c’est la mère assistant à la mort de son fils. Consumé par la maladie ou frappé par la guerre, fusillé par l’ennemi ou écrasé sous la machine, lapidé pour sa foi comme Etienne, auréolé comme lui d’amour pour celui que nous supplions : Jésus, myrrhe dans la souffrance Jésus, baume des plaies ; Jésus, coussin où reposer sa tête ; Jésus, manteau où réchauffer son être aie pitié, Jésus, pour les solitaires.
Kondakion 4 : Jérémie le prophète, mélancoliquement médite sur la ruine de son pays natal. Il vit seul, entouré de railleurs, et pourtant clame : Alléluia.
Ikos 4 : Lourde est la vie pour la veuve ou le veuf. Pour eux, le jour n’a plus qu’une demi-lumière et les soirs sont difficiles, quand il faut, une fois de plus, coucher avec une ombre. Aussi, entends leurs voix, qui Te disent : Jésus, confident des incompris ; Jésus, raison de ceux qui manquent de conseil ; Jésus, gardien de ceux qui sont tentés ; Jésus, phare de ceux qui se noient ; aie pitié, Jésus, pour les solitaires.
Kondakion 5 : Jésus abandonné sur la croix, qu’est-ce ceci ? Jésus mourant, puis mort, puis mis dans un linceul, Jésus enseveli ! Oh ! crions, nous, fidèles, crions avec les saintes femmes : Alléluia.
Ikos 5 : Solitaire est l’apatride. En perdant sa patrie, il a perdu comme un nid tiède. Il doit, tel l’oiseau migrateur, toujours refaire ses bagages, toujours partir, toujours essayer de durer, mais l’existence est pour lui provisoire. Il n’attend plus rien que le Christ qu’il prie doucement ainsi : Jésus, bâton de route qui donne du courage ; Jésus, avocat des causes perdues ; Jésus, repas de l’affamé ; Jésus, boisson apaisant le mal du pays ; aie pitié, Jésus, pour les solitaires.
Kondakion 6 : Le Christ a connu l’amitié, mais aussi la trahison ; Il a connu l’amour spirituel, mais n’a jamais connu l’amour charnel. Il a connu la solitude humaine, mais Il n’était pas seul, car le Père était avec lui : Alléluia.
Ikos 6 : Elle est là ; c’est sa seule tâche. Elle file et songe ; elle tisse et aime ; elle coud et pleure. Son travail est vain. Ce qu’elle fait n’est pour personne. Son amour reste sans réponse ; sa capacité de donner déborde, certes, mais de misère et non de plénitude. Et parmi ses semblables la plus pauvre est cette femme qui vend son corps pour le plaisir parce que nul n’a voulu de son âme. Jésus, Toi qui as pardonné à la prostituée ; Jésus, Toi qui as conversé avec Marie ; Jésus, Toi qui as souri à ta mère Jésus, Toi qui as aimé Jean ; aie pitié, Jésus, pour les solitaires.
Kondakion 7 : Le Christ a guéri le paralytique, Il a ouvert les yeux des aveugles, Il a fait entendre les sourds, Il a purifié les lépreux. Nous chantons avec eux : Alléluia.
lkos 7 : Isolés par le mal incurable, le paralysé et l’infirme sont relégués loin de la société. Le temps pour eux s’écoule goutte à goutte. Dans le sanatorium, le tuberculeux tousse et tousse encore et meurt. Et le vieillard à l’hôpital espère en vain une visite. Ils T’implorent aveuglément : Jésus, à la voix si agréable à entendre ; Jésus, au visage si beau à voir ; Jésus, à la main au toucher si tendre Jésus, au nom si simple à prononcer; aie pitié, Jésus, pour les solitaires.
Kondakion 8 : Jean le Précurseur habita dans le désert, prêcha la repentance, fut conduit en prison, et à la fin fut décapité. Mais en voyant l’agneau porteur de nos Péchés, il s’écria : Alléluia.
lkos 8 : Le prisonnier dans sa cellule regarde avec angoisse vers le petit coin de ciel bleu qui lui reste. Tourmenté par les remords et banni de l’humanité, heureux s’il peut, du fond du désespoir, s’écrier vers le Seigneur : Jésus, Toi qui es venu sauver les pécheurs ; Jésus, Toi qui as ouvert au brigand l’accès du Paradis ; Jésus, Toi qui as brisé les verrous de l’enfer ; Jésus, Toi qui intercèdes pour tous auprès de Dieu aie pitié, Jésus, pour les solitaires.
Kondakion 9 : Remplis de l’Esprit, les apôtres parcourent la terre ; ils répandent l’Evangile et réunissent l’Eglise, chantant : Alléluia.
lkos 9 : Mais Tu les connais, Jésus, les vies de Tes serviteurs ! Que de luttes cachées ! En eux-mêmes, combien d’âpres discussions entre Ta volonté et leur volonté propre ! Que d’efforts pour surmonter tout désir de vengeance quand l’hostilité les entoure ! Quels travaux inouïs quand ils sont les premiers à porter Ton message dans un pays nouveau ! Pionniers poussés par l’Esprit, ils souffrent des douleurs indicibles de l’Esprit. Aussi souviens-Toi d’eux et de leurs prières ; Jésus, sagesse des fous pour Toi ; Jésus, pardon à ceux qui outragent ; Jésus, science des ignorants ; Jésus, joie de sauver des âmes ; aie pitié, Jésus, pour les solitaires.
Kondakion 10 : Jean à Patmos est retiré dans la caverne, et là, contemplant les mystères, apprend de Toi les dernières révélations ; émerveillés avec lui, chantons : Alléluia.
Ikos 10 : L’âme vierge fuit le monde, se cache dans la solitude, théologise et prie, dans un tête-à-tête avec Dieu. Le silence est son frère, et la paix s’établit dans le cœur qui loue avec attendrissement. Jésus, désiré de mon âme ; Jésus, aimé de mon esprit ; Jésus, trésor de ma vie ; Jésus, pourpre de mon être ; aie pitié, Jésus, pour les solitaires.
Kondakion 11 : Le Christ au tombeau repose. Trois jours et trois nuits, il dort, confiant en la délivrance de Pâques, où éclatera sa gloire : Alléluia.
Ikos 11 : Celui qui va mourir sent s’approfondir l’espace. Il entrevoit l’infinité des mondes. Le temps commence à s’effacer, et l’éternité à s’éclairer. Quittant la terre, l’âme s’envoie, éprouvant, à l’instant de la mort, une solitude totale ; délaissant en effet les siens et n’ayant pas touché encore l’héritage céleste. Destinés comme elle à mourir, disons de toute notre âme, disons : Jésus, sérénité de l’abandon entre Tes mains ; Jésus, consolation des endeuillés ; Jésus, certitude de la Résurrection ; aie pitié, Jésus, pour les solitaires.
Kondakion 12 : Il y aura, dans la suite des temps, un grand concours de tous les peuples, à Sion, la ville du grand Roi. Et l’Eglise servant le Christ avec les anges chantera : Alléluia.
Ikos 12 : Donne, Seigneur, aux solitaires, à ceux que leurs nations vomissent, à ceux que leurs douleurs éloignent des satisfaits, donne à tous ceux dont les souffrances sont doublées par la solitude, donne le repos dès ce monde, donne ta paix plus forte que le monde. Leur faisant découvrir en Toi le plus solitaire des hommes, donne-leur ta compagnie au long de leur chemin terrible. S’ils sont en croix, accorde-leur de se savoir crucifiés avec Toi ; et de même que le Père demeurait par amour avec Toi, parce que Tu lui obéissais, donne à Tes serviteurs mutilés dans leur âme de connaître eux aussi la solitude avec le Père, dans l’obéissance à leur Croix. Jésus sauveur, sauve-moi Jésus Roi, règne sur moi ; Jésus Maître, instruis-moi ; Jésus, Fils de l’Homme, sois un frère pour moi aie pitié, Jésus, pour les solitaires.
Kondakion 13 : Jésus, Fils de Dieu descendu dans le monde pour chercher la brebis perdue, pour la mettre sur Tes épaules et la ramener au bercail, entends et exauce notre plainte, à nous qui souffrons à mourir; délivrés de la souffrance, nous Te chanterons, unanimes, un exultant : Alléluia.
Bulletin de la Crypte N° 270 Février 1999
Communauté orthodoxe française de la Sainte Trinité
du Père Frédéric Manns : Une martyre juive de confession chrétienne – Edith Stein
5 novembre, 2009du site:
http://198.62.75.1/www1/ofm/mag/TSmgfrB3.html
Une martyre juive de confession chrétienne – Edith Stein
Frédéric Manns, ofm
Carmélite à 43 ans, martyre à 52 ans
La figure de la philosophe Edith Stein est connue. Née dans la ville allemande de Breslau (aujourd’hui Wroclaw en Pologne) en 1891, la jeune juive a abandonné la foi de ses parents orthodoxes dès l’âge de 14 ans, avant d’entreprendre une brillante carrière de philosophe. A l’âge de 29 ans, après la lecture des oeuvres de sainte Thérèse d’Avila, elle embrasse la foi catholique et devient carmélite en 1934, comme la grande sainte dont elle venait de découvrir la recherche absolue de Dieu. Hitler était à peine arrivé au pouvoir dans une Allemagne en pleine crise et effervescence. En août 1942 elle est arrêtée dans un couvent des Pays-Bas où ses supérieures l’avaient envoyée pour tenter de la sauver. C’est le 9 août qu’elle s’offrit en sacrifice dans une chambre à gaz du camp d’Auschwitz.
Réaction du monde juif
De nombreuses voix se sont élevées en Israël pour protester contre cette canonisation. Pourquoi canoniser une martyre juive? N’assistons-nous pas à une récupération chrétienne de la Shoah? En répétant que chacun a été victime de la Shoah n’enlève-t-on pas toute responsabilité à l’Église? Le centre Simon-Wiesenthal de Paris et diverses personnalités juives avaient demandé au pape de renoncer à la canonisation de cette juive victime de la Shoah. M. Minervi, ambassadeur d’Israël auprès du Saint-Siège a dénoncé les manoeuvres du Vatican qui tendent non seulement à récupérer la Shoah par les chrétiens, mais à présenter au monde des juifs qui ont accepté Jésus comme messie d’Israël, en d’autres termes à affirmer que le christianisme n’est que l’accomplissement du judaïsme (émission de la Radio du 16.10.1998).
Jean Paul II ne s’est pas laissé intimider. Edith Stein est à la fois une éminente fille d’Israël et une fille fidèle de l’Église. Dans son homélie pour la canonisation le Pontife poursuit: « Consciente de ce que comportait son origine juive, Edith Stein avait à ce propos des mots éloquents: « Sous la croix j’ai compris le sort du peuple de Dieu… Mais comme cela est un mystère, on ne pourra jamais le comprendre par la raison seule.
Dialogue difficile
Les difficultés et ambiguïtés du dialogue judéo-chrétien sont de plus en plus apparentes. Il fallait s’y attendre. Mais ce dialogue ne peut pas être à sens unique au péril de perdre sa nature.
Jean Paul II dans son allocution à la synagogue de Mayence en 1980 affirme: « Quiconque rencontre Jésus-Christ, rencontre le judaïsme » Et à la synagogue de Rome en 1986 il ajoutait: « L’Église du Christ découvre son lien avec le judaïsme en scrutant son propre mystère ». La religion juive ne nous est pas extrinsèque, mais elle est intrinsèque à notre religion. Reconnaître les racines juives de la religion chrétienne est aujourd’hui chose acquise. Jésus, Marie, Joseph, les apôtres et les évangélistes étaient des juifs pratiquants.
Mais cela n’autorise pas à penser que l’Église et le judaïsme sont deux voies parallèles de salut. En canonisant Edith Stein le pape réaffirme que la voie du salut est unique, qu’on soit juif ou non.
Deux univers distincts mais reliés
La permanence en vis-en-vis d’Israël et de l’Église est le signe de l’inachèvement du dessein de Dieu. Le peuple juif et le peuple chrétien sont ainsi en situation de contestation réciproque. Cette contestation est incontournable. Elle est difficile à penser et à vivre au quotidien. L’affaire du carmel d’Auschwitz a bien illustré les difficultés et les ambiguïtés de la rencontre.
Vatican II dans le document Nostra Aetate avait rappelé le lien qui unit spirituellement le peuple du Nouveau Testament avec la lignée d’Abraham. Mais c’est à partir de son mystère que l’Église parle du peuple d’Abraham et de son lien avec lui. Son discours ne pourra pas coïncider avec ce que les juifs disent sur eux-mêmes. La confrontation demeure, mais elle n’exclut pas la relation.
Définir le peuple juif comme le font les documents de l’Église comme le peuple de l’Ancien Testament c’est passer souvent à côté de l’essentiel. L’Ancien Testament n’est rien sans la tradition orale. Bien plus, la Loi orale a sa propre manière de lire la Bible. La Bible lue par les chrétiens à la lumière du Christ mort et ressuscité et la Bible lue par les juifs à la lumière du midrash juif, ce sont deux univers différents. Il existe une lecture chrétienne de la Bible qui est différente de la lecture juive.
Judaïsme du Second Temple et judaïsme rabbinique
Le choc que peut produire cette découverte doit être intégré dans une perspective historique: après la Shoah les chrétiens ont éprouvé la nécessité de se rapprocher des juifs et de raviver ce qui les unit aux juifs. L’heure est venue d’aller plus loin et de reconnaître maintenant l’altérité. Sinon des confusions méthodologiques risquent de se produire.
Beaucoup de congrès bibliques cherchent à souligner les racines juives de la foi chrétienne. Mais ces racines juives concernent en fait le judaïsme de l’époque du Second Temple. La connaissance du judaïsme ne pourra pas contourner la loi orale et le midrash développé plus tard, souvent en opposition avec la foi chrétienne. Ne risque-t-on pas de mettre sur le même plan le monde juif textuel et le monde juif d’aujourd’hui? La confusion qui existe entre les racines juives du christianisme et le développement du judaïsme rabbinique n’aide pas à éclaircir la situation. Vouloir interpréter Jésus et son message à la lumière du judaïsme d’après 70, l’année de la destruction du Temple, est en fait une erreur de perspective.
Une confusion commune identifie le peuple juif au peuple de l’Ancien Testament. Une autre, non moins subtile, consiste à croire que celui qui rencontre Jésus rencontre le judaïsme au sens du judaïsme rabbinique qui a façonné le peuple juif depuis vingt siècles.
Dire que l’Ancien Testament est indispensable à la foi catholique, que le Nouveau Testament ne peut pas se comprendre sans l’Ancien, dire que la permanence du peuple d’Israël à travers l’histoire est le signe de l’inachèvement du dessein de Dieu, cela est vrai mais insuffisant: nos voisins juifs d’aujourd’hui ne sont pas ceux qui font ressortir à nos yeux la valeur permanente de l’Ancien Testament et l’inachèvement du dessein de Dieu. Ce sont des gens façonnés par la loi orale, le Talmud et le midrash qui comprennent l’inachèvement du dessein de Dieu de façon différente de nous.
Renouvellement de l’Alliance
Il est vrai d’affirmer que Jésus était juif et qu’il l’est resté. Mais il faut articuler cette affirmation avec le renouvellement de l’alliance de Dieu en Jésus. On ne peut nier la nouveauté apportée par Jésus qui a permis l’entrée des païens dans l’alliance. Ce n’est pas Paul qui est le fondateur du judaïsme comme le répètent les juifs. Jésus est plus qu’un rabbin charismatique. Il s’est désigné comme le Fils de l’Homme. La découverte de sa judéité ne peut pas faire oublier la christologie, en particulier la christologie judéo-chrétienne.
Jésus a observé la loi juive. L’écoute de la parole de Dieu et l’obéissance aux commandements caractérisent l’attitude du croyant. Mais un fait est certain: les chrétiens n’observent plus aujourd’hui les 613 commandements de la loi juive, tout en reconnaissant l’Ancien Testament comme parole de Dieu. La concentration sur le commandement de l’amour a une origine christologique. L’agir des chrétiens est structuré christologiquement. Le commandement de l’amour par lequel Jésus résume la loi juive prend chair en lui: il aima les siens jusqu’à la fin et jusqu’à la perfection de l’amour. Nous sommes loin de l’incessante interprétation de la loi qui caractérise le judaïsme.
Des deux côtés, transformation de l’héritage biblique
Il est clair que le christianisme est une transformation du judaïsme ancien. Ni le christianisme ni le judaïsme d’aujourd’hui ne peuvent se considérer comme l’unique détenteur de l’héritage biblique. Au niveau historique tous deux ont opéré des transformations de cet héritage. L’Église n’est pas fille de la Synagogue. Cette formule signifierait que seul le christianisme a transformé l’héritage commun. La métaphore fraternelle employée par le pape quand il appelle les juifs « nos frères aînés » rappelle que les juifs eux aussi ont opéré des transformations par rapport au judaïsme biblique.
Accepter que le christianisme et le judaïsme ont transformé le judaïsme ancien ne signifie pas qu’ils constituent deux voies parallèles de salut. Ce serait renoncer au coeur de la foi chrétienne. Par sa mort et sa résurrection le Christ a donné l’accès de tous auprès de Dieu. L’Église est le peuple de Dieu formé de toutes races, peuples et nations. Le don de l’Esprit permet à tous d’entrer dans l’alliance nouvelle. La foi chrétienne est fondée sur la personne de Jésus et non plus sur la loi juive, bien que Jésus fût juif.
Puisque le dialogue entre judaïsme et christianisme est un dialogue exigeant, il n’y a pas lieu de s’étonner des réactions viscérales de certains juifs devant les attitudes de l’Église. Ce que l’Église dit sur le judaïsme ne peut pas coïncider complètement avec la façon dont les juifs se définissent eux-mêmes. Lorsque cette unité de pensée et de coeur sera atteinte le dialogue aura fini son but. Edith Stein a encore une fonction de réconciliation à remplir. Les ponts entre juifs et chrétiens restent nécessaires aujourd’hui plus que jamais.
Synode pour l’Afrique : Bilan du cardinal André Vingt-Trois
5 novembre, 2009du site:
http://www.zenit.org/article-22536?l=french
Synode pour l’Afrique : Bilan du cardinal André Vingt-Trois
L’Église universelle a vécu à l’heure de l’Afrique
ROME, Mardi 3 novembre 2009 (ZENIT.org) – « Nous avons non seulement besoin de la présence de nos frères et de nos sœurs africains près de nous, ici, en France, mais nous avons besoin de l’Église en Afrique, à Madagascar et dans les Iles, pour que le corps tout entier de l’Église atteigne sa plénitude et que la force prophétique de l’Evangile ne soit pas simplement manifestée dans des conditions particulièrement favorables, mais qu’elle soit confrontée aux contraintes et aux difficultés propres au continent africain aujourd’hui », a déclaré le cardinal Vingt-Trois. Pendant un mois en effet, « l’Église universelle a vécu à l’heure de l’Afrique », et a démontré « le courage et la détermination des évêques africains ».
L’archevêque de Paris, président de la conférence des évêques de France, a en effet proposé à ses diocésains, des évêques d’Ile de France, des prêtres africains et des communautés africaines d’Ile-de-France, un bilan du synode des évêques pour l’Afrique – auquel il a participé à Rome du 4 au 25 octobre – à Notre Dame de Paris, dimanche dernier, 1er novembre 2009, à 17h00. Il a ensuite présidé les vêpres et la messe.
Allocution du Cardinal André Vingt-Trois
Introduction
Chers frères et sœurs, chers amis,
Je suis très heureux de vous retrouver cet après midi, pour vous partager ce que j’ai pu vivre durant les trois semaines de cette deuxième session spéciale pour l’Afrique du Synode des Evêques. Je salue les prêtres, religieux et religieuses africains qui nous font la joie de leur présence, avec les fidèles d’origine africaine qui habitent l’Ile de France qui ont répondu à mon invitation.
Je voudrais d’abord vous dire l’action de grâce et la fierté qui sont les miennes de ce que l’Église d’Afrique, de Madagascar et des Iles puisse réunir une délégation de plus de 180 Pères synodaux africains avec une telle lucidité dans l’analyse de leurs situations, une telle foi dans le discernement des causes, une telle espérance dans la possibilité de faire progresser la réconciliation, la Justice et la Paix dans un continent si souvent déchiré. Quinze ans après le premier Synode pour l’Afrique, les Pères synodaux ont pu mesurer le chemin parcouru depuis lors dans la mise en pratique de la dimension familiale de l’Église. Cette seconde réunion du Synode pour l’Afrique nous donnait le visage à la fois d’une jeune Église et d’une Église dans sa maturité.
Il me semble également important de souligner en commençant que par le Synode pour l’Afrique, l’Église universelle a vécu à l’heure de l’Afrique. Tous, nous y avons reçu non seulement le témoignage de la foi et de la vitalité de l’Église en Afrique, mais aussi un appel à la conversion de tous les chrétiens bien au delà de l’Afrique. Les évêques d’Afrique et des Iles accordaient une grande importance à ce que ce synode se déroule à Rome, au centre symbolique de l’Église universelle, et ne soit pas considérée comme une simple question régionale ou locale, ce qui aurait pu être le cas s’il s’était déroulé en Afrique. Ils auraient craint qu’alors l’impression soit donnée que ce travail se faisait entre africains, alors que les perspectives évoquées concernent l’Église universelle.
Une lecture contrastée des réalités vécues sur ce continent.
Le synode s’est livré à une lecture contrastée des réalités de l’Afrique et des Iles. Bien sûr, ce contraste vient d’abord des différences entre les pays de ce continent : Petites îles du Pacifique, Madagascar, Afrique du Nord, Egypte, Afrique subsaharienne, Afrique centrale, Afrique du Sud… Mais plus profondément, le contraste provient des contradictions inhérentes à l’intérieur de chaque région et de chaque pays. Je voudrais ainsi relever quatre exemples de ces contrastes.
Richesses et misère
L’Afrique est riche d’une population jeune. Dans certains pays plus de 60% de la population a moins de 20 ans. Nous savons aussi que ce continent est fort des richesses naturelles parmi les plus importantes du monde, y compris en eau. Mais simultanément, il faut constater une misère sanitaire et une misère alimentaire qui conduit à des carences alimentaires pour beaucoup et confine à la famine dans certaines régions.
Le directeur général de la FAO qui est intervenu devant le Synode, et qui est sénégalais, nous a expliqué très simplement comment certaines régions d’Afrique ont une production agricole largement suffisante pour la subsistance du pays, mais qui ne peut pas être acheminée faute d’infrastructures pour les transports.
Luttes et réconciliation
Il y a un deuxième contraste entre d’une part les luttes interethniques ou fratricides qui divisent les ethnies les unes par rapport aux autres et les conflits internationaux dont nous avons souvent les échos à travers les informations générales et la presse et d’autre part une tradition ancienne de la société africaine qui est capable de mettre en place des procédures de réconciliation efficace. On a cité l’exemple de plusieurs pays qui se sont engagés dans un lent travail de réconciliation nationale : l’Afrique du Sud dont l’exemple est souvent cité mais aussi d’autres nations.
Rencontre avec les autres religions
La forme de la rencontre – qui peut être une confrontation – du christianisme avec la religion traditionnelle africaine et avec l’Islam varie beaucoup selon les pays. Et à ces deux religions très insérées dans la tradition culturelle et le tissu social africain, on pourrait ajouter l’influence des groupes évangélistes et de leur messianisme immédiat.
Dans certains cas, le christianisme est largement majoritaire, dans d’autres il ne représente qu’une infime minorité, voire une religion d’étrangers, comme dans le Maghreb. Et il ne faut pas non plus oublier aussi la situation de Madagascar et des Iles où le christianisme est confronté aux religions asiatiques par les phénomènes de migration.
La cohabitation avec les musulmans (qui est une réalité plus précise que celle de la cohabitation avec l’Islam) est vécue et réfléchie avec beaucoup de prudence et d’ouverture. Bien loin des fantasmes du « choc des civilisations », les évêques d’Afrique sont vigilants sur plusieurs points. Il y a d’abord le souci d’une coopération sociale chaque fois qu’elle est possible, au service du bien commun et au plus près du terrain et des réalités vécues. Ensuite, les évêques veillent au respect du droit fondamental de la liberté de culte, quelle que soit la religion majoritaire. Troisièmement, et plus difficilement, ils affirment le droit à la liberté de conscience, c’est-à-dire la possibilité concrète de changer de religion sans encourir l’exclusion sociale, la marginalisation, la persécution ou risquer sa vie.
Formes de gouvernement
Enfin, il existe un fort contraste entre des pays où les modes de gouvernement ont beaucoup progressés et où la démocratie s’affermit, et ceux qui sont ruinés par l’impéritie et les malversations des gouvernants et du personnel public.
On pourrait continuer d’aligner des contrastes de ce genre. Ils nous aident simplement à éviter de se faire une idée simpliste de l’Afrique et de la situation de l’Église en Afrique.
Des grandes dépendances.
Ce synode a permis de réfléchir à la question très importante des grandes dépendances auxquelles sont soumis les Africains. Evidemment, comme Européens, nous avons tous présent à l’esprit la dépendance du climat et des risques naturels, mais ce n’est pas ce qui préoccupe le plus les évêques d’Afrique. Ils soulignent plutôt trois autres types de dépendance.
Tout d’abord l’imposition d’une exploitation anarchique des ressources, qui se manifeste dans l’anarchie écologique née de l’exploitation sauvage des ressources naturelles, et dans l’anarchie financière à cause de la manière dont sont établis les contrats internationaux, avec la corruption qui en découle.
Ensuite, ce Synode a mis en lumière la domination économique des pays industriels qui se nourrissent toujours des richesses de l’Afrique, qui exploitent les matières premières et la production agricole. Car si la décolonisation a changé le statut politique, elle n’a pas forcément changé le statut économique.
Enfin, et plus peut-être plus grave encore, il y a la dépendance morale devant l’invasion militante ou insidieuse des modèles et des standards de vie occidentaux. Les organisations internationales qui contribuent au financement d’un certain nombre d’états, et certaines ONG, font pression pour imposer leurs critères anthropologiques et moraux. D’une certaine façon, on peut dire que se développe une pratique de l’aide conditionnelle. Si l’expérience historique de l’Europe peut éclairer ce point, je dirais que nous sommes devant une version moderne du paternalisme européen du XIXème siècle. A l’époque, on nourrissait et on soignait les miséreux en les exhortant à vivre moralement. Aujourd’hui, on est assez cynique pour nourrir et soigner la misère au prix de l’abandon des traditions antiques de la société africaine. C’est du paternalisme à rebours, non pas pour moraliser les hommes mais pour les arracher à leurs repères éthiques.
Des objectifs de renouveau.
Nourrir un regard d’espérance
J’ai trouvé particulièrement stimulant et important d’entendre que les évêques africains se situent délibérément en dehors de toute fatalité, et ce aussi bien dans l’Assemblée générale du Synode où les pères intervenaient successivement les uns après les autres, que dans les groupes de travail linguistique où nous étions une petite vingtaine autour d’une table. Les évêques pensent, croient et espèrent que l’Afrique a le moyen de vivre, qu’ils ne doivent pas succomber perpétuellement à l’humiliation de l’assistance, que des gouvernants efficaces se lèveront plus nombreux pour permettre que les ressources de l’Afrique soient vraiment au service des peuples africains et non pas au service de certaines familles ou de certains clans. Sans cette espérance, ils craindraient avec raison la violence suicidaire et le désespoir social de jeunes hommes et de jeunes femmes arrachés au cadre habituel de leur existence et jetés sans aucun projet de vie autour des grandes villes. Car quand on n’a plus rien, on n’a rien à sauvegarder, on peut tout perdre.
Le premier objectif est donc de nourrir cette conviction que les hommes et les femmes de l’Afrique sont réellement capables aujourd’hui de surmonter les handicaps de leur situation pourvu que la gouvernance de leurs états soit raisonnable et transparente.
Une Église prophétique
Un second objectif consiste à mettre en œuvre la mission prophétique de l’Église. J’ai évoqué tout à l’heure l’expression « d’Église : Famille de Dieu » qui était sorti de la première session du Synode pour l’Afrique en 1994. Cette année, la valeur d’une Église prophétique revenait constamment. Mais encore faut-il comprendre ce que recouvre cette réalité. Pour les évêques présents, à travers ce que j’ai entendu, une Église prophétique est une Église qui annonce une espérance réaliste, qui porte sur les peuples d’Afrique un regard positif et qui espère qu’ils peuvent non seulement se convertir mais qu’ils peuvent transformer leur pays.
Prophétique est d’abord le signe que l’Église donne (ou s’efforce de donner), en constituant une « famille de Dieu » qui dépasse les divisions ethniques, culturelles, nationales et continentales. De ce point de vue, la tenue du Synode fait elle-même partie de cette dimension prophétique : dans le groupe linguistique auquel je participais, pratiquement 15 pays différents étaient représentés, depuis le Maghreb jusqu’à l’Afrique du Sud, depuis l’Egypte jusqu’à l’Afrique de l’Ouest. Et, à travers une demi-douzaine de séances de travail, les représentants de ces différents épiscopat, montraient qu’ils étaient capables de faire quelque chose ensemble, d’assumer leur différence, de reconnaître leur tradition et leur héritage, mais aussi de faire fructifier ces différences pour la fécondité de l’Église. Ce signe, les évêques veulent le donner aussi dans chacun de leur pays, en faisant vivre des communautés d’Églises vivantes (qu’en d’autres lieux on aurait appelé des communautés de base) qui soient des cellules où se développe l’expérience de la fraternité et de la réconciliation. Les communautés religieuses ont un rôle particulier dans ce témoignage prophétique, dans la mesure où elles assemblent dans des communautés uniques, des représentants de nationalité, de culture et d’ethnies différentes.
Dans ce témoignage prophétique le Synode a voulu souligner un certain nombre de points particuliers que je vais évoquer maintenant.
L’Église témoigne de cette espérance par sa lutte incessante contre les fléaux sanitaires, en particulier contre le sida où elle est fortement engagée par des programmes de prévention, d’accueil et de soin. Le message du Synode dans son numéro 31 résume cette implication de l’Église au quotidien.
« L’Église est sans pareille dans la lutte contre le sida et dans les soins apportés à ceux qui en sont infectés et affectés en Afrique. Le Synode remercie tous ceux qui s’impliquent généreusement dans ce difficile apostolat d’amour et de compassion. Nous plaidons pour qu’un soutien ininterrompu soit apporté pour les besoins de la cause. D’accord avec le Pape Benoît XVI, ce Synode avertit solennellement que le problème ne saurait se résoudre par la distribution de prophylactiques. Nous en appelons à la conscience de ceux qui sont vraiment intéressés à arrêter la transmission du sida par voie sexuelle, pour qu’ils reconnaissent les succès déjà obtenus (et connus) par les programmes qui proposent l’abstinence pour les non mariés et la fidélité pour les mariés. Une telle ligne d’action procure non seulement une meilleure protection contre l’expansion du mal, mais aussi se situe en harmonie avec la morale chrétienne. Nous nous adressons à vous les jeunes, que personne ne vous laisse croire que vous ne pouvez pas vous maitriser. Oui ! Vous le pouvez avec la grâce de Dieu. » (Proposition n.31)
L’Église agit prophétiquement également par son engagement social et politique pour la réconciliation entre les ethnies et entre les peuples. Dans beaucoup de pays d’Afrique, des commissions nationales de conciliation ou de réconciliation, ou des commissions de gestion de crise, associent habituellement des représentants des grandes religions à leurs travaux, et même si les catholiques sont minoritaires dans leur pays ils sont toujours sollicités et accueillis avec intérêt pour leur contribution à ce travail.
Mais plus largement, l’Église agit prophétiquement en appelant les responsables politiques au respect de la démocratie et à la lutte contre la corruption active et passive et en s’engageant fermement à l’égard des dirigeants chrétiens qu’elle exhorte. Je cite ici l’appel du Synode dans son message final :
« Plusieurs catholiques, exerçant de hautes fonctions n’ont malheureusement pas été performants. Le Synode invite ces gens à se convertir, ou à quitter la scène publique pour ne pas causer des dégâts au sein du peuple et salir la réputation de l’Église Catholique ». (Message n°23)
Prophétique aussi est l’implication de l’Église dans le développement économique et la réalisation de micro projets, prophétique est l’appel qu’elle adresse à ses membres de pratiquer la gouvernance de l’Église d’une façon transparente et désintéressée, prophétique par le soutien qu’elle apporte aux familles et à leur stabilité, prophétique par son engagement dans la promotion de la femme africaine…
Cette dimension prophétique de la mission de l’Église, le Synode l’a exercé en lançant un certain nombre d’appel :
Dans un domaine particulièrement sensible, qui a été longuement discuté à différents niveaux en assemblée générale et en groupe linguistique, le Synode a exhorté à lutter contre les pratiques de magie et de sorcellerie et surtout contre les désastres qu’elles causent dans les groupes sociaux et les familles, par exemple quand les accusations mensongères de sorcelleries aboutissent à l’exécution des intéressés.
Une vigilance particulière a été demandée à l’égard des enfants et des femmes qui sont les premières victimes des violences armées, mais plus largement à l’égard des enfants abandonnés non scolarisés, des enfants travailleurs, des enfants soldats et des enfants victimes des violences communes.
Le Synode a lancé un appel aux hommes africains pour qu’ils assument leurs rôles de pères responsables, de bons et fidèles époux et de responsables dans la société.
Le Synode a fait un appel pressant aux grandes puissances de ce monde.
« Aux grandes puissances de ce monde, nous disons : traitez l’Afrique avec respect et dignité. L’Afrique en appelle à un changement de l’ordre économique mondial, à cause des structures injustes qui s’entassaient sur elle. La récente turbulence dans le monde financier démontre qu’il est temps d’opérer des changements radicaux dans les règles du jeu. Mais ce serait une autre tragédie si ce réajustement devait viser les intérêts des riches au détriment des pauvres. La plupart des conflits, des guerres et des situations de pauvreté en Afrique proviennent essentiellement de structures injustes…. Un ordre mondial juste et nouveau n’est pas seulement possible, mais nécessaire pour le bien de toute l’humanité. Un changement est nécessaire pour ce qui concerne le poids de la dette pesant sur les nations pauvres, mortel pour leurs enfants. Les multinationales doivent arrêter la dévastation criminelle de l’environnement dans leur exploitation vorace des ressources naturelles. C’est une politique à courte vue qui fomente des guerres pour obtenir des gains rapides à partir du chaos, au prix des vies humaines et du sang répandu. N’y aurait-il personne dans leur rang qui soit capable et désireux d’arrêter ces crimes contre l’humanité. » (Propositions n° 32 et 33)
Enfin, et par-dessus tout, le plus important est l’appel lancé aux chrétiens pour qu’ils soient lumière du monde et sel de la terre, témoins de l’Evangile dans la vie quotidienne et témoins de la foi dans la rencontre avec les autres religions. Pour leur permettre de rendre ce témoignage et d’assumer leur responsabilité de laïcs dans l’Église, le développement de la formation est indispensable à tous les niveaux : formation de la jeunesse, formation des adultes, formation supérieure dans les universités catholiques.
Conclusion
En conclusion je voudrais vous lire un dernier passage du message du Synode. Je pense qu’il évoque avec puissance le courage et la détermination des évêques africains qui étaient réunis.
« Le Synode s’attriste en remarquant que c’est la honte qui caractérise plus d’un pays africain. Nous pensons en particulier au cas lamentable de la Somalie empêtrée dans de violents conflits depuis près de deux décennies, avec des conséquences sur les nations avoisinantes. Nous n’oublions pas non plus la tragédie des millions de personnes dans la région des Grands Lacs et la durable crise au nord de l’Ouganda, au sud Soudan, au Darfour, en Guinée Conakry, et en d’autres endroits. Les gouvernants de ces nations doivent prendre leur responsabilité devant leurs prestations génératrices de douleur. En bien des cas, on se trouve devant la situation de soif du pouvoir et des richesses au détriment du peuple et de la nation. Quel que soit le niveau de responsabilité attribuable aux intérêts étrangers, on ne peut nier une honteuse et tragique complicité des leaders locaux : des politiciens qui trahissent et mettent leurs nations aux enchères, des hommes d’affaires éhontés qui se coalisent avec les multinationales voraces, des africains vendeurs et trafiquants d’armes qui spéculent sur les armes légères cause de la destruction de vies humaines, des agents locaux d’organisations internationales qui se font payer pour diffuser des idéologies nocives auxquelles ils n’adhérent pas eux-mêmes.
Les conséquences néfastes de toutes ces menées ne sont cachées pour personnes : pauvreté, misère et maladie, des réfugiés dedans, dehors et outre-mer, recherche d’une meilleure vie qui conduit la fuite des cerveaux, migrations clandestines, trafics d’hommes, guerres, effusion de sang, souvent par personnes interposées, atrocité d’enfants soldats, l’indicible violence faite aux femmes. Comment peut-on être fier de régner sur un tel chaos ? Qu’est devenue la pudeur traditionnelle africaine ? Ce Synode le proclame haut et fort : le temps est venu de changer des habitudes pour l’amour du présent et des générations futures. » (Propositions n° 36-37)
Dimanche dernier, le Saint Père a clôturé le Synode par la célébration de l’Eucharistie. L’évangile était celui de la guérison de Bartimée. L’homélie de Benoît XVI a souligné que ces quelques versets devaient être été reçus et entendus comme une lumière d’espérance sur la situation de l’Afrique :
« ‘Confiance, lève-toi, il t’appelle’. C’est ainsi qu’aujourd’hui le Seigneur de la vie et de l’espérance s’adresse à l’Église et aux populations africaines, au terme de ces semaines de réflexion synodale. Lève-toi, Église en Afrique, famille de Dieu, parce que le Père céleste t’appelle…. Entreprends le chemin d’une nouvelle évangélisation avec le courage qui te vient de l’Esprit-Saint. L’action d’évangélisation urgente (…) comporte également un appel pressant à la réconciliation, condition indispensable pour instaurer en Afrique des rapports de justice entre les hommes et pour construire une paix équitable et durable, dans le respect de chaque individu et de tous les peuples… Dans cette mission de grande importance, toi, Église pèlerine dans l’Afrique du troisième millénaire, tu n’es pas seule. Toute l’Église catholique t’est proche par la prière et la solidarité active, et du ciel t’accompagnent les saints et les saintes africains qui, par leur vie et parfois leur martyre, ont témoigné leur pleine fidélité au Christ. »
Frères et sœurs, cet appel vibrant adressé par le Pape Benoît XVI aux pères synodaux, et à travers eux à tous les catholiques d’Afrique, de Madagascar et des Iles du Pacifique est aussi un appel lancé, comme les pères synodaux nous l’ont dit, au-delà des limites de l’Afrique et donc à nous. Car si l’Afrique peut nourrir une espérance légitime pour l’avenir, c’est aussi une espérance pour l’ensemble de l’Église. Si l’Église qui est en Afrique a besoin de s’appuyer sur la solidarité et la fraternité des autres Eglises locales, c’est d’abord pour trouver les moyens de mettre en valeur ses ressources et ses richesses, ses richesses naturelles et ses richesses humaines. Si l’Afrique a besoin de nous, j’ai surtout découvert durant ces trois semaines à Rome que nous avons plus encore besoin de l’Afrique. En effet, nous avons non seulement besoin de la présence de nos frères et de nos sœurs africains près de nous, ici, en France, mais nous avons besoin de l’Église en Afrique, à Madagascar et dans les Iles, pour que le corps tout entier de l’Église atteigne sa plénitude et que la force prophétique de l’Evangile ne soit pas simplement manifestée dans des conditions particulièrement favorables, mais qu’elle soit confrontée aux contraintes et aux difficultés propres au continent africain aujourd’hui. Alors tous pourront voir que Dieu n’abandonne pas son peuple, qu’Il est présent et vivant au cœur de son Église en Afrique et dans le monde entier.
Je vous remercie.